Ce que Paris a vu ; Souvenirs du Siège de 1870-71, épisode XIII

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***

  Pas une autre aventure ne signala le défilé des Allemands, entre la porte du Bois de Boulogne et la place de la Concorde. Seulement, quand leurs fanfares se mirent à jouer, en abordant la place de l'Étoile, il se trouva que, par miracle, tous les gamins se réunirent, attirés, eût-on dit, les uns vers les autres comme des parcelles de limaille de fer à l'appel d'un aimant, et leur troupe minuscule, courant des deux côtés de l'avenue se disloquant, se reformant, infatigable et moqueuse, déchira l'air d'une interminable bordée de sifflets.
  Eux qui regardent toujours avec admiration un régiment passer et qui emboîtent pieusement le pas à la musique, ils ne voulaient pas entendre celle-là. Des rires perçants interrompaient de temps en temps le fifre [petite flûte traversière à 6 trous au son aigu et au timbre perçant, utilisée autrefois dans les fanfares militaires ; Larousse] qui chantait sur leurs lèvres, et puis ils se reprenaient à siffler, à siffler de toutes leurs forces, de tout leur souffle, à perdre haleine.
  Mais la tête du cortège était alors arrivée au bout de l'avenue des Champs-Élysées, à l'entrée de la place de la Concorde. C'était, je l'ai dit, la limite de l'occupation allemande. Tout s'arrêta : la marche, la musique des soldats et celle des enfants.

***

  C'est Paris, alors, qu'il fallut voir! Impossible d'imaginer spectacle plus émouvant et plus noble dans la brutalité. Un silence tragique régnait sur la foule qui s'amassait derrière tous les barrages. La haine, une haine sans cris, mais d'autant plus profonde, enflammait les regards... À peine entendait-on, de loin, un murmure étouffé, des chuchotements, des mots dits à peine. C'était une colère sourde ; c'était des menaces pensées, plutôt que formulées. De près, on distinguait des rugissements contenus de la violence toute prête, et en même temps il y avait une évidente volonté de demeurer calme, autant qu'on le pourrait.
  Dans la rue Royale, où l'affluence était la plus grande, non pour voir, mais pour bien s'assurer que les précautions étaient prises, et qu' ILS n'iraient pas plus loin, un frémissement courut soudain, à la suite d'une remarque faite par les gens qui se trouvaient le plus rapprochés de la rue de Rivoli. Quelqu'un avait dit : " Voici qu'ils traversent pour entrer aux Tuileries. "
  Il y eut aussitôt une poussée formidable et des rumeurs indignées : — " Pourquoi? "... " Comment? "... " On nous a donc trompés? "... " Il ne faut pas les laisser faire! "... " Qui donc leur a ouvert la grille? "
  Des explications furent apportées à cette cohue furieuse par un officier de l' état-major général :
  Les chefs de l' armée allemande avaient demandé pour leurs soldats la permission de traverser la place sans armes, sous la conduite de leurs officiers et par détachements successifs, afin de pouvoir entrer au Louvre et d'en parcourir rapidement les salles. Le ministre des Affaires étrangères, c'était encore Jules Favre, avait donné son consentement, d'accord avec ses collègues présents à Paris, et la visite commençait.
  — " Voyez, ajoutait l'officier, les soldats marchent sous la conduite de leurs chefs et ils ont laissé leurs fusils aus faisceaux. "
  En effet, des Prussiens et des Bavarois s'en allaient vers les Tuileries, les bras ballants, l'air empesé dans leurs tuniques étroites, et ils regardaient en touristes les fontaines, l'obélisque, les pavillons de Gabriel et ce château, là-bas, où Napoléon avait habité.
  La foule se calma, sur l'observation faite à haute voix par un de ceux qui la composaient : que ce n'était vraiment pas une occupation militaire bien reluisante que celle où le vainqueur avait besoin de l'autorisation du vaincu pour aller visiter un musée.
  Et, pendant une heure environ, les détachements succédèrent aux détachements pour ce petit voyage aux galeries de notre Louvre ["... Afin d’exécuter son orgueilleux programme, l’état major prussien envoie des contingents visiter le Louvre. Dans le célèbre musée ils ne voient pas grand-chose. Pendant le siège, la section des antiquités a été murée et blindée, les chefs-d’œuvre de la peinture ont été roulés et abrités dans des galeries basses... " ; source]
  Mais, alors, la fantaisie d'un officier allemand faillit provoquer une tragédie dont les suites eussent été incalculables. Cet officier, après avoir parcouru avec plusieurs de ses camarades les pièces du Louvre des Valois, s'avisa d'ouvrir brusquement la fenêtre dite de " Charles IX ", qui donne sur le quai. Les gardes nationaux en faction de l'autre côté de la Seine aperçurent tout à coup des casques et des casquettes plates au petit balcon de fer forgé d'où la légende veut que le fils de Catherine de Médicis [1519-1589, mariée à Henri II, 1519-1559, roi de France 1547-à sa mort ; reine de France 1547-1559 ; mère des rois François II, Charles IX, Henri III, des reines Élisabeth, reine d'Espagne, et Marguerite, dite « la reine Margot », épouse du futur Henri IV, et de Claude, duchesse de Lorraine et de Bar ; régente de la France, 1560-1563 ; source] ait tiré des coups d' arquebuse, le soir de la Saint-Barthélemy. Et, pour comble de provocation, les intrus, qui manquaient ainsi à la consigne, affectaient de parler bruyamment, avec de grands gestes, et de sourire en se montrant les uns aux autres tous les monuments de ce paysage illustre formé par le cours de la Seine dans Paris!...


