Les Mérovingiens, épisode IX

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l'individu et sa fratrie s'inséraient ainsi dans une parentèle totalement cognatique. Un tel système était particulièrement bien adapté à des sociétés qui accordaient une place importante à la parenté maternelle, avec des groupements larges à faible profondeur généalogique : les familles pouvaient utiliser les mêmes finales pour souligner la cohésion des fratries et du cousinage. Dans la famille rhénane des Odacar, au VIIIe siècle, les noms féminins se terminaient par la finale suuind - Helmsuuind, Landsuuind, Geilsuuind - , les noms masculins se terminaient par achar/acar/acer - Rodachar, Odacar, Eburachar, Bernachar - , ou encore pert : Norpert, Adalpert, Raganpert, Gundpert, Theodpert.
  Identifié par son nom, l'individu s'insérait dans des groupes qui lui apportaient soutien et sécurité. Le lien social combinait en effet deux types de relations dérivées de la parenté, à savoir la relation de paternité, verticale, et celle de la fraternité, horizontale. Toutes deux s'étendaient bien au-delà de a parenté naturelle, aux alliés, aux ais, aux compagnons et même aux voisins. Elles impliquaient la "familiarité" et engageaient les partenaires à la "bienveillance", c'est-à-dire à l'amitié, à la fidélité et à l'aide réciproques.

II. - Famille et parenté

  On a longtemps cru que la "famille" mérovingienne était une famille large, patrilinéaire [se dit d'un mode de filiation pour lequel seule compte la parenté paternelle. Le nom, les privilèges, l'appartenance à un clan ou à une classe se transmettent du père et des parents du père aux enfants ; aucun droit n'est reconnu aux parents du côté maternel ; Larousse] et patrilocale [se dit d'un mode de résidence d'un couple nouveau, dans lequel la femme vient habiter dans la famille de son mari ; Larousse], confondant abusivement famille proche, maisonnée et groupes de parenté.

1. Filiation et alliance
  Les lois barbares définissent précisément la façon dont un individu succède à un autre, le lien se mesurant à la proximité de la relation, jusqu'au 6e degré. La transmission de l' héritage et la répartition de l'amende de composition se font selon un mode cognatique. Le patrimoine est partagé entre les enfants, mais à défaut de descendance directe, il remonte au père et à la mère comme en droit romain, aux collatéraux, frères et sœurs puis à la sœur de la mère, avant la sœur du père, et enfin au parent paternel le plus proche jusqu'au 6e degré. Les droits se diffusent donc au sein d'une parentèle bilatérale large. Cependant, les lois franques excluent les filles de la terre salique, porteuse du pouvoir, cet article étant peut-être le signe que la loi avait été faite pour des groupes de guerriers francs au service de Rome. Par la suite, on a eu tendance à accroître les droits des filles, par le biais des formules, tout en contrôlant plus étroitement leurs biens.
  La parentèle juridique d'un individu, formée de ses consanguins, lui était propre et s'étendait jusqu'au 6e degré, selon toutes les lignes. Il fallait donc opérer des choix et des tris au sein de ses parents, car au-delà du premier cercle de parenté, le lien n'était pas efficace sans familiarité et amitié, si bien que les textes font systématiquement référence aux "parents et amis" qui entourent et soutiennent chaque individu sur le théâtre de la vie sociale. Ce sont ces mêmes "parents et amis" qui forment ce que l'on peut appeler la parentèle symbolique de chaque individu. De tels choix permettaient d'étendre à la sphère de l'alliance et du cousinage les relations de fidélité et de fraternité qui unissaient normalement les parents proches, Régine Le Jan.
  Les liens créés par le mariage étaient les plus efficaces, si bien que l'alliance apparait comme le pivot autour duquel s'organisait le système de l'échange social, il créait ou renforçait l' amicitia. Dans l' aristocratie, le souci de trouver  les bonnes alliances, les plus porteuses de gloire et d'honneur, de les croiser, de les renouveler sur plusieurs générations était essentiel : on maria Begga [615-693 ; mère de Pépin le Jeune et la fondatrice de l'abbaye d'Andenne, province de Namur ; devenue Sainte Begge ou Begga] à Anségisèle [avant 613, assassiné entre 648 et 669 et probablement en 662 au château de Chèvremont (...) La Vita Beggae, rédigée au XIe siècle raconte qu' Ansegisel est assassiné à Chèvremont, près de Liège, par un noble austrasien du nom de Godin ou Gundoen qu'il aurait auparavant élevé comme son fils. La date de cet évènement n'est pas précisée mais elle est postérieure à 648, un acte des abbayes de Stavelot et Malmédy le mentionne comme vivant, et antérieure à 691, quand Begga, veuve, se retire à Andenne... ; source ], fils d' Arnoul de Metz, pour renforcer l'amitié entre les pères. 
 
