Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XXVI

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Un de ces hommes vit passer une femme à qui il a tenu les propos les plus sales, a défait sa culotte, et l'a poursuivie ; enfin il est impossible de dire quel en a été le résultat ; cette femme s'est enfuie à toutes jambes. Beaucoup de ces scélérats s'adressent à des enfants qu'ils cherchent à corrompre. Il serait très à propos de faire surveiller ces endroits qui fourmillent de gueux.

Rapport de Rolin, W 112
  Cinq voitures chargées de beurre et d' œufs furent arrêtées hier au marché. Aussitôt une multitude de citoyennes se firent, dit-on, délivrer le beurre à raison de 22 sols la livre, et les œufs à 24 sols le quarteron. On assure que les conducteurs de ces voitures étaient désolés, qu'ils venaient pour fournir le marché munis de très bons passeports, et qu'ils virent avec douleur qu'au bout d'un quart d'heure il n'existait pas la trace d'un seul œuf, sans qu'on sache ce que toute leur marchandise était devenue.
  Au corps de garde du marché de la place Maubert, on a pareillement saisi le beurre d'une marchande qui, toute l'année, dit-on, fournit ce marché, et ce parce qu'une citoyenne lui en ayant demandé il y a quelques jours, cette femme ayant tout vendu, ne put la satisfaire ; alors cette citoyenne la menaça, et la fit piller hier par une troupe de femmes. On murmurait à haute voix contre ces vexations, disant que c'était le moyen de n'avoir jamais de ces denrées à Paris puisque la police y était si mal observée, etc.
  On s'est beaucoup occupé de ces pillages : car c'est ainsi qu'on traitait ces sortes de saisies. Des citoyens prétendaient que les commissaires de police sur l'arrondissement desquels ces choses se passaient étaient coupables, puisqu'ils devaient veiller à la tranquillité publique ; d'autres assuraient que beaucoup de femmes étaient payées pour exciter ainsi des trouble et parvenir à la guerre civile.
  On assure que le citoyen Ferrières496, ci-devant trésorier de la Société des Jacobins, a pour ennemi juré le citoyen Desfieux497 [1755-1794, négociant en vins ; "... Non seulement ces documents établissaient la duplicité des souverains déchus mais ils étaient de nature à éclairer la complicité d’un certain nombre de personnages appartenant aux clubs, affichant une couleur ultra révolutionnaire, mais s’étant laissés soudoyer comme dans le cas du marchand de vin et clubiste en vue François Desfieux... " ; source  ; "... Décrété d'arrestation dans la nuit du 3 frimaire an II, 23 novembre 1793, Desfieux passa trois mois en prison avant de comparaître devant le Tribunal révolutionnaire avec Jacques René Hébert, Jean-Baptiste Cloots et d'autres personnages soupçonnés d'entretenir des liens avec des « agents de l'étranger ». Il fut condamné à mort et guillotiné avec Jacques-René Hébert et un certain nombre d'individus, d'horizons divers, le 4 germinal an II : 24 mars 1794... " ; source] et compagnie, qui depuis longtemps a cherché, dit-on, à le supplanter dans la place de trésorier.
  On disait hier au café ci-devant Chartres, Palais Égalité, qu'on devrait bien éplucher la conduite du citoyen Momoro, président de la section de Marat. Un citoyen a osé dire qu'il le soupçonnait avoir bu et mangé avec une des filles d'une ci-devant marquise, la marquise restant à Ivry, près Paris, et sa fille à Paris, quoique son mari et autres parents étaient émigrés, d'avoir protégé cette famille, qui, dans le fond, le méprisait, car il assurait que la vieille marquise, ci-devant, disait, parlant de lui, qu'il mangeait comme un cochon, prenant la viande dans le plat avec ses mains, et mordant à même. De plus, il ajouta qu'il avait tout lieu de croire qu'il avait fait un peu le commerce des certificats de résidence, et favorisé moyennant de l'argent, certains émigrés, qu'il avait fait rayer de dessus la liste au Département : on parut le croire.

