Allemagne, énergie : Deutschland über alles, über alles in der Welt*

   " Le monde est plein de faux amis, de fourbes et d'hypocrites au masque gracieux "
Henri-Frédéric Amiel, 1821-1881

  Il en va de même en politique...

* " L'Allemagne au-dessus de tout, par-dessus tout dans le monde. "
  Extrait du premier couplet de l' hymne national allemand. 

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L’Allemagne, ce traître énergétique

Loïk Le Floch-Prigent
2002 04 05

  L’aversion pour l’énergie nucléaire a conduit l’Allemagne et l’Union européenne à une dépendance déraisonnable vis-à-vis de l’énergie russe.
  En octobre dernier, dans une tribune dans ce même média, nous avions mis en garde contre les conséquences pour l’UE de suivre la doctrine allemande en matière de politique énergétique. Après les élections du 26 septembre, le gouvernement d’outre-Rhin, avec le parti écologique, s’est obstinément engagé dans l’ EnergieWende. Wende signifie « retournement de situation », que nous, francophones, avons traduit par « transition ».
  Leur politique consiste à promouvoir « quoiqu’il en coûte » l’énergie éolienne et solaire, dans l’un des pays les moins ensoleillés de l’UE, à mettre fin à la production locale de lignite, le combustible fossile le moins cher du monde, et, surtout, à fermer ses centrales nucléaires en parfait état de marche, qui pourraient encore fonctionner pendant une vingtaine d’années.
  Qu’ils veuillent être extrémistes, cela les regarde. Le problème est que, compte tenu de sa puissance économique et donc politique, l’Allemagne a imposé sa doctrine à l’ensemble de l’UE qui l’a
transposé en un Pacte vert.

L’Allemagne a conduit la dérive verte

  C’est Angela Merkel qui, en 2005, a demandé avec diplomatie que la Commission européenne propose une « feuille de route » pour imposer « quoi qu’il en coûte » l’énergie éolienne et solaire. Bien sûr, de jure, il n’était pas question de mentionner ces deux énergies, mais de facto, étant donné l’opposition farouche des ONG environnementales à toute autre forme d’énergie renouvelable, seules les énergies intermittentes et variables sont tolérées.
  La Commission Barroso a obéi et publié cette feuille de route en 2007, grâce à la présidence tournante de la France au cours du second semestre de 2008, Nicolas Sarkozy s’est affairé, peut-être pour faire plaisir à la chancelière, à faire passer en un temps record l’obligation de produire une énergie chère et rare que les citoyens européens devront payer.
  Dans la série des arroseurs arrosés, le pays qui voulait abandonner les énergies fossiles et le nucléaire s’est retrouvé à la merci du gaz russe au-delà de toute raison. Pas du gaz, car cela aurait encore pu être géré, par exemple en permettant l’exploitation du gaz de schiste présent en Europe de l’Ouest ! Non, dépendant du gaz de Moscou ! En fait, l’Allemagne a tout faux en matière d’énergie et en paiera lourdement les conséquences l’hiver prochain. L’erreur fondamentale de la doctrine verte, dont le but ultime est d’interdire l’énergie nucléaire, est de ne penser qu’à la production d’électricité dite verte et donc d’interdire l’énergie nucléaire.
  Mais la demande d’électricité ne représente en moyenne dans l’UE que 23 % de la demande d’énergie finale. La principale énergie finale en volume est la chaleur, de sorte que 70 % du gaz naturel utilisé sert à la production de chaleur. Comment les Allemands vont-ils chauffer leurs maisons et comment leurs usines — grandes et petites — vont-elles produire la chaleur dont tous les
processus industriels ont besoin ?

La dépendance énergétique de l’Allemagne et de l’UE

  Cette aversion pour l’énergie nucléaire a conduit à une dépendance déraisonnable vis-à-vis de l’énergie russe. En 2019, l’Allemagne a importé 84 milliards de mètres cubes, dont 51 milliards de m³ en provenance de Russie. Le gazoduc Nord Stream 1, qui contourne l’Ukraine, le Belarus et la Pologne en traversant la mer Baltique et qui est en service depuis 2011, peut transporter 55 Gm³ et le nouveau Nord Stream 2 autant.
  Heureusement, pour l’UE, la dépendance à l’égard de l’énergie russe est moins prononcée, mais l’UE et la Russie sont néanmoins bel et bien liées. Le gaz russe représente 45 % des importations des États membres de l’UE. Ses importations sont de l’ordre de 150 à 170 milliards de m³ par an, en fonction de la rigueur des hivers.
  Le pétrole et les produits pétroliers russes représentent 33 % de nos importations, le charbon 26 % et l’uranium 20 %. L’importation de gazole russe ne doit pas être sous-estimée, car les difficultés administratives et les contraintes environnementales excessives de l’UE ont mis à mal l’industrie du
raffinage du pétrole en Europe, et en France en particulier.

