Union européenne : le choix de l'euthanasie pour le nucléaire!

  " Nous sommes écartelés entre l'avidité de connaître et le désespoir d'avoir connu. L' aiguillon ne renonce pas à sa cuisson et nous à notre espoir. "
  René Char, Feuillets d' Hypnos, n° 39, nrf, Gallimard, p. 94.

Majestueux et rares milans royaux... Photo : PHP

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Nucléaire : le retour

Une industrie nucléaire française aux capacités limitées

Géopolitique de l’ Electricité
2021 octobre

  L’intérêt nouveau pour le nucléaire provient du rôle crucial, souligné en particulier par l’Agence
Internationale de l’Energie (AIE), qu’il peut jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique.
  Il est une source d’énergie décarbonée comme l’indique le Groupement d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC). Il est aussi une source pilotable d’électricité. Le parc nucléaire français joue aujourd’hui un rôle irremplaçable pour l’équilibre et donc pour la sécurité d’approvisionnement de la zone Centre-Ouest de l’Union Européenne, nommée la « Plaque France-Allemagne-Benelux ». Il continuera à y contribuer plus tard, en compensant les variations des productions intermittentes du solaire et de l’éolien de plus en plus importantes.
  La Nuclear Energy Agency. OECD [Agence pour l'énergie nucléaire. OCDE] et l’Agence Internationale de l’Energie constatent de grandes disparités de coûts entre les constructions des réacteurs construits en Occident et ailleurs. Ils indiquent que la reprise des constructions en série, et le retour d’expérience en Occident devraient notablement baisser les coûts. Le nucléaire reste pour l'OCDE et l'AIE l’énergie pilotable décarbonée aux coûts les plus bas.
  L’obstacle majeur au développement du nucléaire est une information déficiente. L’Assemblée Générale des Nations Unies dispose d’une institution pour estimer les risques de l’atome, l’ UNSCEAR, à la légitimité équivalente au GIEC pour les questions climatiques. Les Rapports de l’ UNSCEAR sont adoptés chaque année, à l’unanimité sans réticences d’aucun pays, y compris les
plus antinucléaires. L’Assemblée Générale des Nations Unies demande que les conclusions de l’ UNSCEAR soient largement répandues dans le public. Or elles sont fort différentes des conséquences catastrophiques de l’atome décrites par les ONG antinucléaires. Ainsi elles montrent un accident de Fukushima sans mort et sans malade. Par ailleurs, le fait que le nucléaire soit une
énergie décarbonée souligné à la fois par le GIEC par l’Agence Internationale de l’Energie est largement ignoré. Les actions des ONG antinucléaires varient suivant les pays. Ainsi le Bureau de
Greenpeace de Pékin, fort actif par ailleurs, est totalement silencieux sur le nucléaire.    L’Internationale Verte le confirme volontiers. Le fait serait anecdotique si la Chine n’était pas la première puissance nucléaire civile au monde, et ne se préparait pas à inonder la planète de son réacteur Hualong One.
  Le tweet d’Ursula Von Leyen, Présidente de la Commission Européenne.
  Le 22 octobre 2021, dans un tweet, la Présidente de la Commission Européenne a déclaré :
  « Nous avons besoin d’énergie renouvelable...A côté de cela, nous avons besoin d’une source stable : le nucléaire et, pendant la transition, bien sûr, de gaz naturel ». La Commission ne décide pas. Le pouvoir correspondant appartient au Parlement Européen et aux Etats membres. Mais la Commission propose, et par prudence, s’assure généralement que ses propositions puissent être adoptées. Il est bien possible que le nucléaire, à l’égal des énergies renouvelables, soit classé dans la taxonomie, certes à dire dans la classification des énergies susceptibles de financements privilégiés.
  Le nombre d’États membres favorables au nucléaire a grossi. Les Etats pronucléaires représentent désormais plus de 40% de la population de l’Union Européenne, donc largement plus que la minorité de blocage, 35%, nécessaire pour arrêter toute décision défavorable à l’atome.
  L’industrie nucléaire française est affaiblie par une longue période sans chantier nucléaire. De plus, la France s’est notablement désindustrialisée. Le dernier Rapport de RTE, RTE-2050, conclut, après consultation des représentants de la filière que le pays ne parviendra pas à disposer en 2050 d’un parc nucléaire supérieur à 50 GWe, donc plus réduit que le parc historique. Pour atteindre ce parc, encore faut-il qu’une condition de « réindustrialisation profonde » soit réalisée.
  Le nucléaire est de retour. L’industrie nucléaire française est affaiblie et risque de ne pas en tirer profit. Dans un contexte bien pire, il y a cinquante ans, elle s’est redressée grâce à un apport extérieur, devenant ensuite l’une des premières au monde. Aujourd’hui, de nouveau, une collaboration étrangère est probablement nécessaire. Son choix et sa forme relèvent, comme il y a cinquante ans, d’une décision politique au niveau le plus élevé.

