Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode V

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L'épuration de ses membres était à l'ordre du jour ; et l'esprit public révolutionnaire. Tout membre qui n'a pas fait quelque chose pour la Révolution est rejeté.
  L'assemblée populaire de la section des Lombards [n°18 ; son secteur était compris entre les rues Saint-Martin et Saint-Denis, depuis la tour Saint-Jacques jusqu’à la rue aux Ours. Un de ses représentants à la Commune de Paris était Jacques Mathurin Lelièvre, jeune, 1754- 1794 ; juge révolutionnaire, commissaire pour l'organisation de la fête du 26 août 1792 en l'honneur des patriotes morts le 10 août ; guillotiné le 11 thermidor an II, 29 juillet 1794] était très nombreuse. On a parlé des bouchers et des marchands. Tout bon citoyen est invité à surveiller de très près les bouchers, sur la probité et le patriotisme desquels on ne peut plus avoir confiance. Différentes femmes de la section sont venues demander des secours. Un commissaire les accompagnera au comité de bienfaisance. On a lu le Journal du soir [Journal du soir, de politique et de littérature ; fondé par Etienne Feuillant, 1768-1840 ; avocat et journaliste ; parution du n°1 le 21 septembre 1792 et du dernier numéro, n° 4813, le 30 septembre 1811] et différents imprimés relatif au salpêtre. L'esprit public à la hauteur des circonstances.

 

La section des Lombards, n°18. Source

   Dénonciation - D'après ce que j'ai entendu dire au café Turc, sur le Boulevard, il faudrait surveiller le Café militaire [ "... Élevé en 1762, le café militaire occupait le rez-de-chaussée d’un immeuble de la rue Saint-Honoré, entre l’Oratoire et la place du Palais-Royal. La boutique est louée le 12 octobre 1762 à Henri Alexandre Godeau, marchant distillateur, et Marie charlotte Bauland, son épouse. Ils ouvrent un établissement réservé aux officiers. Son décor est l’une des premières commandes parisiennes du jeune architecte Claude-Nicolas Ledoux, 1736-1806... " ; source], tenu par Jacqmin, où il y a une tabagie. Pour être reçu à cette tabagie, il faut être présenté par deux habitués. On m'a dit qu'il y avait beaucoup d’intrigants. Plusieurs membres du comité révolutionnaire de la section du Temple [n°23 ; son secteur était limité par la rue de Bretagne au boulevard de Belleville et par la rue du Temple à la rue Oberkampf ; "... Lors de la chute de Robespierre, le 9 thermidor an II, 27 juillet 1794, elle resta fidèle à la Convention nationale. Deux de ses représentants à la Commune de Paris, Nicolas Naudin et Jean-Baptiste Talbot prêtèrent serment à la Commune de Paris et furent guillotinés le 11 thermidor an II, 29 juillet 1794... " ; source] sont de cette société. Deux hommes qui parlaient de cette tabagie à l'entrée du café Turc, où on joue au jeu de loto, disaient : " C'est dommage que nous ayons perdu un grand patriote. S'il eût vécu, on avait tout arrangé au café pour culbuter tu sais qui ", disaient-ils. J'ignore le nom du grand patriote, car ces deux hommes n'en ont pas dit davantage.86

 " Il imagine un décor à thème guerrier, inspiré de l’Antiquité : couronnes de lauriers, trophées d’armes, étendards, bouclier d’Athéna avec la tête de la Méduse, dépouille du lion de Némée, foudre de Jupiter, évoquant la force, la générosité, la rapidité et l’invincibilité... ".

 

" L’exécution est réalisée en bois sculpté peint et doré, selon les dessins de Claude-Nicolas Ledoux ".
Source

   J'ai parcouru les endroits du côté de Ménilmontant ; tout m'a paru être dans la plus grande tranquillité.

