Depuis 2007, et l’ouverture totale à la concurrence des marchés français de l’électricité et du gaz naturel, la sacro-sainte concurrence sur le marché électrique a eu pour résultats :
- Fragiliser EDF et le réseau, avec la priorité accordée aux EnR ;
- Multiplier les fournisseurs mais... pas les producteurs ;
- Faire flamber les prix et faire gonfler extra-ordinairement la facture du consommateur qui, devait, au départ, en sortir gagnant...
- Dégrader le quotidien des populations humaine et animale, vivant en ruralité, accélérer la perte de la Biodiversité, agresser le patrimoine, etc., à cause de la multiplication d'usines éoliennes sur terre et sur mer!
À noter que c'est la même Union européenne, fondatrice du marché de l'électricité, qui impulserait sa possible réforme... Pourquoi, le doute s' immisce en nous?
Pour compléter : " Le scandale nucléaire français ", Agnès Verdier-Molinié
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Flambée des prix de l'électricité : quelle réforme structurelle du marché européen ?
Mardi 30 août 2022, le prix du MWh a atteint 1 022 euros à 21 h sur le marché au jour le jour, dit « day-ahead », les prix sont fixés la veille pour les 24 heures du lendemain, à Paris, 42% de plus que sur le marché allemand à la même heure. Partout, les prix de gros de l’électricité s’envolent en Europe et cela tient à la conjonction de deux facteurs principaux :
- une envolée du prix du gaz qui sert à produire l’électricité des centrales à gaz qui « font » le prix une grande partie du temps sur le marché de gros européen interconnecté, selon la logique du « merit order » qui consiste à appeler les centrales en fonction de leur coût de fonctionnement croissant ;
- un manque de capacités de production suite à la fermeture ces dernières années de nombreuses centrales pilotables, au charbon, à gaz et nucléaires, dans la plupart des pays de l’Union européenne.
Les autorités européennes, y compris les plus libérales, s’en émeuvent et chaque pays y va de sa proposition. Nous présentons ici 7 réformes possibles, de la plus libérale à la plus régulée. Certaines sont rapides à mettre en œuvre, d’autres requièrent des délais plus importants.
Solution 1. Maintien de la fixation des prix de gros sur la base des coûts marginaux mais incitations à réduire fortement la demande d’électricité, en particulier aux heures de pointe. À défaut d’augmenter l’offre, on réduit la demande et cela peut aller du comportement citoyen, suite à un SMS de RTE, au rationnement imposé par les pouvoirs publics, voire à l’échange de permis de consommer comme cela se fait sur le marché du carbone avec les quotas de CO2. ⇒ La France a évoqué cette solution comme efficace et faisable à court terme ; d’autres pays partageront sans doute ce point de vue.
Solution 2. Mettre en œuvre des enchères du type pay as bid sur le marché de gros.
Chaque producteur annonce le prix qu’il souhaite, en général fondé sur le coût marginal, c’est-à-dire le coût de fonctionnement de sa centrale, mais au lieu de percevoir le prix limite, c’est-à-dire le prix calé sur le coût marginal de la centrale marginale, il perçoit le prix qu’il a demandé : on suppose ici que tous les producteurs participant aux enchères horaires ne sont pas retenus ; seuls les plus performants le sont. Le régulateur peut ensuite fixer un prix pour le consommateur résultant de la moyenne des prix accordés aux producteurs.
Il faut quand même trouver un moyen de financer les coûts fixes qui ne le seraient pas. Il faut aussi vérifier que les producteurs, anticipant la « malédiction du vainqueur », ne gonflent pas artificiellement leurs enchères, la malédiction du vainqueur traduit le fait que les premiers retenus, donc les moins exigeants en termes de prix, peuvent regretter de n'avoir pas proposé des prix plus élevés lorsqu'ils constatent que d'autres producteurs, qui ont eux aussi été retenus, ont été plus gourmands. Tout producteur, qui obtient une rémunération moindre que celle de ses concurrents, peut ainsi être incité à proposer un prix supérieur à son coût marginal : il réduit la probabilité d’être retenu mais en cas de victoire, sa rémunération est alors plus forte. ⇒ Aucun pays de l’UE n’a évoqué cette solution pour l’instant.
