France, énergie : il y a de l'eau dans le gaz pour son indépendance

Moins de nucléaire, plus d' EnR, éolien et solaire, = plus de gaz = plus de dépendance énergétique. La seule question qui vaille est :
Quel (s) pays deviendra (ont) le(s) maître(s) de la France?
Les paris sont ouverts. À moins que...

"La politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c’est d’être petit. "
Charles de Gaulle, Guadeloupe, 1964

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Le nouvel ordre économique mondial
Jean-Pierre Riou



Le cours du pétrole a chuté de plus de 50% depuis le début de l'année 2020

Les progrès fulgurants de la puissance chinoise n’ont échappé à personne. Son influence est déjà incontournable en Europe, en Afrique comme au Moyen-Orient.[1]
Et l’Occident est incapable de trouver une stratégie cohérente à la mesure du défi que jette la Chine, ainsi que le déploraient récemment les diplomates Minh Pham et Yves Carmona, dans Le Monde.[2] 


Dans le nouvel ordre économique mondial qui se dessine, le contrôle de l’énergie sera déterminant.
La géopolitique des gazoducs [3] est susceptible de dévier, mais aussi de révéler les alliances stratégiques qui tendent à scinder en deux le monde de demain. Il ne conviendrait pas de perdre de vue la communauté d’intérêts qui rapproche aujourd’hui la Chine de la Russie, mais aussi de l’Iran, du Qatar, de l’Irak, de la Turquie et de la Syrie.
C’est la raison pour laquelle la dépendance au gaz pourrait affecter d’autant plus sensiblement le degré de souveraineté des États qui devront l’importer.


Le gaz du Léviathan
Avec le plus long gazoduc du monde, Israël tend à favoriser l’émergence de nouvelles lignes géostratégiques proches de l’alliance judéo-sunnite souhaitée par Trump, sous une forme d’ OTAN arabe [4], destiné à combattre le chiisme iranien, mais aussi à contrecarrer l’influence de la Russie et de la Chine.
En tout état de cause, c’est bien ainsi que l’a décrypté le média iranien « Pars Today » en confortant l’idée que la Chine et la Russie s’efforceront de contrer cet OTAN arabe [5] en tant qu’il mine les intérêts de l’Iran et de ses alliés tels que la Syrie, et qu’il vise à empêcher la Russie et la Chine d’étendre leur influence au Moyen-Orient.
Ce contexte stratégique vient de se concrétiser dans le rapprochement d’Ankara et Moscou avec l’inauguration du gazoduc Turk Stream, inauguré en janvier 2020 et qui permet de contourner les sanctions de l’ U.E [6]. Il faut également y voir la raison des sanctions américaines contre le gazoduc Nord Stream 2 [7], grâce auquel Gazprom Germania [8] entend tirer les ficelles d’une dépendance accrue de l’Europe au gaz russe, qu’elle promeut [9] au nom de sa complémentarité avec l’intermittence des énergies renouvelables.
Au moment même de l’inauguration de ces 2 gazoducs, Israël signait avec la Grèce et Chypre l’accord permettant de concrétiser le projet du gazoduc EastMed destiné à relier le gisement israélien de Léviathan au sud de l’Italie, en passant par la Grèce et Chypre et leur gigantesque gisement.
Selon Le Monde [10], le ministre grec de l’environnement et de l’énergie Kostis Hadzidakis aurait alors déclaré, « Le gazoduc EastMed peut être un rêve pour certains et un cauchemar pour d’autres …». 


La République turque de Chypre du Nord
La provocation du ministre grec visait les prétentions de la Turquie à exploiter le gaz de Chypre en vertu de sa présence dans la République turque de Chypre du Nord (RTCN), depuis l’invasion du nord de l’île par l’armée turque en 1974.
Cette république n’étant reconnue que par la Turquie.
Pour renforcer ses prétentions, Ankara a conclu un accord militaire et de délimitation maritime avec le gouvernement libyen d’entente nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj, président reconnu par l’ ONU, mais menacé par les troupes de l’Armée nationale libyenne (ANL) du général Haftar dont Paris peine à cacher le soutien depuis que des missiles français [11] ont été retrouvés en Libye.
Et, tandis que 40 000 soldats turcs occupent le Nord de Chypre, la Turquie continue ses forages [12] considérés illégaux par l’Union européenne et répond à ses accusations d’État pirate par un chantage aux réfugiés [13].
Ankara, joue également avec le feu dans sa confrontation avec l’armée russe dans le règlement du conflit syrien lors duquel elle avait joué la carte de l’ U.E. aux côtés des Qataris en misant sur le renversement de Bachar el-Assad, pourtant inconditionnellement soutenu par Vladimir Poutine.
Les intérêts communs semblent les seuls susceptibles d’avoir évité la rupture. 


