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La population mérovingienne mangeait-elle à sa faim, en dehors des périodes de famine? Les fouilles de dépotoirs et l'analyse anthropologique, caries dentaires, maladies de carence, permettent d'étudier le bol alimentaire des populations rurales. Leur nourriture était plus diversifiée qu'on ne l'a longtemps cru, avec une association de produits d'origine végétale et animale. La base était constituée de céréales, consommées sous forme de pain, de bouillies et de bière, ensuite de raves, de choux, de fromage et de fruits. Les paysans mangeaient aussi de la viande bouillie et des volailles, dans une proportion difficile à déterminer, les aristocrates y ajoutant de la viande rôtie. Mais l'analyse anthropologique de huit séries de squelettes provenant de trois sites alémaniques des VIe-VIIIe siècles fait apparaître d'importantes différences en fonction de la richesse relative des communautés et du niveau social des individus. La population de Kirchheim [commune du Bas-Rhin (67) ; " Au VIIe siècle, Kirchheim fut la résidence des rois mérovingiens. Un grand palais fortifié s’y trouvait. (...) Dagobert II, Charles le Gros, l’impératrice Richarde y résidèrent..." ; source] consommait plus de viande, d’œufs et de laitages que celle de Weingarten [Allemagne, ville du Bade-Wurtemberg, implantée dans la Souabe, entre le Rhin et la Forêt Noire], mais dans les deux communautés, l'analyse de la dentition montre que les "riches" étaient en meilleure santé que les moins privilégiés! L'état de la population est difficile à analyser. Les membres de la classe supérieure, qui ont une nourriture plus riche en protéines et qui travaillent moins durement, ont en moyenne une taille plus élevée. Mais les facteurs ethniques se conjuguent ici avec les conditions économiques, car les Alamans de haut niveau social ont une stature plus grande que les populations celto-romaines, plus pauvres et moins grandes : à Weingarten ["jardin de vignes" ou "vignoble" en français] et Bohlingen [Allemagne, depuis 2020, ce bourg, ~1 900 habitants, fait partie de la ville de Singen, Bade-Wurtemberg] les hommes inhumés sans armes, le plus souvent d'origine celto-romaine, sont en moyenne 4 à 5 cm plus petits et plus trapus que les hommes armés.
Kirchheim, l'église. Source
Abbaye de Weingarten ou abbaye Saint-Martin
L'état sanitaire des populations traduit la difficulté des conditions de vie. Grégoire de Tours décrit pour le VIe siècle toute une série de maladies décimant les populations :
- dysenterie, un fils de Chilpéric et de Frédégonde en est mort,
- variole,
- ulcères,
- maladies oculaires,
- arthrite,
- hydropisie [rétention ou épanchement anormal de sérosité, liquide ayant l'aspect du sérum sanguin, entre les éléments du tissu conjonctif ou dans une cavité ; Larousse],
- épilepsie,
- atrophie des muscles,
- maladies psychiatriques,
- hémorragie,
- maladies infantiles,
- famines,
- malformations congénitales.
En définitive, les populations du haut Moyen Âge étaient capables de résoudre les problèmes médicaux liés à la violence et aux conditions de travail, mais elles étaient démunies face aux maladies épidémiques ou endémiques. Les pyramides des âges que l'on a pu établir, pour la population alémanique mérovingienne par exemple, sont caractéristiques des populations préindustrielles : une base large correspondant à une natalité élevée, une diminution rapide et régulière durant les premières décennies correspondant à une forte mortalité infantile, un sommet très effilé, 10 à 20% de plus de 60 ans selon les sites. L'âge moyen au décès est de 39 ans, l'espérance de vie à la naissance étant de 35 ans pour les hommes, 29 ans pour les femmes, la mortalité étant particulièrement forte chez les femmes entre 20 et 35 ans, à cause des dangers liés à la maternité. La mort est donc omniprésente, mais les données ne contrastent pas avec le reste du Moyen Âge et au total il n'est pas certain que les populations mérovingiennes aient été plus misérables que celles du Moyen Âge central [ou dit "classique" ; période qui recouvre le XIe, XIIe et XIIIe siècles], Chris Wickham.
