Union européenne, énergie : Allemagne 1- France 0 ou lobby gazier 1- lobby nucléaire 0

   "... Elle aide à prendre conscience du caractère central de l’Allemagne et de la façon dont elle tient le continent européen. [...] Je pense que jamais l’Allemagne n’aurait été capable de prendre le contrôle du continent sans la coopération de la France. C’est un autre élément représenté par cette carte : la servitude volontaire de la France et de son système économique et, à l’intérieur de ce cadre, l’acceptation par les élites françaises de ce qui est peut-être pour elles – mais non pour le peuple français – la prison dorée de l’euro. Les banques françaises survivent tant bien que mal dans cette prison dorée. La France ajoute ses 65 millions d’habitants à l’espace allemand direct et lui confère ainsi une sorte de masse critique d’échelle continentale. [...] Ce bloc noir et gris représente le cœur de la puissance allemande ; il maintient dans la soumission l’Europe du Sud, devenue une zone dominée à l’intérieur même du système européen. L’Allemagne est détestée en Italie, en Grèce, et sans doute dans toute l’Europe du Sud, pour sa main de fer budgétaire. Mais ces pays n’y peuvent rien, parce que l’Allemagne, avec son espace proche plus la France, a la capacité de tout dominer. Ces pays sont représentés en orange sur la carte... [...] Or, fondamentalement, le nouveau système allemand repose sur l’annexion de populations actives. Dans un premier temps ont été utilisées celles de la Pologne, de la Tchéquie, de la Hongrie, etc. Les Allemands ont réorganisé leur système industriel en utilisant leur travail à bas coût..."

Emmanuel Todd, L’Allemagne tient le continent européen, interview, Les Crises. fr, épisode 3, 2014.

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L’UE, le nucléaire et le gaz : sous les incohérences, des influences

Dominique Finon
2021 12 27

   Bruxelles vient de présenter le nouveau régime « d’aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie » qui a pour objectif principal de faciliter l’atteinte des objectifs climatiques de 2030 et 2050 en autorisant les subventions pour toutes les technologies contribuant à la transition énergétique. Or le nucléaire en est exclu, tandis que les productions électriques à base de gaz naturel y sont couvertes. Que cachent ces incohérences ?
  Au cours des derniers mois, les pays défenseurs de l’option nucléaire se sont focalisés sur la fameuse taxonomie qui consiste à labelliser les équipements et les technologies « durables » pour les faire bénéficier de financements privilégiés, afin que le nucléaire y soit inclus, en contrant l’influence de l’Allemagne qui avait réussi à le faire exclure du premier projet fin 2019.
  Ce n’est pas encore gagné, car pendant ce temps la DG Concurrence concoctait dans son coin, sans consultation des gouvernements, la réforme des « lignes directrices », qui définissent les règles selon lesquelles les États membres peuvent octroyer des aides d'État aux entreprises, qui ne couvraient jusqu’ici que les énergies renouvelables. Les lignes directrices vont codifier la structure des contrats de garanties de revenus de long terme, en encourageant leur mode d’attribution par enchères. Or le nucléaire, technologie bas carbone par excellence, ne sera pas couvert par ces nouvelles lignes directrices, ce qui signifie aussi qu’il y a une bonne probabilité pour qu’il soit finalement exclu de la taxonomie.
  Exclure le nucléaire des nouvelles lignes directrices est une décision lourde de conséquences, comme on va le voir.
  Tout d’abord, si le nucléaire n’est pas couvert par les lignes directrices, les contrats concernant les projets de centrale ne pourront être autorisés qu’au cas par cas : comme ce fut le cas du projet britannique de Hinkley Point C et plus récemment du projet tchèque de Dukovany. De tels processus sont lourds de coûts de transaction, de délais et d’incertitudes, ce qu’éviterait une inclusion dans le régime d’aides d’État.
  Ensuite, l’enjeu financier est lui aussi considérable : quand un projet intègre un contrat de garanties de revenus, son financement peut se faire par emprunts à un coût réduit. Il faut savoir que les coûts de financement d’une centrale nucléaire représente une part importante de l’investissement initial, et donc du prix de revient de l’électricité produite. Le coût des capitaux pourrait être de 4-5% avec des contrats de garanties de revenus, au lieu de 8-10%, ce qui rendrait le prix de revient par MWh 40% moins cher pour le même coût « sec » d’investissement.
  Les nouvelles lignes directrices ont pour principal enjeu de faciliter l’atteinte des objectifs climatiques de 2030 et 2050. Elles élargissent le champ des aides possibles à des secteurs comme la mobilité électrique, la décarbonation industrielle, la rénovation thermique des bâtiments, ou l’économie circulaire. Cela concerne en particulier les « contrats carbone pour différences », dont on parle beaucoup pour ces technologies. Ces contrats consisteront à faire payer par l’État la différence entre le prix du carbone dans le système européen des quotas échangeables et le coût d’abattement d’émissions que permettrait l’équipement par rapport à un équipement conventionnel : comme par exemple entre la production de dihydrogène vert par électrolyse et la production classique par vapo-réformage du gaz naturel.
  La DG Concurrence précise que « ce qui nuit aux ambitions climatiques ne pourra plus être reconnu par le régime des aides d’État ». Mais elle nous dit en même temps qu'une « clause spéciale » s'appliquera au gaz naturel, permettant aux « États membres dont le PIB est le plus faible de passer du charbon au gaz ». Seraient visés, paraît-il, les pays comme la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie, qui dépendent encore fortement du charbon en production électrique et qui prévoiraient d'investir dans des projets gaziers pour les remplacer. Mais ces autres pays ne seraient-ils pas aidés plus efficacement dans leur transition par une mesure favorable au nucléaire et à son financement, puisqu’ils ont des ambitions dans ce domaine, précisément pour décarboner ?
  Exclure le nucléaire et inclure le gaz naturel est incohérent. Derrière ce choix, on devine l’Allemagne à la manœuvre, car c’est elle la première bénéficiaire de la mesure pragmatique en faveur du gaz, dont on sait l’importance devant les difficultés qui l’attendent dans sa transition à base des seules ENR. Le problème est ici que cette solution allemande s’impose à d’autres pays. Dans ce domaine comme dans d’autres l’Allemagne tend à imposer ses compromis politiques aux autres Etats-membres, quels que soient les intérêts des autres pays. Et la solution « française » du nucléaire, qui ouvrirait à ces pays d’autres possibilités, subit un arbitrage défavorable. Il faut appeler un chat un chat : en matière énergétique il n’y a plus d’axe franco-allemand : l’Europe telle qu’elle avait été imaginée avec la CECA et l’ Euratom n’a plus aucune existence. Les deux plus grands États-membres divergent sur les choix de mix électrique, et le plus puissant ne pousse pas seulement ses intérêts mais cherche aussi à entraver l’option nucléaire du second, en essayant d’imposer ses choix sur les EnR électriques dans une Europe dont les marchés sont étroitement interconnectés. Tout cela pose un problème de fonds pour l’avenir de l’Europe.
  En cette fin d’année le jeu sur les lignes directrices et sur la taxonomie n’est pas encore complètement terminé. Il y a donc urgence à ce que la France réagisse en profitant de la période de présidence française de l’UE. Il faut renforcer la coalition des dix pays défendant le nucléaire, à laquelle pourraient s’adjoindre les Pays-Bas dont le gouvernement cherche à rouvrir l’option nucléaire.

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