Union européenne, énergie : le gaz, l'arme fatale du " dealer " russe pour les pays " accros "

  "... On peut dire que 2021 a vraiment été l’année du gaz, car nous avons connu une crise énergétique qui, pour la première fois dans l’histoire, n’a pas été due au pétrole mais au gaz. Que ce soit en Europe ou en Asie, les prix du gaz ont quadruplé en moyenne, la hausse étant encore plus spectaculaire par rapport aux minima enregistrés en mai 2020 — de 1,50 dollar le mbtu [million de British thermal units], au plus bas, à 40 dollars au plus haut, soit des augmentations spectaculaires sur l’année : +397 % en Europe et +280 % en Asie pour le GNL [gaz naturel liquéfié],... "
  Philippe Chalmin, historien et économiste, spécialiste des matières premières
 
 
 

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Peut-on découpler le marché de l’électricité du prix du gaz?

Dominique Finon
Directeur de recherche émérite au CNRS, chercheur associé à la chaire European Electricity Markets et au CIRED : Ponts ParisTech et CNRS
2022 04 04

  La guerre déclenchée par la Russie le 24 févier a eu pour effet un triplement du prix du gaz qui, lui-même, a entraîné un doublement du prix forward[1] de l’électricité à 200€/MWh, trois fois plus que le prix habituel. Comme tout le monde s’attend à un épisode très long de prix extrêmes de l’électricité, beaucoup souhaitent en venir à un découplage effectif entre le prix de marché du gaz et le prix horaire de l’électricité. En France où le coût moyen de production du mix se situe autour de 50 €/MWh avec un parc très majoritairement nucléaire et hydraulique et EnR, il est difficile d’admettre que les consommateurs soient exposés à ce point à la volatilité du prix du gaz. Pour y parer, la France avait proposé en octobre 2021 avec l’Espagne de mettre un plafond de prix sur le marché horaire, qui serait calculé dans chaque pays sur le coût moyen de production du mix. Mais cette mesure a été refusée par Bruxelles et une dizaine d’États-membres car c’eût été la porte ouverte à la désorganisation des marchés et à la mise en question de leur intégration sur des bases cohérentes.

 

 
  L’organisation des marchés électriques, ce qu’on appelle le market design, n’est pas en soi défectueuse, comme on tend à l’en accuser. Elle est obligatoirement structurée en marchés horaires par la non-stockabilité de l’électricité, et il est logique que, sous l’effet de la concurrence, les producteurs soient amenés à aligner leurs offres de prix sur le coût du combustible de leurs équipements pour se donner les meilleures chances d’être appelés par le marché. Le drame, si l’on peut parler ainsi, est qu’il y a toujours un décalage entre le prix horaire aligné sur le coût marginal du dernier producteur et le coût complet de production de son équipement. À fortiori la moyenne annuelle des prix horaires n’a aucune chance d’être alignée sur le coût moyen de production du mix. Le drame aussi est qu’en théorie, on a besoin du décalage entre ce prix aligné sur le coût du combustible du dernier producteur appelé et les coûts d’exploitation bas ou nul des techniques capitalistiques : nucléaire, EnRs, etc. qui sont appelées bien avant par le marché, pour recouvrer leurs coûts d’investissement, ce qui justifie aussi qu’on ne mette pas de plafond de prix.

Découpler nécessiterait un abandon total du market design actuel
  En partant de ce mode de fonctionnement très particulier du marché électrique, on peut comprendre qu’aucune réforme du market design ne permettra que le marché révèle un prix aligné sur le coût complet des moyens de production, ce que permettaient de faire auparavant les monopoles intégrés de service public. Seul pourrait y conduire son remplacement par un système centralisé d’acheteur unique qui acquiert par contrats de long terme toute l’électricité de gros. Il peut la vendre ensuite aux fournisseurs à un prix reflétant le coût moyen de ses acquisitions contractuelles de long terme, reflet du coût moyen de production du mix.
  Adapté à la situation française, on verrait EDF centraliser tous les achats de production en gros venant des producteurs EnR, de sa filiale de production et des autres producteurs conventionnels, voire des achats à des producteurs étrangers, pour fournir sur un pied d’égalité tous les fournisseurs : dont EDF-Commerce. Seuls les très gros consommateurs industriels seraient habilités à acheter directement aux producteurs. Le dispositif ARENH de vente forcée de MWh nucléaires à prix coûtant aux fournisseurs alternatifs n’aurait plus lieu d’être. En aval les fournisseurs se concurrenceraient de façon équitable sur la base de leur offre de services. On atteindrait ainsi l’objectif de protection des consommateurs avec des prix stabilisés à un niveau compréhensible par eux.
  Mais c’est une solution non compatible avec les règles et les directives européennes qui imposent une concurrence à tous les étages de la filière, ce qui n’est pas possible avec l’acheteur unique. Cela signifierait la sortie du système électrique français du marché électrique unique, un Frexit de l’électricité en quelque sorte. Il faut avoir conscience des difficultés que ce Frexit entraînerait avec la Commission et les autres États-membres. Il existe désormais des liens physiques, via les interconnexions, et économiques, via les règles de couplage de marché sur l’énergie, les services d’ajustement et les services-système, du système français avec les systèmes ibériques et les autres systèmes d’Europe occidentale. On ne pourra plus faire jouer en Europe les solidarités pour faire face aux problèmes de stabilité des systèmes et aux besoins croissants de backup des productions des EnR intermittentes.