La genèse du conflit

La guerre civile syrienne avait éclaté en 2011 dans un contexte de printemps arabe.
L’importance des enjeux stratégiques concernant l’acheminement du plus important gisement de gaz au monde, celui nommé South Pars, coté iranien, et North Dome côté qatari, est controversée et ne saurait en être l’unique raison.
En tout état de cause, le Qatar, qui avait misé très tôt sur le gaz naturel liquéfié (GNL) dont il est 1er exportateur mondial [14], essentiellement orienté vers le marché asiatique, visait de concurrencer la Russie dans l’approvisionnement de l’Europe, tout en s’affranchissant du contrôle iranien du détroit d’ Ormuz, passage obligé des méthaniers. Selon la presse russe Russia Today (RT), Bachar el-Assad aurait refusé en 2009 le projet de gazoduc qatari destiné à relier l’Europe via la Syrie et la Turquie, « en citant ses solides relations énergétiques avec la Russie » [15]. Et en mars 2011, il signait un autre accord de gazoduc, avec l’ennemi juré du Qatar : l’Iran, berceau du chiisme avec l’Irak, autre allié de Bachar el-Assad, tandis que le Qatar est sunnite.
Le Qatar aurait alors dépensé 3 milliards de dollars pour soutenir les rebelles [16], tandis que la Turquie, l'Arabie saoudite, la Jordanie, les États-Unis et la France participaient également au financement et à l’armement des opposants. En toute logique l’Iran et la Russie ont soutenu activement le gouvernement syrien, notamment par l’intervention du corps des gardiens de la révolution venus d’Iran, ainsi que les milices islamistes chiites provenant du Liban d’Irak ou d’ Afghanistan, tandis que des combattants islamistes sunnites et des djihadistes proches d’Al-Qaïda grossirent les rangs de l’opposition au pouvoir en place.
Entre conflits religieux, séparatisme kurde, mouvance marxiste, rébellion contre le pouvoir en place et intérêts gaziers, ces alliances étaient d’une extraordinaire complexité [17], sans garantie que les amis de nos amis pouvaient durablement rester nos amis.
En 2012, la branche armée du parti kurde syrien (YPG) prenait le contrôle des régions kurdes qu’elle administre depuis de façon autonome.
Les progrès des djihadistes de Daech amenèrent une coalition internationale à entreprendre des bombardements [18] pour soutenir les kurdes. Or, depuis 30 ans, la Turquie mène une répression violente contre le parti séparatiste kurde (PKK) qui est considéré comme terroriste par une bonne partie de la communauté internationale, dont les États-Unis et l’Union européenne. Et Ankara reproche à YPG ses relations avec le PKK auquel il est affilié et redoute cette création d’une région kurde à sa porte. Et malgré son soutien aux rebelles syriens, l’aviation turque bombarde en 2016 [19] les positions kurdes.
En 2015 la Russie intervient militairement pour conforter le pouvoir en place.
Malgré le bombardent des positions du pouvoir en place [20], en 2018 par les États-Unis, la France et le Royaume Uni, qui l’accusent d’avoir utilisé des armes chimiques, l’entrée en jeu de la Russie éloigne progressivement les perspectives de se débarrasser de Bachar el-Assad.
La violence et la durée du conflit auront déplacé la moitié de la population syrienne, dont un quart a fui le pays. Sur ces plus de 5 millions de réfugiés, plus de 3 millions sont en Turquie [21], pays voisin et ancien allié dont elle a dénoncé les violences faites au peuple. Ce qui fait de la Turquie le premier pays d’accueil de réfugiés au monde.
Cet accueil s’est fait dans de bonnes conditions dans les centres urbains, avec moins de 10% de réfugiés dans des camps. 