I) Le nucléaire aujourd’hui dans le monde.1
  En 2020, 448 réacteurs d’une capacité totale de 400 GWe produisirent 2 550 TWh, soit environ 10% de l’électricité mondiale, et 30% de l’électricité carbonée. Ces proportions baissent car depuis le début du siècle, cette production n’augmente plus guère. Cette stagnation est due à une forte opposition à l’atome dans les pays occidentaux, qui a amené un certains nombre de pays à renoncer au nucléaire ou à en sortir.
  Aujourd’hui, 51 réacteurs sont en construction, d’une capacité totale de 53,870 GWe. Voici la
répartition de ces capacités en GWe selon les grandes régions du monde.
   Par régions du monde, la capacité en construction :

  • Amérique Latine : 1.365
  • Moyen Orient - Asie du Sud : 15.366
  • Europe centrale et orientale : 10.809
  • Asie - Extrême Orient : 21.177
  • Europe occidentale : 6.49
  • Amérique du Nord : 2.234

  L’Asie se taille la part du lion, avec plus des 2/3 des capacités en construction. On notera la faible part de l’Amérique du Nord où se trouve encore, pour le moment, le plus important parc de centrales nucléaires mondial, celui des Etats Unis. Les cinq pays qui ont le plus de capacités
nucléaires en construction sont la Chine, 14 GWe, la Corée du Sud, 5,5 GWe, l’Inde, 4 GWe, la
Russie, 3,5 GWe, et la Turquie : 3,5 GWe. La France est au 12éme rang derrière le Bangladesh et l’Ukraine.
   Les réacteurs en construction sont très largement des réacteurs à eau pressurisée : 48 GWe sur 55 GWe. La moyenne de capacité des réacteurs en construction est de 1 GWe.
   La faiblesse de leur marché intérieur a amené les industries occidentales du nucléaire à perdre beaucoup de leur importance ou à disparaître. Aujourd’hui les industries nucléaires dominantes sont par ordre d’importance décroissante celle de Chine, puis de Russie et de Corée du Sud.

Les SMR
   Les Small Modular Reactors (SMR) sont des réacteurs de faible puissance fabriqués en série en usine puis assemblés en nombre choisi sur le site de production d’électricité. Pour faire leur place sur le marché du nucléaire civil, les SMR vont devoir convaincre les investisseurs qu’ils sont
préférables, au moins en certain cas, aux réacteurs à eau pressurisée qui dominent actuellement le
marché, c’est-à-dire l’ APR 1 400 sud-coréen, le VVER russe et désormais le redoutable Hualong One
chinois.
Néanmoins, il faut remarquer qu’un achat de réacteur a toujours un côté politique, ce qui peut amener un investisseur à donner une préférence négligeant, un peu, l’aspect économique. Pour le moment aucun SMR n’a trouvé de client, mais il est possible que cette situation soit en train de changer.
   L’idée du SMR remonte au début du XXIème siècle, mais des petits réacteurs avaient été mis en service bien avant, pour des navires et dans des régions reculées : Sibérie. Aujourd’hui, parmi des dizaines de projets, les plus élaborés figurent ceux proposés par l’entreprise américaine NuScale.
  Il lui a fallu des années d’efforts et beaucoup de dépenses pour arriver au stade actuel. Un client
potentiel est apparu, le chimiste polonais KGHM, leader local de la production de cuivre et d’argent. Il vient de signer, le 24/9/2021, un protocole d’accord. Le SMR proposé est composé de modules de 77MWe à eau pressurisée qu’il est prévu de grouper par ensemble de 4, 6 ou 12. Va commencer maintenant « un examen qui comprendra une analyse des facteurs techniques, économiques, juridiques, réglementaires, financiers et organisationnels » qui mènera l’investisseur à sortir, ou non, son carnet de chèques. Bref, l’heure de vérité. Parallèlement et toujours en Pologne, des discussions sont en cours pour un autre SMR, le BWRX-300 de GE-Hitachi.
   Les multiples projets de SMR ont amené une explosion de créativité et de véritables voies
nouvelles sont apparues.
Le projet de « Travelling Wave Reactor » (TWR) de l’américain TerraPower
est de ce type et pourrait avoir des répercussions bien au-delà des SMR. Le TWR a intéressé la grande entreprise nucléaire chinoise, CNNC, mais la collaboration a cessé pour des raisons politiques.