Solution 3. Pratiquer un « merit order » fondé sur la moyenne pondérée des coûts marginaux, avec compensation éventuelle pour les centrales marginales dont les coûts sont supérieurs à cette moyenne(1).
Prenons un exemple très simple, voire caricatural. Supposons un parc avec 3 centrales de même puissance et dont les coûts marginaux sont respectivement 10, 20 et 60 euros par MWh : la troisième se caractérise par un coût marginal exceptionnellement élevé. Si l’on opte pour un prix d’équilibre calé sur le coût marginal, ce prix s’élève à 60 euros, ce qui donne une rente infra-marginale de 50 au premier producteur et de 40 au second : par définition le 3ème n’a pas de rente et récupère juste ses coûts variables. Si l’on opte pour une moyenne pondérée des coûts marginaux, ici, pour simplifier, la pondération est la même pour les trois, le prix s’établit à 30 euros par MWh. La rente du premier producteur est réduite à 20, celle du second à 10. Comme le troisième ne récupère pas son coût marginal le régulateur lui alloue une compensation égale à 30. Collectivement, les consommateurs sont gagnants : le prix d’équilibre est plus faible et la rente infra-marginale totale prélevée a été réduite. L’application sur le cas français menée dans l’article mentionné confirme le résultat : l’augmentation du TRV aurait été de l’ordre de 7% au lieu de 35%.⇒ Aucun pays de l’UE n’a évoqué cette solution pour l’instant.
Solution 4. Plafonner le prix du gaz utilisé dans la production d’électricité.
Puisque la faute du prix élevé de l’électricité en incombe aux centrales à gaz marginales, il suffit de plafonner le prix du gaz acheté par ces centrales, ce que l’Espagne a fait avec l’autorisation de la Commission européenne, et la différence entre le prix international du gaz et le prix facturé aux électriciens est prise en charge par l’État. La mesure n’a de sens que pour un pays peu connecté à ses voisins ou au niveau de l’Union dans son ensemble. Il faut éviter en effet que les producteurs qui bénéficient de cet avantage exportent leur électricité chez leurs voisins où les prix sont plus rémunérateurs parce que l’État n’applique pas la même mesure. ⇒ Cette solution a été évoquée par l’Autriche qui pourrait la proposer lors de la prochaine réunion des ministres européens de l’énergie. Une telle solution semble retenir l’attention de l’Allemagne et de l’Italie. On peut concevoir de créer un fonds européen de solidarité destiné à subventionner l’utilisation du gaz dans les centrales électriques au sein de l’UE. En réduisant le coût du combustible de ces centrales marginales, on réduirait le prix d’équilibre sur le marché de gros.
Solution 5. Plafonner le prix de gros sur le marché de l’électricité.
Ce prix est aujourd’hui plafonné à 4 000 euros/ MWh lors des enchères. L’idée serait de le plafonner à un niveau très acceptable pour le consommateur donc nettement inférieur, 200 €/MWh ?, mais on court alors le risque d’un volume de capacités disponibles très insuffisant, les détenteurs de centrales à gaz refusant de participer aux enchères si le prix ne couvre pas au moins leur coût variable. Il faudrait là encore réfléchir à un mécanisme de compensation. ⇒ Une telle solution, qui semble avoir été évoquée à un moment par la Pologne, ne semble pas être aujourd’hui la priorité.
Solution 6. Mettre en place un mécanisme d’Acheteur Unique comme cela avait été envisagé au début de la libéralisation.
Le gestionnaire procède par appels d’offres et négocie des contrats de long terme avec les différents producteurs. Les prix s’alignent alors sur le coût marginal à long terme et non sur le coût variable de court terme ce qui permet de lisser les coûts dans les tarifs. ⇒ La solution de l’Acheteur Unique avait la préférence de la France lors de la transposition de la Première Directive, elle était formellement prévue, mais elle a rapidement été abandonnée au profit d’une ouverture totale des marchés de détail. Elle ne semble pas retenir l’attention aujourd’hui.
Solution 7. Revenir au système du monopole public, intégré ou non, adossé à une planification à long terme des investissements de production.
