L’ AGONIE D’ UNE ARMÉE, METZ – I870, JOURNAL DE GUERRE D’UN PORTE-ÉTENDARD DE L’ ARMÉE DU RHIN, ÉPISODE XXI

Précédemment
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  Nous avons entendu des officiers plein de cœur et très disciplinés dire " qu'ils préféreraient plutôt se faire fusiller que d' obéir à des ordres aussi insensés, à un chef égoïste qui ne poursuivait que des combinaisons personnelles en avilissant son armée, comme s'il avait le droit d'en disposer selon son bon plaisir. "
  Dans leurs régiments, les officiers prussiens persuadèrent à leurs soldats que " l'armée française ne pouvait plus entrer en lutte avec l' armée allemande sans se sentir vaincue à l' avance; que nous ne pouvions plus combattre contre elle; et qu'ils n'avaient rien à redouter de nousccviii. "
  Toute notre armée a pu lire cette fanfaronnade reproduite et réfutée par les journaux de Metz et qui nous fit hausser les épaules. Mais en France, il n'en fut pas de même chez tous les civils; le moment allait venir où nous serions traités par certains de " traîneurs de sabre au fourreau ", puis de " capitulards ".
  Un autre journal prussien s'exprimait ainsi sur la bataille de Noisseville, comme il l'appelle, pour nous Servigny-Sainte-Barbe, : " une sortie générale a été tentée par toute l'armée de Metz pour franchir le cercle d'investissement, elle a été repoussée avec de grosses pertes. "
  Ces fausses nouvelles ont été reproduites par des feuilles françaises.
  Aucune justification n'étant possible de notre part, le résultat donnait le droit aux Prussiens de se montrer orgueilleux. C'est ainsi que beaucoup de nos compatriotes se sont formés des idées fausses sur ce qui se passait à Metz. Après tant de défaites, ils ont fini par croire les calomnies répandues sur notre compte ! Et cependant, à la date du 20 août, déjà, notre chef était jugé par toute son armée, alors qu'en France on lui décernait encore le titre de " glorieux Bazaine " ! Quelle ironie !
 
" Tel est le glorieux bulletin par lequel le maréchal Bazaine vient d'inaugurer ses opérations. " Le Petit Courrier de Bar-sur-Seine, I9 août I870. Source.

  La bataille de Servigny fut la dernière action sérieuse; nous y perdîmes 4.000 soldatsccix.
  Certains auteurs, tant allemands que français, ont prétendu que nous avions été repoussés ce jour-là. Je cite ici un témoignage contradictoire que je relève dans une brochure allemande attribuée au prince Frédéric-Charles lui-même. On y verra l'affirmation que le maréchal pouvait sortir le 3I août : " Le combat avait prouvé qu'il était possible de rompre le cercle des armées allemandes, surtout quand il ne s'agissait que de rester maître de la trouée pendant quelques heures. Il ne fallait pas perdre de temps comme le maréchal Bazaine l'a fait dans la soirée du 3I août; les lignes prussiennes pouvaient être franchies avant la nuit. " Voilà qui est clair ! C'est le chef de cette armée d'investissement qui émet son opinion. L'armée de Metz n'avait pas besoin de ce témoignage pour affirmer que, si le maréchal l'eût voulu, le cercle eût été franchi. 
  Mais les partisans mêmes de Bazaine avaient de lui une opinion peu flatteuse. Voici celle du colonel Lewal, officier de son état-major : " Le maréchal passait pour être somnolent, il lui fallait beaucoup de repos; il ne se reprenait qu'au réveil, en sortant péniblement d'une espèce d' apathie. Il croyait cacher son insuffisance en se montrant très concentré à l'égard de ses lieutenants. Les discussions le fatiguaient, il ne supportait pas la contradiction, il écoutait, n'interrompait pas, mais ne répondait rien. "

2 et 3 septembre.
 