Des erreurs à répétition
  Mais la situation la plus étrange pour une économie aussi importante est qu’elle n’a pas construit un seul terminal gazier pour recevoir les méthaniers transportant du gaz naturel liquéfié (GNL) permettant de s’approvisionner sur le marché mondial, alors que la doctrine évidente pour disposer d’une énergie abondante et bon marché est de diversifier les sources. Les écologistes se sont opposés avec succès aux différents projets présentés, exigeant du courage dans la mise en œuvre de l’EnergieWende.
  Pour eux, un tel terminal aurait signifié la perpétuation de l’importation d’énergie fossile : deux gazoducs oui, des terminaux gaziers non, surprenant raisonnement. Presque tous les États membres maritimes de l’UE possèdent un ou plusieurs terminaux GNL. La France compte 3 ports d’importation de GNL, l’Italie également 3 et l’Espagne 7. Comment pouvons-nous accepter des leçons de vertu énergétique de la part d’aussi piètres stratèges ?
  Bien que le territoire allemand soit saturé d’éoliennes et de panneaux solaires, l’Allemagne a dû admettre que sa foi dans les énergies intermittentes et variables avait ses limites. Quelle solution a-t-elle trouvée ? Développer la stratégie de l’hydrogène alors que cette molécule ne peut être produite qu’à partir d’énergie et que la thermodynamique enseigne qu’industriellement elle doit être produite à partir d’énergie fossile et non par électrolyse de l’eau, l’Allemagne s’est donc préparée à importer de l’hydrogène de… Russie grâce à ses gazoducs Nord Stream.
  Le Parlement européen s’est empressé d’accepter cette aberration environnementale, économique et géopolitique. On croit rêver ! S’il n’y avait eu cette guerre elle allait nous enfoncer à sa suite dans l’utopie hydrogène. Notons que sans rire la Commission européenne prétend, REPowerEU, que
l’UE « peut atteindre l’indépendance vis-à-vis du gaz russe bien avant la fin de la décennie ».

Comment ? Avec son utopique stratégie hydrogène ?
  Ne perdons pas de vue que la première économie d’Europe ne possède pas de grande compagnie pétrolière contrairement à la plupart des grands États membres : Pays-Bas, Shell ; Royaume-Uni, Shell et BP ; France, TotalEnergies ; Espagne, Repsol ; Italie, ENI, etc. L’Allemagne n’a rien de tout cela ! Pourquoi ?
  Parce que les actifs pétroliers du Second Reich ont été confisqués comme dommages de guerre à la suite du traité de Versailles en 1919. L’Allemagne ne s’est jamais remise dans la course au pétrole qui, quoi qu’on en dise, reste résolument la première source d’énergie primaire dans le monde et aussi dans l’UE, comme le montre si clairement et douloureusement la crise actuelle. C’est ce qui explique sa volonté d’imposer aux autres les énergies renouvelables qu’elle pensait dominer, mais les Chinois l’ont précédée. Oui, l’Allemagne a pensé à elle avant tout.
  Mais le donneur de leçons devra repenser son plan. Les promesses de Joe Biden de livrer davantage de gaz de schiste, que les Allemands ont vilipendé en prenant la tête de la cabale européenne pour en interdire la prospection, la livraison supplémentaire de 1 à 1,4 milliard de mètres cubes de gaz de Norvège, 1 % des ventes de la Russie, ne permettront pas d’éviter d’importer du gaz russe. L’Allemagne devra payer son inévitable gaz russe en roubles, comme l’exige désormais Vladimir Poutine, même si Moscou qui ne peut l’exiger contractuellement dit que l’application ne sera pas immédiate.

La traîtrise allemande
  L’écologiste Robert Habeck, vice-chancelier et ministre de l’Économie et du Climat, s’est rendu au Qatar le 20 mars afin de négocier un contrat à long terme pour la livraison de GNL à l’Allemagne. Des photos montrant l’écologiste s’inclinant respectueusement devant le cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani ont montré aux Allemands la traitrise. En effet, on n’est plus dans l’ EnergieWende, mais dans l’ ÉnergieVerrat : une traitrise.
  Dans sa quête de maîtrise de l’énergie, elle n’a pas attendu que l’UE se mobilise pour tenter de trouver une solution, elle s’est empressée de faire cavalier seul. Comme on l’a déjà écrit, en matière d’énergie, sachant que tout découle de l’énergie — absolument tout — l’Allemagne n’a qu’un seul objectif, être le leader incontesté ou entraîner les autres dans sa chute. En géopolitique, et en géopolitique énergétique en particulier, il n’y a pas de morale. C’est chacun pour soi.
  L’Allemagne nous a entraînés dans le chaos énergétique : une énergie électrique chère et incertaine. Elle a imposé son «Pacte vert » à l’UE, ce qui nous a amenés là où nous sommes maintenant, un désastre économique pour l’industrie européenne et une souffrance pour toute la population. Dans l’article mentionné au début, nous avons écrit que l’Allemagne nous mène vers une EnergieKatastrophe. Nous y sommes.

Comment pouvons-nous en sortir ?

  D’abord en acceptant la réalité : la multiplication des investissements dans les énergies intermittentes est le problème, pas la solution. Il faut donc arrêter tous les programmes qui vont nous rendre encore plus dépendants du gaz russe.
  Ensuite, il faut conserver partout la possibilité de prolonger la vie des centrales nucléaires, y compris, bien évidemment en Allemagne car ce serait la manifestation de la prise de conscience collective de l’impasse du « Pacte Vert ». De nouvelles installations nucléaires devront être décidées partout, les Belges comme les Italiens s’y préparent.
  Enfin il faut revenir sur le concept fondamental d’indépendance énergétique qui doit être à la base de la politique de tous les Etats et donc de l’Union européenne, ce qui n’est pas incompatible avec la nécessité de limiter les gaspillages en augmentant les rendements partout où on peut le rendre possible.
  Un marché mondialisé aux provenances multiples comme celui du pétrole et du gaz naturel liquéfié, comme celui de l’uranium est un gage d’indépendance pour les pays consommateurs, les monopoles ou quasi-monopoles qui ont été recherchés ou acceptés sont inacceptables.
  Les orientations des instances allemandes et européennes vers des solutions uniques, les éoliennes, le gaz russe, le véhicule électrique, les panneaux solaires et les batteries électriques chinois… nous annoncent des catastrophes en cascade. Nous en vivons une qui pénalise tous les citoyens européens, évitons au moins de leur faire connaitre les suivantes !

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