Merci à l'association SPLANN* pour son enquête émérite qui mériterait d'être reconnue d'utilité
publique**
À la lecture de celle-ci, comment ne pas être saisi d'effroi devant :
- le massacre systématique de la Biodiversité, de la santé humaine et animale, venant s'ajouter à celui, déjà en cours, des autres EnR : solaire, éolien, agrivoltaïque, etc. ;
- la transformation " Ad vitam æternam " de nos campagnes en une gigantesque zone industrielle, où nulle part où aller!
Nul doute que la funeste situation de la Bretagne n'est pas une " exclusivité " régionale ; aussi, tout porte à croire, les mêmes causes produisant les mêmes effets, que des problèmes analogues, dont, entre autres, l'affranchissement de la loi, « Moralité, si vous êtes agriculteur, allez-y, nous, les services de l’État, nous régulariserons et assurerons vos arrières », existent aussi ailleurs et donc, forcément, dans la 1ere région " méthanisée ", qu'est le Grand Est, comprise... la Haute-Marne! Avec l'inconvénient majeur que, au contraire de la Bretagne, au " Pays de l'eau ", ce sont essentiellement les cultures nourricières pour l'Homme qui sont confisquées pour alimenter les machines!
QU'ONT-ILS FAIT DE LA FRANCE, ILS L'ONT PATIEMMENT GÂCHÉE!
* "... association de loi 1901 dont l’objet est de produire des enquêtes
journalistiques d’utilité publique en Bretagne et dans le monde, en
français et breton. Son siège est établi à Guingamp, dans le Trégor : Côtes-d’Armor. Depuis mai 2022, le site splann.org est reconnu en tant
que service de presse en ligne par la commission paritaire des
publications et agences de presse : CPPAP. " Source
** " La reconnaissance d'utilité publique, abrégé par le sigle RUP, est une procédure de droit français par laquelle l'État reconnaît qu'une association ou une fondation présente une utilité publique, ce qui lui permet de bénéficier d'avantages spécifiques1 et lui confère aussi une légitimité particulière... " Source
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En Bretagne, la méthanisation sous pression
La rédaction
La Bretagne se couvre de dômes verts. Peu nombreux il y a dix ans, 186 méthaniseurs parsèment aujourd’hui la campagne. Cent de plus d’ici un an. Capables de transformer des matières organiques en gaz, les méthaniseurs font partie de la stratégie française pour accroître sa production d’énergies renouvelables. De fréquents accidents rappellent que cette technologie n’est cependant pas sans risque pour l’environnement. Et toutes les interrogations ne sont pas levées en matière sanitaire. Incités par l’État et les banques à investir dans la méthanisation, des agriculteurs sautent le pas. Quitte à transgresser quelques règles. D’autant plus facilement que sans les garde-fous nécessaires, la voie est laissée libre à son essor. Au risque peut-être de se faire damer le pion par les énergéticiens, lobby encore plus puissant que celui de l’agro-alimentaire.
La méthanisation bretonne en plein boom
Première région d’élevage, la Bretagne déborde de déjections animales qu’agriculteurs et industriels de l’énergie entendent convertir en gaz et en revenus. Contrairement à d’autres régions, ce sont les éleveurs et non les céréaliers qui y importent la méthanisation. Sans même compter la Loire-Atlantique, la Bretagne pointait début 2022 au 2e rang national en nombre d’installations, 199, derrière la région Grand Est, 274, et devant les Hauts-de-France, 134, puis la Normandie : 120. Une installation française sur sept se situait dans la région.
Des unités nombreuses mais plus petites que la moyenne, puisque la Bretagne n’émargeait « qu’au » septième rang en termes de capacité de traitement. Si la méthanisation à la ferme est largement dominante, des projets de plus grande ampleur devraient bousculer la situation, comme nous l ’ expliquons dans le volet économique de cette enquête.
Doté du deuxième cheptel bovin de France, l’Ille-et-Vilaine devient une terre de méthanisation dont Iffendic, 4 500 habitants, situé entre Rennes et Paimpont, pourrait se proclamer capitale. Comme le montre notre carte interactive, le Léon, au nord de Brest, et le Penthièvre, autour de Lamballe, ne sont pas en reste. À tel point qu’on pourrait élégamment superposer cette carte à celle de la densité des vaches laitières.