  Notre installation à l' île Chambière va se complétant un peu chaque jour. Nous avions le pressentiment, après tout ce qui venait d'avoir lieu, que nous séjournerions quelques temps dans ce bivouac. Beaucoup d' officiers plièrent leur tente pour se réfugier dans de petites constructions situées à proximité.
  Mes promenades avec le colonel Friant reprirent le 3; lui si ouvert habituellement, il était sérieux, il gardait les lèvres pincées. Nous chevauchions ce jour-là côte à côte, sans échanger un mot. Tout à coup, il me dit à brûle-pourpoint : " Que pensez-vous, vous et vos camarades, de cette nouvelle retraite ? " Je lui répondis : " Je n'ai pas l'autorisation de parler au nom de mes camarades, mais je peux vous affirmer, mon colonel, que l'on est terriblement monté contre le maréchal. J'ai entendu des conversations d'officiers généraux, dans un café, à Metz, ce matin même. Ces messieurs ne ménageaient plus leurs expressions, le traitaient de traître. "
  Mon colonel ne fit aucune réponse. Comme il ne rencontra pas le général Picard, commandant une division de la garde, qu'il était allé voir, nous rentrâmes silencieux au bivouac. En arrivant chez lui, il trouva devant sa porte les généraux Dupreuil et Desvaux, de la cavalerie de la garde, entourés de quelques officiers. On parlait des évènements, du mécontentement poussé à l'extrême. Le général Valabrègue arriva, prit part à la conversation; je lui entendis dire très distinctement au général Desvaux : " Si Forton avait continué son exploration le I5, nous ne serions pas dans ce pétrin. Est-ce votre avis Desvaux ? "
  Ce dernier fit un assentiment sans répondre. " Il est certain que pour se replier comme il l'a fait, il lui fallait des ordres du maréchal; Murat doit être au courant. Avez-vous su quelque chose sur cette journée, Friant ? "
   Le colonel Friant, qui n'avait pas l'air d'écouter ce que disait le général Valabrègue, répondit négativement. 

I870, siège de Metz, île Chambière, camp de cavalerie. Auteurs : les frères Prillot. Sur le Web.


DE VALABRÈGUE Paul. Sur le Web.
 
4 septembre.
 
  L'Indépendant de la Moselle certifie qu'il est en mesure d' affirmer que " le maréchal est en relations avec le prince Frédéric-Charles; qu'il a appris par notre ennemi une grave nouvelle de l'armée de Mac-Mahon ".
  On n'attacha d'abord aucune importance à ces articles sensationnels. Les Prussiens ont bien répandu eux-mêmes dans leurs journaux que, pendant la bataille de Saint-Privat, des régiments entiers de cavalerie allemande ont été culbutés dans les carrières de Jaumont. [c'est le nom donné à la pierre locale de couleur jaune; ce nom n'est ni celui d’un village ou d’un lieu-dit; il est le fruit de la contraction de « Jaune Mont », Galbinus Mons, en latin, —la montagne jaune; " (...) La pierre de Jaumont est exploitée dans des carrières de Moselle distantes d’une quinzaine de kilomètres de Metz, au nord-ouest de la ville. Il s’agit d’un gisement situé au-dessus d’anciennes mines de fer désaffectées qui s’étend sur environ 200 hectares d’un seul tenant. Ce sont les bancs des localités suivantes : Malancourt-la-Montagne, Montois-la-Montagne, Moyeuvre-Grande, Roncourt et Saint-Privat-la-Montagne; (...) On sait que les Gallo-Romains ont exploité les carrières de Jaumont au moins à partir du 2 e siècle après Jésus-Christ. (...) L’âge d’or de la pierre date des I3 e et I4 e siècles. On l’utilisa pour construire à Metz, nombre de monuments : la cathédrale, l’hôtel de ville, l’hôtel du corps de garde, aujourd’hui l’office de tourisme, l’hôtel du Parlement, le palais de Justice, l'opéra théâtre, la place Saint-Louis, le palais du Gouverneur, la plupart des ponts et autres portes, des bâtiments, etc. et, de grandes églises de la région. "; Sur le Web] C'était inexact et grotesque. Cela n'émut personne à l' armée de Metz; mais il paraît qu'en France on s'arrachait les journaux qui reproduisaient ces canards, et que l'on croyait à une victoire.
  En ville, on donnait comme certaine la perte d'une grande bataille aux environs de Sedan, mais on ne précisait rien. Ce bruit se répandit rapidement dans les bivouacsccx.
 

XXI

 

SEDAN ! DÉSASTRE ET RÉVOLUTION

 
5 septembre.
 