On peut aussi opter pour un monopole privé concessionnaire de service public. C’est la conséquence d’un constat d’échec de la libéralisation. La fourniture de l’électricité est un service public qui doit respecter les trois principes de continuité, d’égalité de traitement et d’adaptabilité. La tarification peut dès lors se faire au coût moyen ou sur la base d’une différenciation horo-saisonnière des tarifs. Encore faut-il que le monopole public soit efficace et l’État régulateur vertueux et que ce dernier ne considère pas cette entreprise comme une vache à lait… ⇒ Aucun pays de l’UE ne semble aujourd’hui défendre un tel retour en arrière mais ce n’est pas le cas de certains partis politiques et de plusieurs organisations syndicales au sein de l’Union.
Au total, deux mesures sont devenues incontournables quel que soit le scénario retenu. Il faut à la fois miser sur la sobriété, donc maîtriser autant que possible la demande d’électricité, et investir massivement dans des capacités de production pilotables et bien évidemment décarbonées. Dans un secteur où le risque de défaillance est collectivement insupportable puisque l’électricité ne se stocke pas à grande échelle, il vaut mieux être en surcapacité que dans un système à flux tendus. C’est la prime d’assurance que le consommateur doit payer. La confiance dans les mécanismes de marché nous a fait oublier cette évidence.
Sources / Notes
1. C’est la solution que nous avons étudiée et testée sur des données réelles sur le cas français dans un article paru récemment dans la Revue de l’Énergie : n° 662, mai-juin 2022.
Solution 2. Mettre en œuvre des enchères du type pay as bid sur le marché de gros.
Chaque producteur annonce le prix qu’il souhaite, en général fondé sur le coût marginal, c’est-à-dire le coût de fonctionnement de sa centrale, mais au lieu de percevoir le prix limite, c’est-à-dire le prix calé sur le coût marginal de la centrale marginale, il perçoit le prix qu’il a demandé : on suppose ici que tous les producteurs participant aux enchères horaires ne sont pas retenus ; seuls les plus performants le sont. Le régulateur peut ensuite fixer un prix pour le consommateur résultant de la moyenne des prix accordés aux producteurs.
Il faut quand même trouver un moyen de financer les coûts fixes qui ne le seraient pas. Il faut aussi vérifier que les producteurs, anticipant la « malédiction du vainqueur », ne gonflent pas artificiellement leurs enchères, la malédiction du vainqueur traduit le fait que les premiers retenus, donc les moins exigeants en termes de prix, peuvent regretter de n'avoir pas proposé des prix plus élevés lorsqu'ils constatent que d'autres producteurs, qui ont eux aussi été retenus, ont été plus gourmands. Tout producteur, qui obtient une rémunération moindre que celle de ses concurrents, peut ainsi être incité à proposer un prix supérieur à son coût marginal : il réduit la probabilité d’être retenu mais en cas de victoire, sa rémunération est alors plus forte. ⇒ Aucun pays de l’UE n’a évoqué cette solution pour l’instant.
Solution 3. Pratiquer un « merit order » fondé sur la moyenne pondérée des coûts marginaux, avec compensation éventuelle pour les centrales marginales dont les coûts sont supérieurs à cette moyenne(1).
Prenons un exemple très simple, voire caricatural. Supposons un parc avec 3 centrales de même puissance et dont les coûts marginaux sont respectivement 10, 20 et 60 euros par MWh : la troisième se caractérise par un coût marginal exceptionnellement élevé. Si l’on opte pour un prix d’équilibre calé sur le coût marginal, ce prix s’élève à 60 euros, ce qui donne une rente infra-marginale de 50 au premier producteur et de 40 au second : par définition le 3ème n’a pas de rente et récupère juste ses coûts variables. Si l’on opte pour une moyenne pondérée des coûts marginaux, ici, pour simplifier, la pondération est la même pour les trois, le prix s’établit à 30 euros par MWh. La rente du premier producteur est réduite à 20, celle du second à 10. Comme le troisième ne récupère pas son coût marginal le régulateur lui alloue une compensation égale à 30. Collectivement, les consommateurs sont gagnants : le prix d’équilibre est plus faible et la rente infra-marginale totale prélevée a été réduite. L’application sur le cas français menée dans l’article mentionné confirme le résultat : l’augmentation du TRV aurait été de l’ordre de 7% au lieu de 35%.⇒ Aucun pays de l’UE n’a évoqué cette solution pour l’instant.
