Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XII

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  Un particulier venant d' Arras dit que les habitants de cette ville sont malheureux, qu'ils manquent de tout, obligés de coucher dans des caves, sur la paille, qu'ils n'ont point pour se chauffer ni bois, ni charbon de terre, qu'en général ils témoignent un très grand mécontentement.
  Plusieurs malveillants disaient que journellement on nous annonçait des victoires remportées par les troupes de la République, que rien n'était aussi faux, qu'au contraire nos affaires allaient au plus mal ; qu'à Paris on faisait voir tout du bon côté ; qu'aux armées c'était bien différent, et que c'était pour encourager les volontaires qu'on disait tout ceci.
  Il existe des écuries et hangars près de la barrière du faubourg du Roule, les dernières maisons à droite, où d'un marché à l'autre les bouviers recèlent les bœufs, et attendent que les bouchers viennent leur acheter ; au moyen de ce, ils les vendent ce qu'ils veulent à ces derniers qui, au moyen de ce qu'ils en ont absolument besoin, les payent fort cher ; par ce moyen, pour se retirer sur le prix de vente, ils font aux citoyens la livre de viande u prix fou, de sorte que les citoyens qui se trouvent malades sont obligés d'en passer par où ils veulent, ou manquer de bouillon.
  Sur les neuf heures du soir environ, il s'est introduit dans la chambre du citoyen Margelin, marchand limonadier, rue du Faubourg-Saint-Honoré, n° 87, un voleur qui s'est introduit par-dessus les murs des Champs-Elysées. [ "... Avant 1670, l'ancien emplacement des Champs-Élysées était encore en culture. On n'y voyait que des maisonnettes et de grands jardins. On commença vers cette époque à y tracer des allées et à planter des arbres. Cette promenade fut d'abord nommée le Grand-Cours pour la distinguer du Cours-la-Reine, qui lui était contigu. Dans la suite , les arbres prêtèrent leur ombrage et répandirent de l'agrément en cet endroit, auquel on donna le nom qu'il conserve encore aujourd'hui, par allusion à l'Élysée, aux Champs-Élysées, séjour heureux des ombres vertueuses dans les religions grecque et romaine. En 1770, les plantations de cette promenade furent entièrement renouvelées. Pendant l'hiver de 1818 à 1819, on a exhaussé, affermi et sablé toutes les allées des Champs-Élysées... ; source] La femme Margelin, ayant monté dans sa chambre, l'obligea de se sauver. Dans la nuit, ils sont revenus à plusieurs, se sont introduits dans la même chambre ; comme l'homme et la femme n'y couchent pas, ils ont fait plusieurs paquets du linge étant dans une armoire et l'ont monté au grenier. Le citoyen Margelin, entendant du bruit, les a forcés de prendre la fuite lorsqu'il est monté dans ladite chambre. On dit que toutes les nuits on voit rôder dans les Champs-Elysées une bande de voleurs, et dans la journée, à la place de la Révolution, leurs associés filous, et qu'il est aisé de les reconnaître. Il serait bon de surveiller, afin de les arrêter s'il est possible.


Barrière des Champs Elisées . Anonyme. © BnF, dist. RMN – Grand Palais / image BnF

