Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode IX

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que par ce moyen nous aurions eu le bonheur de n'avoir pas perdu au moins 20.000 hommes, ainsi que nos magasins qu'il avait soin de faire aller en avant de nos armées, afin que nos ennemis puissent plutôt les avoir. Ces deux députés ne pourront jamais se laver de cela.
  On demande que la Convention rende justice à Westermann, ou bien le fasse punir s'il le mérite191. S'il est vrai ce qu'il annonce dans son placard, on ne doit pas tarder à lui rendre justice, et de le renvoyer à son poste, car il est des vrais républicains qui sont outrés de voir si souvent de bons citoyens sous le poids de fausses accusations, et qui voudraient que l'on soit aussi prompt à punir comme on est prompt à dénoncer.

Rapport de Dugas, W191
  Dans son dernier numéro192, le Père Duchesne prétend que, depuis qu'on a proposé d'ouvrir les prisons, les espérances des traîtres et des conspirateurs se sont ranimés, qu'ils ont recommencé à lever la crête, et qu'ils s'entendent maintenant comme larrons en foire avec les marchands et les accapareurs pour nous couper les vivres. On croit que Camille Desmoulins, qu' Hébert, dit-on, a voulu désigner dans ce paragraphe, se dispose à y répondre.
  Des patrouilles multipliées ont parcouru toute la journée les galeries du Jardin de la Révolution [Jardin des Tuileries] ; on en a compté plus de vingt dans l'après- midi jusqu'à dix heures.

 

Source

   On désirerait qu'il fût défendu à tous les traiteurs et restaurateurs de Paris de donner à dîner à plus de trois livres par têtes. Pendant qu'un bon citoyen a beaucoup de peine à se procurer, pour lui et ses enfants, deux ou trois livres de très mauvais bœuf, des aristocrates et de prétendus sans-culottes dévorent à eux seuls, chez un traiteur, de quoi nourrir pendant plusieurs jours une famille entière.
  On a donné au théâtre du Vaudeville la première représentation du Sourd guéri ou des Vous et des Toi193. Des sentiments de patriotisme de vertu, très bien exprimés dans cette petite pièce, ont valu à l'auteur beaucoup d'applaudissements.
  Les nouvelles rassurantes arrivées aujourd'hui de la Vendée194 ont fait reprendre aux malveillants l'attitude basse et hypocrite qu'ils avaient un instant abandonné.
   Les boutiques des bouchers sont toujours fermées le vendredi ; les autres jours elles le sont depuis midi jusqu'au soir.
  On attend le rapport d' Amar195 [Jean Pierre André, 1755-1816 ; avocat ; député et président de la Convention nationale 1792-1795 ; membre du Comité de sûreté générale ; "... Le Comité a cru devoir porter plus loin son examen. Il a posé les questions suivantes :
1° Est-il permis à des citoyens ou à une société particulière de forcer les autres citoyens à faire ce que la loi ne commande pas ?
2° Les rassemblements de femmes réunies en sociétés populaires, à Paris, doivent-il être permis ? Les troubles que ces sociétés ont déjà occasionnés ne défendent-ils pas de tolérer plus longtemps leur existence ? Ces questions sont naturellement compliquées, et leur solution doit être précédée de deux questions plus générales, que voici :
1° Les femmes peuvent-elles exercer les droits politiques, et prendre une part active aux affaires du gouvernement ? 2° Peuvent-elles délibérer réunies en associations politiques ou sociétés populaires ? Sur ces deux questions le Comité s’est décidé pour la négative. Le temps ne lui a pas permis de donner tous les développements dont ces grandes questions, et la première surtout, sont susceptibles. Nous allons jeter en avant quelques idées qui pourront les éclaircir. Votre sagesse saura les approfondir...
" ; source] avec impatience.

Image dans Infobox.

Jean-Baptiste Amar, gravure du XIXe siècle.

  Les rues sont toujours d'une malpropreté dégoûtante. Les promenades publiques se remplissent d'ordures, et, si l'on continue de les abandonner à elles-mêmes, elles ne présenteront plus qu'une surface infecte qu'il faudra déserter.