Rapport de Beraud, W 191
  C'est avec surprise que le peuple a vu enterrer sur le boulevard du Temple le citoyen Delaunay, membre de la Commune87. Dès lors qu'il y a un champ de repos, a-t-on dit, pourquoi, ne l'y-a-t-on pas porté? Etait-ce un homme extraordinaire pour lui donner une place distinctive? Si chaque membre des sociétés populaires qui mourra est inhumé dans ce lieu si passager, les boulevards ne seront plus bientôt couverts que de tombes. D'ailleurs sa fosse n'est pas assez profonde, et il est à craindre qu'elle n'exhale une odeur fétide.
  Plus nous allons dans la Révolution, disaient plusieurs citoyens, et plus certaines sections oublient que l'humanité est une des premières vertus que doivent professer les vrais républicains. Croiriez-vous que des hommes qui, cédant aux impulsions de la nature, se sont unis par les liens du coeur à une femme estimable, qui, par les suites d'une douce habitude, s'est récréée, est (sic) à leurs yeux un objet de mépris? Croiriez-vous qu'elles refusent de porter des secours à des êtres qui ne demandaient pas à vivre, et dont les pères ont tout abandonné sur la foi de leurs promesses pour aller terrasser les ennemis de la République? Puisque la loi admet au partage des successions les enfants de ligne indirecte, pourquoi donc rejetterait-elle ceux nés d'un défenseur de la Patrie, qui peut même la sauver un jour, puisqu'elles ont promis de secourir les familles, n'importe sous quelle désignation, lorsqu’il a fallu marcher vers l'ennemi? Il faut qu'elles tiennent parole, et il serait à désirer que la Convention rendît un décret à ce sujet.

Rapport de Charmont, W 191
  L'ordre du jour était : les bouchers. On avait requis de fortes patrouilles, mais nulle part la paix n'a été troublée. Cependant, dans l'intérieur des maisons, le monde murmure beaucoup, mais il n'ose pas le dire tout haut ; s'il le dit, c'est par dérision, afin que l'on ne s'aperçoive pas que l'intention de le dire y soit. Dans plusieurs endroits on a saisi des bouchers vendant la viande jusqu'à 26 sols la livre ; le peuple applaudissait à ces mesures de rigueur. On remarquait au milieu de tout cela des gens qui disaient qu'avant deux mois nous serions obligés de manger les chevaux et les chiens, qu'il n'y avait plus de viande nulle part, que les députés de la Convention ne savaient même pas comment s'y prendre pour remédier à cette grande difficulté ; on assurait que les gros marchands bouchers de Paris s'entendaient avec les gros marchands du dehors afin de mieux réussir dans leurs plans de contre-révolution.
  On doit faire circuler une pétition dans toutes les sections de Paris, à l'effet de nommer à l'avenir les sections par numéros, parce que, dit-on, on commence à s'apercevoir que l'on est la dupe des noms d'hommes, attendu que jusqu'à présent l'on a pas encore pu rencontrer un homme pur et sans tache, comme le désirent les sections.
  On assure que l'armée du Nord est en mouvement88, et on espère de ce mouvement Le Quesnoy, Valenciennes et Condé89 nous serons rendus. Les yeux se tournent de ce côté. On assurait même que demain ne se passerait pas sans en recevoir d'agréables nouvelles. On vantait, dans ce même endroit, le courage et les talents du général Hoche [Lazare, 1768-1797 ; engagé volontaire dans les gardes françaises en 1784, capitaine en 1792, il adressa au Comité de salut public un mémoire audacieux sur la situation militaire qui lui valut rapidement le grade de général, 1793. Commandant en chef de l'armée de la Moselle, vainqueur des Autrichiens et des Prussiens, Geisberg, 26 décembre 1793, il délivra Landau assiégée. Dénoncé comme suspect par Pichegru, il fut incarcéré jusqu'au 9 Thermidor. Il parvint à réduire l'insurrection royaliste de l'Ouest et à pacifier la Vendée, 1796. Ministre de la Guerre, 1797, commandant en chef de l'armée de Sambre-et-Meuse, il battit les Autrichiens à Neuwied. Il mourut de maladie ; Larousse], en assurant que l'on peut se fier sur lui, que son républicanisme est à toute épreuve, que les représentants du peuple en font le plus grand éloge qu'il soit possible de faire.

 Lazare Hoche

Lazare Hoche, général de l'armée républicaine. Peinture à l'huile, 1836, de François Gérard. Musée national du château de Versailles. Ph. H. Josse © Archives Larbor

