Les renouvelables vont-elles créer une nouvelle dépendance au béton ?

Emmanuel Hache1
03/04/2019
Un article de The Conversation





Non à l'éolien - éolienne couchée


Éoliennes, batteries électriques ou panneaux photovoltaïques : la plupart des nouvelles technologies liées à l’énergie bas carbone nécessitent une quantité importante de ressources minérales, en particulier certaines terres rares ou encore des métaux dits technologiques (cadmium, cobalt, indium ou lithium, par exemple). Une demande trop importante à satisfaire pourrait limiter la diffusion à grande échelle des technologies vertes.

Mais d’autres matériaux de base, comme le cuivre, pourraient devenir tout aussi stratégiques dans le contexte de la transition énergétique. C’est également le cas du béton. Matériau structurel le plus utilisé aujourd’hui dans le monde, sa « criticité » est régulièrement évoquée.

En France, par exemple, certaines études montrent qu’il faudrait 30 millions de tonnes de béton pour implanter 20 000 nouvelles éoliennes (pour ajouter une puissance de 80GW, au regard des 14GW déjà implantés). Ce chiffre n’a pas manqué de faire réagir des associations anti-éoliennes.

En portant ces besoins en béton à l’échelle mondiale, les interrogations, voire des craintes, émergent. Mais qu’en est-il réellement ? Va-t-on manquer de béton dans les prochaines décennies ? 


10 milliards de tonnes produites chaque année
Le béton est un mélange, dont les proportions varient, d’un liant hydraulique (traditionnellement le ciment), de granulats (dont le gravier ou le sable), d’eau, d’adjuvants et parfois de fibres. L’eau provoque une réaction chimique de prise avec le ciment qui, en durcissant à l’air, lie tous les composants en un ensemble homogène et résistant.

Durable et bon marché, le béton est aujourd’hui le matériau de construction le plus utilisé au monde. S’il est difficile d’en connaître le niveau de production, les estimations s’établissent autour de 10 milliards de tonnes chaque année (soit l’équivalent de plus d’une tonne par Terrien par an !).

Mais le béton reste un matériau « hostile » à la transition énergétique : sa production nécessite beaucoup d’énergie et contribue aux émissions de gaz à effet de serre (GES) dont l’accumulation dans l’atmosphère perturbe le climat. Ces émissions représentent ainsi 8 à 9 % des émissions d’origine humaine globales de GES. Et la fabrication du béton mobilise plus de 2,5 % de la demande d’énergie primaire mondiale.

Plus précisément, c’est la production du clinker – composant essentiel du ciment résultant de la cuisson à très haute température d’un mélange composé principalement de calcaire et d’argile – qui s’avère majoritairement responsable de ces émissions, en raison de la combustion de combustibles fossiles, mais également de la chimie de la réaction qui libère du CO2.



Schéma simplifié de production du béton. Auteurs 

Vers un béton plus « propre » ?
Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), chaque tonne de ciment émet 540 kg de CO2. Ce nombre varie en fonction de la composition du ciment et de la région du monde où il est produit. Étant donné sa faible valeur commerciale et son poids important à transporter, le marché reste très régionalisé, avec peu d’échanges au niveau international. Par conséquent, il est rare que soient délocalisées les externalités négatives (pollution locale et émissions de GES) qui lui sont associées.

Aujourd’hui, de nombreuses solutions existent pour réduire les émissions liées à la production du ciment. L’AIE prévoit ainsi une diminution de 24 % des émissions directes liées à l’industrie cimentière grâce à la diminution de la part de clinker, à l’amélioration de l’efficacité énergétique des procédés, à l’utilisation de combustibles alternatifs ou encore à l’usage de technologies de capture et de stockage du CO2 (carbon capture and storage).

Si certaines entreprises sont déjà bien engagées dans des objectifs de réduction de leur empreinte carbone, la mise en œuvre de ces mesures reste très incertaine à l’échelle mondiale. D’autant qu’avec la croissance de la population, l’ AIE estime que la production de ciment pourrait augmenter de 23 % d’ici 2050.

En parallèle de ces considérations climatiques émergent d’autres problématiques, comme la demande en eau dans certaines régions en stress hydrique et la demande croissante en sable ; son prélèvement à proximité des côtes engendre l’érosion du littoral et le retrait des plages, menaçant le tourisme, l’agriculture et les écosystèmes marins.

Voir Recyclage du béton

Des technologies plus ou moins gourmandes
On le voit, la production du béton concentre les objectifs en matière de réduction des émissions de GES. Mais qu’en est-il du béton nécessaire à la transition énergétique, et plus précisément dans le secteur électrique ? Nous avons tenté de quantifier cette demande future.

À l’avenir, les besoins seront intimement liés aux technologies déployées, mais ils varient considérablement de l’une à l’autre : les barrages hydrauliques et les éoliennes sont très consommateurs de béton, les panneaux photovoltaïques beaucoup moins.

Les demandes en béton – donc en eau, en ciment et en granulat – seront, on le comprend, intrinsèquement liées aux futurs mix électriques développés par les États.