Rapport d' Hanriol, W 191
  La section de la Montagne [n°4 ; de " section du Palais-Royal ", elle devint " section de la Butte-des-Moulins ", août 1792, avant la " section de la Montagne ", août 1793 au 21 frimaire an III [11 décembre 1794], et finir par la " section de la Butte-des-Moulins " du 21 frimaire an III au 19 vendémiaire an IV [11 octobre 1795] ; son secteur : autour de la place Vendôme et la rue Saint-Honoré ; les réunions se déroulaient en l’église Saint-Roch ; elle devient, par arrêté préfectoral du 10 mai 1811, le quartier du Palais-Royal, 2ème arrondissement de Paris] est toujours à la hauteur de la Révolution son patriotisme brûlant se manifeste dans toutes les délibérations. Toujours ennemie de la tyrannie, elle vient d'arrêter, dans sa dernière assemblée, de se rendre à la Convention nationale196 pour l'engager à décréter que celui qui aura délivré la terre d'un tyran soit déclaré avoir bien mérité de la République française, et qu'il lui soit décerné une récompense nationale.
  Le même arrêté porte qu'en félicitant la Convention sur son refus de faire la paix avec les tyrans197, elle l'invitera à lancer, toujours plus haut de la Sainte Montagne, la lave brûlante qui doit dévorer jusqu'au dernier des ennemis de la Liberté ; enfin, à ne point quitter le poste qu'elle occupe si glorieusement.
  Par une suite des mêmes principes, pleine de respect et d'admiration pour la nouvelle loi198 qui consacre la liberté de tous les hommes sans distinction de couleur, elle a arrêté, sur l'invitation de la Commune, que décadi [le calendrier républicain est institué pendant la révolution par la Convention le 5 octobre 1793 ; L'année est divisée en 12 mois de 30 jours ; chaque mois est divisé en 3 décades : 10 jours ; 5 jours sont rajoutés : 360 + 5 = 365 : les sans-culottides : Vertu, Génie, Travail, Opinion et Récompenses ; le temps comme le nouveau système des poids et mesures est désormais décimal. La semaine , appelée décade, durera 10 jours : primidi, duodi... ; des noms de plantes, d'outils ou d'animaux tels tomate, faucille ou chien remplacent les noms des Saints ; source] prochain des membres pris dans le sein de la section se rendront au temple de la Raison pour y célébrer cette belle époque de notre révolution.

Les jours du calendrier républicain

  Source

Calendrier républicain de 1794


Calendrier Républicain de 1794. Dessiné par Debucourt. B.N., Paris. La République, s'appuyant sur les connaissances astronomiques, foule au pied le calendrier grégorien et présente celui établi par Fabre d’Églantine.

  Une preuve encore bien frappante de la pureté de son patriotisme, c'est une députation de la section du Contrat-Social qui est venue lui annoncer la formation d'une seconde société populaire. Dans cette même section, la nouvelle est suspecte, par la facilité avec laquelle elle reçoit ceux qui se présentent : " Rejetez toutes les adresses qu'elle pourrait vous faire ; ne reconnaissez que l'autorité de l'ancienne ; ses bons principes sont connus. " À l'instant il a été arrêté, à l'unanimité des voix, que la section de la Montagne ne communiquerait qu'avec l'ancienne.
  L'arbre, l'emblème de la Liberté comme il fut jadis le signe de la féodalité, n'a point échappé à ses regards républicains. Celui de la section, et celui du poste de l' Égalité, également desséchés, doivent être incessamment remplacés.
  Si elle donne l'exemple du républicanisme, elle ne donne pas moins celui d'une bonne administration. Sa commission des salpêtres vient de lui demander une somme provisoire de mille écus. La demande, convertie en motion, a été vivement discutée, et il a été décidé que préalablement on consulterait son comité des finances, qui devra d'abord assurer de la suffisance des fonds, sans pour cela préjudier [causer un préjudice, faire du tort à quelqu'un, à quelque chose ; peu usité de nos jours] à la somme accordée le décadi aux ouvriers de la section qui ne doivent point travailler.