 

 

 



Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme français, 1852-1865, Vol. 5, No. 7/8, 1856 nov. et déc., pp. 332-340. Source

  Aussitôt, comme sur l'ordre d'un chef, tous les fusils furent épaulés et mirent en joue le groupe insolent.
  Une seconde de plus et c'était l'explosion , la bataille, le massacre et probablement le pillage!
  Quelques mains saisirent aux épaules les provocateurs imprudents, les ramenèrent dans l'ancien cabinet des armes du roi de France et repoussèrent la fenêtre?... Je l'ignore. On dit que ce fut un officier supérieur de nos ennemis qui, témoin de l'incident et voyant sa propre responsabilité en jeu, ne craignit pas d'intervenir un peu brutalement...

***

  L'empereur Guillaume, le Chancelier et les grands chefs étaient repartis coucher à Versailles. Le Palais de l' Industrie, les bâtiments du Cirque et du Panorama, les manèges, alors nombreux aux Champs-Élysées, les établissements des concerts et quelques vastes locaux abandonnés avaient servi à cantonner une partie des troupes. Les autres bivouaquèrent dans l'avenue même. ["... Coincée entre la Seine, les grilles des Tuileries et les barricades, l’armée prussienne établit un campement pour la nuit place de la Concorde. L’éclairage public ne s’allume pas pour cette partie de la ville. Sans pour autant déclencher le conflit, Paris ne s’est pas plié aux exigences de l’Assemblée Nationale... " ; source]. Quant aux officiers, ils s'étaient logés un peu partout, dans les hôtels, dans les maisons vides de locataires et quelques-uns, enfin, dans d'autres quartiers de la ville, où ils s'étaient rendus subrepticement, vêtus en bourgeois, en se glissant à travers les barrages mal gardés du huitième arrondissement.
  Dès que la nuit fut tombée sur Paris, des consignes plus rigoureuses encore que dans la journée, furent données aux postes de la rue Boissy-d'Anglas, de la rue Royale, de la rue de Rivoli, du quai et du Pont de la Concorde. Il s'agissait d'empêcher toute circulation sur la place, afin d'éviter que les sentinelles allemandes, se croyant menacées dans l'ombre par l'approche d'un mystérieux ennemi, ne fissent feu sur les curieux en provocant ainsi des représailles et d'irréparables malheurs. Bien plus, les barrages furent doublés et triplés : on en mit à la hauteur de la rue Saint-Florentin, à la Chambre des députés. Le public, refoulé bien loin du seul point d'où il aurait pu voir et entendre quelque chose, finit par se décourager. La foule se dissipa ; les promeneurs se firent rares, et bientôt un sentiment de lassitude et de tristesse quasi-unanime laissa seuls, en présence des Allemands emprisonnés dans les Champs-Élysées, les soldats et les gardes nationaux chargés d'assurer l'ordre. ["... L'armistice du 28 janvier 1871, la capitulation de Paris vont précipiter la formation du Comité central de la garde Nationale qui va fédérer les différents bataillons. Conformément à l'imprudente demande de Jules Favre, ministre des affaires étrangères, l'article 7 de l'armistice stipulait « La Garde Nationale conservera ses armes, elle sera chargée de la garde de Paris et du maintien de l'ordre ». Bismarck avait pourtant attiré l'attention de son compère sur les dangers de cette disposition pour le parti de l'ordre. La garde Nationale va pouvoir défendre par tous les moyens possibles la république mise en péril par la majorité monarchiste élue à l'assemblée de Bordeaux le 8 février 1871... " ; source]
  Mais alors, il se produisit un mouvement insensible d'abord et bientôt plus accentué de cette masse d'hommes armés, dans la nuit.

