Espagne : le loup de l'éolien ou l'ascension vers la fortune d'un ingénieur de Salamanque

  "... En juin 2021, une enquête judiciaire a été ouverte à son encontre pour " corruption active, atteinte à la vie privée, faux et usage de faux ".
   Le patron d'Iberdrola et trois autres dirigeants du groupe sont soupçonnés d'avoir fait appel aux services de José Manuel Villarejo, un commissaire de police ayant fait de la prison pour blanchiment d'argent et corruption de fonctionnaires. [...] Le 9 décembre, les autorités américaines ont mis leur veto au rachat annoncé il y a un an pour 7,3 milliards d'euros de PNM Resources, un électricien du Nouveau-Mexique...
"
   Et les autorités françaises comment ont-elles réagi à cette enquête?

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" Il a compris avant les autres " : Iberdrola, le champion espagnol de l'éolien

Guillaume Delacroix
2021 12 28


   Donné pour mort au tournant des années 2000, l'électricien espagnol s'est converti en géant mondial de l'éolien et du solaire. La réputation sulfureuse de son PDG commence néanmoins à impacter sa marche.
  En France, les Bretons sont au courant. Iberdrola est le champion mondial de l'électricité éolienne. C'est ce géant espagnol qui a investi la bagatelle de 2,4 milliards d'euros en baie de Saint-Brieuc pour construire, à 16 kilomètres des côtes, un parc de turbines controversé : 62 moulins offshore qui seront capables de produire, à partir de 2023, l'équivalent des besoins d'une ville européenne de 835 000 habitants. L'opérateur ibérique s'est fait un nom dans le domaine des énergies renouvelables depuis que l'ingénieur de Salamanque, Ignacio Galan, a pris en main cette firme, jusqu'alors vieillotte, pour en faire une enseigne verte. Avec une longueur d'avance sur ses compatriotes Endesa et Naturgy, l'ancien Gas Natural, mais aussi sur des concurrents comme EDF et Engie.
  Le patron le mieux payé de l' Ibex 35, version espagnole du CAC 40, il s'est adjugé 12,2 millions d'euros de rémunération en 2020, a pris les rênes d'Iberdrola au début des années 2000 en ayant le pressentiment, avant les autres, que c'en était fini du charbon. À l'époque, Iberdrola ne figurait qu'au 20e rang des énergéticiens mondiaux. Il était pratiquement donné pour mort. Né du rapprochement il y aura bientôt trente ans du basque Iberduero, dont le siège était à Bilbao, et du madrilène Hidroeléctrica Española, le groupe ne disposait que de barrages, de centrales thermiques et de participations dans six réacteurs nucléaires. Il est aujourd'hui le n° 1 mondial de l'éolien et l'un des plus grands producteurs d'énergie solaire et hydraulique. En 2000, les énergies propres représentaient dans son portefeuille 9 gigawatts de capacité installée. Aujourd'hui, elles dépassent 35 gigawatts, les deux tiers de ses actifs : 55 gigawatts au total.

Géant européen de l'électricité
  Entre-temps, l'espagnol a multiplié ses effectifs par 3, à 37 000 salariés, et son chiffre d'affaires par plus de 4, à 33 milliards d'euros. Il représente actuellement l'une des plus grosses capitalisations boursières européennes du secteur de l'énergie, 62 milliards d'euros : il vaut le double d'Engie, 32 milliards, 1,5 fois EDF, 39 milliards, et talonne désormais l'italien Enel, leader sur le Vieux Continent : 67 milliards. En 2019, Ignacio Galan a été couronné " cinquième meilleur dirigeant au monde " par la Harvard Business Review, dans un classement annuel qui tient compte de l'évolution financière des entreprises mais aussi de leur impact sur l'environnement. " C'est un patron habile qui a compris avant les autres où était l'avenir du secteur ", souligne Carmen Monforte, experte de l'énergie au quotidien économique Cinco Dias.
  En 2000, Iberdrola émettait 350 grammes de CO2 par kilowattheure. Aujourd'hui, en dépit de son changement de taille colossal, c'est 70 % de moins. Et d'ici à 2030, il espère devenir neutre en carbone en Europe. " Galan a foncé dans l'éolien, moyennant d'importantes immobilisations de capital qu'il obtenait d'investisseurs attirés dans son sillage, projet par projet, sans jamais se laisser déborder par un partenaire trop gourmand ", se souvient la journaliste.
  La grande force d'Iberdrola, coté à la Bourse de Madrid, vient de là : Ignacio Galan garde les coudées franches grâce à un actionnariat éclaté, quand son compatriote d'origine publique, Endesa, a dû composer avec l'Etat actionnaire avant d'être avalé par l'italien Enel, en 2009.