 Peter Paul Rubens (d'après) : Ansegisèle et Begga
 
  Ansegisèle et Begga, Peter Paul Rubens (d'après). Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : F. Maes (MRBAB). Source
 


Cet ouvrage présente les origines et la fondation d’Andenne à travers un de ces monuments les plus célèbres : le monastère mérovingien de la ville fondé par nulle autre que la célèbre Sainte Begge, la trisaïeule de Charlemagne et l’ancêtre d’une longue lignée de rois carolingiens. L’auteur y propose un essai de reconstitution de l’emplacement des 7 églises de la Place du Chapitre. Source

Drogon [?-708 ; appelé aussi Drogon de Champagne ; comte de Chaumont en 688, maire du palais de Bourgogne, Duc de Champagne en 695 et Duc des Bourguignons après 697] fils de Pépin II, épousa la fille de l'ancien maire du palais de Neustrie [?-? ; Adaltrude, fille de Berchaire, maire du palais de Neustrie de 686 à 688] renouvelant ainsi une ancienne alliance et réactivant un réseau pour faciliter la prise en main de l' ouest de la Neustrie. Le mariage était donc l'affaire des parentèles qui devaient tenir compte des normes et des contraintes : l’homogamie [mariage entre individus de même statut social ; Larousse] juridique était imposée par la loi, l'homogamie sociale par les règles de l'échange. On cherchait à renouveler les bonnes alliances sur plusieurs générations et pour cela, on épousait "au plus proche", c'est-à-dire au-delà d'un cercle de parentes considérées comme non épousables. Chez les Germains, la limite se situait entre le 2e, et le 3e degré de consanguinité, on épousait au 3e degré et on renouvelait librement les alliances dans l' affinité. Or, l' Eglise mérovingienne a repris les interdits romains du IVe siècle qui isolait les trois premiers degrés de consanguinité et les deux premiers degrés d' affinité, veuve du père, du frère, fille de l'épouse, soeur de l'épouse, épouse de l'oncle, ce qui pouvait poser de gros problèmes : Clotaire Ier n'hésita pas à épouser Arégonde [vers 516 et morte entre 574 et 580 ; troisième des sept épouses du roi Clotaire Ier ; son importance vient du fait qu'on ait découvert sa tombe intacte, en 1959, et qu'on ait pu l'étudier. Cas rarissime], soeur de son épouse Ingonde [Ingonde de Thuringe, 500-536 ou 538 ; mariée à Clotaire Ier en 517] du vivant de celle-ci, mais il dut renoncer à épouser Walderade [fille du roi des Lombards, Waccho Ier, et sœur de Wisigarde. Elle épouse Théodebald peu de temps après son avènement. Devenue veuve, elle épouse Clotaire Ier, mais les évêques disent à celui-ci qu'il ne peut pas épouser la veuve de son petit neveu. Il l'abandonne et la donne à son fidèle, le duc Franc Garibald, installé en Bavière... ; source], veuve de son petit-neveu Théodebert.
 
 Sarcophage de la reine Arégonde en pierre. © UASD / J. Mangin.
 Sarcophage de la reine Arégonde en pierre dans la basilique Saint-Denis. © UASD / J. Mangin 

Il faut noter que l' Eglise n'avait pas compétence en matière civile et que les interdits ne furent insérés dans la législation qu'en 596 dans l' édit de Childebert II. Désormais, ceux que l'évêque aurait excommuniés pour union incestueuse seraient exclus du palais. En fait, au-delà du cercle le plus proche, on renouvelait librement les alliances : Dagobert épousa Gomatrude [598-630 ; Gomatrude d'Ardennes], soeur de sa belle-mère Sichilde [vers 590-627 ; troisième épouse de Clotaire II et tante, par alliance, de Dagobert] et dans les régions méridionales, les unions au 2e degré, entre cousins germains, n'étaient pas rares. Enfin, la pratique du rapt, fréquente, était un moyen de tourner les interdits et d'imposer au père une union qu'il ne souhaitait pas pour sa fille, voire de dissimuler sous un rapt une union interdite, Sylvie Joye [Maître de conférences en Histoire médiévale, Membre junior de l'Institut Universitaire de France / Université de Reims]
 