4 Ventôse an II498, 22 février 1794


Rapport de Bacon, W 112
  L'assemblée populaire de la section de l' Homme-Armé [n°30 ; intitulée en premier " section des Enfants-Rouges ", elle prit le nom de " section du Marais ", septembre 1792, pour adopter son nom définitif, " section de l’Homme-Armé, en juin 1793 ; son secteur se limitait autour de l' hôtel de Soubise https://paris-capitale-historique.fr/visite/hotel-soubise/, 3 arrondissement de Paris ; les assemblées se déroulaient en la chapelle de l'hospice des Enfants-Rouges, dont survivent des vestiges dans la cour du 90 rue des Archives ; elle devient, par arrêté préfectoral, 1811, le quartier du Mont-de-Piété, 7e arrondissement de Paris] était extrêmement nombreuse, et il y avait beaucoup de femmes. On a lu différents arrêtés du Comité de salut public relatif aux charpentiers499. Demain, à l’assemblée générale, le comité civil sera tenu de donner les noms de ceux qui peuvent remplir de suite les vues du Comité de la Convention. On a aussi annoncé, je veux dire le président a annoncé qu'il venait de recevoir un imprimé de l'officier municipal Talbot500, relatif à sa justification ; la société a passé à l'ordre du jour.  


L'hôtel de Soubise fait partie de l’ensemble architectural occupé par le Centre historique des Archives nationales qui conserve le plus grand fonds d’archives judiciaires au monde mais aussi les archives présidentielles, le trésor des Chartes, l’armoire de fer… Source

  Demain, une députation de quatre membres se présentera aux Jacobins pour lui annoncer que les deux cavaliers fournis par la société populaire501 n'ont pas voulu quitter Paris sans prendre congé de la Société mère. Un de ces cavaliers est boucher de son état ; l'autre est cuisinier. Un citoyen a dit qu'il fallait annoncer aux Jacobins que le premier allait à l'armée pour tuer les tyrans, et l'autre pour les mettre en fricassée : applaudissements unanimes qui ont duré au moins deux minutes. On s'est occupé aussi des certificats de civisme. Un homme, ancien militaire, âgé de 85 ans, a demandé que la société lui servit de parrain, pour en avoir un. Comme il n’était pas connu, on proposait de passer à l'ordre du jour ; d'autres s'y opposaient, sur ce que la Convention avait décrété qu'il fallait avoir des égards pour la vieillesse502. Un membre alors s'est écrié : " La vieillesse qui n'a rien fait pour la patrie vous touche, et on cherche à avoir votre pitié. Que peu (sic) nous importe que de tels hommes vivent? Dès qu'ils n'ont rien fait pour la République, ils peuvent avoir le même sort des saints. Si vous perdez un seul instant le mouvement révolutionnaire, adieu les patriotes! leur fin est prochaine. Je demande donc qu'on passe à l'ordre du jour. " Vifs applaudissements ; l'ordre du jour a été adopté. D'après ce que je viens de dire, on peut juger de l'esprit public qui règne chez les citoyens de la société populaire du Marais.
  La société populaire de la section des Droits-de-l' Homme était très nombreuse. On a lu le discours de Robespierre503, je veux dire son rapport fait au nom du Comité de salut public. Le lecteur a occupé la tribune pendant une heure et demie pour lire ce rapport, vu qu'à chaque alinéa il était applaudi. On s'est occupé des moyens à prendre pour accorder de la viande aux gens malades, sans qu'aucun citoyen ne pût crier. On a lu différents mémoires sur la culture des terres. L'esprit public révolutionnaire. J'oubliais de dire qu'il y a eu beaucoup de bruit, parce qu'un membre avait dénoncé la section de l' Indivisibilité [n°33 ; au premier nom de " section de la Place-Royale ", jusqu'en août 1792, puis, suivit celui de  " section des Fédérés ", pour finalement adoptée celui de " section de l' Indivisibilité ", juillet 1793 ; son secteur était le Marais et la place des Vosges ; les assemblées populaires se déroulaient en la chapelle du couvent des Minimes : 12 rue des Minimes ; quelques vestiges demeurent visibles aujourd'hui ; en 1811, par arrêté préfectoral, elle devint le quartier du Marais, 8e arrondissement de Paris] comme chancelante dans les principes révolutionnaires.