Viser d’abord la protection des consommateurs
  Plutôt que de se donner comme priorité la fixation d’un prix stabilisé autour du coût moyen de production du mix, l’objectif principal devrait être une protection des consommateurs contre le risque d’épisode durable de prix élevés, qui soit compatible avec les règles européennes et préserve l’intégration des marchés. Il faut que ces moyens puissent être appliqués dans chaque pays et échappent à l’exceptionnalité. Pour ce faire il faut chercher des voies d’amélioration du market design qui permettent de couvrir le risque-prix des consommateurs. La piste principale serait celle des contrats de type financier qui ont été puisés dans la boîte à outils d’ingénierie financière, comme les options d’achat ou de vente, et les contrats sur la différence, contracts for differences ou CfD, qui sont des options symétriques. Les CfDs sont déjà utilisés partout en Europe pour « dé-risquer » les investissements lourds en capital dans les projets EnR : et nucléaires en Grande Bretagne. Avec ces deniers, on définit un prix de référence ; ensuite la partie acheteuse engagée dans le contrat avec un producteur encaisse ou décaisse la différence entre le prix du marché horaire et le prix de référence, selon que le premier est en dessous ou au-dessus du second.
  Comment faire en aval entre les fournisseurs et leurs clients ? Comme le marché final est totalement ouvert à la concurrence entre fournisseurs qui achètent sur le marché de gros, on pourrait envisager d’imposer aux fournisseurs et à leurs clients de passer entre eux un contrat d’option qui fonctionnerait comme contrat d’assurance. Les clients contracteraient une option d’achat, qui se traduirait par un bonus que leur reverserait leur fournisseur si le prix du marché de gros sur lequel est basé leur prix de vente de détail, est supérieur au prix garanti fixé d’avance dans le contrat, le prix de déclenchement de l’option, avec des conditions précises comme la durée de ce dépassement qui excèderait une ou deux semaines par exemple. En échange les clients accepteraient de payer une prime d’assurance

Une couverture du risque-prix par des contrats d’assurance

  On part du principe que les marchés de détail sont totalement ouverts à la concurrence, avec un segment très réduit de fourniture à tarifs règlementés, à l’exception de la France qui ne respecte par l’art.5 de la directive avec le maintien de tarifs règlementés sur le segment des ménages. Une directive, ou un règlement, mettrait en place une obligation pour chaque fournisseur de passer leurs contrats de vente accompagnés d’un tel contrat d’assurance. Elle serait accompagnée d’une obligation imposée à chaque consommateur de contracter une telle assurance : pour réduire l’aléa moral qui consisterait à ne pas s’assurer et à réclamer à l’Etat des protections lors de chaque épisode de prix très élevés. Les règles de la concurrence sur le marché de détail seraient pleinement respectées. Les fournisseurs se concurrenceraient non plus seulement par leur offre de prix de vente, mais aussi par le prix qu’ils garantiraient ne pas dépasser pendant les épisodes de prix de gros très élevés et par la prime d’assurance qu’ils demanderaient.
  La concurrence en amont serait elle aussi stimulée car les fournisseurs auraient une forte incitation à se couvrir sur leurs engagements à ne pas vendre au-delà d’un plafond de prix, par des contrats d’achat de long terme à prix garantis avec des producteurs. Les gros fournisseurs seront sans doute incités à passer des contrats à quinze-vingt ans avec des producteurs installant de nouveaux équipements, à côté de contrats plus courts associés aux équipements existants. Ils aligneraient leur prix maximum garanti pendant les flambées de prix de gros sur le coût moyen pondéré de leurs acquisitions contractuelles.
  Toutefois une précaution pourrait devoir être prise contre les comportements opportunistes des fournisseurs qui ne se seraient pas assez couverts par rapport à leurs engagements dans leurs ventes d’assurances et viendraient à mendier l’aide de l’Etat pour éviter la banqueroute. Le dispositif serait complété par une obligation de contracter à long terme avec des producteurs et à hauteur des quantités de MWh sur lesquelles le fournisseur s’est engagé à ne pas dépasser un prix de vente. Dans ce cas Il faudra prévoir un marché secondaire pour la cession de contrats d’achat des fournisseurs qui perdent des parts de marché.
  Pour conclure, l’objectif principal doit être la protection des consommateurs contre le risque d’épisode durable de prix élevés. Pour ce faire il n’est pas nécessaire de mettre en question le market design actuel et les directives « marchés électriques ». On peut le compléter par des arrangements de couverture de risque de type financier entre les fournisseurs et leurs clients, tels que les contrats d’assurance que l’on vient de le voir. D’autres voies du même type, comme celle où on obligerait les fournisseurs à se couvrir contre le risque d’épisodes de prix élevés au nom de leurs clients, ou encore celle où l’Etat le ferait pour le compte des fournisseurs et de leurs clients en passant des contrats d’option avec les producteurs : attribués par enchères. Toutes ces voies sont compatibles avec les directives et les règles du jeu concurrentiel et permettraient de préserver l’intégration des marchés et les coordinations de court terme entre systèmes.

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