  Le désastre est confirmé ! C'est une consternation générale en ville et dans l' armée de Metz !
  Le maréchal en a été réellement avisé par le prince Frédéric-Charles. Le général Murat monta à cheval et se rendit au Ban-Saint-Martin, pour avoir des renseignements; on lui répondit que le maréchal n'était pas visible, que les bruits malveillants ou exagérés étaient effectivement parvenus au quartier général, sans aucune confirmation.
  Cela était faux, on était fixé. Les soldats échappés des convois de prisonniers font le récit impressionnant du désastre de Sedan.
  L'exaspération contre le maréchal ne connut plus de bornes; si celui-ci avait exécuté les ordres de l' Empereur, la catastrophe ne se serait pas produite. L' armée était en deuil ! On le rendait responsable; il nous devint odieux ! On ne pouvait plus prononcer son nom sans provoquer une explosion de colère. On le traitait de traître et de criminel, depuis le soldat jusqu'au faîte de la hiérarchie. Ah, il faut avoir la franchise de le dire, les commandants de corps, eux non plus, ne furent pas épargnés. Ils n'avaient pas de responsabilités directes, mais on attaquait, chez des chefs de cette valeur, leur obéissance passive qui eût été louée dans d'autres circonstances.
  On plaignait nos pauvres camarades déjà si éprouvés à Reichshoffen ! On plaignait l' Empereur, qui s'était cru suivi par le maréchal et qui, confiant dans la parole de ce dernier, avait été trahi !
  Quel regret devait exister dans le cœur du souverain d'avoir quitté l'armée de Metz avant l'exécution de ses ordres ! Il avait eu foi en la parole d'un maréchal de France qui l'avait abandonné consciencieusement, traîtreusement.  
  En apprenant le désastre de Sedan les espérances de ce chef durent grandir. Désormais il était bien le " maître " ! 

Bataille de Sedan, I er septembre I870 : le général Margueritte est mortellement blessé à Floing. Auteur :  James Alexandre Walker © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Pascal Segrette.
 
  Qu'allions-nous devenir ? 
  Notre armée était encore formidable à la date du 5 septembre. Des I74.000 hommes qu'elle comprenait, il restait encore I40.000 soldats d'une bravoure éprouvée; et les blessés la rejoignaient chaque jour. Ajoutons à ce chiffre la garde mobile de Metz, qui ne demandait qu'à être intercalée dans nos rangs; plus de 35.000 chevaux; un arsenal bien approvisionné et pouvant fournir un nombre assez élevé de batteries supplémentaires.
  Avec un chef habile, on pouvait encore exécuter de grandes choses, faire face à l'ennemi, profiter de l'ivresse de la victoire, choisir l'instant pour tâcher de l'écraser en délivrant les prisonniers, dont les convois interminables passaient à côté de nous. Tout cela était possible, devait être tenté; c'est ce que répétaient plusieurs généraux. Le maréchal n'y songea même pas ou ne voulut pas agir. Que faisait-il pendant cet instant si opportun ? Il conférait avec l'ennemi. C'est alors que son rôle politique commença. La trahison était avérée, flagrante. Il se lia les mains, ne pouvant plus combattre, gardant le secret de cette défaite qu'il connaissait depuis quarante-huit heures, pour permettre l'écoulement des convois de nos malheureux soldats, jusqu'au moment où le prince prussien lui permettrait de faire connaître ces désastres à son arméeccxi
  Pendant quatre jours, à proximité de notre camp, nos malheureux camarades faits prisonniers à Sedan ont passé, par convois, en route vers l' Allemagne. Nous étions là, impuissants, ravagés d'angoisse, écoutant les cris de victoire poussés par les Allemands, le bruit de leurs canons qui tonnaient pour couvrir le long cri de détresse française, les appels de nos frères d'armes qui pourtant parvenaient jusqu'à nous.
  Quels moments terribles !
  À la nouvelle de la captivité de l' Empereur, le chagrin fut profond parmi les officiers de la garde. Des altercations violentes eurent lieu entre Bazaine et les généraux Bourbaki et Desvaux. Il était facile au maréchal d'imposer silence à ces deux courageux généraux qui ont eu la triste satisfaction de lui dire ce qu'ils pensaient de lui et ce qu'ils avaient sur le cœur. Ils lui reprochèrent sans ménagements ses menées ténébreuses, et aussi sa conduite envers l' Empereur, sans que le maréchal pût les faire taire ou osât les punir. Peu d'officiers ont eu connaissance de cette scène qui s'est passée dans le cabinet de Bazaine, le 5 septembre, entre 9 et I0 heures du matin. Le général Bourbaki ne cacha point son émotion et raconta l'entretien au prince Murat, en présence du colonel Friant. les scènes de cette nature n'étaient pas rares.
  Combien ces braves cœurs ont souffert de la chute de l' empire ! Que de larmes le prince a versées, je les ai vu couler, non point sur sa situation personnelle, mais sur le sort de l' Empereur, sur celui du Prince Impérial et de sa mère surtout, de l'Impératrice, [María Eugenia Ignacia Agustina de Palafox y Kirkpatrick,  I9 e comtesse de Teba, — dite Eugénie de Montijo Espagne, I826-I920; " (...) Après la chute du Second Empire (...) la famille impériale se réfugie à Camden Place à Chislehurst, au sud-est de Londres, en Grande-Bretagne. À partir de la mort de Napoléon III en I873, Eugénie se fixe pour unique but de veiller sur le Prince Impérial, seul héritier de la dynastie. À la fin des études du jeune homme, Eugénie le fait voyager à travers toute l’Europe pour défendre son droit au trône… Mais le Prince Impérial pense que sa légitimité passe par la gloire militaire : il s’engage dans les troupes anglaises partant en Afrique du Sud, malgré les supplications de sa mère, et meurt là-bas le 1er juin I879 durant la guerre entre Zoulous et Britanniques. Eugénie ne se remettra jamais de la perte de son fils unique : elle part en Zoulouland sur les pas de son fils défunt l’année suivante et, à son retour en Angleterre, fait construire sur le domaine de de Farnborough, sa nouvelle demeure, une abbaye servant de tombeau à son époux et son fils. Dès lors, elle se mure dans le silence et semble fuir sa douleur dans les voyages. (...) "; sur le Web] pour laquelle il avait une véritable vénération.
 
