La France reste sourde aux " cris " des sols : " Les usines de méthanisation nous tuent aussi! "

  Les usines de méthanisation participent, comme l'éolien, le solaire, etc., à la confiscation et à la mort annoncée des terres arables dédiées aux cultures alimentaires :
  " si le méthane est plus rentable pour l’exploitation que la culture principale nourricière, cette dernière disparaisse de la rotation... "
  Malheureusement, la destruction de la ruralité à coup d' EnRI au nom du sauvetage de la planète, avec l'apport INDISPENSABLE de subventions publiques pour assurer la viabilité de ces filières purement spéculatives, se passe dans une réelle indifférence, à la campagne comme en ville.
  " Je plains celui qui fait payer à autrui ses propres dettes en les aggravant du prestige de la fausse vacuité "
  René Char


" Ce cheval qui tourna la tête. Vit ce que nul n'a jamais vu.... " Photo : PHP
Mouvement, Jules Supervielle

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Les scientifiques réagissent quant à l'impact de la méthanisation sur le sol

2021 12 13

   Pierre Aurousseau, Jean-Pierre Jouany, Gérard Fonty, Daniel Chateigner, quatre scientifiques réagissent à un récent article paru sur Web-agri quant à l'impact du digestat dans le sol.
   Suite à l'article paru dans Web-agri et intitulé Méthanisation : Sabine Houot (Inrae) rétablit les vérités quant à l'impact du digestat dans le sol, il nous a semblé nécessaire de commenter cet article. Dans ce qui suit vous constaterez que nous partageons la plupart des analyses de notre collègue Sabine Houot mais en y apportant des compléments qui en changent substantiellement la lecture.

  Les auteurs de cette tribune :

  • Pierre Aurousseau : professeur honoraire de sciences de l'environnement. Président du Conseil scientifique de l'environnement de Bretagne de 2004 à 2016. Membre du Collectif scientifique national méthanisation (CSNM).
  • Jean-Pierre Jouany : directeur de recherche honoraire à l’Inra en digestion microbienne. Membre et co-fondateur de l'association Groupe scientifique de réflexion et d'information pour un développement durable (GREFFE).
  • Gérard Fonty : directeur de recherche honoraire à l’Inra en digestion microbienne. Membre et co-fondateur de l'association Groupe scientifique de réflexion et d'information pour un développement durable (GREFFE).
  • Daniel Chateigner : professeur de physique, université de Caen Normandie. Coordonnateur du Collectif scientifique national méthanisation (CSNM).

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 Carbone du sol, concurrence liée aux Cive, azote volatil, vers de terre : les scientifiques s'expriment quant à l'impact de la méthanisation sur le sol. (©CC)

 
Les conséquences des digestats standards sur le carbone organique des sols
  L'intervention de Sabine Houot confirme ce que nous disons au CSNM et au GREFFE depuis des années et permet de mettre fin au marketing mensonger concernant l'effet du digestat sur les sols : notre collègue confirme que le digestat standard ne permet pas d'augmenter la teneur en matière organique des sols. Elle conclut pour l'instant que " Avec un digestat liquide apporté tous les 3 ans, cette teneur n'évolue pas ou très peu ". Ce dernier commentaire est parfaitement cohérent avec les propos tenus en septembre 2019 par Pierre Aurousseau lors de la conférence sur la méthanisation dans le Lot :  " Compte tenu de l'incertitude des mesures de carbone organique des sols, il faudra au moins 5 à 10 ans pour que la baisse du taux de carbone des sols soit mesurable ". Mais la méthanisation et l'épandage des digestats va ajouter sa contribution à l'ensemble des mécanismes qui concourent déjà depuis plusieurs décennies à la baisse du taux de matière organique des sols.

Qu'en est-il des digestats solides ?
  Ce que Sabine Houot appelle " digestats solides " sont des digestats qui ont subi un traitement complémentaire : séparation de phase couplée éventuellement avec un compostage. Ce type de digestat peut effectivement contribuer à augmenter la teneur en matière organique des sols, mais il faut observer que ce type de traitement complémentaire est très marginal. Il n'est pratiqué que dans des installations de méthanisation de grande dimension avec des investissements financiers importants. De plus ces " digestats solides " ne sont épandus que sur de très petites surfaces et il en résulte un appauvrissement en carbone organique des parcelles qui fournissent les intrants de méthanisation au bénéfice d'un très petit nombre de parcelles qui vont bénéficier de ces apports de digestats solides. On se trouve ici dans une situation qui s'apparente à une exploitation minière des parcelles et des exploitations qui fournissent des intrants de méthanisation au bénéfice des seules parcelles et exploitations qui recevront ces digestats solides.


Qu'en est-il de l'utilisation d'intrants riches en produits ligneux ?