***

Silencieusement, pas en pas, en violation de la consigne, il est vrai, mais du consentement de tous, et sans qu'un officier élevât la voix pour s'y opposer, ces rangs de sentinelles jusqu' alors immobiles à leur poste gagnèrent de toutes parts vers le milieu de la grande place vide.
  Ce fut d'abord une ombre qui se détacha du ministère de la Marine ou de la rue Saint-Florentin et qui s'avança furtivement. Dix autres, vingt autres la suivirent. Puis l'évolution se régularisa. Ceux du quai des Tuileries suivirent l'exemple donné ; ceux du Palais-Bourbon s'y associèrent. Bientôt un immense cordon se trouva formé, du quai à la rue Royale, non plus en ligne rigide et l'arme au pied, mais en groupes irréguliers et dans les attitudes les plus variées. Aucun ordre n'était donné ; mais tout le monde se pliait au devoir évident de ne point provoquer, de ne point inquiéter l'ennemi qui était là...
  On sa taisait.
  On regardait ces mouvements de lumière des deux côtés de l'avenue, ces masses sombres et mobiles qui étaient des groupes de chevaux attachés aux lampadaires et aux arbres, ces feux de bivouac allumés sur les contre-allées, ces éclairs d'armes qui marquaient la place des factionnaires, et, là-bas, vers le milieu de la grande promenade parisienne, cette lueur plus forte qui paraissait danser, au rond-point, chaque fois que des ombres humaines passaient devant les foyers de lumière.
  Et derrière nos soldats débandés, devenus ainsi spectateurs, nombre de parisiens, s'apercevant que les issus étaient libres maintenant et revenant sur leurs pas, avaient à leur tour envahi les terre-pleins du côté des Tuileries, à distance respectueuse, toutefois, de la troupe, car il ne fallait point lui faire regretter par une indiscrète concurrence d'avoir aussi largement interprété les ordres de l' État-Major.
  On peut dire que pendant plusieurs heures il y eut ainsi, en travers du chemin qui menait dans le vieux Paris vers les boulevards et vers le Louvre, plus de trois mille Français, combattants de la veille, debout, parlant à peine, et les yeux tendus vers ces arbres encore dénudés, sous lesquels dormaient les envahisseurs.
  Tout paraissait reposer, dans l'avenue. Les cris avaient cessé ; les feux brillaient à peine. Seule, la lueur du rond-point semblait plus vive qu'auparavant, grâce à l’extinction des autres.
  Il était plus de minuit.
  C'est alors que l'on perçut des chants, des cris, des vociférations. Cela était lointain, comme étouffé par la distance ; mais néanmoins on comprenait que c'était des voix étrangères qui résonnaient ainsi, et parfois, en effet, des hourras éclataient dans la nuit, révélant l'ivresse et l'enthousiasme des buveurs...
  Il y eut alors comme un frémissement unanime, dans la foule qui regardait ; mais elle ne s'avança point. Nul ne dépassa la ligne des fontaines, où des tritons et des sirènes de bronze alternaient déjà sur les margelles de pierre polie.
  On demeura là pour écouter encore, pour voir encore...
  ... Et l'on vit tout à coup, après une longue attente, des ombres s'agiter, au centre même du barrage allemand, vers les chevaux de Marly. Quelques rires sonnèrent faux dans la nuit, des cris de femmes, mêlés à de rudes interjections masculines. Puis, plus rien...
  Si! Des talons résonnant sur l'asphalte ; des voix aigres qui s'interpellaient ; des adieux des " au revoir, ma chère!... "
  Une demi-douzaine de femmes empanachées [s'orner d'un panache, Larousse] venaient en désordre, les mains aux jupes, vers cette ligne noire immobile, que peut-être elles ne voyaient pas ou qu'elles prenaient dans leur trouble, pour les arbres du jardin voisin.
  Quand elles s'arrêtèrent, il était trop tard : en trois bonds, les gardes furent sur elles et les empoignèrent. Deux ou trois de ces malheureuses essayèrent de crier ; mais leur épouvante se tut, écrasée sous les rudes poignes qui la baîllonnèrent. La foule s'étant arrondie autour d'elles en un cercle menaçant, d'où les injures, lancées à voix basse, pleuvaient de toutes parts.
  Le peuple, quand il veut exprimer son mépris, trouve des mots qu'il vaut mieux oublier ; mais parfois il fait des gestes dont on peut se souvenir.
  Les six femmes, la figure barrée maintenant par des mouchoirs, des ceintures de laine, des cache-nez, ou par leurs propres écharpes, nouées sur leur bouche, virent leurs robes, leurs jupons et jusqu'à leur chemise coupés à la taille, arrachés, en lambeaux, si bien qu'elles n'eurent en un moment que leur buste qui fût vêtu...
  Et puis, saisies aux épaules et fouaillées à tour de bras, elles furent ensuite plongées, plongées et replongées dans la vasque pleine d'eau de la fontaine de droite, celle qui est voisine de la rue Royale.
  J'imagine que les Allemands entendirent le bruit que cela faisait ; il dut leur en parvenir des échos ; mais ils ne donnèrent pas signe de vie, et quand la foule, ayant assouvi sa colère, lâcha enfin ses victimes, elles s'enfuirent, toute ruisselantes, sous les quolibets, et se perdirent dans la nuit.
  Cela était peu de chose, cette défection de la débauche, cette trahison de prostituées se ruant à l'appel d'une bande avinée d'officiers bavarois et prussiens et punies ensuite par les gardiens de la cité avec la rudesse des mâles demeurés fidèles à la haine du vainqueur ; mais cela détendit tout de même les nerfs de la foule. Des rires fusèrent. On n'avait pas été trop cruel, après tout. Au lieu de la tuerie qu'on pouvait redouter et que les Allemands, en cas pareils, auraient peut-être accomplie, on s'était contenté d'une correction vigoureuse, d'une fessée sur la place publique et d'une baignade.
  Cela fit qu'on alla se coucher, que les barrages, en attendant d'être relevés, reprirent leurs postes et que, bien avant le jour tardif, la place redevint nette.
  Il ne demeura, auprès de la fontaine, que les oripeaux et les jupes de ces dames, loques flétries et piétinées dans la boue.