Notre infographie s’appuie sur des informations publiques, mises en ligne par AILE [Association d'Initiatives Locales pour l'Energie et l'Environnement] et SINOE,
possiblement incomplètes. Les bases de données qui recensent les
méthaniseurs ne sont pas toujours cohérentes entre elles. Le nombre et la dimension des unités sont légèrement sous-évalués.
Les nombreux projets, représentés par des triangles bleus, en travaux, et verts, en instruction, témoignent d’une activité en pleine expansion. Cela malgré le moratoire réclamé par Eau et rivières de Bretagne et la diminution du soutien financier du conseil régional. Les déboires de Geotexia, triangle orange, et la pollution générée à l’été 2020 par l’usine Engie Bioz de Châteaulin ont refroidi certains acteurs, mais pas tous. L’État soutient la dynamique qui s’inscrit dans sa volonté de diversifier la production énergétique du pays. À quel prix pour l’environnement, la santé, la production alimentaire et les agriculteurs eux-mêmes ? Telle est la question.
Sur le Web
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En l’absence de contrôle, des méthaniseurs grossissent et menacent l’environnement
Julie Lallouët-Geffroy
En théorie, tout est sous contrôle. En théorie, quand une installation comporte un risque important, la réglementation se durcit et les inspections se multiplient pour éviter tout dommage sur la santé humaine, animale, la faune, la flore. En réalité, les méthaniseurs bretons cumulent les dérogations. Les inspections sont rares. Il est donc simple pour les exploitants de créer leur unité sans crainte de sanction, malgré les risques en termes de pollution des cours d’eau, d’intoxication, voire même d’explosion.Les méthaniseurs ne sont quasiment pas contrôlés malgré des pollutions majeures et répétées.
Parmi les rares unités de méthanisation inspectées en 2020 en Bretagne, 85 % n’avaient pas installé les moyens nécessaires pour limiter les risques d’accidents et de pollutions.
Un méthaniseur sur trois s’agrandit dans les cinq années qui suivent sa construction, selon la stratégie du fait accompli.
Deux pollutions recensées, neuf inspections documentées, trois mises en demeure et une condamnation. Le méthaniseur d’ Arzal, commune côtière du Morbihan, a déversé plusieurs fois le contenu d’une de ses cuves dans le cours d’eau de Kerollet, asphyxiant les poissons au passage. L’association Eau et rivières de Bretagne a donné l’alerte à plusieurs reprises.
Une inspection de la direction départementale de la protection des populations, la DDPP, constate en 2018 que le méthaniseur, autorisé à absorber 28 tonnes de déchets par jour, en consomme en réalité 43 tonnes, un changement de régime potentiellement illégal. Autre infraction : les contrôles sur la qualité des eaux rejetées dans le milieu naturel n’ont pas été effectués.
Entre 2012 et 2020, l’exploitation passe de 150 à 290 vaches laitières auxquelles s’ajoutent 250 génisses et le méthaniseur d’une capacité de 28 à 76 tonnes. Soit un triplement de volume en moins de dix ans. Ce n’est que lorsque ses travaux sont terminés que l’exploitant demande une régularisation de la situation. Celle-ci est accordée en 2021, mais fait toujours l’objet d’un recours en justice d’Eau et rivières de Bretagne, qui dénonce une manœuvre consistant « à blanchir une situation délictuelle ». « Moralité, si vous êtes agriculteur, allez-y, nous, les services de l’État, nous régulariserons et assurerons vos arrières », résume, amer, le juriste de l’association environnementale, Brieuc Le Roc’h. L’exploitation fait l’objet d’une nouvelle mise en demeure de la préfecture depuis juin 2022.
Bruno Calle, gérant de la SARL des Moulins de Kerollet, plaide des erreurs de jeunesse liées à son statut de pionnier de la méthanisation. « Certes, on a fait des erreurs, mais on les a corrigées. Depuis les deux épisodes de pollution, des sécurités ont été installées pour éviter tout nouvel accident. Et le site a été étanché au-delà des exigences de la réglementation actuelle », décrit le producteur laitier : lire son courrier intégral ici.
Des « mésaventures » qui auraient même eu du bon, d’après l’éleveur. Elles auraient évité à des collègues de connaître ces errements. Bruno Calle participe ainsi au tutorat de porteurs de projet avec l’association des méthaniseurs bretons, en association avec la chambre régionale d’agriculture et l’association AILE. « J’en ai accompagné près d’une trentaine depuis cinq ans », s’enorgueillit l’ancien président FDSEA du Morbihan.