Rapport de Rolin, W 191
  Section du Panthéon-Français. - L'assemblée générale de cette section a été très tumultueuse. On ne s'y attendait point ; on discutait sur le prix et la rareté des denrées de première nécessité. Les marchands, en général, y furent très mal traités, on les regardait comme des monstres dont il fallait se purger, etc. Enfin, au milieu du bruit, vint une députation de la société des Amis de la République 253. L'orateur dit entre autres choses que la Convention nationale, par son décret254, qui interdit aux femmes le droit de s'assembler en société, leur interdisait le droit de voter dans les assemblées fraternelles. Il fut très applaudi ; il continua, et dit que les sections de Paris étaient étonnées et scandalisées d'apprendre que la section du Panthéon ait souffert jusqu'à ce jour que les femmes influençassent les délibérations de leur assemblée fraternelle et qu'elles y eussent eu voix délibérative. Il fut encore très applaudi. Mais le citoyen Paris255, membre de la commune, ayant pris la parole, soutint que la Convention nationale n'avait point eu dessein d'ôter aux citoyennes la liberté d'opiner dans les assemblées dites fraternelles. En conséquence, on passa à l'ordre du jour.
  Quelques voitures d' œufs que des citoyens de campagne amenaient au marché furent, dit-on, arrêtées et conduites à la place Maubert. Là on obligea les conducteurs de les débiter au prix du maximum ; les citoyens se mirent en rang, et reçurent chacun six œufs, jusqu'à la fin du débit de la marchandise.
  On assurait, au Palais de Justice, que les forêts nationales étaient absolument délabrées, que quantité de citoyens coupent les arbres tout vivants, enfin que sous peu on connaîtrait combien peu les autorités constituées de certains départements sont peu propres à remplir des fonctions aussi délicates qu'honorables.
  On parle beaucoup aujourd'hui du citoyen Momoro. Il paraît que ses accusateurs, veillent, et qu'ils épient scrupuleusement sa conduite. On lui reproche beaucoup de choses, et entre autres celle d'avoir protégé et placé ceux de ses amis qui ont eu l'art de lui faire la cour.
  On se plaint que beaucoup de ci-devant religieux de la ci-devant Charité de Paris256 aient trouvé moyen de soustraire des sommes assez fortes pour acquérir un superbe bien à Villejuif, près Paris, et qu'ils aient trouvé moyen de s'y réunir, sous prétexte d'y tenir pension de personnes de tout âge, ces sortes de maisons, dit-on, ne pouvant faire que des repaires d'aristocratie.
  On se plaint pareillement que les ci-devant religieux se soient aussi réunis ensemble, et ce pour pouvoir aristocratiser à leur aise les environs de Paris ; notamment les communes des environs de Choisy, ci-devant le Roi, en renferment quelques-uns. Au Bourg-de-l'Egalité257, le maréchal-ferrant a retiré son frère qui était ci-devant procureur de la ci-devant cathédrale de Paris, et qui est sur la liste des émigrés.

27 pluviôse an II, 15 février 1794


Rapport de Bacon, W 191
  L'assemblée populaire de la section des Piques était extrêmement nombreuse ; et il y avait beaucoup de personnes aux tribunes ; un membre a lu le discours de Maximilien Robespierre sur le Gouvernement révolutionnaire258, lequel discours a été vivement applaudi ; et je me suis aperçu qu'il avait produit de bons effets. Un autre membre a lu aussi discours sur les crimes de Pitt, et qui a été très applaudi. On a nommé une députation pour assister à la fête du 30 de ce mois259 : l'esprit public est bon.
  L'assemblée populaire de la section des Marchés [n° 17 ; au premier jour, nommée " section du Marché des Innocents", jusqu'en 1792, puis " section des Halles ", pour devenir " section des Marchés ", 1793 ; son secteur : une partie du quartier des Halles centrales, attenante au marché des Innocents ; l'assemblée se déroulait en l’église Sainte-Opportune située sur la place du même nom ; en 1811, par arrêté, elle devint le quartier des Marchés, 4ème arrondissement de Paris] était nombreuse, et il y avait beaucoup de femmes.  Des pères et mères ont amené leurs enfants, bien jeunes encore, qui ont récité, alternativement, à la tribune, la Déclaration des Droits de l' Homme. Ces jeunes républicains ont reçu le baiser fraternel de la part du président, aux cris de : Vive la République! On a aussi fait un compliment aux pères et mères de ces aimables enfants, et on les a félicités sur les principes qu'ils inspiraient à ceux à qui ils avaient donné la vie. On s'embrassait de part et d'autre et on criait : Vive la Convention nationale! On s'est ensuite occupé d'objets relatifs à la société : l'esprit public est bon.
  L'assemblée populaire de la section de Popincourt [n° 24 ; comprise entre le boulevard Beaumarchais et les boulevards de Belleville et de Ménilmontant ; les réunions se passaient en l’ancienne église Saint-Ambroise de Popincourt, située sur le même emplacement que la nouvelle, 2 rue Saint-Ambroise ;  le 10 mai 1811, elle fut nommée le quartier de Popincourt, 8ème arrondissement de Paris]

 Ancienne chapelle du couvent des Annonciades de Popincourt

Ancienne chapelle du couvent des Annonciades de Popincourt. Source

  Paroisse Saint-Ambroise vue depuis le parc

" Avant l’église actuelle, existait une autre église située un peu en avant de celle-ci : à l’emplacement du square : c’était l’ancienne chapelle du couvent des Annonciades de Popincourt, construite entre 1654 et 1658, appelé encore Notre-Dame de Protection. Elle fut érigée en succursale de la paroisse Sainte-Marguerite en 1788 et devint paroisse autonome sous le nom de Saint-Ambroise dès 1791. " © Photos libres de droits de l’église Saint-Ambroise Paris

