Sûreté nucléaire et sécurité d’approvisionnement électrique : l'heure de la prière est venue

" Je voudrais rassurer tout le monde, il n'y aura pas de black-out général d'ici à la fin de l'hiver ", promet Barbara Pompili ; France Info, 2021 12 19.

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La prophétie de Monsieur Lacoste


Jean Pierre Riou

2021 12 18

  Le 22 juin 2007, le Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) A.C. Lacoste adressait au Gouvernement un avertissement reproduit en fin de cet article.
  Le rapport de décembre du gestionnaire du réseau européen Entsoe et l’avis de l’ ASN de ce même mois montrent la clairvoyance de la prophétie de Monsieur Lacoste et laissent comprendre que le temps est venu où nous allons devoir choisir entre la sûreté nucléaire et la sécurité d’approvisionnement.
  Au risque d’ailleurs de devoir nous passer de l’une comme de l’autre.
  Deux documents majeurs ont été publiés cette semaine :
 - L’analyse, par la Cour des Comptes [1] sur les coûts du système électrique en France
 - L’analyse, par l’Entsoe [2] de l’adéquation des moyens de chaque pays entre production et consommation d’électricité pour affronter l’hiver 2021-2022
  Une bonne illustration valant mieux qu’un long discours, la carte d’Europe des risques résumera cette dernière analyse.


  Sur ces cartes d'Europe, l’Irlande et Malte sont les seuls à partager le risque d'approvisionnement observé pour la France cet hiver, les capacités d’interconnexion ne permettant pas à la France de permettre au mécanisme hors marché de diminuer sensiblement ce risque, qui reste identique sur la carte de droite, contrairement à Malte, où ces ressources hors marché permettent de le supprimer.
  Le risque français d’une énergie nécessaire non distribuée, ou " Expected Energy Not Served " (EENS) est décrit comme proportionnel aux températures, chaque degré en moins entrainant un besoin de 2400MW de puissance électrique supplémentaire [3] en hiver.
  Le risque apparaît limité en Irlande mais plus important à Malte et en France : " Risks appear to be marginal in Ireland, whereas risks in France and Malta appear to be higher "
  C’est à dire essentiellement en France en raison de sa limitation du mécanisme hors marché.
  L’analyse détaillée par pays relève que si le risque français est faible en novembre et décembre, en raison des conditions favorables de température et de vent, janvier-février seront les plus sensibles en cas de vague de froid, surtout combinée avec des indisponibilités nucléaires fortuites.
  Et note que l’hiver 2021-2022 français est marqué par une probabilité de recours plus élevée que d’habitude à des mécanismes post marché tels que l’ interruptibilité d’industriels rémunérés à cet effet, à la réduction de la tension, à l'appel aux gestes citoyens et, en dernier ressort, à des délestages ciblés.
  Rappelons que le recours à chacun de ces moyens, mécanismes transfrontaliers hors marché inclus, sont strictement encadrés par le code de l’énergie [4] et limités à 3 heures par an dans la mission donnée à RTE.
  L’incident fortuit, prophétisé par A.C. Lacoste et redouté par l’Entsoe, n’a pas manqué de se produire juste après la publication du rapport sous la forme d’une corrosion anormale détectée sur les circuits de sécurité de la centrale de Civaux, lors de sa visite décennales. Et l’ ASN informe [5] que « Au regard de l’origine inattendue des fissurations constatées, EDF a pris la décision de mettre à l’arrêt, dans les meilleurs délais, les réacteurs de conception similaire. »
  Comment mieux illustrer l’avertissement de l’ ASN qui écrivait en 2007 [6] « Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence. »

Les prix du système électrique
  La Cour des Comptes vient de publier, ce 13 décembre, ses observations définitives sur les coûts du système électrique en France.
  Là encore, une illustration permettra, d’un regard, de comparer les coûts de chaque filière, afin d'éclairer le choix sur les moyens supplémentaires qu’il aurait fallu mettre en œuvre.
  La Cour mentionne notamment : « Un exercice périodique conjoint de l’AIE et l’ AEN faisant référence ». Lequel mentionne « Les coûts des nouvelles centrales nucléaires ont baissé en 5 ans, le nucléaire est le mode de production décarboné et pilotable avec les coûts prévisionnels les plus faibles à l’horizon 2025 et l’électricité produite à partir de la prolongation des centrales nucléaires existantes constitue le mode de production de l’électricité le plus compétitif ».
  Et ajoute : « La comparaison des LCOE (Levelized cost of energy) des différentes technologies, calculés sans tenir compte des coûts de réseaux ou des externalités, est résumée dans le graphique ci-dessous. »

Nuclear LTO représentant ici la prolongation du nucléaire existant, Long Term Operation, et les extrêmes de prix, en fonction notamment des conditions locales, étant représentés par les 2 tirets qui encadrent le trait vertical noir.