  On prétendait au café du Rendez-vous90, qu'avant qu'il soit d'un mois d'ici, nous apprendrions quelques bonnes nouvelles de Londres91. On y prétendait qu'il s'y préparait quelque grand coup, dont on désire beaucoup la réussite. On assurait que, si cela arrivait, nous n'aurions pas besoin d'aller et ni de penser à faire une descente à Londres ; que le peuple est tout porté à faire la révolution ; qu'il ne lui faut qu'un bon chef pour le conduire à bon port.
  On demande que la Convention fasse, à l'égard de tous les ouvriers qui travaillent le fer, ce qu'elle fait envers les cordonniers92, c'est-à-dire quelle les mette tous en réquisition pendant un temps déterminé, afin de parvenir à faire des armes à feu le plus promptement qu'il lui sera possible. On prétend même qu'il y a dans Paris plus de 600 ouvriers qui devraient être employés à la fabrication des armes, et qu'il est beaucoup d'orphelins de la Patrie à qui l'on devrait faire apprendre cet état, attendu que, dans ces moments-ci, on a besoin de jeunes gens propres à soulager les ouvriers dans tout ce qu'il leur faut. De vrais patriotes cherchent à trouver tous les moyens imaginables afin que la nation profite de toutes les ressources qu'elle peut avoir.
  Des malveillants répondent aux marchands que l'on va les travailler d'une manière ; s'ils aperçoivent dans les boutiques quelque marchandise qui soit rare, tout de suite on les traite d'accapareurs ; cela dégoûte beaucoup de faire le commerce.
  On répand dans le public que l' Opéra va venir au Théâtre-Français [Théâtre Français Comique et Lyrique ; édifié, rue de Bondy, sur l'emplacement de l'ancien petit théâtre des Variétés Amusantes, 1779. La salle est inauguré le 21 juin 1790 ; source] ; on regarde cela, dans ce quartier là, comme une chose sûre93

 Théâtre Français Comique et Lyrique

Façade du Théâtre Français Comique et Lyrique. Bibliothèque nationale de France.

Rapport de Dugas, W 191
  Brichard, notaire94, était aujourd'hui sur le fatal fauteuil, et son confrère Boulard, de témoin était devenu accusé, y est monté à son tour95. La veille, le notaire Gibert96, que l'on venait arrêter, s'est brûlé la cervelle.
  Aux Jacobins97, les comités réunis devaient faire leur rapport sur Vincent [François-Nicolas, 1767-1794 ; secrétaire-général du département de la guerre ; arrêté le 27 frimaire an II, 17 décembre 1793, sur ordre du Comité de sûreté générale. Hébert [Jacques, 1757-1794 ; journaliste et fondateur du Père Duchesne, 1790, membre influent du club des Cordeliers, 1791, substitut du procureur de la Commune de Paris, 1792, il fut le chef de la faction hébertiste et l'un des meilleurs porte-parole de la sans-culotterie. Il engagea la Convention dans la voie de la Terreur, 1793, et préconisa la déchristianisation. Arrêté avec les chefs hébertistes, il fut condamné à mort et guillotiné : mars 1794 ; Larousse] prend sa défense aux Jacobins le 1er nivôse an II [21 décembre 1793]. Libéré le 2 février 1794, il se lance dans la lutte des Hébertistes contre les Indulgents et contre le gouvernement révolutionnaire. Arrêté avec Hébert le 23 mars, condamné à mort et exécuté le même mois avec les autres chefs cordeliers ; source] et Ronsin [Charles-Philippe, 1751-1794 ; littérateur dramatique, qui devint général de l'armée révolutionnaire ; accusé de péculat [détournement des deniers publics] ; arrêté le 27 frimaire an II, 17 décembre 1793, par ordre de la Convention nationale, en même temps que son complice Vincent, et libéré 2 février 1794. Nouvelle arrestation le 23 ventôse [13 mars 1794] et exécuté le 4 germinal an II, le 24 mars 1794 ; source] ; mais un membre ayant articulé que ce rapport était l'ouvrage d'un seul, et qu'il ne porterait que le caractère de la partialité, on a arrêté qu'il n'en serait parlé qu'à la prochaine séance. Un grand parti contre Vincent paraît s'être formé dans la Société. Plus on voit mettre, à lui et à ses partisans, de l'acharnement pour le faire admettre dans le sein des Amis de la République, et plus on s'attache au règlement qui veut qu'un nouveau candidat ne soit admis qu'après l'épuration totale de la Société.

 Jacques Hébert

Jacques Hébert, chef des hébertistes, en prison. Aquatinte (1794) anonyme. Ph. Coll. Archives Larbor

   On a donné au théâtre du Lycée une troisième représentation98 d'une pantomime en trois actes, portant le titre de : L'histoire du genre humain, ou La Nature vengée par la Liberté. L'homme était paisible et heureux ; la discorde enfante deux monstres, le despotisme et le fanatisme, qui ravagent le globe entier. L'homme sent enfin le poids de ses chaînes ; il invoque la Liberté : à son aspect, les prêtres et les rois sont anéantis. Tel est le sujet de cet ouvrage qui attire beaucoup de monde, et qui sera suivi par tous les bons patriotes.
  La rareté des denrées donne de grandes jouissances aux ennemis de la chose publique ; mais la chose sur laquelle ils comptent le plus, c'est la disette de blé. Ils se disent avec satisfaction que jamais tous les départements ne pourront être approvisionnés jusqu'à la récolte prochaine, et que la contre-révolution se fera nécessairement lorsque le peuple n'aura pas de pain.