  On s'est occupé des marchands et des bouchers ; on a aussi parlé ds jurés du tribunal criminel, qui sont tous marchands. Un membre a dit : " S'il y avait de vrais sans-culottes pour jurés, les affaires iraient mieux qu'elles vont, et on ne verrait pas tant de friponneries ; mais point du tout, les marchands se favorisent dans leur rapine, et lorsqu'un d'entre eux est coupable, ils ont soin de faire taire la loi ; parce que, se disent-ils, aujourd'hui c'est à mon tour de juger, et dans deux mois, l'homme que je juge me jugera. Par de telles vues, ils sont sûrs de censurer le peuple. " Vifs applaudissements. On a ensuite parlé des certificats de civisme, et on a lu des discours imprimés sur le gouvernement républicain : l'esprit public révolutionnaire.
  Dans les cafés et chez les traiteurs, l'affaire du notaire Chaudot260 était à l'ordre du jour. Les uns disent qu'il est innocent parce qu'il n'a donné que la signature en second ; d'autres soutiennent qu'il faut qu'il la danse, parce que, dans un emprunt tel que celui-là, il savait bien que c'était pour les enfants du roi d' Angleterre. Les opinions sont très partagés sur cette affaire.
  Vers les dix heures, il est un peu arrivé de beurre à la Halle, lequel n'était distribué que par numéros, je veux dire au sort. Les marchandes qui n'en avaient pas n'étaient pas contentes ; quelques-unes juraient. En s'en allant elles disaient : " À présent, tout ce qu'il y a de meilleur est pour les municipaux et les comités révolutionnaires, et voilà la Liberté et l' Égalité! " Une grosse femme qui avait de l'humeur disait à d'autres femmes : " Foutre! il faut écrire à nos correspondants de ne rien envoyer, puisque tout est accaparé par les gens en place, et que le malheureux n'a rien. " De vilains propos à la suite de tout cela se tenaient.
  Vieille rue du Temple, un crieur de journal disait : grande déroute des brigands dans la Vendée. Comme cet homme était un peu ivre, il faisait rassembler beaucoup de monde ; lorsque sa harangue était finie, on s'en allait. Les femmes disaient : " On ne viendra donc jamais à bout de ces brigands? " D'autres répondaient : " Ils sont plus forts que jamais, et on nous fout de jolis mensonges. " Ces nouvelles, d'après mes remarques, étonnent le peuple261. Rue des Vieux-Augustins262, une blanchisseuse, révolutionnaire, et qui était autrefois secrétaire de la société des femmes à Saint-Eustache [la Société des républicaines révolutionnaires ou Société des citoyennes républicaines révolutionnaires de Paris fût fondée en mai 1793 ; en octobre de la même année, la Convention nationale veut interdire aux femmes la possibilité de créer et d'animer des clubs politiques. Louis-Joseph Charlier s'oppose : " Je ne sais sur quel principe on peut s'appuyer pour retirer aux femmes le droit de s'assembler paisiblement. À moins que vous contestiez que les femmes font partie du genre humain, pouvez-vous leur ôter ce droit commun à tout être pensant ? " ; Jean-Pierre André Amar soutien la demande : "... Le Comité a cru devoir porter plus loin son examen. Il a posé les questions suivantes : 1° Est-il permis à des citoyens ou à une société particulière de forcer les autres citoyens à faire ce que la loi ne commande pas ? 2° Les rassemblements de femmes réunies en sociétés populaires, à Paris, doivent-il être permis ? Les troubles que ces sociétés ont déjà occasionnés ne défendent-ils pas de tolérer plus longtemps leur existence ? Ces questions sont naturellement compliquées, et leur solution doit être précédée de deux questions plus générales, que voici : 1° Les femmes peuvent-elles exercer les droits politiques, et prendre une part active aux affaires du gouvernement ? 2° Peuvent-elles délibérer réunies en associations politiques ou sociétés populaires ? Sur ces deux questions le Comité s’est décidé pour la négative. Le temps ne lui a pas permis de donner tous les développements dont ces grandes questions, et la première surtout, sont susceptibles. Nous allons jeter en avant quelques idées qui pourront les éclaircir. Votre sagesse saura les approfondir... " ; son décret est adopté le 9 brumaire [30 octobre 1793] ; source] disait à moi et à deux autres personnes des horreurs de Gauthier263, demeurant maison Beauvais, rue des Vieux-Augustins, et membre du comité révolutionnaire de la section Guillaume-Tell. Ce Gauthier, qui est le coq de l'assemblée et le meneur du comité révolutionnaire, est cependant un fayettiste ["... Entre les 15-16 juillet 1791, le parti des patriotes se scinda en deux groupes avec les Jacobins politiquement plus démocrates et les Feuillants du nom du couvent où les hommes plus conservateurs tels que les Lamethistes, Fayettistes et autres constitutionnels se réunirent car se disant prêts à s’entendre avec le Roi et opérer quelques concessions... " ; source] " Car j'ai blanchi ce monsieur Gauthier, et il n'y a pas trois mois qu'il avait dans son cabinet le portrait de Lafayette. " Cette blanchisseuse a dit aussi que c'était un homme à deux faces, qui ne connaissait que ses intérêts.