  
Contenu béton des différentes technologies de production électrique

Pour estimer ce volume nécessaire à l’implantation du nouveau mix électrique mondial à l’horizon 2050, les scénarios prospectifs du secteur énergétique (comme ceux fournis par l’ AIE) permettent de déterminer les volumes de matériaux nécessaires à leur réalisation. Le rapport Energy Technology Perspective de 2017 décrit par exemple trois mix électriques mondiaux et régionaux pour les décennies à venir, en fonction de l’élévation globale des températures d’ici 2100 : +2,7 °C (scénario RTS) ; +2 °C (scénario 2DS) ; +1,75 °C (scénario B2DS).

Il faut également prendre en compte la durée de vie plus courte des installations renouvelables – 25 ans en moyenne pour l’éolien et le solaire contre 35 ans en moyenne pour les centrales thermiques traditionnelles, et leur démantèlement. On peut alors déduire la somme des capacités à installer d’ici à 2050 pour répondre au besoin des scénarios de l’ AIE. 


 
Nouvelle puissance installée cumulée (GW) par scénario entre 2014 et 2050 : répartition par technologie. Auteurs 

Une part relativement faible dans la demande globale de béton

En associant à chaque technologie un contenu matière (kg/MW) – et en multipliant celui-ci par les capacités nouvelles à installer sur la période 2014-2050 – il devient alors possible d’estimer les quantités de matériaux nécessaires à la transition énergétique dans le secteur électrique.

La production de ciment étant le principal responsable de l’impact du béton sur le climat, il constitue la base des calculs suivants. Dans les hypothèses retenues, le ciment représente 15 % en moyenne de la masse du béton.

Selon notre étude, les scénarios pour 2050 exigent une demande croissante de ciment. Au niveau global, la part du ciment consacrée à l’installation des nouvelles capacités entre 2014 et 2050 ne représente toutefois que 0,8 % de la demande cumulée de ciment d’ici à 2050 – soit environ un tiers de la production mondiale actuelle, la majorité du ciment étant utilisé dans le secteur de la construction.

Les émissions de CO2 liées à la production de ciment pour le secteur électrique sont également négligeables au regard de la baisse des émissions attendues grâce au nouveau parc électrique mondial composé d’énergies renouvelables. Le ciment ne devrait donc pas limiter le déploiement des nouvelles capacités nécessaires aux trois scénarios proposés par l’ AIE. 


 
Demande cumulée de ciment d’ici 2050 et émissions de CO₂ associées

Une demande en ciment inégalement répartie
La Chine, premier producteur mondial, représente environ un quart de la demande globale de ciment, soit l’équivalent de tous les pays de l’OCDE confondus. Elle est suivie de l’Inde, deuxième pays possédant la croissance de la demande d’électricité la plus forte d’ici 2050.

Mais, pour traduire la dépendance d’un mix électrique à une ressource, il faut recourir à un autre indicateur : la demande par capacité installée (Mt ciment/GW installé), dite ici « intensité-ciment ». On peut également traduire cette information pour les émissions de CO2 liées à la production du ciment (Mt CO2/GW installé).

La moyenne mondiale quasi constante est ici aussi biaisée par le poids de la Chine et il existe parfois de grandes disparités entre régions. Par exemple, l’intensité ciment du Brésil est trois fois plus importante que celle du Mexique. Au sein d’une même région, on observe également une différence de demande significative selon les scénarios. Le mix électrique russe consommerait 30 % de plus de ciment dans un scénario à 1,75 °C qu’à 2,7 °C.

Le ciment nécessaire à la transition énergétique est également à mettre en relation avec la production annuelle régionale : en Russie ou au Brésil, il pourrait en représenter plus de 85 %, contre 12 % en Chine. Dans les pays en développement marqués par une forte urbanisation, l’impact de la production de ciment liée à la transition dans le secteur de l’électricité demeure donc significatif. 


 
Auteurs 

Pas d’obstacle au développement des ENR

Nos travaux démontrent donc plutôt une absence de criticité sur la ressource béton – et plus particulièrement ciment – à l’horizon 2050 dans le cadre de la transition du secteur électrique. En revanche, le contexte d’urbanisation croissante et de réduction des émissions de CO2 implique des enjeux bien plus forts pour l’industrie du béton au niveau global, et invite à la réflexion sur la coordination des politiques urbaines et énergétiques.

Si les seules productions et consommations de béton nécessaires au développement des énergies renouvelables peuvent difficilement apparaître comme des aspects limitants dans le futur, d’autres aspects, comme la dégradation des paysages ou la consommation d’eau, pourraient être soulevés dans le déploiement des énergies renouvelables.

1. Samuel Carcanague, chercheur à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS) et Aymen Jabberi, étudiant à l’École centrale de Lyon, ont participé à la rédaction de cet article.
-Emmanuel Hache est chercheur associé au laboratoire Economix de l’université Paris Nanterre et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Cet article a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche dans le cadre du projet GENERATE (Géopolitique des énergies renouvelables et analyse prospective de la transition énergétique).
-Clément Bonnet a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).
-Gondia Sokhna Seck et Marine Simoën ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. 

Lire l’article original.
Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles. 


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