Moselle, Sarreguemines : le solaire chinois se lève à l' Est

"Quand on suit quelqu'un de bon, on apprend à devenir bon ; quand on suit un tigre, on apprend à
mordre.
"
Proverbe chinois

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Le projet d’usine géante solaire de Sarreguemines Naissance d’un nouveau géant solaire chinois...en France


Géopolitique de l' Electricité
2021 09

   Le projet de construction à Sarreguemines (Moselle) d’une usine géante de cellules photovoltaïques, qui ferait de la France, le premier fabricant de modules solaire, et de loin, de l’Union Européenne. Le Gouvernement français soutient le projet. Nous tentons de répondre à vos interrogations en complétant nos données de l’étude précédente dans une Annexe à notre Lettre de septembre .
  Le projet d’usine en Moselle est l’aboutissement d’une stratégie industrielle de quinze ans de China National Bluestar, société membre de Sinochem Holdings, première entreprise chimique mondiale et géant étatique chinois. China National Bluestar possède, en Norvège et en France, des usines de silicium et de silicones fort utiles à la fabrication de cellules photovoltaïques. L’usine géante de Sarreguemines produirait des cellules solaires de dernière génération (HJT).

Préambule : les acteurs chinois impliqués
  - SASAC : sigle anglais pour « State-owned Assets Supervision ans Administration Commission ». Le SASAC est « une organisation ad hoc de niveau ministériel directement subordonné au Conseil d’État. Le Comité du Parti du SASAC exerce les responsabilités qui lui ont été confiées par le Comité du Parti Communiste Chinois ».
  Ces responsabilités sont la supervision et l’administration des actifs propriétés de l’Etat chinois dans les entreprises. Le Conseil d’État chinois n’a pas le rôle du Conseil d’État français. Présidé par le Premier Ministre il rassemble les ministères. Mais en Chine le pouvoir appartient au Parti. Les responsabilités du SASAC lui sont déléguées par le Parti Communiste.
   - ChemChina : « aspire à être une entreprise chimique générale de classe mondiale, dirigée par la science et la technologie ». Elle affiche 148 000 employés dont 87 000 hors de Chine. Elle est active dans l’agrochimie, la transformation des produits pétroliers et les pneumatiques, elle possède Pirelli. Elle indique comprendre 346 centres de recherches dont 150 à l’étranger.  Elle est propriété à 100% du SASAC. L’administration Trump l’avait classée dans la liste noire des entreprises liées à l’armée chinoise. L’administration Biden l’en a retirée.
  - China National Bluestar (Groupe) : est une « société membre » de ChemChina spécialisée dans les nouveaux matériaux et la nutrition animale. Fort présente hors de Chine, China National Bluestar insiste sur la part importante des étrangers, non-chinois, parmi ses cadres supérieurs. En France, elle a acheté Adisseo, l’un des leaders mondiaux de la nutrition animale, et Rhodia Silicones en 2006. ChemChina possède 63,8 % du capital de China National Bluestar.
  - Elkem : a été acquise en 2011 par China National Bluestar. Son siège est à Oslo où elle est cotée en bourse. Emploie 6800 personnes. Elkem Silicones est l’une de ses Divisions. Les ancienne usines  de Rhodia Silicones, et ex. Rhône Poulenc, font maintenant partie d’ Elkem Silicones, qui possède également des usines en Chine. Par contre, une autre part d’ Elkem, Elkem Solar, fabrication de silicium, a été rattachée à REC Solar.
  - REC Solar : a été acquise par China National Bluestar en 2015. Si son siège reste à Oslo où elle est cotée en bourse, elle s’est largement délocalisée à Singapour. Fabrique des cellules solaires et du silicium. Récemment Sinochem, le groupe étatique chinois du raffinage a fusionné avec ChemChina pour créer un énorme pôle énergie-chimie, Sinochem Holdings. Ce nouveau groupe géant appartenant à l’Etat chinois est présent dans 150 pays et fort de 220 000 employés. Son chiffre d’affaires est estimé à 150 milliards de dollars. Sinochem Holdings devient la première entreprise chimique mondiale. Sinochem, comme ChemChina avaient été placée sur la liste noire des entreprises chinoises liées à l’armée par l’administration Trump. L’administration Biden,  comme pour ChemChina l’en a retiré, ce qui entraîne que Sinochem Holdings n’y figure pas. 