Eugénie l' Impératrice, en habit de deuil, vers I873.
 
  Les généraux reprochaient à l'Empereur malheureux son manque de fermeté, en se laissant imposer le maréchal Bazaine par un parti politique qui lui était hostile et qui avait, avant la guerre, refusé au maréchal Niel [Adolphe, I802-I869; très proche de Napoléon III, il fut ministre de la Guerre : I867-I869; la loi Niel est votée en I868 : " (...) [elle] pose la création d'une Garde nationale mobile. Elle est constituée de tous les hommes qui échappent au service de l'armée active. Aucun remplacement n'est accepté dans la Garde nationale. La mobilisation passe de sept à neuf ans dont cinq dans l'armée active et quatre dans la réserve. La seule condition pour ne pas en faire partie est d'exercer une activité professionnelle utile à l'État comme ouvrier des manufactures d'armes, mécanicien de locomotives ou encore préposé des douanes. En revanche, l'exonération est autorisée dans l'armée active qui concerne toutes les classes sociales. les moyens de renforcer l'armée. (...)   une forte opposition tout d'abord au niveau de l'opinion publique. L'opposition touche toutes les strates sociales. Ainsi le clergé est contre le principe de la caserne qu'il présente comme lieu de perversion pour les hommes. Les ecclésiastiques sont opposés au projet car celui-ci allonge la durée du service et donc le temps passé à l'intérieur de la caserne. Il en est de même pour la population qui se montre hostile à l'allongement du service militaire. Les récoltes sont bonnes cependant il n'y a plus assez de bras, beaucoup de jeunes qui partent à la guerre ne reviennent pas. Les terres ne sont plus cultivées malgré de bons rendements. Enfin la dernière couche sociale dont fait partie les bourgeois se pose aussi en opposition en tant qu'il craignent les conséquences de cette réforme sur l'impôt. S'il y a moins de monde pour payer l'impôt, pour avoir la même somme il faudra l'augmenter. Le projet rencontrant également des difficultés chez les parlementaires qui conçoivent uniquement des réformes partielles. Ils n'admettent pas une refonte totale du système militaire français car ils se sont convaincus de la supériorité de l'armée française dite professionnelle. (...) Napoléon III la présente devant de nombreuses commissions : la Haute Commission militaire, le Conseil d'État, la Commission parlementaire. À partir du 30 octobre I866 l'empereur réunit une Haute Commission à Saint-Cloud puis Compiègne, il la charge d'élaborer un programme de réforme. Cependant il la dissout le I2 décembre car il la juge stérile. Le I9 décembre, Napoléon III présente un programme détaillé à un Conseil d'État réticent. Le maréchal Randon [Jacques Louis César Alexandre, comte de, I795-I87I] préfère démissionner le 20 janvier I867 plutôt que de présenter la réforme. L'empereur propose son poste de ministre de la Guerre à Niel. Il présente des programmes successifs de la réforme qui seront tous étudiés, critiqués, mutilés. Ainsi, le projet du maréchal Niel et de Napoléon III rencontre des obstacles dans la population et chez les parlementaires. "; sur le Web] les moyens de renforcer l'armée.
  Le général Bourbaki, très ardent et peu réservé, alla jusqu'à supposer qu'un pacte avait été passé entre le maréchal et ses protecteurs. Laissons là cette politique qui n'a rien de commun avec l'armée. Si je mentionne ce dernier bruit, c'est parce qu'il s'est propagé dans les cafés de Metz où, dans leur désœuvrement, les officiers se retrouvaient. Il était permis alors de tout supposer.

6 septembre.
 