Vestige du couvent des Minimes : l’un des deux pavillons d’origine. Source

   L'assemblée populaire de la section de l' Arsenal était peu nombreuse. On s'est occupé longtemps des certificats de civisme, et des moyens qu'il fallait prendre pour planter des pommes de terre et des légumes dans les endroits non cultivés qui sont aux environs de l' Arsenal. Roland504, inspecteur des travaux à l' Arsenal, a présenté des idées qui m'ont parues vastes et patriotiques ; il a traité cette matière au mieux. Demain l'assemblée générale s'en occupera. L'esprit public m'a paru bon.
  Rue Franciade, près de la porte Denis, une fruitière chez laquelle on a trouvé quelques livres de beurre et des œufs a occasionné un rassemblement de femmes qui ont été sur le point de l' étrangler, sous prétexte qu'elle était une accapareuse. On a brisé à cette femme différents objets, et, sans quelques bons citoyens, elle eût fini par être la victime de quelques scélérates.
  À la Halle, vers les neuf heures et demie du matin, trois citoyens préposés pour maintenir le bon ordre ont été insultés par des poissardes [marchande de la halle, au langage grossier ; Larousse], sous prétexte qu'une telle avait deux livres de beurre, pendant qu'elle n'aurait dû en avoir qu'un quarteron. Les femmes se sont battues ; les bonnets de quelques unes ont été jetés dans la rue ; et cependant deux ont été conduites au corps de garde.
  Un membre du comité révolutionnaire de la section des Droits-de-l'Homme a proclamé, avec un tambour, que dorénavant on n'aurait plus de bœuf qu'avec des cartes pour les gens malades, etc. Les femmes et des hommes en tablier on dit tout haut, la proclamation faite : " À présent, il faudra donc faire du bouillon avec de la viande de chien, mais qui s'en foutaient par la gueule secrètement. "
  La section de l' Indivisibilité a envoyé des députations ce soir aux sociétés populaires pour leur annoncer qu'il y avait à l'hôtel de la Force [" Le bâtiment qui abritera, plus tard, la maison d’arrêt de la Force est construit en 1533 sur les ruines d’un ancien palais du 4e arrondissement dont le propriétaire était le frère du roi Saint Louis [...] l’hôtel particulier est racheté en 1780 par Louis XVI qui transforme les deux parties de l’hôtel en maison de détention. Elle sera divisée en deux parties : la prison de la Grande Force pour les hommes – des débiteurs insolvables, des gens du spectacle ou des jeunes emprisonnés à la demande de leur famille principalement – et celle de la Petite Force réservée aux femmes, pour la plupart prostituées. [...] en 1792, elle devient un lieu de détention politique pour les pillards – majoritairement des femmes – et les opposants au nouveau gouvernement. [...] La Force devient donc la prison emblématique des journées sanglantes de la Révolution et entre même dans le langage courant : « la Force » sert aujourd’hui à désigner une maison d‘arrêt ! [...] Démolie en 1845, ... " ; source] des souterrains par lesquels on faisait passer des bœufs, des veaux, des moutons vivants. On fera part de ces grands abus à la Convention.
  On a annoncé dans différents endroits où se rend le petit peuple pour boire, que plusieurs bouchers avaient vendu du cheval pour de la viande.