Rapport de Grivel99, W 191
  Inobservation du maximum, et en même temps abus auxquels donne lieu l'application de la taxe à Paris et dans la banlieue. Le renchérissement subit de la viande serait dû à des arrangements entre marchands de bestiaux et bouchers.

Rapport de Jarousseau, W 191
  Beaucoup de critiques au sujet des 40 sols que l'on paye dans toutes les sections les jours des assemblées générales des sections100, ce qui devient bien coûteux pour la République, et occasionne un grand abus. La plupart des ouvriers perdent un quart de jour et souvent des demi-journées ; d'autres viennent, au commencement et à la fin, pour l'appel ; les trois quarts ne viendraient pas s'ils n'étaient pas payés, ce qui occasionne souvent des cabales lorsqu'il y a des nominations. Les intrigants savent bien saisir cette espèce de manoeuvre puisque, dans l'épuration des sociétés populaires, l'on est obligé de renvoyer beaucoup de membres de certains comités révolutionnaires, ce qui a toujours jeté la République dans de grands abus.
  Le nommé Rouhette101, ci-devant avocat, et son fils, ci-devant conseiller au ci-devant Parlement, demeurant cloître Saint-Louis, rue Saint-Paul, ont été incarcérés dans la prison d'arrêt de la rue des Lions Saint-Paul, par le comité révolutionnaire de la section de l' Arsenal [n°34 ; son secteur était limité par la rue des Fossés-Saint-Antoine entière, depuis la rivière jusqu’à la rue du Faubourg-Saint-Antoine ; la place de la Bastille, à gauche, jusqu’à la rue Saint-Antoine ; la rue Saint-Antoine, à gauche, jusqu’à la rue des Nonaindières ; la rue des Nonaindières, à gauche, jusqu’au Pont Marie ; le quai Saint-Paul, le port Saint-Paul, le quai de l'Arsenal, le long de la rivière, jusqu’à la rue des Fossés-Saint-Antoine ; ses représentants à la Commune de Paris était Jacques Pierre Coru, Pierre Henry et Louis-Joseph Mercier, tous les trois administrateurs de l'hôpital des Quinze-Vingts et guillotinés le 11 thermidor an II [29 juillet 1794]] Il est parti des commissaires dudit comité pour aller arrêter la femme, qui est à la campagne à quelques lieues de Paris.



Les limites géographiques de la section de l' Arsenal. Source 

   Il y a eu quelques plaintes sur la gendarmerie de Paris de ce qu'ils ne faisaient pas bien leur devoir. L'on doit en prévenir le citoyen ministre de l' Intérieur.
  Toujours de grands murmures au sujet des subsistances.

Rapport de Latour-Lamontagne, W 191

  Ce soir, au parterre du Théâtre de la République [appelé précédemment Variétés du Palais-Royal, 1785, il devient Théâtre-Français de la rue Richelieu, 1791, pour devenir théâtre de la République en 1792. En 1799, le nouveau gouvernement y installe la Comédie-Française, toujours présente], un citoyen annonçait102 la prise de Maubeuge. " D'où tenez-vous cette nouvelle? s'est écrié un vieux militaire. - C'est un bruit qu'on fait courir...103 - Hé bien! ceux qui font courir ce bruit sont de mauvais citoyens ; je puis assurer que rien n'est plus faux ; j'arrive de Maubeuge ; nos braves camarades ont juré de s'ensevelir tous sous les décombres de cette place, plutôt que de la rendre. - Tant mieux. - Je ne sais si c'est tant mieux pour tout le monde, - Que voulez-vous dire? Je suis un bon républicain... - Cela peut-être ; mais le temps que vous perdez à dire que nos places sont prises serait mieux employé à les défendre. " On a fort applaudi à la réponse naïve du bon vieillard.
  On réclame de toutes parts une loi sévère contre les fabricateurs de nouvelles.
  Le bruit court que le général Jourdan [Jean-Baptiste, 1762-1833 ; " ... combat à Jemmapes, 6 novembre 1792, et Neerwinden, 18 mars 1793, et devient général de brigade le 27 mai 1793 puis de division le 30 juillet suivant. [...] Mais il subit ensuite des échecs de plus en plus fréquents qui culminent en 1796 avec la défaite de Warzburg, 3 septembre, subie face aux Autrichiens de l'archiduc Charles. La perte de cette bataille force les armées françaises à évacuer la rive gauche du Rhin. Tout en rejetant la responsabilité de la déroute sur le Directoire, incapable, selon Jourdan, de lui fournir les moyens d'action nécessaires, il démissionne et retourne à sa mercerie. [...] De retour aux armées en 1798, commande successivement celles de Mayence, du Danube, d'Helvétie, mais il est de nouveau battu, à Stockach, le 25 mars 1799 [...] Louis XVIII le fait comte et pair. Louis-Philippe Ier en fait un ministre des affaires étrangères pour dix jours, du 2 au 11 août 1830, le nomme enfin gouverneur des Invalides [...] Jean-Baptiste Jourdan meurt à ce poste le 23 novembre 1833, et est inhumé dans la crypte des gouverneurs de la cathédrale Saint-Louis des Invalides ; source] vient d'être réintégré dans sa place104.

