BIERCE Ambrose, I842-I9I3, Le Dictionnaire du Diable
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Nationaliser EDF était impossible... jusqu’à preuve du contraire
DOS SANTOS François, Citoyen et salarié du secteur de l'énergie
Coup d'arrêt sur les politiques de libéralisation du secteur de l'énergie ? La proposition de loi de Philippe Brun, PS, adoptée en 1ère lecture marque un retournement de veste généralisé dans la classe politique, en enjambant la case autocritique. Pourtant, cette loi règle beaucoup et pas grand-chose à la fois.
Qui aurait pu prédire que la France choisirait de sortir EDF de la bourse dix-sept ans après son introduction ? C’est finalement la question que personne ne se pose aujourd’hui. S’il n’existe pas de consensus sur la méthode à utiliser, ce qui cache en réalité l’absence d’accord sur les finalités de cette opération, aucun parti politique ne s’oppose à la perspective d’une reprise en main par la puissance publique de 100% d'’EDF.
En 2004 pourtant, d’aucuns assuraient la main sur le cœur que l’introduction en bourse d’EDF était la seule solution pour lui permettre de devenir un grand champion européen de l’énergie. Le Premier ministre Dominique de Villepin l’assure : ouvrir le capital vise à « donner les moyens à EDF, à l'heure de l'après-pétrole, de se développer ».
Alors que l’Assemblée Nationale s’interroge depuis l’automne 2022 sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France, l’insuccès de cette politique semble maintenant éclater au grand jour.
Pour mieux souligner encore cette contradiction, Elisabeth Borne justifie, dès juillet 2022, la remontée à 100% du capital comme le moyen de permettre à EDF « de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique.». Le même argument pour justifier deux choix radicalement opposés : on marche sur la tête.
Pourtant, entre les dix-sept années qui séparent ces deux déclarations, ceux qui osaient évoquer une renationalisation étaient souvent cantonnés au rang de passéistes tantôt d’extrême gauche, tantôt anti-européens, et en tous cas à contre sens de l’histoire.
À commencer par Julien Aubert, alors député UMP qui assurait, en 2014, « Aucune contrainte ne justifie aujourd’hui que l’État remette pour partie la main sur la gouvernance et les investissements d’EDF. Nous avons changé d’époque : l’État socialiste ne privatise plus Rothschild, c’est plutôt Rothschild qui privatise l’État socialiste. ». Le jugement péremptoire ne manque pas de sel.
À gauche, si François Brottes, PS, avait été fer de lance contre l’ouverture du capital d’EDF en 2004, il était, un peu plus de dix ans plus tard, un défenseur de la vente partielle de sa filiale RTE, dont il était devenu entre-temps Président du directoire. Si tous ces partis sont aujourd’hui de fervents soutiens à une solution 100% publique pour EDF, le Front de gauche de l’époque et les syndicalistes étaient bien les seuls à la revendiquer.
Errare humanum est, perseverare diabolicum [L'erreur est humaine, persévérer est diabolique], comme dirait l’autre. Les dix-sept ans de persévérance, de l’ UMP au Parti socialiste, ne sont pas à mettre sur le compte de la seule maladresse. Probablement un entêtement idéologique totalement déconnecté des enjeux. En réalité, la composition du capital importe moins que la capacité de l’actionnaire à soutenir l’entreprise, lui offrir un cadre de régulation adapté, lui apporter une visibilité sur les projets industriels ou encore préserver sa capacité d’endettement.
Qu’EDF soit détenu à 100% ou 70% par l’État est une question importante, mais secondaire. Comme toujours, l’État actionnaire est capable du meilleur — à l’image du succès industriel d’EDF jusqu’aux années 2000, comme du pire, à l’image de ce merveilleux service public [sic] que fut le Crédit Lyonnais. Se pose donc un débat stratégique mais aussi de gouvernance de nos entreprises publiques avant d’aligner une série de totems.
Et c’est bien là où le bât blesse. Derrière l’union sacrée autour de la détention 100% publique d’EDF, deux visions s’opposent. Une simple offre publique d’achat en bourse sur les 17% du capital que l’État ne détient pas encore, c’est la stratégie voulue par le gouvernement. Ou une nationalisation par une loi, comme l’a fait voter en première lecture Philippe Brun, PS, le 9 février dernier, au grand dam de la majorité présidentielle.
En toile de fond, la crainte que cette reprise en main par la puissance publique ne serve qu’a organiser un démantèlement de l’entreprise, redouté depuis 2019 sous le nom d’« Hercule ». Bien que l’État assure de son abandon, le député Philippe Brun affirme avoir accumulé les preuves qu’il est toujours dans les cartons, grâce à un contrôle sur pièces et sur place au siège de l’Agence des participations de l’État. L’inquiétude du député est tout de même renforcée par un point : la majorité présidentielle déploie son énergie à empêcher que l’unité du groupe EDF et son incessibilité au privé soit garantie par une loi.
Autant le dire tout de suite : ce débat est essentiel, mais pas capital. Ce n’est pas lui qui règlera la question du financement des investissements colossaux dans l’industrie électrique, des réformes indispensables du marché européen de l’énergie ou encore de la maîtrise des prix de l’énergie pour les ménages, les entreprises et les collectivités.
Mais le coup d’envoi d’une succession de matchs à venir est donné, qui devrait idéalement en passer par une épreuve de vérité. Non pas pour se lancer dans une chasse aux sorcières, mais construire des choix stratégiques d’intérêt général pour EDF, et pour la France.
Pour aller plus loin :
- Lévy, E., 2022, 8 novembre, Philippe Brun : « Tous les documents de Bercy prévoient bien un démantèlement D’EDF » , Marianne : https://www.marianne.net/economie/finance/philippe-brun-tous-les-documents-de-bercy-prevoient-bien-un-demantelement-dedf
- Assemblée Nationale. Dossier législatif — Proposition de loi visant à la nationalisation du groupe EDF : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/nationalisation_EDF
- Endeweld, M., 2023, 12 février ; démantèlement d’EDF : L’exécutif mis échec et mat. Off Investigation : https://www.off-investigation.fr/demantelement-dedflexecutif-mis-echec-et-mat
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