Club patriotique de femmes, gouache de Jean-Baptiste Lesueur, 1791, musée Carnavalet.

  Avis aux magistrats. J'oublie de dire qu'elle a dit : " S'il fallait parler, j'en sais bien davantage de ce scélérat. "
  J'ai couru ce matin le faubourg Saint-Germain, et tout m'a paru tranquille.

Rapport de Beraud, W 191
  Les esprits, au Jardin-Egalité, et dans le peu de groupes qu'il y a eu, paraissaient interdits ; on y semblait craindre pour les prisons, et on s'est porté même jusqu'à dire qu'au premier échec que nous aurions, des gens payés feraient, comme au Deux Septembre [ "... Les massacreurs veulent purger Paris de sa lie. S'avisant qu'ils avaient oublier de visiter la prison des Bernardins, ils viennent d'y égorger une soixantaine de condamnés aux galères. Car les contre-révolutionnaires ne sont pas les seuls victimes : ils exécutent surtout les condamnés de droit commun. Ces bourreaux ne sont pas des brigands, mais généralement d'honnêtes boutiquiers habitant à proximité ds prisons et qu'une folie collective a pris dans son tourbillon... " ; source : Chronique de la Révolution, tome IV, Editions Jacques Legrand, 1988, Paris, p. 287], ruisseler le sang.
 
Massacre à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, 2 septembre 1792. Anonyme.© Photo RMN-Grand Palais - T. Le Mage. Source

Ces craintes, disait-on, sont répandues dans les familles ; chacun tremble pour son père, pour son fils, et on est singulièrement étonné de ce que la Convention ne statue rien sur le sort des détenus.
  Les nouvelles de la Vendée étaient à l'ordre du jour264 ; on débitait d'un côté que l'armée de brigands était composée de 40.000 hommes, d'un autre on la disait une fois plus nombreuse. La majeur partie des soldats, ajoutait-on, de toutes armes qui ont passé pendant l'hiver, ont pris la route de cette ci-devant province ; qu'on se défie de ceux qui sont encore à Paris. " Remarquez, a dit un citoyen, que la plupart ne sont ni blessés ni malades et qu'il n'est pas possible qu'ils aient obtenu des congés dans un moment où leur présence serait si nécessaire à leur corps. " Ce qui a affligé beaucoup de citoyens, c'est qu'on a fait courir le bruit que les brigands égorgeaient nos prisonniers, que Noirmoutier, Mortagne et Cholet étaient pris, qu'ils nous avaient enlevé 50 pièces de canon, et que cet amas de révoltés était plus difficile qu'on ne pense à détruire. Chacun s'est retiré la tristesse dans le cœur.
  Il n'est pas surprenant, disait-on, que Commune-Affranchie [Lyon] soit dénuée d'hommes : en voilà plus de 6000 qui ont été fusillés ou guillotinés, et il suffit d'avoir été l'ami, ou d'avoir eu quelque correspondance, même indirecte, avec un prévenu, pour être soupçonné, incarcéré et puni. " Ce n'est pas par le sang qu'on ramène l'homme égaré à la raison, a répliqué un vieux soldat ; j'ai servi trente ans, et l'expérience m'a toujours dit que la douceur faisait plus de prosélytes que la cruauté ; enfin, il faut croire que les représentants ont eu des raisons pour agir comme ils l'ont fait ; nous avons des lois, il faut nous y soumettre, et tant pis pour celui qui se trouve en faute. " Ce militaire a été approuvé par quelques femmes, mais des citoyens assez bien vêtus qui l'écoutaient attentivement se sont retirés en haussant les épaules.
  On accuse les préposés ou administrateurs de la police de vouloir forcer les citoyens qu'ils conduisent dans les prisons de signer les procès-verbaux d'arrestation sans leur en donner lecture. Lorsqu’on leur fait quelque représentation, ils vous menacent, et vous traitent de scélérat, et, si vous vous y refusez absolument, ils vous font mettre au secret. Ceci s'est dit à la Porte Saint-Martin par des citoyens qui avaient eu leurs parents incarcérés à Saint-Lazare, et on disait qu'un ancien sergent de la marine, actuellement attaché à la police, était un de ceux qui vexait le plus ceux qu'ils arrêtaient.