 


Source

  On dit que la famine est dans plusieurs départements, et que Paris ne tardera pas à éprouver le même sort.
  Un citoyen arrivant de Bordeaux disait que Tallien [Jean-Lambert, 1767-1820 ; à la Convention, il siège sur les bancs de la Montagne ; élu membre du Comité de sûreté générale ; envoyé en mission à Bordeaux pour réprimer les mouvements fédéralistes. Il crée une commission militaire qui ordonne l'arrestation de près de cinq mille personnes et prononce environ trois cents condamnations à mort, 1793 : " ... Tandis qu’on réduisait le peuple de Bordeaux à la misère en ne faisant des distributions que deux fois par semaine, et chaque distribution n’étant que de quatre onces de pain, cinq onces de riz ou de châtaignes, lui Tallien affectait la somptuosité d’un potentat : on fabriquait pour lui du pain aussi blanc que la neige, que l’on appelait le pain des représentants. C’était à côté des morts que roulait le char de Tallien dans lequel la Cabarus, appelée Dona Thérésia, se faisait traîner avec son amant dans un pompeux étalage, courrier devant, courrier derrière. La Cabarus était affublée d’un bonnet rouge sur la tête. [...] Ce despote avait levé une armée révolutionnaire de quinze mille hommes, pris hors des murs de Bordeaux et qui formaient sa garde prétorienne ; il l’employait à protéger, à maintenir et même à augmenter les travaux de la guillotine, et par opposition il faisait désarmer Bordeaux. [...] On ignore de même l’emploi des millions de taxes sur les détenus ; des amendes multipliées, excessives, prononcées par la commission militaire : l’emploi de deux millions en numéraire que Descombelles, de Toulouse, lui avait cherchés et envoyés, d’après l’arrêté de Tallien, lequel portait peine de mort en cas de retard ou d’inexécution [... ] Il est un des hommes qui provoqua le Coup d’État du 9 et 10 thermidor an II ; source], représentant du peuple dans cette commune105, commençait à perdre un peu de son énergie ; ses grands travaux, ajoutait-il, l'ont en quelque sorte usé, et il serait peut-être à propos de le remplacer par un montagnard tout frais.  Cette commune, suivant son rapport, manque entièrement de subsistances, et les esprits n'y sont pas encore à la hauteur de la Révolution.

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Tallien à la séance du 9 thermidor : « Je demandais tout à l’heure qu’on déchirât le voile. Il l’est entièrement ; les conspirateurs sont démasqués, ils seront bientôt anéantis, et la liberté triomphera. Vifs applaudissements. Tout annonce que l’ennemi de la représentation nationale va tomber sous ses coups. Nous donnons à notre république naissante une preuve de notre loyauté républicaine. Je me suis imposé jusqu’ici le silence, parce que je savais que le tyran de la France avait formé une liste de proscription. J’ai vu hier la séance des Jacobins ; j’ai frémi pour la patrie ; j’ai vu se former l’armée du nouveau Cromwell, et je me suis armé d’un poignard pour lui percer le sein si la Convention nationale n’avait pas le courage de le décréter d’accusation ; Tallien agite son poignard. Vifs applaudissements. " Le Moniteur. Jean-Lambert Tallien brandissant un poignard à la tribune de la Convention le 9Thermidor. Gravure de Lecouturier d'après un dessin d'Auguste Raffet, Paris, publié par Furne et W. Coquebert, 1847

  Cette citoyenne Hyver106 qui réclame encore son mari, disait-on au café de la République, est une intrigante qui aime mieux faire passer son mari pour détenu que pour émigré. Qu'on examine un peu cette affaire, et l'on verra que c'est une manoeuvre des ennemis de Bouchotte.
  On ne demande plus avec autant de chaleur la suppression des sociétés populaires107 ; on assure qu'elles vont s'épurer ; peut-être cette mesure suffira-t-elle pour dissiper tous les ombrages?