Rapport de Jarousseau, W 191
   Sur le port de Saint-Paul et de l' île [Saint-Louis] et sur le pont Marie, sur les midi, qui a duré jusqu'à trois heures, un très grand rassemblement de femmes pour le poisson (tenaient) des propos et menaces violentes, criaient à haute-voix : " C'est un coup monté pour soutenir les accapareurs ; il faut nous montrer ; aussi, il y a trop longtemps que cela dure, et que l'on ne nous rend point justice. " Les commissaires de la section de l'île (Saint-Louis) [n°35 ; " section Saint-Louis " jusqu'en novembre 1792 : " section de la Fraternité " ; l'île Saint-Louis est son secteur ; L’église Saint-Louis-en-l’Île servait de salle de réunion ; elle devient, par arrêté préfectoral du 10 mai 1811, le quartier de l'Île-Saint-Louis, 9ème arrondissement de Paris], sont venus avec une force armée, qui n'ont pu ramener le calme qu'après avoir fait délivrer du poisson qu'ils ont exigé ; il a fallu conduire la marchande qui délivrait le poisson chez elle avec une assez nombreuse forte armée, et une grande partie l'ont suivie en la menaçant de la maltraiter.

La nef et l'orgue de tribune vus du chœur

L'église de l'île Saint-Louis ; la nef et l'orgue de tribune vus du chœur. Les tuyaux des orgues resplendissent sous les rayons du soleil qui illuminent la nef, très bien éclairée par des vitraux en verre cathédrale. Source

  Ils ont rendu pour plainte qu'elle avait des porteuses qu'elle faisait porter toute la nuit le poisson chez les grosses marchandes et dans les maisons des traiteurs qu'elle fournissait ; " Que par ce fait, nous qui courons vendre dans les rues, nous ne pouvons point gagner notre vie ; lorsque nous nous présentons le matin pour avoir de la marchandise, l'on nous dit : il n' y en a plus l'on a distribué l'approvisionnement pour aujourd'hui, et nous ne savons que les bateaux sont pleins. " Il faut autant qu'il est possible de réformer ces abus, qui sont les auteurs que Paris manque de tout.
  Le nommé Jourdan Saint-Sauveur199, rue du Figue, n° 39, ci-devant lieutenant de roi de la ci-devant Bastille, les scellés ont été posés sur ses papiers par le Département de Paris.
  L'on se plaint, dans différents quartiers, que l'on ne sait pourquoi que par tout Paris l'on ne fait que rencontrer des militaires de toute nature, officiers et autres, que l'on dit qui devraient être aux armées ; qu'il y a beaucoup de déserteurs et en congé, qui se portent bien et qui touchent leur paye, ce qui devient coûteux à la République, et qui ne la servent pas ; l'on dit qu'il faudrait des visites, surtout dans les hôtels garnis et logeurs.