Rapport de Beraud505, W 112

  L'or et l'argent se vendent secrètement, disaient quelques citoyens ; cela est si vrai que depuis quelque temps les boutiques des bijoutiers sont plus parées de bijoux qu'elles ne l'étaient jadis ; ce qui le prouve encore, c'est que ces mêmes bijoutiers, ainsi que les orfèvres, cherchent partout des ouvriers à quelque prix que ce soit.
  Dans un groupe près la Convention, on s'entretenait des Comités de salut public et de sûreté générale. Ces deux Comités, disait-on, veulent donner leur démission, une partie de la Convention les refuse, et une autre les accepte. " Savez-vous d'où cela vient? a dit un particulier. C'est que l'un et l'autre sont fort embarrassés ; celui de salut public est contrarié dans ses opinions, dans ses opérations, et celui de sûreté générale ne sait plus comment s'y prendre pour faire sortir de prison les incarcérés innocemment, parce que les comités révolutionnaires lui font la loi. — Vous avez raison, a répliqué un autre citoyen ; chaque comité forme une secte, un aréopage ; l'un veut une chose, celui-ci en veut une autre ; et ce sont autant de petits royaumes qui finiront par ne plus écouter que les lois qu'ils feront, car ils sautent souvent à pieds joints sur celles émanées de la Convention. " On a voulu arrêter ce dernier, mais il a pris la fuite.
  Passant près de la porte Saint-Denis, il y a trois ou quatre jours, sur les onze heures du soir, une patrouille, disait un citoyen dans un groupe, cria à un particulier : " Arrête! Voyons ta carte! — Je suis fonctionnaire public, répondit à trois fois différentes le particulier — Voyons toujours ta carte, répondit le commandant de la patrouille ; si tu es fonctionnaire public, tu dois le premier obéir à la loi. " Ce particulier était Dufourny, qui, aux mots de force armée qu'on venait de prononcer, dit en s'en allant, mais entre les dents : " Belle armée! "
  Il est du devoir de l'observateur de dire quel est l'esprit, l'opinion du peuple sur les arrestations. Tant qu'elles ont eu pour but de renfermer l'homme suspect, le riche égoïste, il a applaudi ; mais, actuellement que le commerçant qui faisait vivre beaucoup d'ouvriers, que le père de famille sont victimes de la mauvaise humeur, de la haine, et du patriotisme factice, ce peuple, qui sent qu'on cherche à le priver de ceux là mêmes qui le faisait exister, commence à se réveiller, et murmure hautement contre les infractions aux sentiments et aux lois républicaines. " Qu'est donc devenue cette commission qui devait si bien faire sortir des prisons les détenus innocemment506? a dit un citoyen. — Ne vois-tu pas, a répondu un autre, que rien n'est plus faux ; que c'est pour nous apaiser, nous tromper qu'on fait semblant d'en nommer une ; si elle existait, on verrait quels sont ceux qui sont sortis des prisons ; mais au contraire depuis ce jour-là on arrête par jour cent, cent cinquante, et même deux cents individus. — Pauvre peuple, a répliqué un troisième ; pour t'abuser te vexer on a toujours l'air d'employer la douceur, mais c'est pour mieux te déchirer ; on veut la guerre civile, nous l'aurons, car plus de viande, plus de légumes, plus de marchands, plus de gens riches pour faire travailler ou nourrir le pauvre. "

Rapport de Charmont, W 112
  L'arrêté de la Commune507 concernant le marché de Poissy, et du (sic) peu de marchandises qu'il y a eu a contri[sté] [contrister : rendre quelqu'un profondément triste, l'affliger ; Larousse] l'âme des citoyens. Les uns, par haine pour la Révolution et les autres par la peur de manquer de viande. " Tout conspire contre nous, disait-elle ; la méchanceté des hommes est montée à un degré terrible et effrayant. La cupidité et les trésors, voilà encore leurs dieux. On a vu aujourd'hui des commissaires de police faire jeter à la rivière des volailles pourries en quantité ; on a vu des hommes les aller les repêcher, et venir pour les revendre sur le marché, et le commissaire être obligé de sévir contre ces individus. Les boutiques de bouchers ont été, dans plusieurs endroits fracassées, et plus de la moitié des citoyens ont été obligés de s'en (sic) passer. On ne peut avoir ni beurre, ni œufs. Ce soir, on fut obligé de faire aller la garde chez plusieurs chandeliers, attendu la foule, et on assure qu'avant qu'il soit quinze jours nous en manquerons totalement. " Enfin tous les citoyens se plaignaient très amèrement ; on parle d'un mouvement qui ne tardera pas à se manifester sur la pénurie des objets de première nécessité ; on en parle hautement comme d'une chose très sûre.
  On assure que les tripots recommencent de plus belle, au Palais Égalité508, que les mœurs sont foulées aux pieds, et que, si on n'y fait pas attention, qu'avant qu'il soit peu on reverra le vice en tout genre renaître comme par le passé.
  Si les femmes parlent de viande, les hommes au contraire, parlent de faire salpêtre. Partout on voit la terre remuée, les lessives se faire et les chaudières bouillir. Déjà on ne veut écouter, dit-on, le bavardage scientifique de Fourcroy509 ; la théorie n'est plus rien pour les Parisiens, la pratique seule leur convient. Partout on vient pour voir la construction d'un fourneau économique dirigé par le citoyen Pageau510, directeur général des ateliers qui sont dans l'étendue de la section Charlier ; on est étonné du peu de bois que ce fourneau consomme, et combien la chaleur y est conséquente. Sous, peu, la Convention recevra le fruit de ses études.
  La Commune s'obstine toujours à ne pas reconnaître le nouveau nom de Charlier511 que s'est donné la section ci-devant Beaurepaire ; elle renvoie toujours les certificats et autres papiers que l'on porte à la Commune, de manière que depuis un mois les affaires de la section sont entravées au point que beaucoup de citoyens ne peuvent pas toucher ce qui leur est dû, et tout le reste de même. Mais la section persiste toujours à garder son nom malgré bon gré.
  Lorsqu'on parle de guerre, on demande la descente en Angleterre512 et l'évacuation de Valenciennes513 et autres. Nous avons parmi ces grands politiques des citoyens qui prétendent que nous aurons bien du mal dans la campagne où nous allons entrer, et que la Convention sera obligée d'ordonner de faire lever la seconde réquisition514, et qu'il faudra quadrupler les travaux des armes à feu ; que sans cela nous courrons risque de ne pas terminer la guerre cette campagne. C'est ce que disait un citoyen au Café militaire. On répondit que pour cela il faudrait mettre bien des petites passions de côté, et cependant c'est ce que l'on fait nullement.