Rapport de Le Breton, W 191

  On avait fait courir le bruit108, dans plusieurs endroits, que les citoyens Ronsin, Vincent et Philippeaux [Pierre-Nicolas, 1754-1794 ; député de la Sarthe à la Convention ; représentant en mission dans les départements de l'Ouest ; guillotiné le 16 germinal an II, 5 avril 1794, avec Delacroix, Desmoulins et Danton], étaient en arrestation. Ce bruit est d'autant plus faux que je viens de rencontrer quelqu'un qui m'a assuré avoir parlé ce matin au citoyen Ronsin.
  On répandait aussi qu'il y avait eu une affaire proche Maubeuge109, où la République française avait eu quelques désavantages, et où nous avions perdu une quantité de monde assez considérable. Je viens d'entendre démentir ce bruit par le citoyen Duhem [Pierre-Joseph, 1758-1817 ; médecin ; un des fondateurs de la Société des Amis de la Constitution de Lille ; député à l'Assemblée législative, 1791-1792 ; réélu à la Convention, 1792-1795 ; une lettre inédite du conventionnel Duhem], député à la Convention, qui disait qu'il voudrait connaître le premier qui a fait courir ce bruit, qu'il l'arrêterait de sa propre main.
  La Commune de Paris, vient de prendre un arrêté, relativement aux bouchers110, qui donne de la confiance au public, et fait espérer aux Parisiens qu'ils n'éprouveront plus de difficulté à avoir de la viande.
  On disait, dans un café de la section Le Peletier [n°6 ; elle prit d’abord pour nom la « section de la Bibliothèque », septembre 1792, puis, " section Quatre-Vingt-Douze " et, pour finir, en octobre 1793, " section Lepeletier ". Son périmètre était compris entre la rue Neuve-des-Petits-Champs, à gauche, depuis la rue de Louis-le-Grand jusqu’à la rue Vivienne : la rue Vivienne, à gauche, jusqu’à la rue des Filles-Saint-Thomas : la rue des Filles-Saint-Thomas, à gauche, depuis la rue Vivienne jusqu’à la rue Notre-Dame-des-Victoires : la rue Notre-Dame-des Victoires, à gauche, depuis la rue des Filles Saint-Thomas jusqu’à la rue Montmartre : la rue Montmartre, à gauche, depuis la rue Notre-Dame-des-Victoires jusqu’au boulevard Montmartre : le Boulevard, à gauche de la rue Montmartre, à la rue de Louis-le-Grand : la rue de Louis-le-Grand, à gauche, jusqu’à la rue Neuve des-Petits-Champs. C'est la section Le Peletier qui lance le signal de l'insurrection des monarchiens du 13 vendémiaire [5 octobre 1795] qui sera brisée par Bonaparte : "... Convaincus que le vote a été truqué, les monarchiens se décident à tenter un coup de force pour le faire annuler. Mais alors que les sections royalistes, au premier rang desquelles la section Le Peletier, se réunissent le 11 vendémiaire [3 octobre 1795] sans grand enthousiasme, la Convention, elle, réagit avec énergie : elle se déclare en permanence, se dote d'une commission extraordinaire de cinq membres, parmi lesquels Paul Barras, et recrute pour se défendre des officiers sans emploi, les choisissant parmi ceux connus pour leurs convictions républicaines, parfois même terroristes. Le 12 vendémiaire [4 octobre 1795], la commission des cinq fait marcher le général Jacques de Menou de Boussay contre les sections royalistes. La mollesse de son action lui vaut une révocation immédiate, et la commission se tourne vers un autre général, sans emploi mais bien connu de Barras depuis le siège de Toulon : Napoléon Bonaparte... " ; source], que nos troupes étaient on ne peut plus mal habillées depuis la tête jusqu'aux pieds, que rien ne valait, et que c'était la faute des fournisseurs par leur âpreté au gain ; qu'on avait déjà fait des exemples, mais apparemment cela ne suffisait pas.
  Tout m'a paru tranquille dans cette immense cité, où j'ai beaucoup couru aujourd'hui. 