Rapport de Latour-Lamontagne, W191
  On disait ce soir, au café de la République, que les trois députés de Saint-Domingue200 sont des intrigants, créatures de Polverel [Etienne, 1738-1795 ; commissaire à Saint-Domingue pour faire appliquer, face aux colons récalcitrants, la loi du 4 avril 1792 qui reconnaissait l'égalité de tous les libres de couleur ; " ... c'est que la proclamation d'abolition de Polverel précède de deux jours celle de Sonthonax. [...] Polverel est un homme de formation juridique. Bien avant sa mission, il écrivait déjà contre l'esclavage cette phrase importante : « la nature a fait les hommes pour la liberté, l'égalité et la société, et nul homme n'a reçu de la nature le droit de commander d'autres hommes ou de les vendre » ; cela date de 1789, au moment où il écrivait dans la Gazette nationale étrangère et le Tableau des révolutions du XVIII siècle. À cette formation commune s'ajoutent les contacts qu'ils ont eus au club des Jacobins. Polverel en fut le secrétaire en 1791 et il y fut le principal instigateur de l'exclusion des partisans des colons du club Massiac, en particulier des deux Lameth, liés à la famille Picot? qui est de Bayonne, comme Polverel) de Duport, de Préfeln et surtout de Barnave... ; source] et de Sonthonax201 [Léger-Félicité, 1763-1813 ; premier législateur abolitionniste français qui promulgua, 29 août 1793, l’abolition générale de l'esclavage dans la province du Nord de Saint-Domingue ; " ... Mais il fallait également un Sonthonax, car il fallait quelqu'un pour occuper le devant de la scène, prendre les coups, les rendre. Là a été le vrai rôle de Sonthonax, apte à prendre des décisions rapides, entraîné par cet élan lyrique propre au révolutionnaire habile, harangueur de foules. Il est vraisemblable qu'un homme un peu plus effacé comme Polverel, un organisateur de l'ombre, n'aurait pas eu le même impact, et peut-être les mêmes choses ne se seraient- elles pas passées de la même manière. Il y a donc eu de nombreuses lorsque, à Port-au Prince, les insurgés écrivirent à Polverel pour les protéger contre Sonthonax. [...] Alors que Polverel avait choisi une voie progressive pour l'abolition, Sonthonax a été pressé par les événements. La proclamation historique du 29 août a été précédée d'une série de mesures, dont Polverel fut le principal inspirateur ; par exemple la proclamation du 21 août 1793 qui prévoit que les propriétés des ennemis de la République seront séquestrées, et surtout celle du 27 août, qui stipule que le partage des propriétés déclarées vacantes doit naturellement se faire entre les guerriers et les cultivateurs. Il était prévu que les parts seraient inégales « car le guerrier court plus de dangers pour sa vie, sa part doit donc être plus forte » dit Polverel... " ; source], avec lesquels ils ont trahi la République et coopéré à tous les désastres des colonies. " Les faits vont être éclaircis, disait un colon blanc de Saint-Domingue ; on attend des députés du Cap, légalement élus par tous les colons de cette partie de l' île, réfugiés à Philadelphie. Voilà les véritables députés de la colonie, voilà ses représentants légitimes ; ils se feront entendre à leur tour, et sauront arracher aux commissaires civils Polverel et Sonthonax le masque de patriotisme dont leurs complices ont cherché à les couvrir pour en imposer à la Convention nationale. Au reste, toutes les nouvelles s'accordent à dire que, grâce à leurs manoeuvres perfides, presque toute la colonie est en ce moment au pouvoir des Anglais. - Je ne crois point à cette nouvelle, a dit un citoyen de couleur ; mais si l'île a été vendue aux Anglais, elle l'a été par les blancs ; il ne sera pas difficile de le prouver. " - L'opinion publique sur cette matière paraît extrêmement favorable aux hommes de couleur. Ce sont des martyrs de la tyrannie, dit-on de tous côtés, ce sont des sans-culottes comme nous, et leur cause et la nôtre sont les mêmes.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/09/Sonthonax.jpg

Léger-Félicité Sonthonax, 1763-1813. À noter, pas d'image de Polverel. Source


Description de cette image, également commentée ci-après

Proclamation d'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue par Etienne Polverel et Léger-Félicité Sonthonax, commissaires civils de la République, Port-au-Prince le 5 mai 1793

   On réclame toujours le rapport général sur les députés mis en arrestation202.
  " Pourquoi, disait-on dans un groupe, rue Saint-Honoré, en voyant un coupable qui marchait au supplice, pourquoi refuse-t-on à ceux que la loi condamne à la mort les secours de la religion qu'ils professent? Aucune loi ne porte atteinte à la liberté des cultes. Au milieu de Paris, on célèbre tous les jours la messe. Le peuple se moque des dupes, et voilà tout. Doit-on être plus sévère envers ceux qui n'ont que peu de moments à vivre? - Vous avez bien raison, a répondu un citoyen à celui qui venait de s'exprimer ainsi ; cette intolérance ne fait pas honneur à notre philosophie. Si j'étais législateur, je voudrais que dans ces derniers moments le catholique eût un prêtre, le juif son rabbin, etc., et qu'en le (sic) préparant à ce funeste voyage, chacun du moins eût la liberté de faire son paquet à sa fantaisie. "