3. L'habitat
A) Le peuplement urbain
L'armature de l' empire romain reposait sur les cités qui fonctionnaient comme autant de lieux centraux, à l'image de Rome. Construites selon un plan stéréotypé en damier, adapté à la topographie, avec des rues droites qui se coupaient à angle droit et qui déterminaient des insulae [(...) dès le milieu du IIIème siècle ap. J.-C., l'époque des Guerres puniques, des immeubles, de
rapport, insulae, divisés en appartements ou logements, cenacula. Des fenêtres sans vitres et des balcons aèrent les logements, Il n'y a ni atrium, ni cheminées, on cuisine sur des réchauds, on se chauffe avec des braseros, ni eau dans les étages... ; source], bordés de maisons d'habitation plus ou moins riches et de boutiques d'artisans et de commerçants, elles étaient des centres de peuplement importants où résidait l'aristocratie. Elles se distinguaient aussi par un ensemble de bâtiments et de lieux publics, forum, palais du gouverneur, théâtres, amphithéâtres.
Un exemple d'insulae. Source
Les cités romaines de Gaule, progressivement abandonnées par les élites, ont connu des transformations profondes à partir du IIIe siècle. La population urbaine a diminué, la superficie construite et habitée s'est rétractée, tandis que s'ouvraient au sein des insulae des espaces ouverts, probablement destinés aux cultures, et que les cités, progressivement coupées de leurs circuits d'échange traditionnels, se ruralisaient. Des nécropoles sont apparues dans d'anciennes aires destinées à l'usage public ou dans des espaces jusqu'à-là habités, les bâtiments publics ont été abandonnés ou ont changé de fonction.
Les cités ont continué à se différencier nettement de la campagne en s'inscrivant dans le paysage par leurs murailles, même si ces dernières n'étaient pas toujours entretenues. Quelques cités ont été abandonnées, surtout dans le Nord, les autres ont survécu grâce à la fonction religieuse, en se transformant. Celles qui ont conservé la plus forte centralité sont celles qui ont bénéficié de conditions sociales et politiques locales favorables, en particulier celles qui ont été choisies comme sièges de royaume. Ainsi Metz connait une évolution plus favorable que Trèves, qui avait cependant été capitale impériale au Bas-Empire [période finale de l'Empire romain ; elle s'étend du IIIe au Ve siècle ap. J.-C., jusqu'en 476 et la chute l’Empire romain d'Occident]. Au VIIe siècle, et dans la première moitié du VIIIe siècle, Trèves subit un déclin très profond et son activité économique ne dépasse plus celles des autres villes de la région. Au contraire, Metz, dont les activités s'étaient ralenties après l'installation des Francs, est en plein essor à partir du VIe siècle, grâce à la faveur dont lui témoignent les rois mérovingiens, puis les Pippinides. La ville devint un lieu de résidence et de rencontres, les édifices se multiplièrent, comme en témoigne une liste du VIIIe siècle qui mentionne les églises où l'évêque devait dire la messe durant la période pascale ["(...) La liste stationnale de Metz est d’une tout autre nature : elle donne les stations que doit faire l’évêque dans les églises de la ville chacun des jours du carême. Elle exprime donc également les liens étroits entre l’évêque et les églises de la ville épiscopale mais ici c’est, sur le modèle de la liturgie romaine, l’évêque qui change de lieu de célébration liturgique durant tout le carême. L’évêque se déplace, comme à Rome, quartier par quartier, en gros une semaine par quartier, ce qui montre, comme à Rome, le souci de quadriller tout l’espace urbain, mais avec des stations intermédiaires dans l’ensemble cathédral, et les quatre premiers jours de la semaine qui suit Pâques..." ; source].
Metz : liste stationnale. Source
B) Le peuplement rural
L'immense partie de la population vit à la campagne. On a longtemps accepté l'idée que le peuplement rural du haut Moyen Âge était un peuplement lâche, semi-itinérant, sans point fixe, ni organisation, Robert Fossier [1927-2012, historien et universitaire]. Les données archéologiques sont maintenant assez nombreuses pour qu'on puisse avancer quelques hypothèses générales, tout en soulignant une très grande diversité régionale. La localisation de l'habitat rural dépend en effet de facteurs naturels, comme les types de sols, la présence de l'eau, et de facteurs sociaux et politiques, comme la nécessité de la défense ou de la protection.