Après la bataille
Mais la défaite de l’État Islamique et le retrait partiel des troupes américaines n’a pas correspondu à un apaisement de la région.
Loin s’en faut.
Le long de sa frontière, l’armée turque avait occupé tout une zone de sécurité en territoire syrien, à la fois pour soutenir les rebelles, dans l’Ouest et contrecarrer les kurdes dans l’Est.
Car le contrôle par les kurdes (YPG) du Nord-Est syrien est donc vu comme une menace par Ankara en raison des relations entre YPG et la mouvance séparatiste, terroriste et marxiste, des kurdes turcs du PKK.
En octobre 2019, l’armée turque, lance une 3ème opération contre les milices kurdes, en se faisant appuyer par l’armée nationale syrienne, essentiellement composée de rebelles armés et financés par Ankara. Cette opération, appelée « Source de paix » [22] est destinée à reprendre aux kurdes les territoires que ceux-ci avaient repris à Daech, dont ils détiennent encore des milliers de prisonniers.
Abandonnés par les américains, les kurdes parviennent sont parvenus à un accord avec Damas [23] qui déploie alors ses troupes pour conforter leurs positions, tandis que des centaines de prisonniers djihadistes parviennent à s’enfuir.
Avec les accords de Sotchi [24] les Russes permettent aux turcs d’obtenir la promesse de retrait des milices kurdes et une surveillance de la zone conjointement avec la Russie en échange d’un cesser le feu.
La situation est d’autant plus cocasse que les américains avaient laissé 500 hommes pour garder les puits de pétrole contrôlés par les kurdes, et leurs convois ont été amenés à patrouiller face aux blindés russes [25].
Dans le Nord Ouest, l’importance du groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Sham (HTS) parmi les rebelles est le prétexte d’une répression sanglante de Damas qui entraine un drame humanitaire. Sur les 3 millions de personnes coincées dans la province d’ Idlib, la moitié aurait déjà été déplacée [26]. Et la Turquie qui redoute une nouvelle vague de réfugiés maintient sa présence militaire.
Après des semaines d’escalade de la violence, l’armée turque s’oppose désormais ouvertement à l’armée syrienne, avec de nombreux militaires déjà tués et pas moins de 3 avions syriens abattus [27]. Ankara assumant l’opération « Bouclier de printemps » qui cible ouvertement le régime de Damas [28].
Début mars 2020, l’escalade restait potentiellement d’autant plus inquiétante que la Turquie est membre de l’Otan et que l’aviation russe appuie l’armée syrienne [29], jusqu’à faire craindre le risque d’une collision frontale avec Moscou [30].
Mais après avoir rencontré V. Poutine le 8 mars à Moscou, le président Erdogan a affirmé n’avoir aucune ambition d’occupation territoriale en Syrie et être favorable à toute solution [31] qui permettrait de sécuriser la province d’ Idlib et la frontière turco-syrienne. Et souhaiter des conditions permettant le retour des 3,6 millions de réfugiés syriens présents en Turquie.
Faut-il y voir une simple étape dans la coopération économique « entre le Tsar et le Sultan » ? [32]
Ankara s’est réservé le droit de « nettoyer » la zone à sa manière si les promesses ne sont pas tenues, craignant que les représailles de l’armée syrienne contraigne les population à un nouvel exode dans la seule direction possible : la frontière turque.
Et c’est pour forcer l’Union européenne à le soutenir dans ce bras de fer avec Moscou, mais également pour qu’elle n’entrave pas ses prétentions sur le gaz de Chypre, qu’ Erdogan rappelle son rôle incontournable en repoussant aujourd’hui ses réfugiés vers la Grèce. 

 
L’ombre chinoise
Seul l’avenir est en mesure d’éclairer la solidité des liens qui semblent unir les différents intérêts en jeu.
Ironie de l’histoire, les sanctions américaines contre l’Iran sont parvenues à imposer à Total d’abandonner ses droits d’exploitation du fabuleux gisement iranien de South Pars et c’est la Chine qui en a repris les droits d’exploitation [33].
En tout état de cause, l’inauguration du gazoduc géant « Power of Siberia » [34] vient de constituer une étape essentielle du rapprochement entre la Russie et la Chine au moment où leurs relations avec l’Occident se dégradent. Il promet à Moscou un formidable débouché qui le met désormais à l’abri de tout chantage occidental concernant ses ventes de gaz.
Malheur à qui en dépendra. 


Épilogue
Hasard du calendrier, la France ferme à Fessenheim une centrale nucléaire jugée sûre par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au moment même où elle construit une centrale à gaz à Landivisiau. On ignore encore les retombées électorales de ce choix, mais on peut deviner les implications d’une telle politique sur la souveraineté de la France, ainsi que sur son engagement dans les conflits déjà programmés en méditerranée orientale.

