Les businessmen de la Transition écologique, éolien, solaire, méthanisation, biomasse, etc. ont beau se déguiser en "petits hommes verts", la triste réalité est qu'ils ne sont QUE les copies conformes des marchands d'autrefois, ou les mêmes, qui régnaient dans l'énergie fossile. Leur réussite insolente est due, en partie et, comme toujours, à la coopération et au laxisme de l' Etat :
" (...) Mais l’administration persiste à fermer les yeux puisque la responsabilité incombe à l’exploitant. « Le sous-préfet indique que l’autosurveillance est la règle générale en matière d’installation classée et qu’elle n’a pas à être assurée par les services de l’État. » Irresponsabilité d’un côté, sentiment d’impunité de l’autre.[...] Les pouvoirs publics, préfectures et GRDF, regardent avec bienveillance les gros projets pour atteindre les objectifs d’énergies renouvelables. "
La catastrophe environnementale est imminente et avec elle, surgit la sombre certitude qu'elle ne sera pas limitée dans le temps!
"Qui épuise sa terre épuise sa bourse "
Proverbes et dictons agricoles (1865)
La ruralité portant le deuil
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Méthanisation : la fuite en avant de l’agro-industrie
Nicolas de La Casinière (Reporterre et La Lettre à Lulu)25 août 2020 /
Produire du gaz avec des déjections animales, au premier abord, l’idée séduit. Sauf que deux très gros projets de mégaméthaniseurs en Loire-Atlantique illustrent les dangers du développement industriel de la méthanisation. Celle-ci apparait comme une nouvelle dérive du système productiviste agricole.
Nantes (Loire-Atlantique), correspondance
Une coopérative d’éleveurs de Loire-Atlantique mène deux projets de mégaméthaniseurs visant à recycler 500.000 à 650.000 tonnes de leurs effluents d’élevages laitiers et bovins par an. Ce seraient les plus énormes méthaniseurs agricoles jamais construits en France, trois à quatre fois plus gros que les plus grosses unités du genre. Ces projets agro-industriels de Corcoué-sur-Logne et Puceul inquiètent les riverains mais aussi une partie des paysans. À 30 et 40 km de Nantes, les deux projets imaginent servir en gaz le réseau de GRDF en recyclant du fumier et du lisier de vaches [1], mais aussi des cultures spécifiques nécessaires à leur fonctionnement, au risque de détruire le système herbager local. Les enquêtes publiques pourraient avoir lieu en décembre 2020.
À la manœuvre, un tandem formé par une société danoise spécialisée, Nature Energy, et la Coopérative agricole du pays d’ Herbauges, principal investisseur, qui regroupe 385 éleveurs surtout laitiers, très peu en bio, et a compté 54 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019.
Jusqu’à 120 passages de camions par jour
En se faisant gaziers, les éleveurs tablent sur un revenu sûr, face au yoyo du prix du lait soumis à la spéculation d’un marché international. De prime abord, la valorisation des rejets de l’élevage ne paraît pas une idée idiote, limitant les gaz à effet de serre en offrant une énergie renouvelable en circuit court. Mais ce modèle n’a de sens que pour les petites installations, à l’échelle d’une ou deux fermes. Au-delà, il a des effets pervers.
Les deux projets de la Coop d’ Herbauges voient très grand. À Corcoué, dossier le plus avancé pour l’heure, l’usine miserait 60 millions d’euros pour traiter 650.000 tonnes de bouse de vache par an, soit 1.800 tonnes de cette « biomasse » par jour, sept jours sur sept. Les promoteurs parlent de cent à cent-vingt passages quotidiens de camions, pudiquement appelés « véhicules » pour les fondre dans les statistiques de trafic routier, masquant le fait que les poids lourds contribuent beaucoup plus vite à l’usure des routes, à la charge des communes ou du département.