 I) Une « megafactory » solaire en Lorraine
  Fin 2019, REC Solar commença à s’intéresser à un site industriel près de Sarreguemines (Moselle) afin d’y construire une grande usine de production de panneaux solaires. REC Solar envisagea d’abord un investissement de 680 millions d’euros, qui pourrait ensuite atteindre le milliard. Quinze cents emplois seraient créés au départ, deux mille cinq cents ensuite. Il ne s’agit pas d’assembler des modules d’éléments fabriqués ailleurs comme se fait couramment en Europe. C’est ce que fait Maxeon, une entreprise dont Total est actionnaire à Porcelette (Moselle). À Sarreguemines devraient bel et bien être produites les éléments de base, c’est-à-dire des cellules photoélectriques. De plus elles relèveraient de la technique d’avant-garde dite d’hétérojonction (HJT). La production serait très importante : 2GW /an dès 2022, 4GW/an en 2025. Ce projet marquerait le retour d’une grande production de cellules photovoltaïques dans l’Union européenne, dont les usines avaient été balayées par les entreprises chinoises. Un tel projet ne peut provenir que d’une grande entreprise. C’est le cas. REC Solar est une entreprise du Groupe China National Bluestar. Ce Groupe était une «société membre » de ChemChina, et aujourd’hui, de Sinochem Holdings qui en possède 63,8% du capital.
  Sinochem Holdings est propriété de l’Etat Chinois et à ce titre relève d’une administration, la SASAC, dont les compétences ont été déléguées par la Parti Communiste Chinois. REC Solar est une filiale de Sinochem Holdings, entreprise dont le capital appartient à l’Etat chinois, donc sous la coupe du SASAC, l’organisme public dont les pouvoirs sont délégués par le Parti Communiste Chinois.

II) La stratégie solaire de ChemChina, puis de Sinochem Holdings
  La stratégie solaire de ChemChina, puis de Sinochem Holdings a été confiée à sa filiale China National Bluestar, dont elle détient 63,8% du capital. Elle s’appuie sur trois axes :
1. Un pôle silicones
  Les silicones sont des produits essentiels du monde moderne, présents dans d’innombrables applications, de la construction aux cosmétiques en passant par l’automobile. Ce sont des polymères à base de silicium et non de carbone. Ces produits jouent un rôle essentiel dans la fabrication des modules solaires en fournissant des adhésifs spéciaux très fiables et protégeant de l’humidité. En 2007, China National Bluestar acheta Rhodia Silicones, issue, après quelques péripéties, de l’ex-grand chimiste français, feu Rhône Poulenc. En 2011, est acquis le norvégien Elkem, et ses activités dans les silicones. Furent ajoutées quelques usines chinoises. China National Bluestar a ainsi constitué le vigoureux pôle silicones de ChemChina, appelé Elkem Silicones. La gestion chinoise est efficace. L’essentiel du personnel et des dirigeants européens a été conservé. Elkem Silicones France possède toujours les usines de Rhône Poulenc à Saint Fons (Rhône) et Roussillon (Isère). Son siège est à Lyon. Le patron est Frédéric Jacquin, un ancien de Rhône Poulenc qui vient d’annoncer la création en France d’une troisième usine1. Elkem Silicones propose une gamme complète de produits. Naturellement les applications solaires en font partie. Dès 2010, Rhodia Silicones devenu filiale du groupe chinois, avait lancé une gamme de précieux adhésifs de haute performance pour l’industrie solaire, donc fabriqués en France2. Elkem Silicones est une entreprise prospère qui commercialise une gamme complète de silicones dont des produits adhésifs de haute qualité, composants indispensables et importants pour l’industrie solaire. Elkem Silicones est très présente en France.
1 Cf. Les Echos du 19/2/2021
2 PR Newswire, 30 mars 2010

2. La fabrication de silicium de grande qualité pour cellules solaires
  Le silicium est le composant le plus important des modules solaires. Le norvégien Elkem acquis en 2011 par China National Bluestar possédait une filiale, Elkem Solar producteur d’un silicium de haute pureté destiné à l’industrie solaire. Elkem Solar a été intégré à REC Solar.