Rapport de Charmont, W 191

  Les groupes étaient intéressants aujourd'hui pour y entendre les orateurs prêchant l'amour de la Patrie. Dans l'un, l'on racontait les victoires remportées, et les difficultés qu'avaient éprouvées nos braves défenseurs pour terrasser nos ennemis coalisés ; dans un autre, c'étaient les moyens efficaces que prenait le Comité de salut public pour en venir [à bout] à notre honneur et au bonheur de la République. Ailleurs, c'était de nos ennemis intérieurs, et des intrigants qui fourmillent encore parmi les places, les sections, les sociétés populaires, dont le temps, dit-on, est venu de les attaquer de front. Les tribunaux ne sont pas encore bien composés, l'impartialité (sic) y règne par trop ; les lois y sont commentées et mal appliquées, on condamne sans réfléchir, et on y absout les trois quarts du temps le crime. Chacun avait l'air de s'exprimer librement. Dans l'un, on assurait qu'à l'armée du Rhin plus de 3.000 déserteurs autrichiens étaient entrés à Strasbourg, annonçant que les maladies épidémiques ravageaient les armées coalisées ; que les hôpitaux de Francfort en étaient tellement remplis que l'on était obligé de les mettre chez les habitants de l'endroit. Dans un autre, on parlait du sursis que la Convention avait accordé à Chaudot, notaire265 ; on admirait avec quel empressement la Convention venait au secours des malheureux auxquels la loi avait parlé injustement. Le malheur veut, disait-on, qu'il y ait des citoyens qui soient victimes d'une fausse application de la loi, mais, de ces malheurs, la Convention en tire une conséquence qui fait que la loi, une fois qu'elle est révisée, on ne craint plus qu'elle fasse des victimes. Dans un autre groupe, on parlait du débat qu'il y avait eu hier266 à la Société des Jacobins relativement à Vincent, qui voulait être de la Société et dont Momoro était le ferme appui. On les regardait absolument comme deux intrigants, que la Convention avait eu tort de rendre la liberté à Vincent, et que la Société devrait rejeter Momoro de son sein, attendu qu'il est mal famé par plus de la moitié de Paris ; que l'on était très satisfait de ce que Sentex267 n'était plus de la Société, lui, ainsi que bien d'autres, surtout de ceux qui avaient voté le jugement qui a acquitté Miranda268, l'un des plus grands partisans des fameux Girondins.
  Un Français qui était il y a à peu près un an à Venise, se plaignait du consul, dont tous les parents étaient attachés au ci-devant roi, et assurait que par son intercession il faisait venir en France beaucoup d'autres individus sous le prétexte d'une commission, ou par les arts et les sciences, dont il assurait (sic) ; et il disait qu'il en avait encore beaucoup sur le pavé de Paris, dont il serait nécessaire d'en faire une forte perquisition, parce que ce n'était la majeure partie, que des gens soudoyés par nos ennemis, et qu'il y en a déjà quelques-uns de détenus dans les prisons de Paris ; mais surtout que l'on prenne garde à notre consul résidant à Venise, dont il assure être un aristocrate.
  Un citoyen assurait que sous peu nous aurions un mouvement à Paris, que ce mouvement serait amené sous le prétexte que nous manquions de viande, mais que le vrai motif de ce mouvement était pour que la Convention avise aux moyens de réviser la loi sur les accapareurs269 dont elle a l'air, disait-il, de ne plus penser. C'est à quoi on ne croit guère.
  On demande que la Convention fasse juger promptement les députés qui sont accusés d'avoir trempé dans le fédéralisme270 ["... 3 octobre 1793, Paris. Sur le rapport d' Amar, 46 députés, pour la plupart girondins, sont mis en accusation et 73 autres décrétés d’arrestation. Robespierre s'étant opposé à la mise en accusation de tous les protestataires ; source : Chronique de la Révolution, tome IV, Editions Jacques Legrand, 1988, Paris, p. 370. "... c'est la révolte dite fédéraliste qui jette la France dans la guerre civile. Les Girondins en fuite ont tenté, en effet, de soulever les départements qui les avaient élus contre les Montagnards dont nombre de dirigeants ont été envoyés à la Convention par la capitale : pas tous néanmoins : Saint-Just est député de l'Aisne, Couthon du Puy-de-Dôme..., . L'insurrection fédéraliste englobe soixante départements. Ses causes varient selon les régions et dépassent la simple action des Girondins : désir d'autonomie, Corse, mécontentement économique et peur du « maratisme » dans les ports et les grandes villes commerçantes, sentiments royalistes exacerbés, liens avec l'étranger se mêlent dans ce mouvement complexe qui multiplie les paradoxes : Lyon vote la Constitution de l'an I, mais s'insurge contre la Montagne. Le danger est considérable pour la Révolution. À Caen, les Girondins lèvent une armée de quatre mille hommes destinée à marcher sur Paris ; Paoli livre la Corse aux Anglais ; Montauban se soulève ; Toulon passe à l'ennemi ; les Vendéens traversent la Loire et se présentent devant Nantes. [...] L'instauration d'un gouvernement révolutionnaire fondé sur la politique de la Terreur a été la réplique de la Montagne à cette insurrection fédéraliste... " ; source] qui sont en état d'arrestation au Luxembourg et ailleurs ; on est étonné même de ce qu'ils soient si longtemps détenus sans pouvoir être jugés ; on n'est pas content de les voir si longtemps en prison.
 
