Nucléaire intermittent, éolien variable, ou l’inverse ? (Tribune)

La Rédaction
7 Mar 2019



En France, la production nucléaire varie sans cesse, au fil des heures, des jours, des semaines et des saisons. Et il arrive que des variations sortent de la norme. Parfois, on les subit, mais d’autres fois, on peut s’en vanter. Et c’est le cas avec ce qui s’est passé sur le réseau électrique français le premier week-end de Mars 2019… Une tribune de Tristan Kamin.

J’ai coutume, depuis les événements caniculaires de cet été, de suivre l’évolution de la disponibilité du parc nucléaire français. Non pas de sa production, mais du nombre de ses 58 réacteurs qui sont en service. À partir des données fournies par RTE, pour chaque tranche (que je regroupe par centrales) et pour chaque heure (que je moyenne sur la journée), je compte, jour après jour, les réacteurs en production active. Je mets à jour hebdomadairement ce décompte et le projette sur un graphique comme celui-ci.



Et, après plusieurs semaines stables à 50 plus ou moins 2 réacteurs en service, l’effondrement à 40 le dimanche 4 mars 2019 était une totale anomalie. Après vérification de mes données, il est apparu clair qu’il s’était passé quelque chose sur le réseau.

Je commence par regarder, sur le service eco2mix de RTE, la production nucléaire. Et les observations précédentes se voient confirmées, avec la disparition, en l’espace d’une nuit de samedi à dimanche, de 10 GW de production nucléaire.



Un tel « effondrement » de la production ne pouvait pas rester sans explication. Première chose à faire, vérifier la consommation. Celle-ci était très basse ce dimanche 4 mars, même pour un dimanche : ci-dessous, la consommation depuis le 1er février.




Et, à titre de comparaison, la consommation de fin février / début mars en 2018 et 2019, avec la même échelle verticale :



Le maximum de consommation en 2019 côtoie le minimum de 2018, c’est dire…

Mais bien que basse ce week-end de mars 2019, la consommation variait assez peu, donc n’expliquait pas l’effacement d’un cinquième de la production nucléaire.

La véritable explication est à chercher du côté de la production éolienne. Le vent s’est déchaîné, et les aérogénérateurs avec.



Un dimanche. En période de faible consommation.

Production éolienne élevée, prioritaire sur le réseau, et demande modeste en électricité : tous les moyens pilotables de production ont eu à s’effacer pour faire place à l’éolien sur le réseau. Et, en effet, outre le nucléaire, gaz et hydraulique étaient au plus bas (et charbon et fioul étaient tout simplement absents ou négligeables).



Plus en détail : concernant l’hydraulique, les STEP étaient à zéro (forcément, on en profitait pour pomper de l’eau dans les réservoirs !), les lacs étaient au strict minimum, et même la petite hydraulique était peu mise à profit.



Concernant le gaz, seules les centrales à cogénération étaient maintenues, pour continuer à alimenter en chaleur ceux qui en dépendaient.



Évidemment, dans une telle situation de surcapacité (laquelle n’était pas exclusive à la France, on s’en doutera), les prix de marché se sont effondrés. Si la France, la Suisse et la Belgique ont réussi à limiter la chute à 10-20 €/MWh (contre une moyenne autour de 40), l’Allemagne, l’Autriche ou le Luxembourg sont tombés aux alentours de 0 €/MWh. Avec même des incursions des prix dans les valeurs négatives ; autrement dit, ces pays-là payaient pour qu’on les soulage de leur surproduction.



D’ailleurs, la France ne s’est pas privée de satisfaire cette demande et d’importer à prix négatif à ses frontières nord, et de revendre à prix plus élevé au travers de ses autres frontières.



Si l’on regarde du côté de l’Allemagne, les proportions étaient toutes autres. Le système électrique s’est fait écraser par la production éolienne, au point de devoir diminuer même la production des centrales nucléaires, pourtant très rarement sollicitées pour faire du suivi de charge.



Revenons en France. Le dimanche a (hélas) fini par s’achever et l’activité a repris lundi, et la consommation électrique avec. Pas à un niveau très élevé, mais vu que l’on partait de très bas, ça faisait une belle rampe, comme tous les lundi matin.



L’éolien a eu la décence de ne pas s’effacer à ce moment là, et l’hydraulique a fait son habituel retour, en ré-ouvrant les vannes des barrages et ses STEP.

Mais alors le nucléaire… Quelle remontée en puissance !



On connait les capacités de modulation du parc nucléaire français. Mais on les voit rarement ainsi à l’œuvre. Ici, à ceux qui disent que le nucléaire n’est pas flexible, cette simple image constitue déjà une réponse. 10 GW d’amplitude, avec des variations vraiment rapides !



Si l’on part un peu plus loin dans le raisonnement, on peut s’amuser à tracer quelques dérivées par rapport au temps. Autrement dit, la variation de la puissance délivrée (ou consommée), une évaluation de la raideur des pentes de production.

L’éolien, un peu timide, n’a pas dépassé les 30 MW/min de variation à la hausse ou à la baisse. Et c’est bienvenu de la part d’un moyen qui n’est pas pilotable, des variations aussi lentes que possibles sont plus simples à suivre. Et c’était largement à la portée du nucléaire, un peu moins sage, qui a affiché de nombreuses variations de 50 à plus de 100 MW/min à la hausse ! Mais ce dernier ne suffit pas à suivre la consommation, encore moins sage, avec des variations dépassant parfois 150 MW/min.



Donc la flexibilité du nucléaire est un peu limite pour suivre la consommation ; on le savait et c’est tout l’intérêt de l’hydraulique et, dans une moindre mesure, du gaz. Par contre, le nucléaire a vraiment montré ici sa capacité à s’adapter aux variations de l’éolien. L’intérêt reste à trouver, à mes yeux, mais le nucléaire est compatible, techniquement (économiquement c’est une autre affaire), avec l’éolien.

Ne laissez plus dire que le nucléaire n’est pas flexible, ni que le nucléaire français bloque le développement des énergies renouvelables électriques en France. Elles sont freinées par leurs limitations intrinsèques, et n’ont nul besoin d’aide pour cela.

En supplément : les productions, heure par heure de vendredi 1er à dimanche 3 mars, de chaque tranche. On identifiera aisément celles ayant contribué à cet effort de flexibilité !

 



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