***

Dès la première aube, aux Affaires étrangères, ce furent des allées et venues, des préparatifs de départ immédiat. Une voiture attelée en poste attendait, devant le perron, que le ministre y montât.
  Dans la nuit, une dépêche était arrivée de Bordeaux. L' Assemblée nationale, loin de perdre son temps en discussions stériles, avait ratifié séance tenante les préliminaires de la paix [le 1er mars ; 546 voix pour, 107 voix contre], afin de hâter l'évacuation de Paris.
  Jules Favre faisait diligence à son tour pour abréger les délais et nous délivrer le jour même de la présence des Allemands.
  À sept heures et demie du matin, le 2 mars, il arrivait à Versailles, et se rendait rue de Provence, à l'hôtel de Mme Jessé, où demeurait le comte de Bismarck. Celui-ci dormait encore. Ce fut un des secrétaires, nommé Wollmann, qui le reçut.
  — Il s'agit d'un fait de la plus extrême urgence, dit notre ministre : veuillez prévenir M. le Chancelier.
  — Impossible, Excellence, répondit l'autre, " Le Chef " repose et a bien recommandé qu'on ne le réveillât sous aucun prétexte.
  — Mais s'il s'agit d'évènements les plus graves?...
  — Mes ordres sont formels,
  — Si la paix était faite?...
  — Je ne puis.
  — Si un conflit armé avait éclaté?...
  —... Aux regrets... Impossible!
  — C'est bien. Veuillez me faire donner de quoi écrire.
  Alors, Jules Favre s'assit, une fois encore, devant la petite table sur laquelle il avait signé huit jours auparavant l'acte des préliminaires, et il rédigea en toute hâte un billet au chancelier, pour aviser celui-ci du vote de l' Assemblée et pour réclamer l'évacuation immédiate de la capitale, conformément aux accords du traité ["... Entre le chef du pouvoir exécutif de la République française, M. Thiers et le ministre des affaires étrangères, M. Jules Favre, représentant la France, d’un côté, et, de l’autre, le chancelier de l’empire germanique, M. le comte Otto de Bismarck-Schœnhausen, muni des pleins pouvoirs de S. M. l’Empereur d’Allemagne, roi de Prusse ; Le ministre d’État et des Affaires étrangères de S. M. le roi de Bavière, M. le comte Otto de Bray-Steinburg ; Le ministre des Affaires étrangères de S.M. le roi de Wurtemberg, M. le baron Auguste de Waechter ; Le ministre d’État, président du conseil des ministres de S.A.R. Mgr le grand-duc de Bade, M. Jules Jolly ; représentants l’Empire germanique ; Les pleins pouvoirs des deux parties contractantes ayant été trouvés en bonne et due forme, il a été convenu ce qui suit, pour servir de base préliminaire à la paix définitive à conclure ultérieurement : -ART. 1. – La France renonce en faveur de l’Empire allemand à tous ses droits et titres sur les territoires situés à l’est de la frontière ci-après désignée : ... " ; source].
  Après quoi, il se retira.


Télégramme et dépêche télégraphique envoyés par la mairie centrale : 2 mars 1871 : Jules Ferry, à la mairie centrale, informe par télégramme les maires des 20 arrondissements de l'évacuation des troupes ennemies prévue le 3 mars à l'aube. Source