Pour prendre connaissance de la carte des accidents recensés dans les communes depuis 2011, c'est ICI
Plus à l’ouest, les Sud-Finistériens se souviennent avoir été privés d’eau potable en août 2020 pendant près d’une semaine. Le méthaniseur industriel de Châteaulin, 29, avait déversé 400 m³ de digestat, le déchet issu de cette production de gaz, dans l’Aulne, affectant l’eau distribuée au robinet. Un incident qui s’est aussi produit dans le Sud-Ouest de la France, dans les Landes, six mois plus tard. Cette fois, 850 m³, deux fois plus, se sont déversés dans les cours d’eau.
En juin 2019, un méthaniseur qui n’est pas encore en fonctionnement explose à Plouvorn, dans le Finistère. Une boule de feu est aperçue au-dessus du site. Une quarantaine de pompiers sont mobilisés et on déplore un blessé léger, deux personnes choquées, un soldat du feu évanoui et une sacrée frayeur.
Le rapport d’incident précise : « Le dossier technique de sécurité à réaliser avant la mise en service n’avait pas été transmis à l’administration. […] L’accident révèle une sous-estimation des risques […]. Suite à l’accident, [l’exploitant] souhaite démarrer l’exploitation de l’unité de méthanisation [avec seulement une partie du matériel, NDLR], sans attendre la reconstruction du digesteur [détruit par l’accident] ». La rentabilité avant la sécurité. Ce méthaniseur est le plus important du pays de Morlaix avec 45 000 tonnes de déchets consommés par an. À sa tête, 32 entreprises, agricoles et non-agricoles.
Sans contrôle, ni sanction, à quoi bon respecter la loi et envoyer les dossiers techniques exigés ? C’est ce que l’État et la Région reconnaissent noir sur blanc dans un courrier adressé à l’Autorité environnementale, en 2019 : « Les maîtres d’ouvrage, devant l’absence de moyens de contrôle et de suivi de certaines mesures d’évitement, ont choisi de ne pas retenir celles-ci. »
Sans filet de sécurité, les accidents sont légion
Pourtant, la méthanisation est une technologie récente, fragile, qui mérite d’être surveillée. Le service de suivi des risques industriels du ministère de la Transition écologique a publié, en septembre 2021, une synthèse des accidents dans la filière. Il en recense 130 en France, entre 1996 et 2020. Dans 77 % des cas, il y a un rejet de matières dangereuses ou polluantes. « C’est le phénomène majoritaire, suivi par l’incendie », précise l’autrice du rapport, Aurélie Baraër. La faute aux « lacunes dans la gestion du risque et dans la formation des opérateurs ». Elle estime qu’un défaut de matériel est la cause principale de ces incidents.
Un diagnostic déjà posé en 2018 par son service : « Les accidents survenus récemment montrent que l’on est en présence d’une filière en pleine structuration qui n’est pas encore arrivée à maturité. Les erreurs de conception sont le témoin de cette situation. »
Mais ce recensement n’est pas exhaustif, il suffit de lire la presse pour s’en rendre compte. Sur cinq pollutions du méthaniseur d’ Arzal, une seule est comptabilisée dans le recensement ministériel. Le conseil scientifique national sur la méthanisation, le CSNM, qui réunit des scientifiques réservés sur cette technologie telle qu’elle se pratique aujourd’hui, tient ses propres comptes. Il évalue à 315 le nombre d’incidents en France. Presque trois fois plus que les services de l’État, sur la même période.
Pas de mesure sanitaire préventive
Les conséquences de ces incidents sont essentiellement environnementales et touchent en premier lieu les cours d’eau. Cours d’eau par ailleurs pompés pour alimenter la population. À cela s’ajoutent des conséquences sanitaires car le digestat, produit issu de la méthanisation, est épandu comme engrais sur les sols et peut être vecteur de maladies : lire : « Les méthaniseurs, clusters potentiels des maladies de demain ».
Pour éviter ces risques, la réglementation pose des garde-fous. « Il faut la voir comme une aide pour penser son installation et pas comme une contrainte, estime Anne-Marie Pourcher, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, Inrae, à Rennes, et spécialiste des pathogènes. » Dès que la provenance des différents déchets devient complexe, on « hygiénise », c’est ce que prévoit la réglementation. » Grâce à cela, on limite les risques sanitaires. Par exemple, les déchets animaux, graisses, intestins, font partie des meilleurs ingrédients pour produire du gaz. Mais ils peuvent aussi faire circuler des pathogènes et propager des maladies.
