Et si l'énergie nucléaire n’avait pas existé?

Laydgeur

Commentaire : en réponse à cette question simple, déjà posée?, la fabuleuse histoire de la planète et des Hommes. Passionnant! À consommer et à partager sans modération.
php

Si l'énergie nucléaire n’avait pas existé, par quoi aurait-elle été remplacé dans la production électrique ? Et ben... ça dépend.

Deux précisions qui ont leur importance
  1.  On va s’intéresser uniquement à la production électrique, en mettant de côté tous les autres aspects du nucléaire (matériaux, recherche, dissuasion, médecine, …) et les avancées technologiques permises ;
  2. Comme le dit Maitre Yoda (Star Wars) : "difficile à voir, toujours en mouvement est l'avenir. Le passé en mouvement n’est point, mais difficile de l’imaginer autrement il est.". Aussi, on ne pourra faire que des hypothèses dans tous les cas.

La production d’électricité nucléaire mondiale, de 1965 à nos jours 
- Début progressif jusqu’à fin des années 70,
- Accélération entre 1980 et 1990,
- Augmentation linéaire jusqu’en 2006,
- Baisse brutale, post-Fukushima,
- Hausse à nouveau jusqu’à aujourd’hui.



La période qui va nous intéresser pour faire des hypothèses est la décennie 1980-1990. Cette période voit apparaitre une forte hausse du nucléaire (+1300 TWh en 10 ans) sur la production électrique globale ou sur les autres moyens de production.




La production d’électricité mondiale

On distingue 2 périodes :
- Jusqu’à fin des années 1990, la tendance est linéaire,
- Au début des années 2000, il y a une nette rupture de pente, pour repartir en tendance linéaire mais avec une hausse plus forte.



À partir des années 2000,  cette brusque hausse est quasiment exclusivement due au "réveil" de la Chine. C’est vraiment spectaculaire.




La nette hausse du nucléaire entre 1980-1990 ne s’est pas traduite par une rupture de pente de la production électrique (juste légère oscillation). C’est donc que le nucléaire est venu au moins en partie en remplacement d’un autre moyen. Regardons donc le mix électrique !

Le mix électrique mondial avant le nucléaire
 

-40% charbon,
-25% renouvelables (hydraulique en fait),
-20% pétrole,
-15% gaz.




Si on regarde l’évolution dudit mix dans ce graphique de l'Agence internationale de l'énergie (IEA), on voit que le nucléaire (jaune) a augmenté dans le mix en partie en évinçant le pétrole (bleu foncé), les deux courbes se croisant aux environs de 1985.




Vers les années 1995, le nucléaire a commencé à diminuer dans le mix, et c’est le gaz qui a pris le relais pour assurer l’augmentation de la production électrique tout en continuant la baisse du fioul. 

Le mix c’est bien mais... ça ne suffit pas. J’ai reconstitué la production électrique mondiale depuis 1971 à partir du graphique précédent et d’autres données. Les valeurs ne sont donc pas exactes au TWh près, mais c'est très proche de la réalité.




Ce n’est pas très parlant, non? Détaillons tout cela en gardant à l'esprit la période qui nous intéresse, 1980-1990.

Le charbon
40% du mix électrique en 1971, 40% en... 2016. Il suit la même tendance que la production d’électricité : linéaire jusqu’à une rupture de pente en 2000, puis hausse linéaire (réveil de la Chine).




Les renouvelables
C'est le mot fourre-tout par excellence. Jusqu’à récemment, il était synonyme quasi uniquement d' hydroélectricité ; plus de 90% jusqu’en 2005, et encore 70% actuellement. 
Aujourd'hui, l' éolien, la biomasse et le photovoltaïque sont considérés aussi comme des renouvelables.




- Augmentation linéaire jusqu’en 2000,
- Rupture en 2000 puis 
- Linéaire jusqu’en 2010 grâce à l'essor de l' hydroélectricité en Chine,
- Nouvelle rupture à la hausse en 2010,
- Linéaire jusqu’à maintenant, grâce (ou à cause) du développement de l'éolien et du solaire.