   " Ils partent!... Ils sont partis!... " — Cela courut dans Paris comme une traînée de poudre.
  Aussitôt, on se précipita de toutes parts vers le secteur qui avait été envahi, vers ce grand morceau de Paris qui venait, en subsistant l'occupation allemande pendant quelques heures, de payer la rançon du reste de la ville et de Belfort.
  C'était comme une part du gâteau des rois découpés dans la Capitale. La pointe se trouvait à la place de la Concorde ; les deux grands côtés étaient figurés par les Champs-Élysées et la Seine ; le bord extérieur par les fortifications. On y pénétra de toutes parts ; mais en arrivant au rond-point, où MM. les officiers allemands s'étaient si fort amusés la nuit précédente, on fut stupéfait du spectacle qui s'offrit à tous les yeux.
  Du café où ils avaient festoyé, il ne restait plus rien. [ "... Tandis que les derniers soldats allemands franchissent la barrière de l’Étoile, on allume sur la place des grands bûchers afin de la purifier, la foule saccage dans les Champs Élysées les restaurants Dupont et Ledoyen ["... Au départ, une très modeste auberge de 13 mètres sur 4, aux murs blancs et aux volets verts, propriété du Sieur Desmazure, ouvrit ses portes en 1779 à proximité de la place Louis XV, actuelle place de la Concorde, dans le carré des Ambassadeurs des Champs-Élysées, à proximité du Café des Ambassadeurs : soit entre l'avenue des Champs-Élysées et l'actuelle avenue Gabriel. Quelques arbustes en caisse séparaient l'auberge de l'avenue. Le 4 août 1791, Desmazure loua l'établissement à Antoine-Nicolas Doyen, dit aussi « Ledoyen », qui l'aménagea et parvint à y attirer la clientèle des conventionnels, la Convention siégeait à proximité au Jeu de Paume du jardin des Tuileries, bien que le quartier des Champs-Élysées fût encore assez mal famé... " ; source], qui sont demeurés ouverts... " ; source]
  Aussitôt après leur départ, une bande de jeunes gens, furieux d'avoir vu un commerçant parisien accueillir avec empressement une semblable clientèle et faire une bonne affaire en profitant de l'humiliation nationale, avait brisé les chaises et les tables. Derrière eux, sans doute, des ravageurs professionnels avaient jugé à propos de compléter l’œuvre de ces patriotes : ils avaient tout détruit. Les glaces étaient en miettes, les comptoirs démolis, des traces de feu encore chaudes noircissaient les boiseries et les murailles ; toute la verrerie, toute la vaisselle jonchaient le sol. C'était un miracle que dans le sac absolu de l'immense local, l'immeuble lui-même n'eût pas été incendié. Le patron de l'établissement, sa famille et ses serviteurs avaient pris la fuite. La police occupa les lieux et l'on dut établir en hâte des barricades de planches pour interdire l'entrée au public, à la fois étonné de cette exécution sommaire et disposé par moments à la compléter par de nouveaux ravages.