2. La maisonnée mérovingienne
A) La famille nucléaire...
B) La condition des femmes
  Le mode de résidence virilocal [se dit du mode de résidence de jeunes époux qui doivent résider, ou construire leur demeure, dans le village des parents du mari ; Larousse], et dans certains cas patrilocal, influe sur la situation patrimoniale des femmes, à coup sûr sur leur condition. Elles possédaient des biens propres. Aux biens dont elles héritaient s'ajoutaient en effet les donations nuptiales. La première des transactions était le prix de la mariée, symbolique chez les Francs, que le futur mari versait pour acheter le mumdium, puissance protectrice, sur sa future épouse au père de la mariée d'abord, à l'épousée ensuite, puis la Morgengabe, don du matin, donnée à l'épouse le lendemain des noces. À quoi pouvait s'ajouter une dot directe versée par le père à sa fille, inspirée de la dot romaine. Dans la paysannerie, la Morgengabe était pour l'essentiel constituée de biens mobiliers, meubles et bétail, mais dans l' aristocratie, on y adjoignait des terres. Elle fut donc finalement supplantée par une donation écrite, faite avant le mariage mais prenant effet le jour des noces, qui précisait la nature et la quantité des biens dotaux. Les donations maritales étaient faites en toute propriété, avec le risque de voir le douaire [biens que le mari assignait à sa femme pour en jouir si elle lui survivait. Le douaire fut aboli par la Révolution ; Larousse] échapper au contrôle de la famille du mari en cas de veuvage et de remariage de l'épouse. Les Francs tendaient donc à donner à l'épouse une dot minimale que le mari augmentait à chaque naissance et, pour assurer la survie de l'épouse en cas de veuvage, ils utilisaient la tertia, qui était une assignation générale sur le tiers des revenus du ménage. Dans les lois barbares directement inspirées du droit romain, comme les lois burgondes ou alémaniques, les droits des enfants issus de l'union et ceux de la parenté du mari étaient garantis pour une part.
  Partout, la situation de l'épouse légitime restait fragile tant qu'elle n'avait pas mis au monde d'enfants, en particulier des fils, car les filles n'étaient pas toujours souhaitées, dans la société frisonne encore païenne, on exposait à la marée montante certains nouveaux-nés de sexe féminin, ce qui les condamnait à une mort certaine. L'épouse inféconde pouvait être renvoyée, malgré les canons conciliaires qui interdisaient de le faire.
  L'épouse n'était à l'abri ni des violences conjugales ni des vexations. Elle pouvait avoir à supporter une autre épouse, car la polygamie est attestée à l'époque mérovingienne dans les milieux élevés. Dans la famille royale, Clotaire Ier et peut-être Dagobert ont eu plusieurs reines en même temps, le maire du palais Pépin II a pris pour épouse Chalpaide, dont il eut Charles, sans divorcer de Plectrude, et il eut d'autres concubines. Il est souvent difficile de distinguer l'épouse de la concubine libre, et nous ne savons pas s'il y avait cohabitation, dans la mesure où les aristocrates avaient plusieurs résidences. Le concubinage domestique, avec une servante non libre, était fréquent : les enfants de ces unions, qui naissaient non libres, étaient parfois affranchis.
  Les divorces étaient possibles, par consentement mutuel ou pour faute de l'épouse exclusivement. On craignait particulièrement l' adultère et la stérilité, mais aussi les pouvoirs occultes des femmes, leurs maléfices et sortilèges. Cependant, l'épouse était aussi un lien entre deux parentèles, un gage de paix, si bien que sa situation au sein du ménage dépendait étroitement de sa capacité à être mère, de son propre réseau de parenté et des pressions que les hommes de sa famille pouvaient exercer, directement ou indirectement, sur son mari. Les pressions étaient d'autant plus efficaces que l'épouse était de haute extraction, mais l'éloignement pouvait jouer en sens inverse, comme le prouve l'assassinat de Galswinthe par le roi Chilpéric. Cela dit, les lois laissaient à la femme une relative liberté. Il ne lui était pas interdit de gérer son patrimoine, en particulier son héritage et, si elle devenait veuve, elle n'était pas obligée de vivre sous le mumdium d'un homme et pouvait décider de son sort. Si elle était encore jeune, de fortes pressions de sa propre famille s'exerçaient sur elle pour qu'elle se remarie. Mais les jeunes veuves étaient aussi des cibles pour les ravisseurs, ce qui les contraignait à chercher un protecteur efficace, Emmanuelle Santinelli [professeur des universités ; Spécialiste de l'histoire des femmes au haut Moyen Âge, VIe-XIIe siècles]

C) L'éducation des enfants

 À suivre...
   Régine Le Jan, Les Mérovingiens, Que sais-je?, PUF, Troisième édition, 2015, pp . 103-109

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