RTE, Futurs énergétiques 2050 : le rapport avec figures imposées

  " Celui qui sait commander trouve toujours ceux qui doivent obéir. "
  Friedrich Nietzsche, 1844-1900

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Futurs énergétiques 2050 : quatre réponses qui posent question


Jean Pierre Riou
2021 11 02

  Plus propre, plus durable, plus sûr et moins cher : pour l’orientation vers un débat public digne de ce nom.
  Après 2 ans de travail, RTE vient de publier « Futurs énergétiques 2050 » 1, 23 documents proposant à la consultation du public 6 scénarios de mix électriques permettant de décarboner complètement l’économie française à horizon 2050.
  Certaines conclusions de son remarquable travail seront jugées contre-intuitives.
  L’ensemble de ces conclusions pose question
  Les différentes analyses sont issues d'une consommation de référence de 645 TWh/an, en hausse en raison de l’électrification des usages, et des hypothèses comprises entre 555TWh pour une grande sobriété et 752TWh dans le cas de ré industrialisation du pays, et même754TWh en cas de fort recours à l’hydrogène.
  Corrélés à ces hypothèses, RTE présente 6 scénarios de production électrique avec 3 mix " M ", M0,M1, M23, caractérisés par le développement des énergies renouvelables, et dont M0 sortirait du nucléaire en 2050 avec 100% d’énergies renouvelables. Et 3 mix " N " ou nucléaires, qui reposent sur la construction de nouveaux EPR, soit N1, N2 et N03, ce dernier reposant à parts égales sur renouvelables et nucléaire en 2050, grâce au prolongement de 24 GW de nucléaire historique et 27 GW provenant de 14 EPR et quelques petits SMRs.
  La loi LTECV de 2015 2 ayant imposé ce plafond de 50% dès 2025. Date d’ailleurs reportée à 2035 dans l’article L 100-4 du code de l’énergie 3, en raison des 20 centrales à gaz qui auraient été nécessaires pour y parvenir, selon l'avertissement de RTE 4.

Plus propre
  En tenant compte du cycle complet des mix envisagés, le scénario comportant le plus de nucléaire serait le moins émetteur de gaz à effet de serre (GES) exprimés en tonnes équivalent carbone, CO2 eq, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessous.




Plus durable
  L’Agence internationale de l’énergie (IEA) a récemment publié une alerte5 sur la raréfaction des ressources en minerais nécessaires à la transition énergétique, tout particulièrement le cuivre, le lithium, le nickel, le cobalt et les terres rares, dont les énergies renouvelables et la restructuration des systèmes électriques permettant de les accueillir imposent une forte consommation.
  Là encore, c’est le mix électrique qui contient la plus forte part de nucléaire qui apparaît le plus durable.


 

  Notons que RTE envisage la résilience des différents mix électriques en fonction de l’évolution prévisible du climat. Et que, contrairement à une idée largement répandue, la production nucléaire ne serait affectée par une forte hausse de températures que de façon très marginale, avec, ci-dessous, moins de 12TWh de pertes par an pour le scénario nucléaire NO3 avec un RPC 8,5, : Representative Concentration Pathways, c’est-à-dire un peu plus de 5° de réchauffement en 1 siècle6.
                                                               

 

  On sait d’ailleurs que la centrale américaine de Palo Verde, située en plein désert de l’Arizona, est privée du moindre cours d’eau et utilise les eaux usées de la ville de Phoenix pour son refroidissement. Avec 32,3 millions de MWh en 2014, Palo Verde n’en assurait pas moins, pour la 23ème année consécutive, la plus forte production de toutes les centrales américaines 7. À cette date, l’unité 3 de 1312 MW parvenait même à 97,5% de facteur de charge sur l’année.

Plus sûr
  Dans chaque scénario, la sécurité d’approvisionnement à horizon 2060 est conditionnée par la flexibilité du système et la disponibilité des importations grâce aux interconnexions.
   Par « flexibilité », il faut entendre, selon RTE, un « mot valise à géométrie variable ».
  C'est-à-dire la façon de se passer d’une production au moment où on en aurait eu besoin, notamment par l’« effacement » de la consommation, industrielle ou résidentielle.
  Sans surprise, c’est le scénario le plus nucléarisé qui exige le moins de ces « capacités ».

 

  Or, les nouvelles capacités d’interconnexion supposent que nos voisins ne soient pas importateurs au même moment que nous. Et RTE note que « L’augmentation des besoins de flexibilité ne soulève pas, en premier lieu, de problématique purement technique dans la gestion du système, mais plutôt une problématique industrielle (sur le réalisme de disposer de ces moyens) ».
  D’autre part, contrairement à la force d’inertie des grosses machines tournantes de façon synchrones à 50Hz des centrales conventionnelles qui confèrent au système sa stabilité dynamique8, RTE constate que « le développement des productions renouvelables connectées par de l’électronique de puissance conduit à une baisse de l’inertie du système électrique européen, rendant les déviations de fréquence plus rapides quand surviennent des aléas temps réel sur l’équilibre entre la production et la consommation. Pour maintenir le même niveau de stabilité de la fréquence qu’aujourd’hui, les exigences sur la vitesse de réponse lors de l’activation devront être rehaussées. »
  Et si « des solutions techniques existent pour surmonter la difficulté résultant de la réduction de l’inertie, elles se trouvent toutefois à différents stades de maturité ».
  C’est ainsi que RTE évalue avec prudence l’alternative retenue entre des compensateurs synchrones, et le « Grid forming », en confessant « Des expériences à grande échelle sont nécessaires dans les années à venir pour valider ce concept. »

Moins cher
  Plus propre, plus durable et plus sûr, le scénario nucléaire (N03) se révèle également le moins cher dès lors qu’on envisage les coûts complets, en raison des investissements nécessaires pour permettre au système électrique d’accueillir de fortes proportions d’énergies intermittentes.
  La comparaison des coûts complets des 6 scénarios sur la figure 11.32 ci-dessous est sans appel.