Rapport de Le Breton, W 191
  On disait aujourd'hui dans un café de la rue Saint-Martin que le chef de brigade Moulin203, commandant un avant-poste des armées patriotes, après avoir été blessé d'une balle, se trouvant prêt à tomber entre les mains de rebelles, s'était brulé lui-même la cervelle d'un coup de pistolet.
  Il ne s'est rien passé à l'assemblée générale de la Fontaine-Grenelle [n° 39 ; son secteur se délimitait entre un bout du faubourg Saint-Germain, entre la Seine et la rue de Grenelle, et les rues de Bourgogne et des Saints-Pères ; les assemblées se déroulaient en l’église des Jacobins-Saint-Dominique, aujourd'hui Saint-Thomas-d'Aquin ; par arrêté préfectoral du 10 mai 1811, le quartier du Faubourg-Saint-Germain, 10eme arrondissement de Paris]. La séance a été l'objet de quelques discussions relatives aux certificats de civisme. J'ai parcouru celle de l' Unité [n° 40 ; appelée en premier " section des Quatre-Nations " jusqu'en avril 1793 ; l’Institut de Saint-Germain-des-Prés était son pré carré ; l'assemblée était abritée par l’église Saint-Germain-des-Prés ; par arrêté préfectoral du 10 mai 1811, elle devient le quartier de la Monnaie, 10e arrondissement de Paris], celle de la Croix-Rouge [n° 42 ; ce nom fut le sien jusqu'en octobre 1793 ; aussi, déjà, en février 1794, elle s'appelait " section du Bonnet-Rouge " , elle finira par se nommer : " section de l'Ouest " en mai 1794 ; carrefour de la Croix-Rouge et rues de Varenne, de Sèvres, de Babylone et du Cherche-Midi délimitait son secteur ; l’église du couvent des Prémontrés servait de lieu de rassemblement à la section ; par arrêté préfectoral du 10 mai 1811, devenue le quartier de Saint-Thomas-d'Aquin, 10eme arrondissement de Paris], et n'ai rien vu de remarquable.
  Il a été guillotiné, à la place de la Révolution, un individu204 que l'on dit être un ci-devant intendant de Moulins en Bourbonnais, puis à La Rochelle, et ensuite cultivateur des propriétés qu'il avait acquises.
  Dans le public, dans les cafés et chez les restaurateurs, les conversations roulent sur Westermann205. Les uns le condamnent, d'autres applaudissent à sa conduite. Il m'a paru que la plus grande partie ou le plus grand nombre étaient plutôt pour que contre.

Rapport de Le Harivel, W191

  On parlait encore des revers que nous avons éprouvé dans le Nord206 ; mais les citoyens assuraient que cette nouvelle était débitée par l'aristocratie et ses perfides agents ; qu'à l'égard de la Vendée, que l'on s'efforce de faire croire à sa résurrection, n'est plus qu'un débris composé d'environ 6.000 rebelles épars çà et là et nullement dangereux ; c'est là, a dit un autre citoyen, le résultat du rapport207 fait à la Convention nationale sur cet objet.
  On assure que le parti brissotin [Jacques-Pierre Brissot, dit Brissot de Warville, 1754-1793 ; chefs des Girondins, appelés aussi Brissotins ; fondateur du journal " Le Patriote français " député de Paris à l'Assemblée législative, 1791, il fit proclamer l'égalité civique pour les Noirs et métis libres ; dominant le Comité diplomatique, il poussa à la guerre, " croisade de la liberté universelle ". Il fut exécuté comme tous les girondins ; Larousse] commence à relever la tête .

                                                

Portrait de Brissot par François Bonneville, Paris, musée Carnavalet, vers 1790.

  L'assemblée de la section des Tuileries [n°1 ; son territoire : palais et jardin des Tuileries ; elle se réunissait en l’église du couvent des Feuillants ; réputée comme la section la plus riche ; par arrêté préfectoral du 10 mai 1811, elle devient le quartier des Tuileries, 1er arrondissement de Paris] a été assez nombreuse et fort tranquille ; elle s'est en quelque sorte passée à la délivrance des certificats de civisme ; elle a refusé d'adhérer à la proposition d'une section qui demandait qu'à son instar les autres exigeassent de chaque citoyen de son arrondissement, une fois au moins chaque décade, un billet de 10 sols, ce qui ferait une somme totale considérable, peu onéreuse, et propre à subvenir à leurs besoins journaliers. Ce refus, motivé sur ce que les sections n'ont pas le droit, de voter des impôts directs ou indirects, a fait le plus grand plaisir.
  Près Saint-Eustache, des citoyens formant un groupe disaient, à l'occasion du décret208 sur la liberté des noirs : " Cet acte de la Convention nationale est d'une bien grande impolitique ; il vaudrait mieux qu'elle eût dit tout simplement : les colonies sont perdues pour nous, et, en donnant la liberté aux noirs, notre intention a été de lâcher contre les Anglais quatre ou cinq mille dogues pour les dévorer et les empêcher d'envahir nos colonies : c'est-à-dire que, si elles sont perdues pour nous, elles le seront également pour eux. "