                                                                  

Un actionnariat éclaté
  Chez Iberdrola, qui compte à son tour de table le fonds souverain Qatar Holding, le gestionnaire d'actifs américain BlackRock et le fonds norvégien Norges Bank Investment Management, personne ne détient plus de 9 % du capital. À la fin des années 2000, le groupe de BTP espagnol ACS a bien tenté une prise de contrôle. Mais au terme d'une guerre sans merci qui durera dix ans avec le patron d' ACS, Florentino Pérez, par ailleurs président du Real Madrid, Ignacio Galan a réussi à s'en débarrasser en modifiant les règles de gouvernance de son groupe. " Il est obnubilé par l'idée de se protéger des investisseurs indésirables. C'est d'ailleurs essentiellement pour cela qu'il a fait grandir Iberdrola, en allant à l'international. Selon lui, c'était le seul moyen de rendre la proie inaccessible aux prédateurs et d'éviter un scénario à la Endesa ", raconte Carmen Monforte.
  Royaume-Uni, avec le rachat de ScottishPower en 2007, Etats-Unis, avec Avangrid, Brésil, avec Neoenergia, Elektro et, depuis 2020, CEB Distribuição, France : avec la reprise du marseillais Aalto Power, là encore en 2020... Au cours des deux dernières décennies, Iberdrola a changé d'échelle, en mobilisant 120 milliards d'euros. En parallèle, l'espagnol a vendu un peu plus de 9 milliards d'euros d'actifs considérés comme " non stratégiques " et fermé une petite vingtaine de centrales thermiques
au charbon et au fioul.

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énergétique

   Et ce n'est pas terminé. Le conquistador entend investir 150 milliards supplémentaires dans les dix ans qui viennent, afin de tripler sa présence dans les énergies propres et de doubler l'étendue de ses réseaux de distribution. Seul Enel lui tient la dragée haute : fin novembre, l'italien a annoncé vouloir dépenser 210 milliards d'euros dans les renouvelables d'ici à 2030.

Un patron sulfureux

  Ignacio Galan se pose en héraut d'une économie bientôt totalement décarbonée. Mais si les milieux d'affaires saluent ses grands faits d'armes, ses méthodes de travail commencent à sérieusement faire jaser. " Galan est réputé tyrannique et n'aime rien tant qu'organiser le vide autour de lui, dès que le bateau tangue ", observe un bon connaisseur de la société. En juin 2021, une enquête judiciaire a été ouverte à son encontre pour " corruption active, atteinte à la vie privée, faux et usage de faux ".
  Le patron d'Iberdrola et trois autres dirigeants du groupe sont soupçonnés d'avoir fait appel aux services de José Manuel Villarejo, un commissaire de police ayant fait de la prison pour blanchiment d'argent et corruption de fonctionnaires. Ce dernier, mis en disponibilité par l'Etat espagnol pour travailler dans le privé, aurait alors espionné Manuel Pizarro, à l'époque où il dirigeait Endesa, concurrent direct d'Iberdrola, et Florentino Pérez, lorsque celui-ci tentait de faire d' ACS l'actionnaire de contrôle d'Iberdrola. Le scandale provoque déjà des dégâts. Le 9 décembre, les autorités américaines ont mis leur veto au rachat annoncé il y a un an pour 7,3 milliards d'euros de PNM Resources, un électricien du Nouveau-Mexique. Raison invoquée : l'affaire Villajero. Ce devait
être le plus gros développement d'Iberdrola aux Etats-Unis.

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  Pour éviter le naufrage, Ignacio Galán fait valser ses collaborateurs, preuve qu'Engie n'a pas le monopole dans ce domaine. Son n° 2, Francisco Martinez Corcoles, poursuivi lui aussi dans le scandale Villarejo, a été placardisé en octobre, tandis que Samantha Barber, directrice non exécutive, démissionnait pour " incompatibilité professionnelle ". Autre victime de la purge, le directeur de la communication Ricardo Hernandez, qui n'aura tenu que six mois. Il est le quatrième à se faire débarquer de ce poste en cinq ans. À sa place, Galan a recruté Eduardo Gonzalez Ferran, ancien porte-parole du ministre de la Défense socialiste José Bono. Quant au nouveau n° 2, il s'agit d'un ancien élu socialiste de Madrid, Antonio Miguel Carmona.
  Grâce à son entregent politique, Iberdrola a récemment fait reculer le gouvernement sur son projet de taxe exceptionnelle devant frapper les profits des énergéticiens, au moment où la facture d'électricité des particuliers s'envole. Il faut dire qu'Ignacio Galan, qui a fait ériger en 2011 une tour clinquante de 165 mètres à Bilbao pour en faire son siège social, est proche du PNV, le parti nationaliste basque sans lequel l'actuel chef de l'exécutif, Pedro Sanchez, n'aurait pas de majorité à la chambre des députés.

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