3. La maitrise d’une technologie de pointe : l’hétérojonction (HJT)
   REC (Renewable Energy Corporation) était une vaillante entreprise norvégienne spécialisée dans les cellules photovoltaïques. Comme bien d’autres, elle subit la dure concurrence chinoise. Le transfert de ses activités à Singapour en 2010 ne suffit pas à redresser à la situation. En 2015, elle fut achetée par China National Bluestar et devint REC Solar. China National Bluestar, la fit fructifier en gardant les compétences des employés, comme cela s’était passé pour les Français de Rhodia.    L’équipe technique de REC fut choyée. Shankar Sridhara, PhD de l’université de Pittsburgh, un ancien de REC fut nommé en 2019, Directeur Technique. REC développa la HJT, heterojunction technology, une technologie de fabrication des cellules solaires considérée aujourd’hui comme devant remplacer les méthodes actuelles. Plus simple, elle conduit à des cellules photovoltaïques plus efficaces. REC devenu REC Solar, a déposé des brevets correspondant à cette technique en Europe, aux Etats-Unis et en Chine. La HJT fait l’objet d’une âpre compétition. La bataille des brevets fait rage en particulier en face du sud coréen Hanwha. Mais REC Solar est en
passe de la gagner
.
  REC Solar commercialise des modules HJT de sa propre technologie. On ne s’étonnera pas que la première entreprise chinoise qui en soit équipée soit China National Bluestar

L’aboutissement : une grande usine solaire à Sarreguemines?
  Ainsi ChemChina, dispose de trois compétences de base pour la fabrication des cellules solaires : les produits adhésifs siliconés, le silicium et la technologie de pointe HJT. L’Union européenne se précipite aujourd’hui sur les renouvelables et constitue un énorme marché largement approvisionné par des importations chinoises. Le coût des cellules solaires a chuté. Le prix du transport a explosé.   Fabriquer sur place au sein le marché européen ne permettrait-il pas de concurrencer les autres entreprises chinoises qui exportent leurs modules solaires ? C’est le pari qu’avait fait ChemChina, aujourd’hui Sinochem Holdings, avec le projet d’usine géante de Sarreguemines. L’entreprise connait bien la France, par les usines ex-Rhodia et Adisseo, les adhésifs siliconés des cellules y sont produites. Le silicium vient de Norvège. Le gouvernement français est favorable au projet.

III) Reconstruire l’industrie solaire européenne ?
   La reconstruction d’une industrie solaire européenne est un grand espoir qui repose essentiellement sur l’arrivée d’une nouvelle technologie des cellules photovoltaïques HJT (hétérojonction) qui permettrait de concurrencer l’industrie chinoise. Ainsi l’entreprise suisse Meyer Burger et le laboratoire du CEA, le Liten, y travaillent ardemment. Le problème est de passer à la production industrielle. Une nouvelle technologie pour les cellules ne suffit pas, d’autres compétences sont nécessaires. Il faut s’appuyer sur un grand pôle industriel capable de déployer à long terme une stratégie technique, financière et commerciale au niveau international. Ce qu’a fait ChemChina devenu Sinochem Holdings, le premier chimiste mondial. L’entreprise suisse Meyer Burger, ne trouvant pas d’industriel européen, a tenté de collaborer avec ... REC Solar c’est-à-dire avec ChemChina. Les Chinois n’ont pas donné suite. Meyer Burger a du se rabattre sur un modeste projet allemand subventionné par le Land de Saxe-Anhalt. De même, le laboratoire français Liten, du CEA n’a trouvé qu’une collaboration de taille limitée avec l’électricien italien Enel en Sicile.
  À l’annonce du projet de grande usine de Sarreguemines, certains se sont inquiétés en France. Les Chinois utiliserait certainement dans cette megafactory de Lorraine, la technologie HJT du Liten « Institut phare de la recherche française dans le photovoltaïque ». Il sera donc nécessaire de faire preuve d’une « extrême vigilance lorsque l’on négociera les termes de protection industrielle de la technologie du Liten-CEA ». Ces termes rappellent une enquête lancée en 2011 par l’Inspection Générale des Finances concernant des transferts abusifs de technologie française vers la Chine dans le domaine nucléaire. Cela faisait suite à de révélations du Canard Enchaîné, en général moins défenseur de nucléaire français. Hélas, les Chinois qui préparaient à l’époque leur réacteur vedette Hualong One, concurrent de l’ EPR et dont le premier chantier est désormais achevé, en six ans, refusèrent la collaboration française...puisqu’ils avaient leur propre technologie.
   Aujourd’hui, de même, ils possèdent leur propre technologie solaire HJT. Shankar Sridhara, le directeur technique de REC Solar, a déposé les brevets correspondants à l’Office Européen des Brevets, entre autres. Une dure bataille des brevets avec le Sud Coréen Hanwha tourne en faveur des Chinois. REC Solar a commencé à installer ses cellules photovoltaïques HJT. L’entreprise a refusé la collaboration de Meyer Burger. Elle n’a pas besoin non plus de l’apport du Liten-CEA, dont la propriété intellectuelle ne sera ainsi pas en danger. REC Solar utilisera à Sarreguemines, sa propre technologie.
   Au sein de l’Union européenne, aucun grand pôle industriel n’a déployé sur une quinzaine d’années une stratégie comparable à celle de ChemChina, menant à une production industrielle de cellules solaires reposant sur la technologie la plus avancée (HJT). Cette stratégie mène à un projet d’une usine géante au sein de l’Union Européenne elle-même. En conséquence un spécialiste du solaire allemand, Götz Fishbeck, du cabinet de conseils Smart Solar, indique « Il y a peu de raison qu’un nouveau printemps vienne pour l’industrie solaire européenne ».