Le gaz
Sa production d’électricité  augmente doucement mais de façon régulière, puis bascule vers une tendance linéaire dans les années 1995. Et cette fois, ce 'mouvement' n’est pas dû à la Chine, car elle a commencé le gaz aux alentours de 2005.




Le pétrole
Après un maximum absolu en 1978, la production d’électricité au fioul ne va cesser de décliner, avec une baisse marquée après le deuxième choc pétrolier, puis une descente relativement régulière à partir de 1985 jusqu’à aujourd’hui.




Conclusion
  • La production d’électricité est linéaire de 1970 à 2000, 
  • Le charbon et l’hydroélectricité aussi, 
  • Le gaz augmente à partir de1995,
  • Sur la période 1980-1990, les seules variations sont : le nucléaire qui augmente et le fioul qui diminue.
En vision macroscopique c’est assez clair : le nucléaire a remplacé le fioul dans la production électrique de 1977 jusque dans les années 1995.

C’est très logique au regard de l’histoire
En 1973, les approvisionnements mondiaux ont été ébranlés par le premier choc pétrolier.
"D' (date traditionnelle associée au début de la crise) à , le prix du baril est quadruplé, passant de 2,59 à 11,65 dollars. Les effets du « premier choc pétrolier » vont se faire sentir jusqu'en 1978."

1978-1981, survient le deuxième choc pétrolier.
"Le deuxième choc pétrolier est une crise mondiale des prix du pétrole ayant principalement trouvé sa source en Iran. Sous les effets conjugués de la révolution iranienne, de la guerre Iran-Irak et du redémarrage de la demande mondiale à la suite du premier choc pétrolier, le prix du pétrole est multiplié par 2,7 entre le milieu de l'année 1978 et 1981. La seconde crise pétrolière est sans doute encore plus sévère que la précédente en n'épargnant ni les pays nouvellement industrialisés d'Asie ni ceux du Tiers monde."

La production baisse de 15% en 4 ans et mettra 15 ans pour retrouver le même niveau.







En pleine crise, tous les pays cherchent à être le moins dépendant possible des pays producteurs en réduisant leur consommation de pétrole. Or, si celui-ci est indispensable dans les transports, aucune substitution possible à l'époque, ce n'est pas du tout le cas dans la production d'électricité. Le nucléaire a donc été développé afin d'obtenir une certaine indépendance énergétique, au moins dans la production d’électricité. Ça a été le cas pour la France, avec le fameux plan Messmer lancé en 1974.

Lire "La politique du nucléaire civil "

Je vous invite à regarder les interviews du premier ministre de l'époque, Pierre Messmer, qui fait la triste énumération des ressources énergétiques de la France pour en conclure : "Mais notre grande chance, c’est l’énergie électrique d’origine nucléaire

L’indépendance énergétique
À quantité d’électricité produite égale, l’uranium coute à l'achat 15 fois moins cher que le gaz ou le charbon, et 30 fois moins que le fioul.

Ainsi le nucléaire a remplacé pour partie le pétrole dans la production électrique, mais revenons à la question du départ qui était : "Et si l'énergie nucléaire n’avait pas existé? "

Allons faire un tour dans les pays qui n’ont pas fait de nucléaire, ou très peu, ou sur le tard.


Présentation du mix électrique des 11 plus gros producteurs d’électricité sans nucléaire




Sans nucléaire, ces pays ont fait avec ce qu’ils avaient sous la main (ou plutôt sous le pied). La Chine, l’Inde, l’Australie, l’Afrique du Sud, la Pologne et la Kazakhstan ont produit massivement avec du... charbon.















Brésil et Norvège 
Pays montagneux et d'eau, l’hydroélectricité y est la principale production. À noter que la Chine présente le même profil topographique, mais c’est masqué par le charbon….







Mexique et l’Arabie Saoudite  
Majoritairement avec du gaz et du pétrole, car ils en ont plein sous la terre ou sous la mer.






Italie
Quelques montagnes dans les Alpes et pas beaucoup de ressources fossiles. Le classement est dans l'ordre hydroélectricité, pétrole, et gaz.  Ces 2 derniers étant bien évidemment quasi entièrement importés. Nous retrouverons cette même situation dans d'autres pays au profil similaire.