Le peuplement antique était fondamentalement dispersé, avec coexistence de grandes villae aristocratiques ["(...) certains modèles régionaux, la villa à galerie de façade et pavillons du Nord et du Centre de la Gaule ou la villa méridionale à cour à péristyle. Les dimensions, le développement des corps de bâtiment, des portiques constituent d’autres signes de richesse, comme la multiplication des salles, qui vont dupliquer à l’aune des possibilités du commanditaire les fonctions essentielles de réception, de banquet ou de coucher. L’ampleur des installations de bains, pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres carrés, participe de ces dépenses. L’eau amenée sous pression sera utilisée de même dans les jardins et bassins d’agrément. La décoration fait appel pour les salles d’apparat à la mosaïque de sol qui peut gagner jusqu’aux portiques, ainsi qu’aux peintures murales, aux stucs et aux lambris de marbre. Le verre à vitre, le chauffage par le sol au-delà du balnéaire sont d’autres preuves de la recherche d’un confort certain..." ; source] et de vici [pluriel de vicus, nom latin pour désigner une petite agglomération] Dans l'acception classique, les villae étaient à la fois des résidences pour les maîtres, des immenses latifundia [grand domaine agricole exploité extensivement et de façon archaïque ; Larousse] et des centres d'exploitation.
En Gaule du Sud, elles avaient résisté à la crise du IIIe siècle, malgré certaines disparitions. Les fouilles archéologiques montrent souvent une continuité d'occupation des villae jusque dans la seconde moitié du VIe siècle, avec néanmoins une réduction de la surface habitée, des changements de fonctions des équipements, la construction de nouveaux habitats beaucoup plus simples, souvent en bois, avec des églises édifiées avec les matériaux antiques, et parfois abandon complet. Ce déclin est évidemment lié aux transformations des systèmes économiques auxquels était liée la villa.
Plus au nord, certains vici ont disparu, d'autres ont décliné et le peuplement rural est globalement dispersé. Les Barbares se sont installés dans un paysage déjà transformé : les villae antiques en pierre avaient souvent cédé la place à des construction en bois. Les Francs ont dans l'ensemble préférés conservé leur mode de vie traditionnel, avec un habitat en bois plutôt qu'en pierre, tout en continuant l'exploitation des grands domaines. Rois et magnats considéraient la vie dans les villae en bois comme une alternative à la vie dans les cités, un signe de distinction et de prestige. Les fouilles révèlent des habitats aristocratiques, y compris dans les régions qui n'avaient jamais été romanisées, comme à Warendorf [Allemagne, chef-lieu situé en Rhénanie-du-Nord-Westphalie], en Westphalie, où l'établissement des VIIIe-IXe siècles est dominé par la maison du maître, qui a plus de 30 m de long et une grande salle, de nombreuses maisons plus petites pour les dépendants, des étables, des granges et des structures de stockage. À l'intérieur d'un même enclos, la présence de plusieurs maisons de différentes tailles peut révéler des différences de fonctions entre les bâtiments, mais recoupe aussi des différences de statut social entre le maître te les dépendants, quand ceux-ci résident à proximité de la villa du maître.
À côté des établissements individuels, les fouilles révèlent plus fréquemment encore de petits groupes de quelques unités non jointives, qui correspondent à de petites communautés comprenant par exemple une cinquantaine d'individus en Normandie à l'époque mérovingienne. Le grand nombre de ces petites agglomérations, qu'on ne peut encore appeler villages, traduit certainement une emprise aristocratique sur les paysans moins forte qu'à l'époque antique.
L'archéologie et les données des lois conduisent à définir chaque unité d'exploitation par l'association de plusieurs constructions dans le nombre et la nature varient selon les régions, et d'un site à l'autre, mais qui comprend toujours des structures d'habitat, de travail et de stockage. La grande maison est normalement de type rectangulaire et est entourée de ses annexes, qui peuvent être des bâtiments au sol ou des cabanes excavées. Dans une grande zone côtière bordant la mer du Nord, du Zuydersee [baie peu profonde de la mer du Nord, au nord-ouest des Pays-Bas, s'étendant sur environ 100 km ; " (...) dans cette partie des Pays-Bas, on trouvait le Zuiderzee (littéralement Mer du Sud), un vaste golfe à l'origine de nombreuses tempêtes, d'inondations, de raz-de-marée. Avec à chaque fois, son lot de dégâts et de victimes. De plus en plus de personnes pensaient que des digues et des barrages devaient être construits pour éviter tout cela..." ; source] au Danemark, le développement des sites de Terpen-Wurten, buttes artificielles de terre élevées au-dessus du niveau de la mer pour se protéger des marées, associées à l'élevage, a conduit à un type particulier de grande maison, la maison-étable, abritant les humains et les animaux.
Carte du Zuyderzee, littéralement "mer du Sud", 1810. Source
La maison-étable : Halligwarft pendant une tempête, illustration 1906, Alexander Eckener, 1870-1944.