Rapport de Mercier, W191
  Les plaintes se réitèrent par tous les citoyens de plus en plus contre la mauvaise organisation qui règne dans les corps de garde.
  À la Halle, l'on s'y portait pour pouvoir avoir des graines ; plusieurs ont été blessés par la foule du monde qui s'y portaient ; entre autres un des factionnaires a eu toute la main coupée par un sabre.
  Deux citoyennes s'en revenaient du marché ce matin. L'une disait à l'autre : " Vois combien nous payons cher notre belle liberté : voilà deux choux qui me coûtent 36 sols ; encore ne sont-ils pas bien gros. " Je n'ai pas été étonné du prix excessif de leurs choux, vu que j'avais [qu'] à la Halle il y venait des enleveuses (sic) ; c'est ainsi qu'on les nomme ; ces enleveuses viennent avec leurs voitures sur les trois à quatre heures du matin, à l'arrivée de ceux qui amènent ces légumes, et le prix qu'on leur fait ils le prennent ; et l'on prétend qu'il y en a à peu près dix à douze, et qui s'entendent de manière que l'on estime les journées de ceux-là à plus de 200 livres de bénéfice, quoique ce ne soit que des choux, poireaux et carottes.
  Vincent ne manque pas de venir à l'assemblée de sa section209 ; mais je vois qu'il a beau faire de beaux discours, et que jamais il ne viendra à bout de se faire aimer. J'entendais plusieurs citoyens qui disaient qu'il avait une tête qui sentait la guillotine, et qu'ils gageraient bien que tôt ou tard il [y] irait.
  Le bruit court que les bureaux de la Guerre210 vont venir au Luxembourg, et l'Opéra aux Français211, ce qui donne certaine joie aux citoyens qui restent de ce côté et qui depuis très longtemps, ne font plus rien dans leurs boutiques.

Rapport de Monic, W191
  Dans l'assemblée générale de la section des Gardes-Françaises, il a été arrêté que l'on irait, décadi prochain, à la Convention nationale porter 1000 à 1200 livres de salpêtre que les citoyens de ladite section ont exploitées212. Sur la fin de la séance, un citoyen a fait à l'assemblée une dénonciation que le citoyen Lemaître213 avait faite à l'assemblée populaire contre le citoyen Alibert ; entre autres choses le citoyen Lemaître, membre du comité révolutionnaire, accuse Alibert d'être en correspondance avec un nommé d'Arpajon, garde du ci-devant Capet, et détenu pour avoir eu part à la circulation des faux assignats, mais que, le fait se trouvant faux, le Tribunal avait acquitté le dit d'Arpajon ; mais Lemaître a dit dans sa dénonciation qu' Alibert avait influencé les juges, qu'il avait obtenu l'acquit d'Arpajon ; il l'accuse aussi d'être un agent de Cobourg. Les scellés ont été apposés chez Alibert, les papiers qu'on a trouvés chez lui n'étant que relatifs à son commerce et de papiers patriotiques ; et d'ailleurs l'assemblée, connaissant le civisme d' Alibert, a arrêté que Lemaître, membre du comité révolutionnaire, a perdu sa confiance, que l'arrêté sera porté au Comité de sûreté générale, attendu que, si Alibert était un agent de Cobourg, Lemaître, comme fonctionnaire public, avait eu tort de le divulguer parce que les complices, s'il en avait eu, ils auraient été avertis, et auraient eu le temps de soustraire des pièces qui auraient fait tort à la chose publique.