II) Le nucléaire : une source d’énergie non carbonée.
  Le GIEC2 et le Centre Commun de Recherche de la Commission Européenne (JRC)3 indiquent
que l’usage des sources d’énergie issues des combustibles fossiles conduit à des émissions de gaz à
effet de serre considérablement plus élevées que le nucléaire et les énergies renouvelables. Ces
émissions sont calculées durant tout le cycle d’utilisation, de l’extraction du combustible lorsque cela
est le cas, jusqu’à la production d’énergie. Elles incluent donc les émissions dues aux constructions
des installations. Elles comprennent tous les gaz à effet de serre émis et pas seulement le gaz carbonique. Les deux organismes fournissent des données fort proches, sauf pour la biomasse. Le
tableau du GIEC ne comprend pas le pétrole. On ne trouvera pas mention de l’hydrogène qui n’est pas une source d’énergie primaire et doit être fabriqué.
  On a réuni ci-dessous les émissions moyennes mondiales par source primaire d’énergie fournies par le GIEC et le JRC : pour le pétrole. Les émissions sont exprimées en grammes d’équivalent CO2 pour un kWh produit : gCO2eq/kWh.
  Ces émissions peuvent être plus basses dans un pays où l’économie est moins carbonée et où les composants sont fabriqués avec des émissions moins importantes qu’ailleurs. Elles sont donc plus faibles en France, pays où l’économie est relativement décarbonée. C’est ce qu’explique le Ministère de la Transition Ecologique dans une réponse au Sénateur Longuet, 18/7/2019,4 en indiquant que les émissions du nucléaire français sont plus basses que les moyennes mondiales indiquées par le GIEC et le JRC du fait des « émissions indirectes plus faibles en France que dans les autres régions du monde ». Les émissions du nucléaire français ont été ajoutées aux moyennes mondiales pour donner le tableau suivant :

  • charbon : 820
  • pétrole : 733*
  • gaz : 490
  • nucléaire, mondial : 12
  • nucléaire, France : 6
  • solaire : 45
  • biomasse : 230***
  • éolien : 11.5
  • hydraulique : 24.
   * Donnée du JRC, le GIEC n’en fournit pas
  ** Ministère français
  *** Il y a beaucoup de formes de biomasse. Le JRC donne un chiffre bien plus bas : 45.
   Le nucléaire est un instrument remarquable de décarbonation de l’économie, supérieur au solaire et à l’hydroélectricité, équivalent à l’éolien. Le nucléaire français, encore plus décarboné que les autres nucléaires, est l’une des sources d’énergie la moins carbonée au monde.

III) Le nucléaire : une énergie pilotable. 
  La garantie d’approvisionnement en électricité nécessite des sources d’électricité pilotables et disponibles en permanence. L’énergie nucléaire et l’hydraulique sont les seules sources d’énergie primaire non carbonées et pilotables. Les sites hydrauliques sont déjà largement exploités en Europe.
  Le nucléaire peut suivre la demande, car la majorité des réacteurs français peut moduler sa puissance jusqu’à 80% en moins d’une demi-heure. Aujourd’hui, le nucléaire français joue un rôle irremplaçable pour l’équilibre du réseau ouest-centre européen nommé la « Plaque France-Allemagne-Benelux » et souvent au-delà : Espagne, Italie, Benelux.
  Lorsque d’autres sources pilotables non carbonées existeront, batteries, centrales à hydrogène, le nucléaire permettra d’en limiter l’importance, donc le coût.
  Le nucléaire est une énergie non carbonée et pilotable, aujourd’hui indispensable à la sécurité d’approvisionnement pour la Plaque France-Allemagne-Benelux. Il y contribuera de façon importante demain lorsque les énergies renouvelables intermittentes, solaire et éolien, se seront considérablement développées.