Après cet aperçu, je pense qu’on peut raisonnablement dire que si l’électricité nucléaire n’avait pas existé, il y aurait tout simplement eu plus de productions avec des énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz. Et ce, en fonction de la nature du sous-sol de chaque pays.

Pourquoi pas plus d’hydroélectricité aussi ? 
L’hydroélectricité est dépendante de la topographie et des ressources en eau. Le potentiel est donc limité aux pays qui ont des reliefs (Norvège, Suisse) et/ou des fleuves importants (Brésil, Chine).
Par exemple en Allemagne où il n'y a ni montagnes ni fleuves importants, l’hydroélectricité ne représente que 3.5% du mix électrique, et a augmenté d’un minuscule 5 TWh en 50 ans…




Et si l'énergie nucléaire n’avait pas existé? Allons faire un tour dans les pays qui ont fait du nucléaire.

12 plus gros producteurs d’électricité nucléaire "historiques"
Ces pays représentaient 90% de cette production dans le monde en 1990. Le nucléaire occupe une place relativement constante entre 20% et 25% du mix électrique.





Dans ces pays, pendant environ 30 ans, le nucléaire a été la deuxième source de production d’électricité derrière le charbon, et jusqu’en 2016 a produit plus que toutes les EnR réunies (hydroélectricité incluse). Le gaz, plus rentable que le charbon a depuis pris la deuxième place.




Nos pays qui ont fait du nucléaire, qu’auraient-ils fait à la place ? 
Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne et la Belgique auraient fait plus de charbon, pour le remplacer vers les années 1990-2000 par du gaz, et des éoliennes vers 2010.











Ukraine et Allemagne 
Ces deux pays auraient fait très majoritairement plus de charbon.






Canada 
Idem que l' Ukraine et l'Allemagne avec probablement en parallèle, un développement de son potentiel hydroélectrique plus important.




Japon  
Avec au départ un mix fossile équilibré, il aurait fait certainement un peu de tout : plus de pétrole, plus de charbon et plus de gaz. C'est du reste exactement ce qui s’est passé en 2011 après Fukushima.




Russie 
Disposant de réserves immenses de gaz, elle aurait accéléré sa production sans nul doute. Et peut-être un peu plus de charbon aussi.




Corée du Sud 
Avant de se lancer dans le nucléaire, ce pays n’avait pas une production électrique importante. Du coup, c’est difficile de se prononcer. Mais, ayant développé le charbon et le gaz en parallèle du nucléaire, on peut s'autoriser à penser qu'il aurait accentué cet essor.




Suède 
Son mix est quasi à égalité entre l'hydroélectricité et le nucléaire. Donc difficile de savoir… charbon, gaz, biomasse ?




Et la France ?



Sa production de charbon s'est cassée la gueule à la fin des années 60. Elle aurait utilisé ses réserves jusqu’au dernier morceau puis elle aurait importé le reste bon gré mal gré, par exemple depuis l’Allemagne.



Ensuite elle aurait certainement fait comme l’Italie ou l’Espagne : continuer le fioul en serrant les fesses, puis passer au gaz dès que celui-ci s’est développé. Tout ça bien évidemment entièrement importé.

Conclusion
Avec la marge d'erreur de rigueur, on peut dire avec une très grande confiance que :
  • Sans le nucléaire, on aurait eu beaucoup plus de fossiles dans la production électrique, et ce dans tous les pays. En 2017, la production mondiale nucléaire a été environ de 2600 TWh. par comparaison, cela équivaut à la totalité de la production électrique de l’Amérique du Sud et du Moyen-Orient réunis.
  • Sans le nucléaire, on aurait eu une accentuation de l'effet de serre et une hausse des températures à la surface de la planète.
Question subsidiaire
Est-ce que le nucléaire a freiné l’arrivée des nouvelles énergies renouvelables ? 
Les éoliennes et les panneaux solaires sont apparus en même temps dans tous les pays qui n’ont pas fait de nucléaire et dans les pays qui avaient du nucléaire. Donc non.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : DES INVESTISSEMENTS COLOSSAUX POUR ADAPTER LE RÉSEAU AUX ENR

   Investissements dans les infrastructures de réseau : RTE : I00 milliards sur I5 ans; Énedis : I00 milliards sur I5 ans .   L'unique ...