  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 80-90.


191. Cf. ci-dessus, p. 70, note 3. - Sur le placard, cf. p. 60.
192. Numéro 345.
193. Le Sourd guéri ou les Tu et les Vous, comédie en un acte mêlée de vaudeville par les cc. Barré et Léger. L'édition qui en a été faite, Tourneux, Bibliographie, t. III, n° 19577, porte que cette pièce a été représentée pour la première fois au théâtre du Vaudeville le 12 pluviôse [31 janvier 1794].
194. Allusion probable à celles que Barère avaient données à la Convention dans son rapport du 24 : Cf. ci-dessus, p. 27, note 1.
195. Sur l'affaire Chabot, Basire et autres. Ce rapport ne fut fait que le 26 ventôse [16 mars 1794].
196. Cette démarche fut-elle faite? La table du Procès-verbal de la Convention n'en parle pas.
197. Cf. t. III, p. 273.
198. Cf ci-dessus, p. 7, note 1.
199. Jourdan de Saint-Sauveur, chevalier de Saint-Louis, avait été lieutenant du roi de la Bastille de 1768 à 1785 : F. Bournon, La Bastille, p. 99. Sur son incarcération, pas d'autre document qu'un ordre de le mettre en liberté, ainsi que sa femme et sa fille, du 4 fructidor an II [21 août 1794] : Arch. nat., F7 4751. - La rue " du Figue " est probablement la rue du Figuier, actuellement rue Saint-Fiacre, dans le quartier de l' Arsenal.
200. Cf.t. III, p. 315, note 3.
201. Cf. t. III, p. 319.
202. Cf. ci-dessus, p. 82 , note 3.
203. Moulin, Jean-Baptiste, né à Caen en 1754, général de brigade depuis 1793. C'est le 21 pluviôse [9 février 1794] qu'il mourût, à Cholet, se suicidant plutôt que tomber entre les mains des Vendéens.
204. Gueau-Reverseaux, Jean-Philippe-Isaac ; ex-noble ; ci-devant intendant à Moulins ; condamné à mort le 24 pluviôse [12 février 1794] : Wallon, Hist. du Trib. révol., t. II, p. 507-508.
205. Cf. ci-dessus, p. 70, note 3.
206. Cf. t. II, p. 200, note 3.
207. Cf. ci-dessus, p. 61.
208. Cf. ci-dessus, p. 7, note 1.
209. Celle de Mutius Scævola, antérieurement : du Luxembourg [n° 43 ; de " Mutius-Scaevola ", jeune héros de la Rome antique ; octobre 1793 ; en mai 1795, elle redevint " section du Luxembourg " ; Saint-Sulpice, palais du Luxembourg, Montparnasse était son territoire ; l’église du couvent des Carmes-Déchaussés accueillait l'assemblée ; par arrêté préfectoral du 10 mai 1811, elle prit le nom de quartier du Luxembourg : 11e arrondissement de Paris].
210. Ils étaient situés rue Grange-Batelière, dans la " maison Choiseul " qu'ils ne quittèrent pas.
211. Cf. ci-dessus, p. 44.
212. Cette démarche eut effectivement lieu au jour dit, 30 pluviôse [18 février 1794] : Moniteur, réimp., t. XIX, p. 508-509.
213. Lemaître, François, loueur de carrosses, 116, rue du Champ-Fleuri. Il avait rempli dans la section des Gardes-Françaises des fonctions de commissaire, et avait effectué en son nom une mission en Vendée. Sa dénonciation contre Alibert, cf. ci-dessus, p. 68, tourna à sa propre confusion : car, comme le dit Monic, la section vota, le 25 pluviôse [13 février 1794], qu'il avait perdu sa confiance. Il devait, en l'an III, désarmé le 26 floréal [15 mai 1795], puis arrêté le 5 prairial [24 mai], comme ex-terroriste. Il sera remis en liberté le 8 thermidor [26 juillet] : Arch. nat., F7 477416 ; Tuetey, Répertoire, t. IX, n° 204. Sur d'Arpajon, pas d'autres renseignements que ceux que fournit Monic. Ils sont confirmés par une pièce du dossier relatif à Lemaître.

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