Le gros hic, c’est que ce type de méga-équipement pousse à une logique productiviste, comme l’agriculture qu’il sert, avec un objectif d’abord énergétique, comme en Allemagne. L’outil génère ses propres enjeux. Il faut alimenter en continu l’usine, tout en maintenant un délicat équilibre à la décomposition organique. Fumier et lisier ne fonctionnent pas seuls. Il faut leur ajouter des cultures intermédiaires — avoine, orge, voire maïs —, plantées dans le seul but de nourrir le processus de production du gaz. D’où le danger de changer l’usage des sols en remplaçant des cultures alimentaires par des cultures énergétiques, la terre qui gaze remplaçant la terre qui nourrit. « Trop de végétaux qui ne sont pas des déchets alimentent les méthaniseurs » note la Confédération paysanne.
Pour fonctionner, un méthaniseur doit recevoir régulièrement du substrat, fumier et lisier mais aussi cultures intermédiaires — avoine, orge, voire maïs —, plantées dans le seul but de nourrir le processus de production du gaz.
Lors de la réunion publique à Nozay en janvier 2020, les promoteurs ont vanté la production durant l’été de sorgho, de colza et de triticale, désignés sous le nom de « Cives » pour « cultures intermédiaires à vocation énergétique » et assumant le glissement vers un nouveau métier : énergiculteur.
Le digestat concentre pesticides et antibiotiques
Si ce qui entre dans ces usines à gaz pose problème, ce qui en sort n’est pas mieux. La matière restante après production du gaz, le digestat, est utilisé comme un engrais épandu sur les terres agricoles, et est présenté comme un substitut aux intrants chimiques. Sauf que les fermes bio n’en veulent pas, parce que ce digestat sortant d’élevages intensifs concentre pesticides et antibiotiques… La Coop d’ Herbauges a prévu une ligne de production mêlant déjections d’agriculteurs conventionnels et bios, dont le digestat pourrait être dispersé sur les terres en bio, sans pour autant enfreindre les règles. Cela est notamment possible parce que le digestat, comme les boues d’épuration, est sorti officiellement de son statut de déchet en 2018, grâce à la loi Egalim, applicable depuis janvier 2020. Or, la cuve du digesteur est une marmite d’éléments pathogènes nocifs pour les vers de terre ou les abeilles, avec le risque d’empoisonner les sols sur lesquels ces résidus sont étendus, selon le Collectif scientifique national sur la méthanisation (CSNM).
Comme le biogaz est inflammable, partout en France, il flambe. Rien qu’en 2019, un silo du méthaniseur en construction à Plouvorn (Finistère) a explosé en juin, suivant des incendies similaires à Sauveterre-la-Lémance (Lot-et-Garonne) en février et à Saint-Gilles-du Mené (Côtes-d’Armor) en juillet. Un service de l’État, l’Aria, liste des dizaines d’incendies de méthaniseurs, des big bags de charbon actif qui brûlent, des fuites de gaz, des eaux polluées avec poissons crevés alentour, une cuve qui se disloque, les eaux de lessivage ou les lixiviats [lors de leur stockage et sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de
la fermentation naturelle, les déchets produisent une fraction liquide
appelée « lixiviats ». Riches en matière organique et en éléments
traces, ces lixiviats ne peuvent être rejetés directement dans le milieu
naturel et doivent être soigneusement collectés et traités] qui débordent, un gazomètre qui explose, une double membrane qui éclate, une vis d’alimentation qui s’est fissurée…
Pour le commissaire-enquêteur, « on va droit à des problèmes de salubrité publique et à de graves pollutions environnementales »
Valdis, à Issé (Loire-Atlantique) est un bel exemple de la dérive de la filière. Porté par l’équarrisseur Saria, actionnaire majoritaire, allié à la coopérative Terrena, le méthaniseur inauguré en 2012 reçoit des déchets de restauration, de l’industrie, des collectivités, des effluents… Ce projet de 15 millions d’euros dont 2,4 millions de subventions a eu droit à des commentaires au vitriol du commissaire-enquêteur en 2019 lors de l’enquête publique pour le plan régional de prévention et de gestion des déchets. Étaient ainsi soulignés :
- trois moteurs de cogénération dégazent beaucoup plus d’oxydes d’azote, alias NOx et puissant gaz à effet de serre, que le plafond autorisé ;
- 7.000 tonnes de digestats épandus en toute illégalité au-delà de la quantité réglementaire autorisée ;
- les intrants proviennent du Finistère et même de l’Allier et du Haut-Rhin : 1.700 km aller-retour !. Bonjour le bilan carbone.