  Concernant les coûts du réseau et les externalités, le rapport AIE-AEN [7] cité mentionne effectivement que le LCOE du tableau ainsi reproduit, indique un coût de MWh « sorti de la centrale de production » mais reste insuffisant pour comparer les coûts réels entraînés par chaque filière pour la raison que certaines entraînent des externalités sur le réseau et une nécessité de stockage qui demanderaient une approche plus complète d’ajustement de la valeur réelle de la production, ou « value-adjusted LCOE (VALCOE) ».

La sécurité en question
  En effet, malgré les indisponibilités nucléaires historiquement hautes, avec notamment 16,8GW [8] sur les 61 GW du parc nucléaire, arrêtés pour maintenance programmée ou incident fortuit au 4/12/2021, la production des réacteurs disponibles montre un profil de production d’une autre valeur pour la sécurité d’approvisionnement, dans l’illustration ci-dessous, que celle des filières éolienne et photovoltaïque, reproduite dans l’illustration qui suit, toutes 2 étant tirées des données de RTE « Eco2mix » pour la production d’électricité depuis début novembre.


 



Avertissement : ces 2 illustrations ont été publiées dans une communication sur Twitter sans que leur auteur ait été mentionné. Dans un souci de rigueur, une plus grande transparence de la source[9] les complètera dès que possible.

  Il ressort de cette comparaison que ce n’est pas la faiblesse du facteur de charge moyen de l’éolien et du PV qui représentent la plus grosse difficulté, mais l’effondrement aléatoire de leur production, telle qu'entre le 7 et le 12 novembre, alors qu’on ne sait toujours pas stocker l’électricité en quantité suffisante pour supporter un tel manque.

Attributions ministérielles
  En vertu du décret 2020-869 du 15 juillet 2020 [10], et au titre de l'énergie et du climat, le ministre de la transition écologique « élabore et met en œuvre la politique de l'énergie, afin, notamment, d'assurer la sécurité d’approvisionnement. » C'est-à-dire, en l’occurrence, de respecter les critères de défaillance électrique fixés sous sa propre responsabilité, en vertu de l’article L141-7 du code de l’énergie [11].
  C’est la raison pour laquelle la ministre B. Pompili déclare avoir reçu J.B. Levy [12]afin de « demander à EDF de prendre des mesures pour renforcer la sécurité d'approvisionnement électrique cet hiver ».
  L’ombre de Fessenheim devait planer sur cet entretien, ainsi que la liste des 14 réacteurs [13] dont EDF avait eu la mission de proposer la fermeture pour respecter la Programmation pluriannuelle de l’énergie.
  Que les responsables se rassurent, la météo agricole à long terme [14] prévoit des températures clémentes cet hiver, avec une fiabilité de prévision estimée à 60%.
  Mais tant de gens chérissent les causes dont ils déplorent les effets [15] qu’on peut déjà prévoir qu’en cas d’absence de rupture d’approvisionnement, ce sera officiellement grâce à la générosité de la production éolienne, et malgré les indisponibilités du nucléaire.



  C’était en 2007.
  Qu’on se le dise !


1 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lanalyse-des-couts-du-systeme-electrique-en-france
2 https://www.entsoe.eu/outlooks/seasonal/
3 https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/sensibilite-a-la-temperature-et-aux-usages/#
4 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000023983208/LEGISCTA000033313570/
5 https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/corrosion-detectee-sur-le-circuit-ris-du-reacteur-1-de-la-centrale-de-civaux
6 http://www.senat.fr/rap/r06-357-2/r06-357-24.html
7 https://www.iea.org/reports/projected-costs-of-generating-electricity-2020
8 http://lemontchampot.blogspot.com/2021/12/quand-le-nucleaire-foisonnera.html
9 https://twitter.com/TristanKamin/status/1471538237739085839?s=20
10 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000042121148/
11 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043215173/
12 https://twitter.com/barbarapompili/status/1471904550814683143
13 https://www.capital.fr/economie-politique/voici-la-liste-des-14-reacteurs-nucleaires-qui-devraient-fermer-dici-2035-1360260
14 https://www.terre-net.fr/meteo-agricole/article/quel-temps-pour-debut-2022-et-pour-les-premiers-semis-de-printemps-2179-204093.html
15 https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/198138

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