La cathédrale Notre Dame de Paris : reconstruction ou restauration?

M.Panneau
Archéologue -topographe



Au sujet de la cathédrale Notre Dame de Paris, il ne s’agit pas d’une reconstruction mais bien d’une restauration. On la restaure à son état antérieur à l’incendie. Restaurer c’est remettre en état en essayant de respecter l'aspect primitif, le style.
Dans la notion de reconstruction sous-tend l’idée d’une remise à plat, d’un nouveau plan, d’une nouvelle construction en faisant fi des principes antérieurs, et sur un bâtiment classé, il ne peut en être question…
Donc restaurer serait lui redonner l’état perdu ? hmm pas tout à fait… La notion actuelle de la restauration n’a pas toujours été la même depuis le 19e siècle.

En 1830, est créée l’Inspection générale des monuments historiques par François Guizot, Ministre de l’Intérieur. A sa tête Ludovic Vitet, " Toutefois, celui-ci [François Guizot] créa pour lui le 25 novembre 1830 le poste d'inspecteur général des monuments historiques placé au ministère de l'Intérieur, mais qui préfigurait l'actuel ministère de la Culture." est rapidement remplacé par Prosper Mérimée, dont l’une des premières missions est de faire dresser la liste des monuments les plus anciens et les plus importants sur le territoire. Il nomme Eugène Viollet-le-Duc à la tête des grands chantiers de restaurations. " Prosper Mérimée devenu inspecteur général des monuments historiques, demanda à Viollet-le-Duc – qui n'avait pas suivi d'enseignement à l'école des Beaux-Arts – de restaurer la basilique de Vézelay en 1840 et le mont Saint-Michel. Ce travail marqua le commencement d'une longue série de restaurations, dont les plus connues sont la cité de Carcassonne, la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1843 avec Jean-Baptiste-Antoine Lassus."

Mais qu’entend-on par restauration
à cette époque ?
Voyons les positions de trois architectes et historiens, Viollet-le-Duc donc, Camillo Boïto et Aloïs Riegl, tous trois contemporains et qui ont largement œuvré pour apporter une réponse.

Viollet-le-Duc avait une conception, comment dire… bien à lui, de la restauration…




On voit tout de suite la tonalité du propos et le ton du bonhomme, « Écoute moi bien, le monde se divise en deux catégories : ceux qui construisent une flèche comme au Moyen Age, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses ! »
Viollet-le-Duc prône l’idée d’une recherche « archéologique » d’une vérité pour composer la restauration. L’idée était bonne mais la mise en œuvre façon Viollet-le-Duc fut quelque peu différente...

Camillo Boïto, architecte italien, n’est pas d’accord avec Viollet-le-Duc. Il trouve sa conception trop « romantique ». Pour lui, la restauration doit être d'abord et avant tout pensée en tant que conservation, un geste technique et une action de transmission.




Aloïs Riegl enfin, est un historien de l’art autrichien. Il a une vision très germanique et un peu plus complexe sur la restauration qui pour lui ne peut se faire que sur la valeur de commémoration intentionnelle du monument …
Il distingue trois valeurs pour le monument :
  • Le vieillissement. Il préconise le laisser être, et aux yeux de la valeur de vieillissement, la restauration est un crime aussi grave que celui de destruction. 
  • L'historique. Il recommande de le conserver en l’état. C’est avant tout un "document", on essaye de le faire perdurer dans le temps, de figer son état. Donc, impossible de le restaurer.
  • La commémoration intentionnelle. Il loue la restauration. Tout monument restauré perd irrémédiablement ses deux premières valeurs pour devenir un monument intentionnel...


Années 60
Un véritable changement s'opère à cette période car nait la prise de conscience politique de la préservation d’un patrimoine historique non pas seulement monumental mais aussi plus modeste urbain ou rural, religieux, civil ou militaire.
Ces années sont marquées par de nouvelles directives en faveur de la protection et de la restauration du patrimoine bâti, la Loi Malraux "Alors que les centres urbains commencent à être profondément modifiés par l'urbanisme des années 1960, la loi permet la création de secteurs sauvegardés «lorsque ceux-ci présentent un caractère historique, esthétique ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles " et les secteurs sauvegardés en aout 1962 en France et la Charte de Venise en 1964 au niveau international.
"Article 3
La conservation et la restauration des monuments visent à sauvegarder tout autant l’œuvre d’art que le témoin d’histoire
." 






Cette charte est avant tout une volonté pour les architectes du Patrimoine de disposer d’un document commun pour la préservation et la conservation des monuments. Elle préconise en quelques pages plusieurs concepts dont certains évoqués précédemment (art.9 à 13).

Art. 9 : La restauration doit rester exceptionnelle et doit se fonder sur le respect de la substance ancienne et des documents authentiques. Toujours dans le même article, l’obligation d’une étude archéologique et historique du monument avant restauration.



L’article 11 rappelle que nul n’est prophète en son pays et que l’architecte ne peut être seul juge de ce qui doit être supprimé ou restauré … Et l’article 12 rappelle l’idée d’une distinction entre l'original ou l’antérieur et la restauration, une idée chère à Camillo Boïto.



Finalement, en relisant la Charte de Venise, beaucoup de questions qui se posent actuellement pour Notre Dame de Paris trouvent leur réponse dans ce document que je vous invite à lire encore une fois. https://www.icomos.org/charters/venice_f.pdf …


Pour compléter

 J.-P. Marchand, Philosophe et spécialiste d’Architecture et de Riegl
Camillo Boïto
Aloïs Riegl
Viollet-le-Duc

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