Le commissaire a conclu qu’« il est nécessaire de changer la réglementation concernant les unités de méthanisation et les digestats. Dans l’état actuel de la situation, on va droit à des problèmes de salubrité publique et de graves pollutions environnementales » et s’élève contre le principe de « l’autosurveillance », qui consiste à laisser l’exploitant dire si tout va bien ou pas. « On ne peut consciemment confier plus de déchets à des unités qui n’ont pas fait la preuve de leur sérieux et de leur capacité à prendre en considération les populations riveraines, la biodiversité et l’environnement. »
Une unité de méthanisation des effluents d’élevage à Mayrac, dans le Lot.
Ce sujet sensible de l’autosurveillance a été abordé lors d’une audition de la commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables. À propos de Valdis, qui persiste à empuantir ses voisins, une inspectrice des installations classées constate l’absence du biofiltre pourtant prévu dans l’arrêté préfectoral. Mais l’administration persiste à fermer les yeux puisque la responsabilité incombe à l’exploitant. « Le sous-préfet indique que l’autosurveillance est la règle générale en matière d’installation classée et qu’elle n’a pas à être assurée par les services de l’État. » Irresponsabilité d’un côté, sentiment d’impunité de l’autre. Et ça ne risque pas de s’arranger car les méthaniseurs, comme toutes les installations classées, voient leurs normes s’alléger.
À ce stade, les deux mégaprojets dépendent du nombre d’éleveurs prêts à devenir contributeurs en lisier et en fumier car, en tant que coopérateurs de la Coop d’ Herbauges, ils sont conviés à co-investir plus de 90.000 euros chacun. Une somme importante pour une profession déjà endettée. Problème : ce gaz revient plus cher que les combustibles fossiles, d’où le soutien de l’État via le tarif de rachat garanti sur quinze ans, qui assure un retour sur amortissement à sept ou huit ans.
Une vraie aubaine pour l’agriculture industrielle, les multinationales et les banques qui les accompagnent. Mais il faut faire vite : en 2021, le tarif de rachat du gaz pour ces énormes dossiers ne sera plus automatiquement garanti par l’État, mais uniquement sur appel d’offres, les autres seraient soumis à la « libre loi du marché ». Beaucoup plus risqué. Les pouvoirs publics, préfectures et GRDF, regardent avec bienveillance les gros projets pour atteindre les objectifs d’énergies renouvelables.
Les riverains commencent à s’imaginer la fréquence de passage des poids lourds, découvrent les risques d’odeurs, les précédents d’incendies dans toute la France. Quant aux vaches, elles continuent de ruminer dans leur coin.
[1] La méthanisation consiste à utiliser les déjections animales mêlées à des cultures intermédiaires (avoine, orge, etc.), des résidus céréaliers et à les mélanger dans un digesteur, aussi appelé « méthaniseur ». Cette grosse marmite chauffe la mixture à 38 °C pendant plusieurs semaines : il s’en dégage du méthane, un gaz qui peut ensuite être converti en électricité.
Source : Nicolas de La Casinière, pour Reporterre, à partir d’un dossier paru dans La Lettre à Lulu, le journal satirique nantais.
Photos :
. chapô : l’unité de méthanisation d’une ferme dans le département du Nord. Wikipedia (Jérémy-Günther-Heinz Jähnick/CC BY-SA 3.0)
. camion : © Julie Lallouët-Geffroy/Reporterre
. Lot : une unité de méthanisation des effluents d’élevage à Mayrac, dans le Lot. Wikipedia (GrandBout/CC BY-SA 4.0)
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