  Comme le déclare Sabine Houot : si on introduit dans le méthaniseur des intrants riches en produits ligneux, on va améliorer la teneur en carbone organique humifiable des digestats, mais là aussi il faut revenir à la réalité des pratiques : les entrepreneurs n'ont aucun intérêt à introduire dans les méthaniseurs des intrants riches en produits ligneux car le carbone organique de type ligneux ne sera pas décomposé par les bactéries anaérobie du digesteur et n'a donc pas de possibilité à être transformé en méthane. Aussi, introduire de grandes quantités de produits ligneux dans les méthaniseurs contribuerait à augmenter la taille du " bol alimentaire " non productif. Il y a donc conflit entre l'objectif de vouloir produire du méthane et l'objectif d'obtenir des digestats de bonne qualité pour amender les sols cultivables.

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Qu'en est-il de la concurrence entre les Cive [culture intermédiaire à vocation énergétique] et les cultures alimentaires ?
  Notre collègue a raison de pointer la question de la concurrence entre les Cive et les cultures alimentaires. Dans le document Methagro, Aurousseau 2015, il est souligné que : " de nombreuses cultures sont déclarées comme Cive alors qu'il s'agit de cultures principales à vocation énergétique et non pas de cultures intermédiaires ". Une des rotations préférées en méthanisation, Cive d’hiver, est la suivante : céréales d'hiver semées à l'automne, récoltées avant maturité en mai pour alimenter les méthaniseurs, suivies de maïs récolté en septembre par ensilage pour alimenter les méthaniseurs, suivi de céréales... Ces cultures sont déclarées en Cive, mais ne sont pas des cultures intermédiaires, il n'y a plus de culture principale à vocation alimentaire dans ce type de rotation, il ne s'agit que de cultures à vocation énergétique et de cultures principales à vocation énergétique (CPVE).
  Il faut aussi remarquer que ce type de rotation est d'une intensification qui n'a jamais été vue en France. Les sols ne se reposent jamais. La céréale d'hiver et le maïs sont récoltés après le remplissage du grain mais avant sa maturation. On peut dire qu'il s'agit d'une nouvelle forme de récolte ou plutôt de la destruction du blé en herbe... Les conséquences sur l'environnement de ce type de rotation d'une intensification exceptionnelle sont susceptibles de nous réserver des surprises. Le fait de déclarer comme Cive des cultures qui ne sont pas, de fait, des cultures intermédiaires mais qui sont bien des cultures principales à vocation énergétique et qui, à ce titre, génèrent bien une concurrence avec les cultures alimentaires et l'agriculture alimentaire, constitue l'une des voies et moyens de contourner le seuil de 15 % de cultures principales.
  Ainsi, nous assistons aujourd’hui à une nouvelle nature de rotations culturales, avec deux cultures par an constituées uniquement de Cive : hiver et été. Comme un peu partout en France nous voyons se développer des méthaniseurs ne fonctionnant qu’avec des Cive, il y a tout lieu de craindre dans un futur proche que, si le méthane est plus rentable pour l’exploitation que la culture principale nourricière, cette dernière disparaisse de la rotation. Nous regrettons que notre collègue n’aborde pas la nécessaire utilisation de fertilisants sur les Cive. Il est également difficile d’imaginer un digestat relativement constant en composition satisfaisant des rotations culturales variées avec la même efficacité.

Qu'en est-il du caractère très volatil de l'azote ammoniacal des digestats ?

   Notre collègue pointe avec raison que l’azote ammoniacal des digestats " est aussi très volatil ". C'est bien là le problème et dans le document Methagro il est rappelé que " compte tenu du pH basique du digestat une part importante et non maîtrisable de cet azote ammoniacal est susceptible de se volatiliser sous forme de gaz ammoniac ". Cette volatilisation de l'ammoniac n'est en rien comparable à celle qui se produit en cas d'épandage d'un engrais azoté minéral comme l'ammonitrate, ou nitrate d'ammonium NH4NO3, car dans l'ammonitrate, la moitié de l'azote s'y trouve sous forme nitrique, NO3- qui est l'anion d'un acide fort, et la moitié sous forme ammoniacale , NH4+ qui est le cation d'une base faible, il en résulte que le pH d'une solution d'ammonitrate est acide et en conséquence la volatilisation du gaz ammoniac est considérablement plus limitée en cas de fertilisation avec un ammonitrate plutôt qu'avec du digestat.
  La volatilisation du gaz ammoniac à l'épandage est responsable de gènes olfactives compte tenu du caractère irritant, hygroscopique et toxique de l'ammoniac : INRS : H331 - Toxique par inhalation. Elle est aussi responsable de la mortalité des abeilles à proximité des épandages et de la remontée en surface et de la mortalité des vers de terre.
  Cette volatilisation dépend aussi du matériel d'épandage : maximale avec des épandeurs à assiette, plus faible avec des épandeurs à pendillards, mais dépendante fortement de la hauteur des pendillards par rapport au sol, et plus faible encore en cas d'épandage avec des enfouisseurs. Les conditions météorologiques, vent, température, ont une grande influence sur l'intensité de la volatilisation, et la durée de l’épandage et de l’enfouissement jouent également un rôle.