  C'est encore par les journaux prussiens répandus dans le camp que nous apprenons la nouvelle sensationnelle de la révolution du 4 septembre et du renversement du Gouvernement de la Régenceccxii. On restait incrédules, à quelque opinion politique qu'on appartînt; en ville ou parmi les officiers de l'armée de Metz; il n'y avait qu'une voix pour flétrir cette révolution faite à la suite d'un grand désastre, pendant que l'ennemi occupait le territoire.
  L'armée était sans passions politiquesccxiii; elle estima que le patriotisme consistait à se grouper autour du gouvernement établi, pour ne pas affaiblir ce qui restait de forces nationales. Après la guerre, c'était une question à résoudre en convoquant les Chambres qui se seraient prononcées, car l'empire de Napoléon III ne pourrait s'en relever, il était condamné par un certain nombre d'officiers : il n'en était pas de même pour le Prince Impérial.
  On ne croyait pas la possibilité d'un bouleversement de gouvernement à ce moment. En apprenant que la République était proclamée et représentée par MM. Crémieux,[Isaac Moïse, dit Adolphe Crémieux, I796-I880, avocat;  député de 1842 à I848, membre du gouvernement provisoire, représentant du peuple aux Assemblées constituante et législative de I848-49, député au Corps législatif de I869 à I870, membre du gouvernement de la Défense nationale et ministre, représentant de I872 à I875, sénateur inamovible. (...) Il s'associa aux dernières manifestations de l'opposition parlementaire, vota contre la déclaration de guerre à la Prusse, et fut proclamé membre du gouvernement de la Défense Nationale à l'Hôtel de Ville, dans l'après-midi du 4 septembre I870, en même temps que ses collègues de la députation de Paris. Le 5 septembre, il prit le portefeuille de la justice. Il fit décréter l'amnistie générale des crimes et délits politiques, l'abolition du serment politique, et prononça la destitution de plusieurs magistrats qui avaient pris part aux jugements de la commission mixte en I85I. (...) "; sur le Web] Glais-Bizoin, [Alexandre Olivier Glais de Bizoin dit, I800-I877; député de I83I à I848, député au Corps législatif de I863 à I870, membre du gouvernement de la Défense nationale. (...) il fut délégué, le I6, avec Crémieux et l'amiral Fourichon, pour aller constituer à Tours la délégation du gouvernement auprès des départements non envahis. Il se rendit à son poste, adressa, le 7 octobre, à ses collègues de Paris, une dépêche pour leur faire part des mesures d'organisation préparées en province, et n'eut d'ailleurs, dans la conduite des opérations de la défense et dans l'exercice du gouvernement, qu'un rôle de second plan, que l'arrivée de Gambetta avec des pouvoirs extraordinaires rendit plus effacé encore.(...) "; sur le Web] Rochefort, [Victor Henri de Rochefort-Luçay, I83I-I9I3; Député au Corps législatif de I869 à I870, représentant de la Seine en I87I, membre du gouvernement de la Défense nationale, député de la Seine de I885 à I886. (...) M. H. Rochefort songea alors à avoir un journal à lui seul, un organe personnel hebdomadaire : ce fut la Lanterne, qui ne put paraître, l'autorisation préalable ayant été refusée, qu'en vertu de la loi nouvelle sur la presse; le premier numéro fut lancé le Ier juin I868, il excita une curiosité universelle. La Lanterne dut lutter contre une série de mesures des plus hostiles de la part du pouvoir. Mais ces rigueurs augmentèrent dans une proportion inouïe le succès de la publication : chaque livraison, dont le tirage était rapidement épuisé, fut réimprimée plusieurs fois. Le onzième numéro de la Lanterne fut saisi, et, l'auteur, traduit devant les tribunaux, se vit condamner à un an de prison, dix mille francs d'amende, un an de privation des droits civils et politiques : I3 août I868 : cette condamnation fut renouvelée pour le numéro suivant. La Lanterne parut dès lors à Bruxelles, et bien que la vente en fût rigoureusement interdite en France, elle continua à avoir dans toute l'Europe une immense circulation, non sans avoir suscité, dans le même format et avec des titres plus ou moins analogues, une multitude de concurrences, de plagiats et de parodies. (...) Pendant la période électorale, I869, le « lanternier », comme on l'appelait, n'avait pas hésité à rentrer en France, bravant l'exécution des jugements prononcés contre lui. Arrêté à la frontière par l'autorité judiciaire, il reçut, par ordre de l'empereur, un sauf-conduit pour venir à Paris, où il assista à plusieurs réunions radicales et révolutionnaires. (...) Il continua d'ailleurs d'organiser et de présider mainte réunion populaire, notamment à Belleville, où il fit décider la fondation d'un journal qui s'intitulerait la Marseillaise. (...) la Marseillaise publia une série d'articles violents, à la suite desquelles non seulement le journal fut saisi (...) M. H. Rochefort, traduit devant le tribunal correctionnel, 22 janvier I870, fut condamné par défaut à six mois de prison et 3 000 francs d'amende. (...) Il fut conduit à Sainte-Pélagie (...) et dut suspendre la publication de la Marseillaise, dont tous les rédacteurs étaient alors incarcérés. Elle reparut au lendemain du 4 septembre, tandis que l'écrivain était appelé à faire partie du gouvernement de la Défense nationale.  Il se montra, au début, en parfaire communauté d'idées avec ses collègues, et déclara même, à la suite d'un article du général Cluseret, qu'il restait désormais étranger à la feuille qu'il avait fondée. Il résista aux instances de Flourens qui le pressait de donner sa démission de membre du gouvernement, eut avec M. Félix Pyat, rédacteur en chef du Combat, à propos de la capitulation de Bazaine, un débat personnel des plus vifs, et se retira, après la tentative insurrectionnelle du 3I octobre, où il n'avait joué, d'ailleurs, qu'un rôle très secondaire. Il resta président de la commission des barricades, dont la direction lui avait été confiée le I9 septembre. Puis, le Ier février I87I, il fonda, en vue des élections prochaines pour l'Assemblée nationale, un nouveau journal radical que Louis Blanc lui conseilla d'appeler le Mot d'Ordre. (...) "; sur le Web] etc., etc., cela nous parut d'un comique achevéccxiv. Dans l'armée on ne prenait pas cela au sérieux, on savait qu'il y avait des hommes politiques beaucoup plus influents que ceux qui maintenant étaient à la tête du gouvernement; nous pensions que c'était une mystification, comme les journaux prussiens s'en permettaient souvent. Pourtant cette fois, il nous fallut reconnaître qu'ils étaient bien renseignés.  