  Ainsi que le commentaire de RTE « Il existe un écart de coût en faveur des scénarios comprenant la construction de nouveaux réacteurs. Cet écart est d’autant plus marqué quand le parc nucléaire est significatif et permet d’éviter un investissement massif dans les moyens de flexibilité et des renforcements structurants des réseaux : de l’ordre d’un peu moins de 10 milliards d’euros par an entre M23 et N2 dans la trajectoire de référence.

Des réponses qui posent question
  Il convient tout d’abord de saluer la qualité d’analyse de ce travail de RTE.
  Pour autant, ses réponses aux différentes problématiques posent clairement de nouvelles questions.
  En effet, la transition du système électrique européen poursuit le triple objectif de maîtrise des coûts, de sécurité d’approvisionnement et de diminution de l’impact environnemental, tout spécialement en regard de ses émissions de CO2.
  La raréfaction des matières premières et le rôle essentiel de la sécurité de la production électrique dans l’indispensable électrification des usages ont rendu ce triple objectif incontournable.
  En confondant objectifs et moyens, les Directives européennes ont imposé aux États membres des parts d’énergies renouvelables croissantes dans leur mix électrique. Même à la France qui disposait déjà d’une électricité décarbonée abondante, sûre et bon marché.
  Si, comme il apparaît désormais, la France doit conserver des réacteurs nucléaires, il importe aujourd’hui de mettre en évidence l’intérêt d’en réduire la part au bénéfice des énergies renouvelables.

Une communication défaillante
  Après avoir évoqué les risques liés à ces réacteurs, au mépris des conclusions de l’ UNSCEAR9, puis ses coûts, malgré les rapports de l’AIE10, on avance aujourd’hui qu’il ne serait plus possible techniquement de maintenir la capacité nucléaire actuelle. RTE précise en effet, « À long terme, 2050-2060, la fermeture des réacteurs nucléaires de deuxième génération est une contrainte industrielle ». Et EDF se déclarerait incapable de renouveler en 40 ans ce qu’il fit pour le parc actuel bien plus rapidement.
  Des contraintes fortes existent en effet. Mais ce manque d’ambition d’EDF ne saurait être séparé de la volonté politique à long terme de l’État, son principal actionnaire avec 83,6%. Or la loi2 impose : « 4° De porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables doivent représenter 40 % de la production d'électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz ; « 5° De réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025 ». Quand bien même cette échéance aurait donc été repoussée à 2035.

Bilan et prospectives
  Il n’était malheureusement pas du domaine de RTE d’analyser des scénarios qui auraient violé cette loi. Laquelle loi avait d’ailleurs été portée par F. Brottes, chargé ensuite, à la tête de RTE11, de montrer qu’elle était applicable.
  Pour permettre à une éventuelle volonté politique de revenir sur cette loi, des analyses de cette qualité mais plus ambitieuses sur la part de nucléaire sont nécessaires, y compris en incluant les applications nucléaires non électriques, récemment mises en valeur12 par l’Agence internationale de l’énergie et au sujet desquelles un rapport de l’OCDE13 s’interrogeait en ces termes « Quel est le rôle des pouvoirs publics ? Examinent-ils sérieusement toutes les options nucléaires dans le cadre de leur politique énergétique nationale en faveur de la réduction des gaz à effet de serre et de la sécurité d’approvisionnement en énergie ? ».
  Le débat public occupe une part grandissante dans le processus décisionnel, ce n’est qu’à la lumière des éléments qui précèdent qu’il peut se tenir dignement, et non sous la pression de médias qui se complaisent à promouvoir la gratuité du vent, la quantité de CO2 évitée par chaque MWh éolien et dénoncent le caractère ruineux du nucléaire.
  Et ce n’est ensuite qu’avec l’éclairage des travaux de l’ UNSCEAR14, équivalent du GIEC dans le domaine des effets des rayonnements ionisants, que le public sera en mesure d’exprimer ses choix sur l’avenir de notre nucléaire. Et non en supposant que les travailleurs de cette filière seraient plus exposés à ces rayons que ceux de l’éolien ou du photovoltaïque, ou que les populations y seraient davantage exposées qu’aux rayonnements ionisants des centrales à charbon.
  Ce n’est qu’à ce prix qu’un débat public sera digne de ce nom.

1 https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques#Lesdocuments

2 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031044385/

3 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000039369320/

4 https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/desintox-non-reduire-le-nucleaire-a-50-de-la-production-d-electricite-francaise-ne-conduira-pas-a-construire-plus-d-une-vingtaine-de-centrales-a-gaz-d-ici-2025_4808543.html

5 https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-transitions

6 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat/3-scenarios-et-projections-climatiques

7 https://www.powermag.com/palo-verde-nuclear-generating-station-wintersburg-arizona/

8 http://lemontchampot.blogspot.com/2021/01/le-turpe-nouveau-est-arrive.html

9 http://www.economiematin.fr/news-parallele-franco-allemand-quand-peur-mauvaise-conseillere-riou

10 http://lemontchampot.blogspot.com/2021/01/le-veritable-cout-de-la-production.html

11 https://www.lopinion.fr/edition/economie/rte-nouveau-fromage-republique-hollandaise-54391

12 https://www.iaea.org/newscenter/news/the-use-of-nuclear-power-beyond-generating-electricity-non-electric-applications

13 https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_33955/produits-de-l-energie-nucleaire-hors-electricite

14 http://www.economiematin.fr/news-parallele-franco-allemand-quand-peur-mauvaise-conseillere-riou

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