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  Quand les conditions de volatilisation se cumulent : pH plus élevé du digestat, épandage par épandeur à assiette, vent et température élevés, durée importante avant l'enfouissement, le taux de volatilisation peut alors dépasser 75 % : Holly et al. 2017. Même en conditions jugées moyennes, avec une valeur équivalence engrais minéral comprise entre 60 et 80 %, cette incertitude de 20 % sur la valeur fertilisante correspond à 40 unités d'azote pour une fertilisation de 200 unités d'azote à l'hectare, cela est susceptible de conduire soit à une sous-fertilisation et des baisses de rendement significatives, de l'ordre de 16 quintaux de céréales à l'hectare, soit à une sur-fertilisation.
  Le caractère non maîtrisable de la volatilisation rend la gestion de la fertilisation extrêmement complexe puisque, finalement, la valeur fertilisante du digestat rendu au sol est inconnue car le taux de volatilisation est inconnu : 30, 50 % ou plus : Dehaine, 2019. L'analyse de la teneur en azote du digestat en sortie de cuve ne change rien à l'affaire puisque la volatilisation a lieu ensuite, pendant et après l'épandage. Ces analyses ne renseignent pas sur la teneur en azote du digestat " rendu au sol ".

Confrontés à ce problème, plusieurs attitudes sont possibles pour les agriculteurs :

  • L'agriculteur prend en considération la teneur en azote du digestat sans volatilisation. Cela conduit à une sous-fertilisation et à des baisses de rendement importantes.
  • L'agriculteur prend en considération une valeur moyenne de volatilisation. Dans certains cas, il sera en sous-fertilisation avec une baisse de rendement des cultures et, dans d’autres cas, il sera en surfertilisation et en situation de pollution des eaux des nappes et des rivières.
  • L'agriculteur, confronté à la valeur fertilisante inconnue du digestat, se mettra en situation de surfertilisation pour se mettre à l'abri des baisses de rendement : stratégie de l'assurance.

  Notons enfin que la forme ammoniacale NH4+ n’est pas la forme favorable à l’assimilation végétale, contrairement à NO3-. Par conséquent, l’azote du digestat liquide qui n’est pas perdu par volatilisation est susceptible de s’infiltrer jusqu’aux nappes, où il renforcera la concentration en
nitrates. »

Les chaînes carbonées courtes dans tout cela ?
   Il semble, par contre, que notre collègue n’ait pas trouvé l’intérêt dans cet article de rappeler un point pourtant essentiel concernant la matière labile des intrants de méthanisation, matière fermentescible par les bactéries anaérobies, qui ne se retrouve pas dans le digestat solide. Cette dernière, servant d’énergie, de nourriture, à une grande partie de la biosphère du sol, est partie avec le biogaz, sous forme de méthane (CH4) et dioxyde de carbone (CO2). Le corollaire de l’obtention de digestat solide pour "nourrir" une partie de la biosphère du sol, est donc la privation de nourriture pour l’autre partie.
  L'absence de carbone labile dans les digestats est préjudiciable au développement et à l'activité biologique de la biosphère microbienne du sol : c’est " la faim en carbone des sols ". Ce point est important pour le maintien de la vie des sols à moyen et long terme. Il est également important pour l'utilisation racinaire des nutriments du sol par les plantes : il existe une symbiose étroite entre l'environnement racinaire -la rhizosphère- et les microorganismes du sol. La croissance des plantes peut donc, à terme, être négativement impactée par l'emploi de digestats. Mme Houot l’avait pourtant évoqué lors de son audition au Sénat et l’auteur de référence pris dans l’article de Web-agri, Thomsen 2013, le précisait également. On le voit, et certains agriculteurs méthaniseurs le pointent déjà, le déséquilibre introduit ne peut que faire craindre l’obtention de sols déstructurés et infertiles sur le moyen-long terme.

Les vers de terre
  La biosphère des sols est étroitement liée à la quantité de matière organique des sols et, plus particulièrement, à la partie la moins stable du carbone comme cela est indiqué précédemment. En fait, la bibliographie sur la population des lombrics des sols recevant des digestats est très variable.
  Butt et Putwain, 2017, notent une augmentation ; Froseth et al, 2014, n'observent pas d’évolution ; Rollett et al, 2021, indiquent une diminution. Ces différences peuvent s’expliquer par les apports d’azote ammoniacal dont la toxicité à l’égard des lombrics est connue comme le souligne Madame Houot. L’ensemble des données que nous présentons indiquent que l’impact des digestats sur les sols agricoles et leur biosphère, en substitution des fertilisants naturels ou industriels, est difficilement contrôlable par les agriculteurs compte tenu de leur hétérogénéité. La présence de composés toxiques ou de microorganismes pathogènes dans les digestats issus de substrats contaminés n’a pas été abordé mais doit être pris en considération dans leur exportation vers les sols.

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