CRÉMEUX Adolphe, par Nadar, I856.

GLAIS-BIZOIN Alexandre © Assemblée nationale

DE ROCHEFORT-LUÇAY Henri. © Assemblée nationale


  Le général Changarnier montra une agitation extrême; chez le prince Murat, il se fit le champion de l' empire et le soutien du malheur, bien qu'il en voulût à l' Empereur de ne pas l'avoir élevé au maréchalat. Il qualifiait d' " acte infâmant " cette révolution, se demandant s'ils étaient bien Français ceux qui profitaient d'un tel malheur. " C'était humiliant pour la France et pour l'armée. "
  Il excitait Bazaine, qui, selon son habitude, ne répondait rien et paraissait insensible; cependant il représenta au général Changarnier, qu'il ne devait pas se livrer à de tels écarts de langage sans certitude; qu'il n'était pas avisé officiellement et qu'il attendait d'être renseigné par le Gouvernement, ce qui ne devait pas tarder. Ce dialogue a été reproduit par les journaux de Metz, qui ajoutaient malicieusement que la véritable cause de cette irritation était la perte du bâton de maréchal que le général Changarnier avait espéré en reprenant du serviceccxv. Bien entendu, je laisse au journal de Metz en question la responsabilité entière de cette opinion.
  On comprend l'état d'esprit des officiers dans cette situation. Les maîtres de l'heure étaient odieux, quand dans leurs feuilles, soigneusement reproduites par les Prussiens, ils flattaient le maréchal, en le traitant toujours de " glorieux Bazaine ". Était-ce sérieux, ou raillerie ? Ce titre, où l'avait-il mérité ? Était-ce le renversement du sens commun ?
 
7 septembre.
 
  La promenade des chevaux a lieu chaque jour, comme si nous étions dans un camp d'instruction, en dehors des manœuvres; voilà notre occupation devant l'ennemi !
  Les Allemands doivent se réjouir doublement, à cause de leur grande victoire et de notre inaction. Singulière position pour une armée ! Rester là dans des bivouacs quand elle sent que ses frères d'armes passent si près d'elle pour se rendre en captivité ! N'est-on pas autorisé à croire qu'il y a entente entre l'ennemi et notre chef ? Comment expliquer autrement ce qui se passe ?
  Nous sommes au repos depuis le Ier septembreccxvi sans autre occupation  que de consommer des rations, qui chaque jour vont diminuant. Les esprits fermentent, cela ne peut durer ainsi. De généreuses initiatives s'agitent; le mot de " révolution militaire " est prononcé pour la première fois. Celle-ci était possible et nécessaire dans l'intérêt de la France et de l'armée; il s'agissait d'obliger le maréchal à résigner son commandement, en invoquant le motif qu'il voudrait.
 