 
 
En août 1792, naît l’idée d’une « intention fédéraliste » des députés « brissotins ». Groupe de députés cherchant à " brissoter ". Caricature d'époque révolutionnaire

Rapport de Dugas, W 191

  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 110-120.

253. Nous ignorons si cette société est la " Société des Amis de la République une et indivisible, séant rue Montmartre ", qui demande et obtient des Jacobins, le 29 fructidor an II [15 septembre 1794], l'affiliation et la correspondance : Aulard, La Soc. des Jacobins, t. VI, p. 471. - Voir aussi les indications contenues dans Tourneux, Bibliographie, t. II, n° 9689-9692, et dans le Moniteur, réimp., t. XIX, p. 496, la mention de la " Société des Amis de la République une et indivisible, affiliée aux Jacobins et aux Cordeliers depuis 1792, composée de braves sans-culottes ", qui vient faire à la Convention, le 28 pluviôse [16 février 1794], une demande en faveur de Chaudot : cf. ci-dessus, p. 98, note 2.
254. Du 9 brumaire an II [30 octobre 1793].
255. Cf. t. Ier, p. 349.
256. La congrégation de Saint-Jean-de-Dieu, ou Frères de la Charité, qui desservait l'hôpital de ce nom.
257. Bourg-la-Reine.
258. Cf. t. III, p. 352, note 2.
259. Cf. ci-après, p. 183.
260. Cf. ci-dessus, p. 98, note 2.
261. Cf. ci-dessus, p. 27, note 1.
262. Actuellement rue d' Argout [quartier du Mail du 2e arrondissement de Paris] et rue Hérold [1er arrondissement de Paris]
263. Il est nommé, sans plus, dans une déclaration du sieur Cauvin de Caen, du 23 ventôse an II [13 mars 1794], que contient le carton Arch. nat. F7 4635, doss. 4 : verbo Cauvin.
264. Cf. ci-dessus, p. 27, note 1.
265. Cf. ci-dessus, p. 98, note 2.
266. Le 26 pluviôse [14 février 1794]. Cf. Aulard, La Soc. des Jacobins, t. V, p. 653-654.
267. Cf. ci-dessus, p. 37, note 1.
268. Cf. t. Ier, p. 410, note 1. - Sentex était juré au Tribunal révolutionnaire lorsque Miranda fut acquitté.
269. Du 26 juillet 1793. Décidée dès octobre suivant, la révision de cette loi ne fut réalisée qu'en germinal an II [mars-avril 1794]
270. Les soixante-treize.

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