Pour éviter ce risque, la réglementation peut imposer de traiter ces déchets à 70 °C pendant une heure pour éliminer les pathogènes. Mais ce n’est pas obligatoire si le volume global de déchets, animaux et végétaux, est inférieur à 30 000 tonnes par an. Cette dérogation concerne la quasi-totalité des méthaniseurs bretons. Ça tombe bien car ce passage à 70 °C coûte très cher, au point de compromettre la rentabilité d’une installation.
Des méthaniseurs qui doublent de volume
Toutes les unités de méthanisation relèvent du régime des ICPE, les installations classées pour l’environnement. Trois niveaux de réglementation existent. Le régime de « l’autorisation », le plus contraignant et contrôlé, comprend les installations qui consomment plus de 100 tonnes par jour de matières premières. Celui de « l’enregistrement » concerne un volume compris entre 100 et 30 tonnes par jour. Enfin, le plus léger, le régime de la « déclaration » couvre les sites inférieurs à 30 tonnes par jour.
Or, en Bretagne, l’écrasante majorité des projets se situent officiellement sous la barre des 30 tonnes par jour et donc sous le régime de la simple déclaration. Ainsi, pas besoin de passer par la case de la concertation ou de l’enquête publique, qui donnent parfois lieu à des débats houleux dans des salles municipales remplies de riverains inquiets voire carrément furieux. Un caillou dans la chaussure plus difficile à éviter sous les régimes supérieurs, de l’enregistrement et surtout de l’autorisation, censés garantir l’expression citoyenne, en dépit de récents allègements. : lire notre enquête : « Démocratie environnementale : les travers du porc ».
Des contraintes dont certains porteurs de projet parviennent même, de fait, à s’exonérer. Il n’est pas rare de voir les volumes d’intrants augmenter en cours de route, au motif que des « apporteurs de matière » se manifestent ou qu’une banque débloque un crédit.
À Chavagne, en Ille-et-Vilaine, un méthaniseur d’une capacité de 29,8 tonnes par jour est entré en fonctionnement en octobre 2021, soit juste sous la limite du régime de l’enregistrement. Pourtant, la première salve de gaz vient à peine d’être injectée dans le réseau « que d’autres agriculteurs « apporteurs de matière » se sont manifestés pour participer au projet, raconte Romain Marqué, l’un des associés du méthaniseur. Ce n’était pas prévu. » Une opportunité qui l’a conduit, avec ses associés, à demander à passer à 72 tonnes par jour, entrant dans le périmètre du régime de l’enregistrement. Le conseil municipal n’a pas franchement de marge de manœuvre. Le méthaniseur est déjà là, les investissements – 5 millions d’euros -, déjà réalisés.
Même scénario à Louvigné-de-Bais, 35, avec un méthaniseur qui passe de 29,8 à 48,5 tonnes par jour en l’espace d’un an. Recalibrer un méthaniseur peu de temps après sa mise en service, « c’est peu recommandable et peu recommandé, résume Armelle Damiano, directrice de l’agence locale de l’énergie, AILE. Si on se lance avec une installation à 29,9 tonnes par jour et que six mois après on demande à passer à 40 tonnes, cela peut être difficilement acceptable pour les collectivités et témoigner d’un manque de transparence au stade projet. Une fois l’installation rodée, selon les opportunités, le captage de nouveaux gisements peut alors justifier une augmentation de puissance. »
Mettre la collectivité au pied du mur est une pratique courante. La DREAL, Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, est le service de l’État chargé de recenser les installations de méthaniseurs en fonction de leur technologie. L’une convertit le méthane en chaleur et électricité, la cogénération ; l’autre l’injecte directement dans le réseau de gaz, l’injection.
En 2020, la DREAL sort la calculatrice : « 28 installations en cogénération [sur un total de 87] ont augmenté de puissance depuis leur mise en service. En moyenne les installations qui procèdent à une augmentation doublent de puissance. » Même chose pour la méthanisation en injection : « Neuf installations de méthanisation en injection [sur un total de 27] ont déjà procédé à une augmentation de [leur capacité maximale]. L’augmentation du débit d’injection intervient beaucoup plus rapidement qu’en cogénération. »
Un tiers des méthaniseurs augmente donc leur capacité en cours de route. Une décision qui ne peut s’improviser en raison des investissements nécessaires. Les augmentations de capacité interviennent ainsi rapidement après la mise en activité. Difficile d’imaginer que nombre d’entre elles ne soient pas étudiées dès le montage du projet.