Solution 4. Plafonner le prix du gaz utilisé dans la production d’électricité.
Puisque la faute du prix élevé de l’électricité en incombe aux centrales à gaz marginales, il suffit de plafonner le prix du gaz acheté par ces centrales, ce que l’Espagne a fait avec l’autorisation de la Commission européenne, et la différence entre le prix international du gaz et le prix facturé aux électriciens est prise en charge par l’État. La mesure n’a de sens que pour un pays peu connecté à ses voisins ou au niveau de l’Union dans son ensemble. Il faut éviter en effet que les producteurs qui bénéficient de cet avantage exportent leur électricité chez leurs voisins où les prix sont plus rémunérateurs parce que l’État n’applique pas la même mesure. ⇒ Cette solution a été évoquée par l’Autriche qui pourrait la proposer lors de la prochaine réunion des ministres européens de l’énergie. Une telle solution semble retenir l’attention de l’Allemagne et de l’Italie. On peut concevoir de créer un fonds européen de solidarité destiné à subventionner l’utilisation du gaz dans les centrales électriques au sein de l’UE. En réduisant le coût du combustible de ces centrales marginales, on réduirait le prix d’équilibre sur le marché de gros.
Solution 5. Plafonner le prix de gros sur le marché de l’électricité.
Ce prix est aujourd’hui plafonné à 4 000 euros/ MWh lors des enchères. L’idée serait de le plafonner à un niveau très acceptable pour le consommateur donc nettement inférieur, 200 €/MWh ?, mais on court alors le risque d’un volume de capacités disponibles très insuffisant, les détenteurs de centrales à gaz refusant de participer aux enchères si le prix ne couvre pas au moins leur coût variable. Il faudrait là encore réfléchir à un mécanisme de compensation. ⇒ Une telle solution, qui semble avoir été évoquée à un moment par la Pologne, ne semble pas être aujourd’hui la priorité.
Solution 6. Mettre en place un mécanisme d’Acheteur Unique comme cela avait été envisagé au début de la libéralisation.
Le gestionnaire procède par appels d’offres et négocie des contrats de long terme avec les différents producteurs. Les prix s’alignent alors sur le coût marginal à long terme et non sur le coût variable de court terme ce qui permet de lisser les coûts dans les tarifs. ⇒ La solution de l’Acheteur Unique avait la préférence de la France lors de la transposition de la Première Directive, elle était formellement prévue, mais elle a rapidement été abandonnée au profit d’une ouverture totale des marchés de détail. Elle ne semble pas retenir l’attention aujourd’hui.
Solution 7. Revenir au système du monopole public, intégré ou non, adossé à une planification à long terme des investissements de production.
On peut aussi opter pour un monopole privé concessionnaire de service public. C’est la conséquence d’un constat d’échec de la libéralisation. La fourniture de l’électricité est un service public qui doit respecter les trois principes de continuité, d’égalité de traitement et d’adaptabilité. La tarification peut dès lors se faire au coût moyen ou sur la base d’une différenciation horo-saisonnière des tarifs. Encore faut-il que le monopole public soit efficace et l’État régulateur vertueux et que ce dernier ne considère pas cette entreprise comme une vache à lait… ⇒ Aucun pays de l’UE ne semble aujourd’hui défendre un tel retour en arrière mais ce n’est pas le cas de certains partis politiques et de plusieurs organisations syndicales au sein de l’Union.
Au total, deux mesures sont devenues incontournables quel que soit le scénario retenu. Il faut à la fois miser sur la sobriété, donc maîtriser autant que possible la demande d’électricité, et investir massivement dans des capacités de production pilotables et bien évidemment décarbonées. Dans un secteur où le risque de défaillance est collectivement insupportable puisque l’électricité ne se stocke pas à grande échelle, il vaut mieux être en surcapacité que dans un système à flux tendus. C’est la prime d’assurance que le consommateur doit payer. La confiance dans les mécanismes de marché nous a fait oublier cette évidence.
Sources / Notes
1. C’est la solution que nous avons étudiée et testée sur des données réelles sur le cas français dans un article paru récemment dans la Revue de l’Énergie : n° 662, mai-juin 2022.
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