***

  Je ne m'attardai point, pour ma part, à la contemplation de cette scène des destruction et de sauvagerie. Je me hâtai, au contraire, sur les pas des Français qui couraient vers le bois de Boulogne, afin de s'assurer que les Allemands étaient bien partis, complètement et définitivement partis.
  Avec une rapidité singulière, ils avaient en effet disparu de partout... Leur retraite, effectuée avec ordre, n'avait laissé derrière eux que des tisons à moitié consumés sous les arbres, des dégâts, insignifiants aux grilles des hôtels riverains, notamment à ceux, aujourd'hui disparus, de MM d'Audiffret-Pasquet et Casimir Perier — en bordure de l'avenue, à gauche, près de l'Étoile, — et des plates-bandes piétinées, des arbres ébranchés, des tas de paille foulée, du foin, des boîtes de conserves vides...
  Devant l' Arc-de-Triomphe, il y avait foule. On regardait un groupe de jeunes gens qui, seuls sous la haute voûte où s'inscrivent tant de noms glorieux, semblaient occupés à quelque besogne mystérieuse. Ils avaient apporté là une manière de réchaud, à moins que ce ne fût une simple chaufferette, pleine de braise ardente, et soudain, au milieu des acclamations, nous vîmes s'élever au-dessus de ce foyer improvisé une fumée légère, bleutée, vite effacée dans l'air...
  Ils brûlaient du sucre!
  Gaminerie sentimentale que le public applaudit, parce qu'il avait besoin, en vérité, d'applaudir quelque chose et de se venger n'importe comment. Mais nous fûmes nombreux que n'arrêta pas longtemps cette satisfaction enfantine et qui continuâmes en courant notre chemin vers le Bois, comme si nous avions hâte, alors que tout était fini, la paix signée, l'ennemi parti, de revoir encore, pour le graver plus profondément dans notre mémoire, le spectacle de l'invasion.
   Dans l'avenue Ulrich, les parterres étaient comme effacés sous les pas d'une multitude. Les plantations n'existaient plus, les taillis étaient brûlés. Toutes les grilles des villas et des hôtels déserts où s'étaient logés les Allemands étaient béantes. Quelques maisons habitées avaient seules leurs issues closes. Au beau milieu de la chaussée, près de la porte Dauphine, nous nous arrêtâmes brusquement devant une flaque de sang!... Ce devait être celui d'un cheval blessé par accident, car il y avait une traînée de larges gouttes rouges obliquant à droite vers les fortifications. Et l'on avait probablement pansé la blessure à l'écart du chemin suivi par la troupe, car, au-delà, il n'y avait plus aucune trace.
  Il fallut aller jusqu'à Suresnes pour atteindre enfin, non seulement l'arrière-garde allemande, mais encore des batteries d'artillerie qui n'avaient pu traverser encore le fleuve et des escadrons de hulans chargés de couvrir le passage des derniers bataillons avant de regagner eux-mêmes la rive gauche.
  C'est là que nous vîmes pour la dernière fois les soldats étrangers.

Monument dans le cimetière Voltaire, en mémoire des soldats de la guerre de 1870-1871, lors de laquelle Suresnes est le lieu de plusieurs affrontements. Crédit photo : Celette @ CC BY-SA 4.0

  Ils nous observaient de loin, se demandant, à coup sûr, ce que nous voulions, quelles étaient nos intentions, si nous avions des armes...
  Nous étions en tenue civile, excepté un garde national que je vois encore, avec sa vareuse déboutonnée, — car la course nous avait fort échauffés — et son képi planté en arrière, laissant une masse de cheveux ébouriffés sous la visière. C'était le seul d'entre nous qui eût des restes d'uniforme et j'aurais bien voulu qu'il fût ailleurs, car je rougissais malgré moi de le trouver si mal ficelé, quand les autres avaient l'air si martial et si discipliné.
  Peut-être le comprit-il de lui-même, au surplus, car en trouvant à l'improviste devant lui de vrais soldats et qui étaient des Allemands, il demeura bouche bée, rajusta d'un coup de poing sa coiffure et se mit instinctivement à se reboutonner