1 https://www.geostrategia.fr/la-chine-puissance-incontournable-au-moyen-orient/

2 https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/22/routes-de-la-soie-l-occident-incapable-de-trouver-une-strategie-coherente-a-la-mesure-du-defi-que-jette-la-chine_5439784_3232.html

3 https://www.mondialisation.ca/une-geopolitique-europeenne-des-gazoducs-toujours-plus-complexe/5634206

4 https://orientxxi.info/magazine/les-projets-americains-d-une-otan-arabe,2644

5 https://parstoday.com/fr/news/middle_east-i69252-la_chine_et_la_russie_r%C3%A9giront_contre_l%E2%80%99otan_arabe

6 https://www.lefigaro.fr/international/turkstream-un-gazoduc-pour-contourner-les-sanctions-de-l-ue-20200108

7 https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/21/nord-stream-2-trump-signe-la-loi-imposant-des-sanctions-contre-le-gazoduc-qui-doit-relier-la-russie-et-l-allemagne_6023691_3234.html

8 https://www.gazprom-germania.de/en/business-areas/natural-gas-trading.html

9 https://www.cleanenergywire.org/dossiers/role-gas-germanys-energy-transition

10 https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/03/eastmed-le-projet-de-gazoduc-destine-a-contrer-la-turquie_6024684_3210.html

11 https://www.lepoint.fr/afrique/armes-francaises-en-libye-ce-soutien-que-paris-ne-peut-plus-cacher-12-07-2019-2324181_3826.php

12 https://www.liberation.fr/planete/2020/02/18/au-large-de-chypre-les-forages-creusent-encore-la-division-de-l-ile_1778803

13 http://www.opex360.com/2020/01/20/la-republique-de-chypre-accuse-la-turquie-detre-un-etat-pirate-en-mediterranee-orientale/

14 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2019/04/17/le-secteur-des-hydrocrabures-au-qatar

15 https://www.rt.com/op-ed/syria-russia-war-oil-528/

16 https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20130517trib000765147/syrie-le-qatar-aurait-depense-3-milliards-de-dollars-pour-armer-les-rebelles.html

17 https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_syrienne

18 https://www.lefigaro.fr/international/2014/10/07/01003-20141007ARTFIG00055-les-djihadistes-prennent-le-controle-partiel-de-la-ville-de-kobane-en-syrie.php

19 http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20161020-raids-bombardements-meurtriers-armee-turque-positions-kurdes-syrie

20 https://www.bfmtv.com/international/les-etats-unis-la-france-et-le-royaume-uni-ont-bombarde-des-cibles-du-regime-en-syrie-1418813.html

21 https://www.sciencespo.fr/enjeumondial/fr/odr/les-refugies-syriens-en-turquie.html

22 http://www.leparisien.fr/international/syrie-erdogan-lance-l-offensive-turque-contre-les-forces-kurdes-09-10-2019-8169465.php

23 http://www.leparisien.fr/international/syrie-des-familles-de-membres-de-daesh-echappees-d-un-camp-13-10-2019-8171928.php

24 http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20191022-syrie-accord-erdogan-poutine-kurdes

25 https://www.lepoint.fr/monde/en-syrie-l-improbable-cohabitation-entre-soldats-russes-et-americains-09-03-2020-2366321_24.php

26 https://www.bastamag.net/Syrie-Idlib-Bachar-Al-Assad-offensive-bombardements-Russie-population-civile-Hayat-Tahrir-al-Sham

27 https://www.20minutes.fr/monde/2731539-20200303-syrie-avion-regime-abattu-armee-turque

28 https://www.lefigaro.fr/flash-actu/syrie-la-turquie-lance-une-offensive-contre-le-regime-de-damas-20200301

29 https://www.20minutes.fr/monde/2733187-20200305-syrie-quinze-civils-tues-frappes-russes-nord-ouest-selon-osdh

30 https://www.lefigaro.fr/international/jusqu-ou-peut-aller-le-bras-de-fer-russo-turc-en-syrie-20200301

31 https://www.aa.com.tr/fr/politique/erdogan-nous-nettoierons-la-zone-de-lop%C3%A9ration-bouclier-du-printemps/1758782

32 https://www.lopinion.fr/edition/international/en-syrie-compromis-entre-tsar-sultan-213733

33 https://www.capital.fr/entreprises-marches/iran-le-chinois-cnpc-remplace-total-dans-le-projet-south-pars-1317174

34 https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/16/l-inauguration-du-gazoduc-geant-power-of-siberia-constitue-une-etape-essentielle-du-rapprochement-entre-la-chine-et-la-russie_6022986_3232.html

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