Si le régime de la déclaration séduit autant c’est aussi parce que « les ICPE [concernées] ne sont pas soumises à contrôles périodiques et n’ont lieu d’être contrôlées qu’en cas de plainte ou de signalement ou lors de campagnes « coup de poing » », observe la Cour des comptes dans son rapport de novembre 2021. Pas de signalement, pas de contrôle.
85 % des installations contrôlées ne sont pas dans les clous
Depuis près de dix ans, la réglementation qui encadre ces installations présentant des risques pour l’environnement ne cesse de s’assouplir. Avec son « choc de simplification », François Hollande avait commencé à la détricoter, en 2013. Depuis, d’autres garde-fous ont été supprimés, comme en 2018, sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Modifier des seuils qui font passer une installation du régime le plus contraignant à un régime intermédiaire, miser sur la confiance et l’auto-contrôle des porteurs de projet, renvoyer les contrôles à des services de l’État de plus en plus dépeuplés… Gouvernement et législateurs, bien conseillés, savent quels curseurs bouger. D’autant qu’ils savent que sans contrôleur, pas de contrôlé.
Dans son rapport de 2021, la Cour des comptes démontre cette absence de contrôle, d’auto-contrôle ou même de sérieux dans le suivi des sites de méthanisation. Les services d’inspection ne sont pas informés de la mise en service d’un nouveau méthaniseur. Difficile alors de contrôler quoi que ce soit. Des subventions publiques sont versées sans contrepartie, sans même celle d’une installation construite correctement. Le contrôle ponctuel des installations n’est quant à lui tout simplement pas fait.
À quoi bon se contraindre à respecter la loi si elle n’est pas appliquée, et que personne ne vient sanctionner ? Les directions départementales de la protection des populations, DDPP, rattachées aux préfets, confirment ce constat. Fin 2020, elles mènent une série de contrôles dans 14 établissements sur les plus de 150 installations existantes en Bretagne à l’époque. Dans 85 % des cas, les aménagements prévus dès le début du projet n’ont pas été réalisés. Il s’agit de cuves de rétention évitant des déversements accidentels dans le milieu naturel, de systèmes d’évacuation d’eaux pluviales, de clôture, d’alerte incendie. Autant de promesses d’aménagements non tenues.
L’État, laxiste
Les méthaniseurs ne sont pas tous très scrupuleux. Les services de contrôle de l’État, pas au rendez-vous. L’État lui-même ne montre pas beaucoup de zèle pour faire appliquer certaines directives européennes prises pour protéger l’environnement. L’une d’elles dispose qu’avant de valider l’implantation d’un méthaniseur, il soit nécessaire de prendre en compte « le cumul des incidences avec d’autres projets existants et/ou approuvés ». Car plus il y a de méthaniseurs, plus les risques augmentent. La France applique cette notion uniquement pour les installations de plus de 100 tonnes par jour, celles soumises au régime de l’autorisation pour les ICPE. Cela concerne seulement dix unités sur les 186 en fonctionnement en Bretagne au 1er janvier 2022.
À l’ouest de Rennes, la capitale de la méthanisation bretonne passe complètement sous ce radar. Sur le secteur d’ Iffendic, on compte 14 méthaniseurs en fonctionnement. Quatorze autres le seront bientôt. Soit près de trente méthaniseurs sur une zone stratégique pour l’approvisionnement en eau potable des 450 000 habitants de Rennes métropole. Pourtant, tous ces méthaniseurs sont suffisamment petits pour esquiver la directive européenne et éviter les contrôles obligatoires, imposés aux plus grosses installations.
L’environnement breton pourrait faire les frais du développement de la méthanisation, structuré jusqu’en 2023 par le schéma régional de biomasse, SRB, élaboré en 2019. L’Autorité environnementale, entité indépendante chargée de l’évaluation environnementale, souligne la nécessité de revoir l’évaluation des incidences sur les sites Natura 2000. Dans leur mémoire en réponse, la Région et l’État disent avoir « adhéré à l’idée », mais l’appliquer dans « un SRB ultérieur ». Et quand l’Autorité environnementale leur demande de justifier pourquoi nombre de mesures d’évitement identifiées n’ont pas été appliquées, la Région et l’État sont limpides : c’est à cause de « l’absence de moyens de contrôle et de suivi permettant d’évaluer les incidences réelles de certaines mesures d’évitement ».