Rapport de Dugas, W 112
  Dès neuf heures du matin, il se faisait, dans plusieurs quartiers, des rassemblements de femmes à la porte des marchandes de beurre. À l'entrée de la rue Poissonnière, du côté de celle du Petit-Carreau, la force armée a été obligée d' y accourir pour arrêter le désordre. On a pris le parti de donner une demie livre de beurre à chaque personne, et, pour qu'il n'y eût pas de confusion, on faisait entrer les femmes par la porte, et elles sortaient par une fenêtre peu élevée sur la rue.
  On a assuré que le beurre avait été pillé chez quelques marchandes.
  Des bateliers ont trouvé cinq dindons dans la rivière. Quelques personnes ont prétendu qu'ils y avaient été jetés par des marchandes qui les avaient laissés gâter pour avoir voulu les vendre trop chers ; d'autres ont cru que c'était le crime des malveillants.
  On est si pénétré de la nécessité de battre bientôt Cobourg [Friedrich-Josias, prince de Saxe-Cobourg-Saalfeld, 1737-1815 ; Maréchal autrichien ; commandant en chef de l'armée autrichienne aux Pays-Bas, 1792, il battit Dumouriez à Neerwinden et envahit le nord de la France, mais fut vaincu à Fleurus par Jourdan : 1794 ; source Larousse] pour assurer la République des denrées pendant toute la campagne prochaine, qu'on ne s'entretient, dans les groupes et les cafés, que de l' Armée du Nord515. On l'a dit forte de 260.000 hommes, brûlant du désir de combattre et de vaincre. Les politiques qui veulent passer pour les mieux instruits prétendent qu'il ne se passera pas encore dix jours sans que les Autrichiens n'aient dansé la Carmagnole.


Portrait du Prince, portant l'uniforme militaire autrichien avec le ruban et l'étoile de l'Ordre de Marie-Thérèse d'Autriche. Source

   On a donné sur le théâtre du Lycée la première représentation d'une pièce de vaudeville, intitulée Les forges du Père Duchesne516. Son titre annonçait déjà qu'elle devait être patriotique ; aussi l'est-elle beaucoup. L'auteur du journal qui porte ce nom y est excessivement loué.
  Il paraît une caricature où l'on voit Pitt, un fouet à la main, faisant marcher tous les rois de l'Europe. Le pape est derrière lui, et il le fouette à son tour.
  Il est extrêmement urgent de pouvoir aux besoins du peuple, qui ne peut plus avoir de la viande, par des légumes secs et des plantes potagères ; on les vend à un prix si excessif qu'il ne peut plus en approcher. Un carême, si long qu'il soit, ne lui coûtera rien pourvu qu'il trouve en abondance et à un prix raisonnable ces objets de première nécessité. Mais la tranquillité publique serait certainement troublée si l'on ne prenait des mesures promptes et efficaces pour lui faciliter les moyens de sa subsistance.