IV) Le nucléaire : une énergie aux coûts bas.
  Les coûts actuels des EPR français et finlandais ne sont pas représentatifs. La Nuclear Energy Agency. OECD [Agence pour l'énergie nucléaire. OCDE] et l’Agence Internationale de l’Energie (IEA) fournissent tous les ans5 les coûts de construction récents des réacteurs exprimés en $ par kW installé : $/kWe. Le coût d’une centrale nucléaire est le facteur majeur du coût du kWh produit, car le combustible et la gestion de l’installation viennent largement après.
  On constate une énorme différence entre les coûts de construction en Occident et ceux observés ailleurs. Les deux réacteurs occidentaux de troisième génération disponibles actuellement sont l’ EPR français et l’AP1000 américain. Les chantiers européens du premier et américain du second affichent un coût de 8 620 $/kWe , EPR Flamanville, et 8 600 $/kWe pour l’AP1000 aux Etats Unis. Par contre le réacteur sud-coréen APR 1400 en Corée revient à 2 410 $/kWe et le réacteur russe VVER 1200 annonce 2 244$/kWe. Le Rapport n’évoque pas le Hualong One chinois, mais les sources locales indiquent que la tête de série devrait mener à un coût un peu supérieur à 3 000 $/kWe6. La fabrication en série devrait le diminuer. C’est en tout cas l’avis des autorités russes qui ont averti leur industrie nucléaire (Rosatom) de faire plus d’efforts car « les Chinois développent les mêmes technologies [que la Russie] à moindre coût »7.
  La conclusion des Rapports OCDE-IEA est que les coûts actuels en Occident des chantiers nucléaires baisseraient si les constructions en série reprenaient, grâce au retour d’expérience. Nous ajouterons aussi que ce retour d’expérience contribuerait également à une récupération des compétences un peu perdues par de longues années sans chantier.
  Les Rapports OCDE-IEA affirment que le nucléaire reste, lorsque les réacteurs sont construits en série, la technologie bas carbone pilotable au coût le plus bas. Seuls les grands barrages hydroélectriques avec réservoir peuvent apporter une contribution similaire.