8 septembre.
 
  Dans la matinée de ce jour, le maréchal reçut encore par l'ennemiccxvii la confirmation de l'établissement du Gouvernement provisoire, ainsi que la liste complète de ceux qui gouvernaient la France. C'était une nouvelle preuve de ses relations avec l'état-major prussien; cette source inavouable fut promptement connue. Il ne fit part de cette communication que dans son entourage familier, attendant sans doute une notification officielle pour en donner connaissance à son armée.
  Ce n'est que le I6 septembre, qu'il se décidera à mettre cette nouvelle sensationnelle à l'ordre du jour, en affirmant qu'il n'avait reçu aucune nouvelle du Gouvernement provisoire, ce qui parut bien surprenant.
  Les personnes ayant accès près du général en chef ont remarqué que, loin d'être abattu, il avait la physionomie satisfaite. Peut-être croyait-il pouvoir atteindre plus aisément les hautes destinées qu'il rêvait, sans souci de l'abandon de ses devoirs envers son armée et la patrie.
  L'état-major prussien était convaincu que le Gouvernement qui s'était emparé illégalement du pouvoir ne pouvait durer; que les partis étaient trop divisés; qu'il en résulterait des troubles qui paralyseraient les efforts et les bonnes volontés; que le maréchal serait, après un arrangement avec le roi de Prusse, appelé avec son armée pour rétablir l'ordre en France, et conclure la paix avec un gouvernement reconnu par la nation. Voilà ce que l'ennemi faisait miroiter aux yeux du général en chefccxviii
  Le maréchal, disait-on, était convaincu que les choses se passeraient ainsi : son étoile commençait à briller légèrement dans ce ciel obscur; il voyait ses conceptions en voie de réalisation. Il pressentait que les partis seraient obligés de compter avec la seule armée qui restait à la France et dont il était le maître.
  Pendant ce temps notre adversaire se fortifiait chaque jour, en réquisitionnant tous les habitants valides; il mettait en position des pièces de siège, tandis que notre chef laissait faire, en suivant le projet qui avait germé dans son cerveau.
 

XXII

 

INACTION ET ENCORE INACTION

 
9 septembre.
 
  Nous restons toujours dans le même engourdissementccxviv.
 
" Les officiers du 7e régiment de dragons au siège de Metz; cette photographie est prise au bivouac de Montigny, en septembre ou octobre I870. (...) Les uniformes de campagne sont usés, beaucoup d'officiers portent la barbe et leurs chevaux sont progressivement abattus pour nourrir les hommes. Dans quelques semaines, ces soldats connaîtront la captivité dans les forteresses allemandes, mais ils auront souhaité tenter l'impossible. En effet, le jour de la capitulation, le I8 octobre I870, tous les officiers du régiment vinrent demander au colonel de Gressot [Xavier Marie Thérèse Eugène, I823-I896] assis au centre, de se mettre à leur tête pour essayer de traverser les lignes ennemies, dussent-ils y rester tous... ". Sur le Web.


" (...) Le Ier septembre 1870, dans la ville encerclée, le pharmacien en chef Julien-François Jeannel échange avec le docteur Papillon, médecin aide-major à l’ambulance de la garde. Au cours de cette discussion, le docteur Papillon s’étonne que les aérostats ne soient pas utilisés pour faire parvenir des dépêches codées. Le 2 septembre 1870, Jeannel il en fait la suggestion au général Jarras, chef d’état-major de l’armée de Rhin. L’idée séduit Jarras. Il accorde 1 000 francs afin de réaliser cette expérience. Jeannel établit son atelier de construction de ballons aérostatiques dans un des greniers de l’hôpital militaire. Le pharmacien est aidé du pharmacien principal Leprieur et de son personnel. Pour construire les ballons, Jeannel utilise un papier fin, léger, souple et très résistant : le papier calque, présent en quantité chez les papetiers de Metz afin de satisfaire les besoins de l’École d’application de l’Artillerie et du Génie. (...) ". Sur le Web.