Rapport de Latour-Lamontagne, W 112
  Le tableau de Paris commence à devenir effrayant ; on ne rencontre dans les marchés, dans les rues, qu'une foule immense de citoyens courant, se précipitant les uns sur les autres, poussant des cris, répandant des larmes, et offrant partout l'image du désespoir. On dirait, à voir tous ces mouvements, que Paris est déjà en proie aux horreurs de la famine. Mais ce qui est bien consolant pour le patriote, ce qui est bien honorable au peuple républicain, c'est de voir cette masse de citoyens, au milieu des vives inquiétudes qui l'agitent, soumise aux lois, et respectant les propriétés de ceux mêmes qu'il soupçonne le plus à chercher à l'affamer. L'histoire n'offre aucun exemple d'un peuple qui, dans des circonstances aussi pénibles, se soit conduit avec autant de modération. Sous l'ancien régime, il en eût fallu beaucoup moins pour faire pendre un prévôt des marchands, un lieutenant de police, etc. Aujourd'hui, au moindre mouvement, un simple citoyen parle au nom de la loi, et tout est tranquille. Ceci est le résultat d'une conversation tenue dans un groupe au Jardin national.

Rapport de Le Breton, W 112

  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 262-274.

496. Ferrières, Jacques-Annibal, âgé de 40 ans en l'an II, né à Lyon, célibataire, demeurant 8 rue des Bons-Enfants, section de la Halle-au-Blé, homme de loi avant la Révolution, et depuis négociant, trésorier de la Société des Jacobins. Arrêté le 26 pluviôse an II [14 février 1794] par ordre du Comité de sûreté générale, cf. ci-dessus, p. 100, et détenu au Luxembourg, il fut mis en liberté par ordre du Comité le 17 thermidor suivant [4 août] : Arch. nat., F7 4706 ; Aulard, La Soc. des Jacobins à la table.
497. Desfieux, François, est bien connu. Voir la notice biographique que lui a consacrée Tuetey dans son Répertoire, t. XI, p. XLV-XLIX.
498. C.A. Dauban a publié dans Paris en 1794 et en 1795, p. 77-82, les rapports de Bacon et de Latour-Lamontagne du 4 ventôse, et des extraits de ceux de Beraud, appelé : Bérard, Le Harivel, Perrière, et Rolin, même date.
499. Cf. ci-après, p. 289, note 2.
500. Cf. t. III, p. 359, note 1. — Peut-être s'agit-il ici de l'imprimé s. d. indiqué par Tourneux dans sa Bibliographie, t. IV, n°25. 422.
501. Cf. t. III, p. 68, note 2.
502. Allusion possible au titre II du grand décret du 28 juin 1793 [10 messidor an I], relatif à l'organisation des secours à accorder annuellement aux enfants, aux vieillards et aux indigents.
503. Cf. t. III, p. 352, note 2.
504. Pas de renseignements.
505. Le dernier paragraphe ci-après, " Il est du devoir ", etc., figure sur une feuille à part, non datée, signée de Beraud, et annexée au rapport du 4 ventôse.
506. Cf. t. II, p. 311, note 2.
507. Pas de renseignement sur cet arrêté.
508. Ex Palais-Royal.
509. Allusion — sans bienveillance — au rôle joué par lui dans le " cours révolutionnaire du salpêtre " : cf. ci-dessus, p. 228, note 2.
510. Pas de renseignements.
511. Primitivement : section des Thermes-de-Julien — Cf. ci-dessus, p. 18, note 1.
512. Cf. t. III, p. 57, note 2.
513. Cf. t. II, p. 5, note 3.
514. Cf. t. III, p. 143, note 2.
515. Cf. t. II, p. 200, note 3.
516. Le Moniteur du 4 ventôse annonce effectivement pour le soir la première représentation de cette pièce, au théâtre du Lycée des Arts : jardin de l'ex Palais-Royal.

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