***

  Sans nulle interruption, les fantassins continuaient de s'écouler d'une rive à l'autre, non par le vieux pont, où l'on avait essayé en vain d'établir une passerelle de fortune, car il était largement rompu, mais par un pont de bateaux construit un peu en amont.
  Nous considérions avec une stupeur douloureuse cette extraordinaire spectacle : des troupes étrangères sortant de Paris et traversant la Seine pour aller se reposer chez elles, — à Versailles!
  Ces collines familières, qui s'étagent si gracieusement dans le lointain autour du grand parc de la capitale, nous faisaient l'effet d'appartenir à un autre pays que le nôtre. Nous en connaissions toutes les maisons, et nous ne les reconnaissions plus.
  On aurait dit que la Seine était devenue notre frontière. Dès que les Allemands mettaient pied à terre au bas des rampes qui conduisent au Mont-Valérien, il nous semblait qu'ils n'étaient plus chez nous.
  Nous pouvions les voir, de loin, s'en aller en chantant — car ils chantaient — le long de ces routes où les dimanches parisiens avaient jeté tant de groupes en fête, et le son grêle et rauque, à la fois, de leurs tambours plats nous rappelait invinciblement les musiques foraines d'autrefois.
  Leur dernière masse, attendant son tour, sur la " rive française " s’amincissait à vue d' œil ; les mouvements des cavaliers d'arrière-garde se rétrécissaient. Bientôt, il n'en y eut plus un seul sur la plaine de Longchamp, ni sur le terrain de Bagatelle et nous pûmes descendre des hauteurs de la Cascade, jusqu'au Moulin.
  Puis, les derniers hulans firent demi-tour et prirent le trot. Alors, nous prîmes le galop, nous, et à toutes jambes, nous courûmes du côté du pont. Une émotion profonde, où il y avait bien de la haine, certes, mais aussi une obscure et involontaire admiration pour les hommes qui savent combattre et vaincre, serrait nos cœurs et nous vouait à des résolutions viriles.
  Parvenus devant l'entrée du pont, nous étions une vingtaine de jeunes Français, humiliés de ce que nous venions de voir, furieux qu'on n'eût pas mieux utilisé pendant le siège nos forces et nos courages, inquiets du lendemain, mais ardents à la vie et prêts pour tous les efforts.
  Eux, les Allemands, ils s'étaient alignés sur deux files de vingt cavaliers de front, avant de passer le pont à leur tour. Leur officier les rangea face à nous, c'est-à-dire à Paris, qui était là-bas, derrière le bois d'où nous sortions, et, le sabre levé, il cria : Hourra!
  Les hommes, d'un même mouvement, crièrent hourra! comme lui.
  Nous eûmes, tous, à fleur de peau, le léger frisson qui rend pâle, et, tête nue, la main levée, nous criâmes à notre tour : Vive la France!
  L'épée de l'officier s'abaissa, comme pour un salut courtois, et cette politesse nous fit plus de mal encore que son cri de guerre.
  On sait le reste.
  Paris, délivré de l'ennemi, tomba presque tout de suite après son départ dans la guerre civile [" Le 18 mars 1871, les Parisiens se rebellent contre le gouvernement. C'est le début de la Commune qui durera 72 jours... " ; Source].
  Avant de terminer l'évocation de ces souvenirs de l'année terrible, je veux dire en peu de mots comment les sincères défenseurs de la ville, ceux qui se contentaient d'aimer leur patrie et qui n'avaient ni parti à ménager ni ambition à servir, ont pu voir, immédiatement, après le crépuscule de la défense nationale, l'aube sanglante de la Commune.