Dit sans élément de langage, on développe la filière, mais pour une partie des incidences environnementales, on verra plus tard.
Dans un autre avis, l’Autorité environnementale prévient : « Les pollutions qui découleraient de mauvaises pratiques en la matière pourraient pourtant inverser le bilan positif de la méthanisation. » Et la question est brûlante : avec le projet de loi du gouvernement portant sur le développement des énergies dites « renouvelables », des associations écologistes s’élèvent déjà contre l’extension de dérogations et de dispenses d’études d’impact qui porteront préjudice à l’environnement. Le « biogaz » développé sans que ses moyens de contrôle ne se structurent, ajoute une menace sur la ressource en eau. Une de plus.
Sur le Web
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La bataille du gaz laisse les agriculteurs sur le carreau
Julie Lallouët-Geffroy
Les agriculteurs sont les pionniers de la méthanisation en Bretagne. Mais la manne gazière est en train de leur passer sous le nez. Les industriels de l’énergie s’accaparent les bénéfices de la production du gaz, reléguant les agriculteurs à la place de simples fournisseurs de déchets. Les agriculteurs cèdent du terrain et ont du mal à résister à la concurrence des énergéticiens.
L’agriculture risque de devenir un outil au service de la production gazière, quitte à transformer davantage le visage et les usages de nos campagnes.
La méthanisation par injection est largement promue, or elle coûte trop cher pour les éleveurs, mais pas pour les industriels de l’énergie.
Pour faire du gaz, il faut des ingrédients méthanogènes, c’est-à-dire qui dégagent beaucoup de méthane. Dans le top 10, on trouve les tourteaux de colza, les déchets et pailles de céréales, le maïs et les déchets animaux. En bas du podium, les lisiers et fumiers de porcs et de bovins. La Bretagne, terre d’élevages intensifs, possède de larges volumes de déjections. En revanche, les déchets très méthanogènes sont plus rares. Au point qu’un marché du déchet agricole a vu le jour avec le déploiement de la méthanisation.
Il y a dix ans, l’agro-industrie payait les agriculteurs pour qu’ils la débarrassent des intestins et estomacs de milliers de bêtes abattues, jusqu’à 90 euros la tonne. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les agriculteurs paient de plus en plus cher pour mettre la main sur ces tripes, ingrédient précieux pour
produire du gaz. Le maïs est également une denrée prisée des méthaniseurs.
La sécheresse fait flamber les prix
Un agriculteur nous a ainsi rapporté qu’un voisin méthaniseur a proposé de lui acheter son maïs plus cher que le prix habituellement pratiqué pour nourrir les bêtes. Avec la sécheresse de cet été 2022, les prix ont tellement augmenté que la FDSEA d’Ille-et-Vilaine s’en est mêlée. Le syndicat majoritaire des exploitants agricoles a demandé à la chambre d’agriculture de diffuser des prix de vente « recommandés ». Recommandés mais pas obligatoires car, sur ce marché, le jeu de l’offre et de la demande prime. Plus il y a de méthaniseurs, plus la demande en déchets est forte. Plus les prix montent, plus il est difficile pour certains agriculteurs de payer ces matières qui alimenteront leur méthaniseur. Jusqu’à plomber la rentabilité d’une installation.
« Les intrants ont une valeur commerciale, alors dès qu’on se fournit chez un tiers, c’est plus risqué, les prix peuvent fluctuer, c’est instable », souligne Charlotte Quenard, chargée de mission au sein de la chambre d’agriculture de Bretagne.
À tel point que lorsqu’il devient difficile d’acheter les déchets agricoles, il peut être nécessaire d’ouvrir le capital de son entreprise à un acteur extérieur. C’est ce qui arrive à des méthaniseurs créés par des agriculteurs qui se retrouvent dans l’obligation d’ouvrir leur capital à des producteurs d’énergie. À coup de rachats de parts, petit à petit, ces agriculteurs perdent la main sur leur installation et les énergéticiens raflent la mise. Un cas a déjà été relevé dans les Vosges, selon un rapport du Sénat publié en octobre 2021. Car pour des entreprises comme Engie Bioz, filiale d’Engie, ou Fonroche biogaz, filiale du groupe Total, le prix des matières premières n’est pas un problème. « Le risque d’une prise de pouvoir des acteurs extérieurs est non négligeable pour les agriculteurs car elle pourrait venir dénaturer les projets », expliquent les chercheurs en économie Alexandre Berthe
de l’université de Rennes 2 et Pascal Grouiez de l’université Paris Cité.