Journée du 13 vendémiaire, par A. Raffet

Rapport de Mercier, W 191
   Un citoyen passait aujourd'hui sous les arcades du Palais-Egalité, et voyant le buste de Marat [Jean-Paul, 1743-1793 ; de famille modeste, il étudie la médecine en France, puis s'établit en Grande-Bretagne, où il publie des ouvrages philosophiques, scientifiques ou juridiques. De retour en France, il fonde en 1789 un journal, l'Ami du peuple, qui attaque violemment les aristocrates, les ministres, La Fayette. Il devient membre influent des Cordeliers ; inquiété, il doit se réfugier deux fois en Angleterre. Il contribue largement à préparer le 10-Août. Membre du Comité de surveillance de la Commune, député de Paris à la Convention, montagnard extrémiste et presque isolé, il vote la mort de Louis XVI, réclame une dictature révolutionnaire et appelle les patriotes parisiens à l'action contre les Girondins. Ceux-ci le font décréter d'accusation, mais le Tribunal révolutionnaire l'acquitte sous les acclamations populaires : 24 avril 1793. Marat prend une part décisive à la chute des Girondins, 2 juin 1793, mais il est assassiné par une de leurs admiratrices, Charlotte Corday, 13 juillet 1793. Les « sans-culottes » voueront à sa mémoire un véritable culte ; son corps, transféré au Panthéon, en sera retiré après Thermidor ; Larousse] et celui de Le Peletier [Louis-Michel, marquis de Saint-Fargeau, 1760-1793 ; député de la noblesse aux États généraux, rallia les patriotes en juillet 1789. Membre de la Convention (1792), il vota la mort du roi le 19 janvier 1793 mais fut assassiné le lendemain par le garde du corps Pâris ; Larousse] à la porte d'une citoyenne qui les vend, il lui demande ce que c'était que ceci. La citoyenne lui répond qu'il le voyait. Sans perdre de temps, il voulut les fracasser, mais plusieurs citoyens se trouvant là le saisirent au collet et le conduisirent au corps de garde ; ce qui nous prouve que nous avons encore beaucoup d'ennemis.

Jacques-Antoine Dulaure, Esquisses historiques des principaux événements de la révolution, v. 2, Paris, Baudouin frères, 1823.

  Au café de Brutus111, l'on a eu l'air de désapprouver l'architecte de Paris qui a évalué112 tous les biens et domaines nationaux à la valeur de vingt milliards. L'on avait l'air que d'estimer tous ces biens tout au plus trois milliards.
  Trois citoyens s'entretenaient aujourd'hui de Vincent et de Ronsin. Ils disaient qu'ils ne concevaient point pourquoi l'on avait élargi113 des intrigants de cette espèce et l'on néglige, disaient-ils, des bons républicains. Je n'ai pu savoir de qui ils voulaient parler ; ils ont changé de conversation.

Rapport de Monic, W 191
  Il y a quelque temps que, dans un de mes rapports114, j'avais dénoncé le nommé Dardevillier115 pour avoir dit à ses voisins qu'il avait été place de la Révolution le jour que l'on guillotina Capet [Louis XVI], avec l'intention de crier grâce si quelqu'un avait commencé de le crier ; d'avoir eut une écritoire qui avait appartenu à Capet et une épingle à brillants qui venaient de chez Madame Elisabeth [Élisabeth Philippe Marie Hélène de France, dit M..., 1764-1794 ; soeur de Louis XVI ; emprisonnée avec la famille royale en 1792 et appelée à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire sous la Terreur, elle fut condamnée à mort et exécutée] et deux pièces d'argent ; il baisait tous ces objets en présence de ses voisins et disait des horreurs de la Nation ;   

 Fichier:Vigée Le Brun - Élisabeth of France, Versailles.jpg

Madame Élisabeth de France par Élisabeth Vigée Le Brun.

  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp . 40-50.