 
" La fuite à Versailles ", caricature inspirée de l' œuvre de Murillo, sur Adolphe Thiers, Jules Favre et le comte de Paris au moment de la commune de Paris. 1871. @Roger-Viollet. Source
 

XXI

L'AFFAIRE DE LA PLACE VENDÔME


  La vie reprenait à peine, dans Paris, quand, le 18 mars, éclata soudain la révolte communaliste. Ce jour-là, on le sait, les bataillons de la Garde nationale qui obéissaient directement au Comité central [Organisme républicain créé le 3 mars 1871 par les gardes nationaux fédérés au sein de la « Délégation des vingt arrondissements de Paris » : janvier 1871 ; Larousse. " Le 18 mars à minuit, une vingtaine de membres du Comité central de la Garde nationale s’installent à l’Hôtel-de-Ville. La direction militaire considère toutefois qu’elle n’a pas la légitimité d’un pouvoir élu. Seul le peuple souverain ayant le pouvoir de trancher par son vote, le Comité central estime que rien de stable ne peut être entrepris sans la caution donnée par les urnes. Avant d’entreprendre quoi que ce soit, la tête de l’insurrection veut obtenir la caution donnée par les urnes. Le 19 mars, le Comité central annonce que son mandat est expiré, que des élections communales vont être organisées sans tarder et que, en attendant leur résultat, il se contentera de « conserver » l’Hôtel de Ville désormais vacant. [...] le Comité central insiste sur le fait qu’il n’est pas un gouvernement. Pendant la courte transition, le Comité central affiche une réelle modération. Il décide certes quelques mesures immédiates, dans l’esprit des demandes populaires des mois précédents. Il lève l’état de siège dans le département de la Seine, proclame l’amnistie de tous les condamnés politiques, l’abolition de la conscription et celle des conseils de guerre, annonce la remise des loyers d’octobre 1870, janvier et avril 1871, ainsi que la suspension de la vente des objets déposés au Mont-de-piété. En incorporant toutes les forces armées de la capitale dans la Garde nationale, il réalise une des demandes fortes de la période antérieure : l’évacuation de Paris par l’armée régulière. Le plus important pour lui est toutefois de conforter sa légitimité face à Versailles, en engageant des négociations avec les maires d’arrondissement qui, eux, sont restés dans la capitale quand le gouvernement la quittait... " ; source], grossis de nombreux soldats et marins déserteurs, d'une masse de mécontents et de quelques malfaiteurs, s'emparèrent à Montmartre, des canons parqués là-haut depuis la capitulation, massacrèrent les généraux Leconte [Claude-Martin, 1817-1871] et Clément-Thomas [Jacques Léonard, 1809-1871] [ "...Le Journal officiel du 21 mars, lui, est rédigé par nos inconnus, les envoyés du Comité central, et voici ce qu’il écrit : Tous les journaux réactionnaires publient des récits plus ou moins dramatiques sur ce qu’ils appellent « l’assassinat » des généraux Lecomte et Clément Thomas. Sans doute ces actes sont regrettables. Mais il importe, pour être impartial, de constater deux faits :
   1° Que le général Lecomte avait commandé à quatre reprises, sur la place Pigalle, de charger une foule inoffensive de femmes et d’enfants;
   2° Que le général Thomas a été arrêté au moment où il levait, en vêtements civils, un plan des barricades de Montmartre.
   Ces deux hommes ont donc subi la loi de la guerre, qui n’admet ni l’assassinat des femmes ni l’espionnage.
   On nous raconte que l’exécution du général Lecomte a été opérée par des soldats de la ligne et celle du général Clément Thomas par des gardes nationaux.
   Il est faux que ces exécutions aient eu lieu sous les yeux et par les ordres du comité central de la garde nationale. Le comité central siégeait avant-hier rue Onfroy [sic, pour Basfroy] près de la Bastille, jusqu’à l’heure où il a pris possession de l’Hôtel de Ville; et il a appris en même temps l’arrestation et la mort des deux victimes de la justice populaire.
  Ajoutons qu’il a ordonné une enquête immédiate sur ces faits.
" ; Source], jetèrent la terreur dans la population paisible, et occupèrent, avec l' Hôtel de Ville, quelques points stratégiques dans la capitale, notamment la place Vendôme.


 

 
Affiche de la Commune du 19 mars 1871 ; source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr — aux Gardes nationaux de Paris / Décrets sur les élections municipales par le Comité central de la Garde nationale

  À suivre

   Charles Laurent, Ce que Paris a vu, Souvenirs du Siège de 1870-1871, Albin Michel, 1914, pp. 218-238

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