« Ceux qui se font avoir, ce sont les agriculteurs »
La conquête des campagnes par les énergéticiens ne fait que commencer. En mars 2022, les énergéticiens ont mis un pied de plus dans les fermes. Lors du salon de l’agriculture, Total énergies et la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, ont signé un partenariat pour « créer des synergies entre le monde agricole et le secteur de l’énergie ». Les compétences des agriculteurs seront ainsi partagées avec celles de la multinationale, notamment pour développer la méthanisation. Mais l’échange, « gagnant-gagnant » sur le papier, est-il si équilibré ?
Accroître la proximité entre ces deux mondes en concurrence comporte des risques, que repère Pascal Grouiez, économiste à l’université Paris Cité : « Les besoins en financement des petits collectifs [d’agriculteurs] supposeraient une plus grande ouverture du capital à des actionnaires non agricoles. Bien que minoritaires, ils pourraient imposer aux agriculteurs l’usage de substrats non agricoles [comme des boues de stations d’épuration, NDLR], dans lesquels la présence d’antibiotiques ou métaux lourds [peut] polluer les sols. » La méthanisation produit du digestat qui est épandu sur les champs comme engrais. Or, l’innocuité de ce digestat, c’est-à-dire sa capacité à être inoffensif, demeure un enjeu environnemental et sanitaire encore discuté par les scientifiques : lire : « Les méthaniseurs, clusters potentiels des maladies de demain ».
À ces coûts en amont, liés à la matière première, s’ajoutent ceux liés à la maintenance du méthaniseur, voire à l’embauche d’un technicien spécialisé et dédié à cette tâche. La facture pour faire fonctionner un méthaniseur au quotidien, entre l’approvisionnement en déchets et la maintenance, commence à s’allonger lourdement. Elle est d’autant plus salée pour la méthanisation en injection. Cette technique permet d’injecter le méthane dans le réseau de gaz, mais elle coûte cher. L’investissement moyen pour une installation avoisine 5 millions d’euros. Pour être rentable, une installation doit consommer au minimum 10 000 à 15 000 tonnes de matières par an. Soit plus de 30 tonnes de déchets par jour à trouver et payer.
Cette technologie « en injection » est en plein boom. Et tout est fait pour la booster. En 2018, la loi Egalim exige un renforcement des infrastructures pour pouvoir faire circuler plus de gaz. Lorsqu’un nouveau méthaniseur est construit à proximité d’un réseau de gaz, il devra fonctionner obligatoirement en injection. En mars dernier, le coût de raccordement a été réduit pour les méthaniseurs : 60 % des frais, environ 100 euros le mètre, sont pris en charge par les collectivités.
Avec autant d’incitations, difficile de résister à l’injection. La méthanisation par cogénération perd de son charme. Cette technologie, plus ancienne, convertit le gaz en chaleur et en électricité et n’a pas besoin de se raccorder au réseau de gaz. En comptant un investissement moyen de 2 millions d’euros, elle permet de se contenter de plus petits volumes, autour de 5 000 tonnes de matières premières par an.
Plus chère mais plus rentable, l’injection gagne la partie. Mais elle exclut les joueurs qui ne peuvent pas investir 5 millions d’euros et assumer des charges d’approvisionnement et de maintenance lourdes. Ces joueurs perdants, ce sont les éleveurs. Ceux qui affrontent les prix du lait ou du porc qui jouent au yo-yo depuis des années, ceux qui manifestent, voient leurs revenus dégringoler, et, pour certains, leurs entreprises finir au tribunal de commerce.
Dans une note d’août 2020 commandée par le ministère de l’Agriculture, le binôme d’économistes Pascal Grouiez et Alexandre Berthe écrit : « En l’absence de subventions publiques, il est probable que la méthanisation par injection ne deviendra accessible qu’aux agriculteurs les plus solides financièrement, écartant de fait la plupart des éleveurs ». Un an plus tard, en juillet 2021, Pascal Grouiez ajoute que les contraintes de l’injection « ne permettent de positionner sur ces projets que des céréaliers ou des unités de méthanisation ouvrant leur capital à des actionnaires non agricoles, mais rarement à des agriculteurs seuls ». « Ceux qui sont en train de se faire avoir, ce sont les agriculteurs », résume Daniel Salmon, sénateur Europe Écologie Les Verts, EELV, d’Ille-et-Vilaine et rapporteur de la mission d’information sur la filière en octobre 2021.