86. On peut supposer qu'ils parlaient de Delaunay, cf. ci-après.
87. Cf. t. III, p. 388, n. 9.
88. Cf. t. II, p. 200, note 3.
89. Sur Valenciennes, cf. t. II, p. 205, note 3, - Le Quesnoy était au pouvoir des Autrichiens depuis le 9 septembre 1793, Condé depuis le 12 juillet de la même année.
90. Pas de renseignements.
91. Cf. t. II, p. 136, note 1.
92. Cf. t. II, p. 109, note 1.
93. Cette translation eut effectivement lieu à la fin de germinal [avril 1794]
94. Cf. t. III, p. 55, note 5. Brichard était accusé d'avoir, avec des complices, dont son confrère Chaudot, cf. ci-après, p.98, note 2, mis en circulation, sous le nom d'emprunt, des actions au profit des princes anglais les ducs d' York et de Clarence.
95. Boulard, Antoine-Marie-Henri, 1754-1825, qui fut effectivement notaire, a été en même temps l'auteur de très nombreuses traductions de l'anglais et de l' allemand, voir Quérard, La France littéraire, et la Biographie de Rabbe, Vieilh de Boisjolin et Sainte-Preuve. D'autre part il a laissé la réputation du bibliomane [personne qui a la passion de collectionner les livres pour leur rareté, leur reliure, etc. ; Larousse] le plus déterminé qu'on ait connu : il possédait, dit-on, à sa mort, 280.000 volumes. Le renseignement fourni sur lui par Dugas n'est pas exact. Boulard fut bien impliqué dans l'affaire Brichard ; mais Oudot le dit dans son rapport du 29 pluviôse [17 février 1794] sur le cas de Chaudot, ci-après, p. 98, note 2, ce ne fut pas comme accusé. Dugas confond sans doute avec Viette : cf. ci-après, p. 107 .
96. Thomas Gibert l'aîné, notaire place Sainte-Opportune, mis en arrestation pour " principes contre-révolutionnaires " en octobre 1793, avait été mis en liberté sous surveillance en nivôse [décembre 1793-janvier 94] pour terminer une affaire dont il avait la charge. Il s'était suicidé au moment où il allait être réincarcéré, le 22 pluviôse [10 février 1794].
97. Séance du 23 pluviôse [11 février 1794] : cf. Aulard, La Soc. des Jacobins, t. V, p. 651. Il semble n'y avoir été question que de Vincent ; l'incident le concernant avait été soulevé dès le 21 [9] : cf, ibid., p. 646.
98. La premières est annoncée dans le Moniteur du 19 pluviôse [7 février 1794] : réimp., t. XIX, p. 408. Le théâtre du Lycée des Arts était situé à l'ex-Palais-Royal.
99. Voir le texte de ce rapport dans P. Caron, Rapports de Grivel et Siret... : Bulletin d' hist. écon. de la Révol., 1920-1921, p. 385-388.
100. Cf. t. Ier, p. 76, note 1.
101. Rouhette, François-Théodore, ancien bâtonnier des avocats, âgé de 72 ans, demeurant effectivement rue Saint-Paul. Il fut arrêté le 21 pluviôse [9 février 1794] avec un de ses fils - dans l'Almanach royal pour 1788, pas de Rouhette parmi les conseillers au Parlement - comme ayant un autre fils émigré. Sa femme, née Geniève Camus, soeur du conventionnel, fut mis en arrestation le même jour. Tous deux purent prouver que leur fils émigré les avait quitté depuis plus de vingt ans, et ils furent remis en liberté, par ordre du Comité de sûreté générale, le 14 fructidor an II [31 août 1794] : Arch. nat. F 4775-1.
102. À tort.
103. Ces points de suspension et ceux qui suivent sont dans le texte.
104. Nouvelle prématurée. Jourdan, destitué le 17 nivôse [6 janvier 1795] : cf. t. II, p. 200, note 3, ne devait être réintégré, comme commandant en chef de l' armée de la Moselle, que le 20 ventôse [10 mars 1798].
105. Il était en mission dans la Gironde depuis l'automne de 1793.
106. Cf. t. III, p. 26, note 1.
107. De section ; cf. t. II, p. 101.
108. Inexact à cette date.
109. Variante du bruit relaté ci-dessus.
110. Ce doit être celui du 21 pluviôse [9 février 1794], dont le Journal de la Montagne du 23 [11 février] indique les dispositions : interdiction de porter la viande en ville, d'ouvrir les boucheries avant huit heures du matin, de vendre la viande à un prix supérieur à celui du maximum.
111. Pas de renseignement.
112. Nous ignorons où et quand. - " L'architecte de Paris " semble être Pierre Giraud, architecte du département de Paris, qui venait d'être destitué par décret de la Convention du 22 pluviôse [10 février 1794]. Tourneux, Bibliographie, t. IV, n° 22895, 22896.
113. Cf. t. III, p. 283.
114. Que nous n'avons pas.
115. Un sieur Jean-Charles Dardevilliers, marchand de drap, rue de la Poterie, section des Marchés, est enquêté en ventôse an II [février-mars 1794] pour avoir reçu de la campagne " des pains de beurre empreints de fleurs de lys entrecoupés de figures diverses ". Arch. nat., F7 4676, doss. 2. Est-ce le même? 

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