En dehors de cette zone côtière spécifique, la structure générale des unités est la même : à l'intérieur d'un enclos entouré de palissades, la maison d'habitation, de forme rectangulaire, est associée à des cabanes, parfois excavées, des greniers sur pieux et des annexes rectangulaires. En allant vers le sud, les "grandes maisons" sont plus petites : celles de Gladbach, en Rhénanie, comme celles de Burgheim en Bavière ont 12.50 m sur 9 m environ, comme celles de Picardie, et sont associées à des maisons plus petites et à de nombreuses cabanes. Les maisons sont en bois et en torchis, les toits en chaume, les ouvertures rares. Le foyer est parfois à l'extérieur de la maison, mais quant il est au centre de la grande pièce et que la fumée s'échappe par une ouverture dans le toit, la maison est sombre et enfumée. Le mobilier est rudimentaire : table, bancs, lits, coffres où l'on serre les draps, les vêtements, le service de table et les ustensiles de cuisine.
Si certains sites font apparaître une remarquable stabilité depuis l'époque romaine jusqu'à une date avancée du Moyen Âge, comme ceux de Mondeville en Basse-Normandie [Calvados (14) ; " (...) un certain nombre de publications aient évoqué les découvertes qui y ont été faites depuis 1917, date des travaux conduits par le capitaine Caillaud à l’emplacement de l’église dont le vocable s’est conservé dans la toponymie..." ; source] ou de Saleux dans la Somme, et si on ne peut exclure le fait que des villages du haut Moyen Âge se trouvent sous les villages actuels, il apparaît néanmoins que l'habitat n'est pas encore fixé.
Mondeville : la sépulture antique.
Mondeville : les structures excavées de type « fond de cabane ». Source
" Le site de Saleux, dans la Somme, illustre l’évolution d’un habitat et de sa nécropole entre le milieu du VIIe et le début du XIe siècle. Sur une surface de 4 hectares ont été mis au jour plusieurs parcelles habitées, deux églises successives et un cimetière de plus de 1500 individus qui a permis l’étude détaillée d’une population sur plusieurs siècles...." Source
Partout on enregistre des désertions et des fondations, ainsi que des déplacements, de plus ou moins grande ampleur, avec des évolutions dans la structure de l'habitat. Les fouilles montrent que la plupart des sites ne durent pas plus de quelques siècles, mais qu'il y a permanence d'occupation des terroirs et que les déplacements s'inscrivent dans une logique de gestion territoriale, ils répondent à la nécessité de s'installer près des nouveaux champs, au développement de nouveaux systèmes d'assolement [répartition des cultures de l'année entre les parcelles d'une exploitation ou entre les quartiers d'un terroir villageois ; Larousse] impliquant la rotation des cultures, Anne Nissen [Professeur des universités, histoire, civilisation, archéologie et art des mondes anciens et médiévaux, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne]. L'habitat en petits groupes s'accompagne souvent d'une organisation contraignante, bien que différente de celle du village médiéval classique où les maisons sont groupés autour de l' église et du cimetière. Les maisons de Torcy, en Champagne, sont situées sur le bord du plateau, tandis que les annexes sont sur la pente. Dans d'autres cas, c'est une route qui détermine la localisation des localités. À la fin de la période mérovingienne, l'habitat a tendance à se concentrer, comme à Longueil-Sainte-Marie, Oise, ou Bussy-Saint-Georges, Seine et Marne,. Les nouveaux groupements traduisent le développement de rapports sociaux plus contraignants dans le cadre de l'économie domaniale et l'intégration du peuplement dans des systèmes d'échange plus vastes. Globalement, l'habitat de la période tardo-mérovingienne commence également à s'améliorer, avec des maisons plus grandes et mieux construites, parfois sur solins de pierre. Mais ces habitats ne correspondent qu'à une stabilisation très relative du peuplement.
II. -L'économie rurale
2. Modes d'appropriation et structures foncières
L'aristocratie romaine de la basse Antiquité, qui monopolisait la puissance politique, contrôlait le système de production et d'échanges. Elle avait accumulé d'immenses richesses à partir de domaines dispersés à l'échelle de l' Occident, essentiellement consacrés à la céréaliculture extensive. Les productions étaient destinées à l'armée et aux cités, intégrées dans de vastes circuits d'échange entre Orient et Occident, eux-mêmes articulés sur les cités qui étaient des centres de redistribution, d'administration et de production artisanale.
À suivre...
Régine Le Jan, Les Mérovingiens, Que sais-je?, PUF, Troisième édition, 2015, pp . 78-86.
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