La plus-value pour les énergéticiens, la sous-traitance pour les agriculteurs
La chambre régionale d’agriculture de Bretagne le constate elle aussi. Dans un avis de 2019, elle écrit : « Si le développement de la méthanisation est une opportunité pour la Bretagne, nous souhaitons que les agriculteurs en tirent les justes retombées économiques. Leur rôle ne saurait être circonscrit à l’apport de lisiers ou à la valorisation agronomique des digestats. » Les deux économistes estiment dans un article de 2020 : « Nous sommes peut-être déjà au milieu du gué en ce qui concerne le glissement vers des modèles d’unités de méthanisation françaises non agricoles dans lesquels l’agriculteur est un simple fournisseur de substrats. »
Et c’est bien ce qui se passe. Engie Bioz promeut sur son site internet : « En Bretagne, nous proposons l’épandage « rendu racine ». L’épandage est réalisé par nos soins et nous organisons la répartition des volumes et des flux en concertation avec les exploitants agricoles. » Un deal où l’agriculteur délègue la gestion de ses effluents et de son plan d’épandage et Engie Bioz récupère à peu de frais de la matière première à méthaniser.
« Tous les agriculteurs ne veulent pas porter seuls un projet de méthanisation », rappelle Armelle Damiano, directrice d’Aile, l’agence locale de l’énergie du Grand Ouest, spécialisée notamment dans les énergies renouvelables en milieu agricole et rural, qui accompagne bon nombre de projets dans la région. Elle tempère le risque de prise de pouvoir des industriels de l’énergie : « En Bretagne, la méthanisation est historiquement agricole, les matières premières sont agricoles, les terres le sont, l’épandage du digestat exige des terres : tout concorde pour que la méthanisation reste aux mains des agriculteurs. »
Une conviction que ne partage pas Pascal Grouiez, économiste, dans une note parue en juillet 2021 : « Il n’est pas certain que les agriculteurs, à terme, parviennent à être des acteurs dominants de la méthanisation. » D’autant plus qu’ils n’ont pas tous les atouts en main. Pour limiter au maximum les risques sanitaires, il est nécessaire de traiter les déchets animaux une heure à 70 °c. Mais ce procédé coûte cher. Trop cher pour les agriculteurs, mais pas pour les industriels. Le gouffre qui sépare les méthodes de travail industrielles et celles de l’agriculture peuvent creuser l’écart entre une petite méthanisation à la ferme et celle à dimension industrielle, celle qui dégage le plus de valeur ajoutée.
Des centaines de méthaniseurs dans les tuyaux bretons
L’Association des agriculteurs méthaniseurs de France, l’ AAMF, souhaite que la méthanisation reste aux mains des agriculteurs pour leur permettre de diversifier leurs sources de revenus. Une réponse aux fortes fluctuations du prix du lait et du porc qui ont mis à terre de nombreuses exploitations, permettant à d’autres de s’agrandir.
Des exploitations de plus en plus grandes structurent le paysage et l’économie bretonne. Et vu le prix élevé du ticket d’entrée dans la méthanisation en injection, seuls les plus gros agriculteurs et les acteurs de l’énergie peuvent se le payer. De quoi accentuer encore un peu plus les concentrations foncières déjà à l’œuvre, et le démantèlement du bocage qui en découle. Dans les années qui viennent, la campagne bretonne pourrait encore davantage s’industrialiser.
La Bretagne et les Pays de la Loire comptaient 307 unités de méthanisation en fonctionnement au 1er janvier 2022 et 205 étaient alors dans les tuyaux. La Bretagne va plus que doubler ses méthaniseurs en injection dans l’année à venir. La plupart des éleveurs n’en profiteront pas, et risquent en prime d’avoir davantage de difficultés à se fournir en fourrages, à cause de cette nouvelle concurrence sur la matière première. Côté énergéticiens, les projets s’accumulent : Total, Engie et les autres opérateurs du secteur lorgnent sur la campagne qui s’ouvre à eux.
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