   
   À suivre...
 
ccviii. Ce sentiment ne fera que croître. Voir colonel FIX, loc. cit., II, 60.
 
ccix. Cent quarante-six officiers et 3.407 soldats. LEHAUTCOURT, VII, I96.
 
ccx. D' après le général Jarras, c'est le 3 septembre que nous eûmes les premières nouvelles de la catastrophe de Sedan par un officier de l'état-major général, commandant Samuel, [Abraham Auguste Samuel, est l'un des deux fondateurs, avec Émile Louis Constant Campionnet, du Service de Renseignements à des fins militaires, au sein du Deuxième Bureau; il le dirigea de I87I à I873, remplacé par Campionnet : I873-I880; la mission originelle de cette section était de « renseigner le commandement français sur les troupes allemandes qui occupaient notre territoire », I870. Et, hormis Campionnet, qui était né à Montbrison, dans la Loire, tous ses membres étaient originaires de l' Est, Samuel était originaire de Sarrelouis, en Prusse, étaient germanophones et connaissaient le territoire de l'ennemi, ayant approché ses coutumes, ses populations; ce service de renseignements se fit connaître aux yeux du grand public lors... de l'affaire Dreyfus, où le scandale qui en résultât le discrédita fortement; sur le Web] envoyé en parlementaire pour un échange de prisonniers blessés. Lehautcourt porte cette date au 4. C'est le 5 que la nouvelle se confirme par suite de la rentrée à Metz de deux soldats évadés d'une colonne de prisonniers de guerre faits à Sedan. Le 7, par suite d'un échange de prisonniers, les Allemands nous remettent 750 hommes pris à Sedan et choisis dans les troupes d'infanterie appartenant aux différents corps d' armée, la maréchal Bazaine les fit repartir dans tous les régiments d'infanterie. Le I8, un lieutenant-colonel échangé donna des enseignements complets.
 
ccxi. Ce sont là des suppositions; on ne peut avancer nulle preuve à l'appui.
 
ccxii. Dès l'annonce de la capitulation de Sedan des bruits ont couru l'armée concernant des désordres graves à Paris. Elle apprend bientôt la révolution du 4 septembre. LEHAUTCOURT, loc. cit., VII, 233.
 
ccxiii. D'après le général Jarras l'armée se montra indifférente en matière politique. JARRAS, loc. cit., 2I2.
 
ccxiv. Il faut reconnaître, cette forme de gouvernement avait été de toutes jusqu'ici la moins sympathique à l'armée, qui ne pouvait oublier ni les attaques, ni la parcimonie des députés de la gauche à son égard, pas plus que les calomnies que déversaient chaque jour sur elle les journaux de cette nuance. D' ANDLAU, loc. cit., I95.
 
ccxv. Il était permis aux hommes qui avaient suivi sa carrière politique et militaire de croire qu'une part d'ambition sénile était venue se mêler au patriotisme qui le guidait. Colonel FIX, loc. cit., II, 50.
 
ccxvi. Le maréchal ne donna aucun ordre précis, se contentant de vagues indications qui lui permettront de se plaindre, ensuite de l'inertie des chefs de corps. Ver le I0 septembre il semble préparer un projet de sortie, mais ce projet s'il exista fut aussitôt abandonné. Voir LEHAUTCOURT, VII, 2I9-22I.
 
ccxvii. C'est là un de ces bruits si nombreux qui n'ont jamais été prouvés.
 
ccxviii. " un journal allemand, publié à Reims, fut trouvé sur un prisonnier. Il fut montré au maréchal puis apporté à l'état-major. C'était le soir; assis devant la table, je le parcourais, lorsque j'arrivai à un passage dont le sens général d'après mes souvenirs était celui-ci : " La dynastie qui régnait sur la France a été chassée; les armées françaises sont détruites, il ne reste plus que celle de Metz à la tête de laquelle se trouve le maréchal Bazaine. Il ne reste donc plus que ce chef d'armée qui soit capable de traiter avec l' Allemagne et de rétablir la paix. " c'est un piège qu'on tend au maréchal, m'écriai-je, c'est une sorte d'invite à devenir l' arbitre de la France avec l'appui de l' Allemagne. " Colonel FIX, loc. cit., II, 56-57.
 
ccxviv. C'est pourtant ce jour-là que l'ennemi fit sur Metz une tentative de bombardement, tentative aussi brève qu’infructueuse. " Le soir à7 heures, I9 batteries allemandes ouvrent un feu vif au sud, à l'ouest et au nord de Metz. Au bout d'une heure elles doivent l'arrêter, une pluie torrentielle et l'obscurité impénétrable empêchant toute observation. Le résultat est complètement nul; les troupes ne sont aucunement atteintes dans leur moral par un tir à peu près sans effet. LEHAUTCOURT, loc. cit., VII, 229.          
 
 COMMANDANT FARINET, L'Agonie d'une Armée, Metz-I870, Journal de guerre d'un porte-étendard de l'Armée du Rhin, ancienne librairie Furne, Boivin & Cie, Éditeurs, I9I4, p. 233-246.
 
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