IV) Un nouveau géant solaire chinois existe ...en France
   Le projet de gigafactory de modules solaires de Sarreguemines, devrait faire passer la production de la filiale de Sinochem Holdings, le géant étatique chinois de la chimie de 1,5GW/an à 5,5GW/an. C’est un projet important pour le Chinois. Mais il rebat aussi les cartes d’une future industrie manufacturière solaire européenne. L’entreprise National Bluestar, filiale de ChemChina et bientôt de Sinochem Holdings, n’a jamais caché son objectif. Dès la fin 2014, PV Magazine, lu par tous les spécialistes solaires mondiaux du photovoltaïque, écrivait que l’achat de REC «pourrait assurer une tête de pont européenne à un acteur chinois majeur»3. Les différentes entreprises acquises par National Bluestar, Elkem, Rhodia Silicones, REC, ont été bien gérées, le personnel et les dirigeants conservés. En France les ex-activités de Rhône Poulenc sont en expansion. Cela tranche avec le comportement de General Electric dans l’Hexagone. Il revient maintenant aux dirigeants européens d’estimer si une collaboration avec Sinochem Holdings peut contribuer à une reconstruction d’une industrie manufacturière solaire européenne. Une aide européenne a été sollicitée par REC Solar, donc par ChemChina, pour l’usine de Sarreguemines. L’Union européenne n’a pas l’avance espérée dans la technologie HJT. ChemChina a su conserver en Europe une fabrication des silicones et du silicium spécialisés très compétitives.

3 PV Magazine-24/11/2014 - « La société chinoise Elkem [une division de China National Bluestar] rachète REC Solar» 

En conclusion
  L’Union Européenne compte beaucoup sur l’énergie solaire, mais son industrie correspondante a été balayée par les importateurs chinois il y a quelques années. En 2020 apparaît un nouveau projet de grande usine de cellules solaires, à Sarreguemines en France. Il est porté par un nouveau géant du solaire chinois, qui a conclu que l’augmentation des prix des transports et la chute des prix des cellules photovoltaïques permettaient, de nouveau, la production de ce matériel en Europe dans sa version la plus moderne. Certes il ne s’agit pas de la renaissance d’une industrie solaire européenne au sens propre du terme. Le groupe chinois appartient à l’Etat chinois, mais il possède des entreprises en Europe qu’il gère fort convenablement. Il a conservé les équipes et les dirigeants européens. Une partie des matériels nécessaires aux cellules photovoltaïques sont conçues et fabriquées sur le Vieux Continent. Les dirigeants européens doivent prendre position sur ce projet, en le considérant ou non comme une innovation intéressante pour l’Union Européenne. Il faut constater qu’aucun groupe industriel européen ne se prépare aujourd’hui avec des moyens comparables au groupe chinois à la renaissance d’une industrie solaire européenne. Le projet de megafactory de Sarreguemines peut inciter les entreprises européennes à encore plus de prudence, ou, en sens inverse leur montrer que des projets européens d’usines de cellules solaires sont, de nouveau viables. En tout état de cause, le gouvernement français a décidé de soutenir le projet de megafactory de Sarreguemines (Moselle) porté par China National Bluestar.

 

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