V) Nucléaire : une information déficiente.
  Les Nations Unies se sont dotées d’un organisme pour fournir les bases scientifiques et
techniques des négociations mondiales concernant le climat, le GIEC. Les Nations Unies disposent
également d’un organisme similaire pour l’étude des risques des radiations nucléaires, le Comité Scientifique des Nations Unies pour l’Étude des Rayonnements Ionisants, plus connu par son signe
anglais l’ UNSCEAR.
  L’ UNSCEAR présente chaque année à l’Assemblée Générale des Nations Unies un Rapport approuvé sans réserves par l’ensemble des Délégations, dont celles des Etats hostiles à l’utilisation pacifique de l’atome, comme l’Allemagne, le Danemark et la Nouvelle Zélande.
  Or ces Rapports de l’ UNSCEAR, aussi bien pour les rayonnements à faible dose que pour les
accidents nucléaires comme celui de Fukushima, conduisent à des conclusions bien plus rassurantes
que ceux souvent diffusés par les médias occidentaux.
Au sujet de l’accident de Fukushima, on lit 8 :  « Concernant les travailleurs impliqués dans les travaux d’urgence, aucun décès ou impact relevé ne peut être attribué à l’exposition aux radiations...concernant les habitants de la Préfecture de Fukushima, aucune conséquence sur la santé n’a été observée attribuable aux radiations ». Et de démentir l’apparition de cancers de la thyroïde. Cette absence de conséquence est valable pour l’avenir. Aucune malformation à la naissance n’est à craindre dans les années qui viennent. Concernant l’environnement terrestre et marin, l’ UNSCEAR considère que les conséquences ont été peu importantes et transitoires.
 Dans sa Résolution A/RES/75/91 adoptée le 18 décembre 2020, sans réticences, par toutes les Délégations de l’Assemblée Générale des Nations Unies, l’ UNSCEAR est « félicité » pour ses travaux. Le Résolution insiste sur « l’importance de les faire connaître, en particulier au public ». Nous constatons qu’en France, ces informations de l’ UNSCEAR sont peu diffusées, y compris par l’audiovisuel du service public.
  Un même manque d’information concerne la place du nucléaire dans la lutte contre le
réchauffement climatique. Une majorité des Français ignore que le nucléaire est une énergie non
carbonée.
Combien ont considéré que l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim faisait partie de la lutte contre le réchauffement climatique !
  Notons aussi que c’est en Occident que les militants antinucléaires sont les plus nombreux et organisés. C’est ainsi que Greenpeace admet volontiers que son Bureau de Pékin, fort actif par ailleurs, ne mène aucune action contre l’atome dans ce pays9, à la grande fureur des indépendantistes tibétains10. Cela serait anecdotique si la Chine ne possédait pas la plus importante industrie nucléaire du monde, et potentiellement celle qui développe les plus grandes capacités d’exportation.
  Des débats et une large concertation sont nécessaires pour faire accepter le nucléaire. Cela nécessite une information complète et objective. Les organisations antinucléaires sont largement d’origine occidentale et ont contribué à affaiblir les industries nucléaires de leur pays et à faire basculer les compétences vers l’Asie et l’Europe de l’Est. On notera l’attitude du Bureau de Pékin de Greenpeace qui n’émet aucune réserve sur la montée en puissance de l’industrie nucléaire locale, la plus puissante au monde.

V) Le débat dans l’Union Européenne.

  Le débat est âpre au sein de l’Union Européenne. Une majorité des Etats membres rejette le rôle que l’atome, source d’énergie décarbonée, pourrait jouer pour lutter contre le réchauffement climatique. Plus précisément, ils refusent que le nucléaire ait sa place dans la taxonomie, une classification des sources d’énergie qui bénéficieraient de financements privilégiés. Les raisons invoquées sont les risques pour la santé humaine et l’environnement.
  Néanmoins, lorsque le Royaume Uni faisait partie de l’Union, les partisans de l’atome constituaient une minorité de blocage au Conseil, où siègent les représentants des Etats membres, et de ce fait avaient empêché toute disposition excluant le nucléaire de la taxonomie. La sortie des Britanniques semblait avoir fait disparaître cette minorité de blocage. Mais le 11 octobre 2021, dix Etats ont signé une déclaration favorable à l’atome (France, Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie, Finlande, Croatie et Bulgarie). Depuis les Pays Bas ont également rallié le nucléaire. La condition pour que ces Etats constituent une nouvelle minorité de blocage est que leur population cumulée dépasse 35% de la population de l’Union. Or suivant Eurostat, ces onze pays abritent plus de 42% de la population de l’Union.

Les Etats pronucléaires ont, de nouveau, une confortable minorité de blocage.

  La lutte contre le réchauffement climatique, comme va le confirmer le sommet de Glasgow (COP26) apparait comme plus délicate que prévu tandis que ses conséquences désagréables : canicules, inondations..., se multiplient. L’Agence Internationale de l’Energie, entre autres, annonce que l’absence d’un apport notable du nucléaire, source d’énergie non carbonée, poserait de graves problèmes à la lutte contre le réchauffement climatique11.
  La moindre utilisation du charbon devient une priorité pour lutter contre le réchauffement climatique, en particulier en Allemagne. Or les énergies renouvelables n’arriveront pas à temps pour le remplacer. Ainsi l’Allemagne et quelques autres Etats membres, dont des adversaires de l’énergie nucléaire, plaident pour l’utilisation transitoire du gaz naturel. On constata alors l’apparition d’un
possible compromis au sein de l’Union Européenne : nucléaire et gaz naturel seraient admis dans la
taxonomie, mais de manière transitoire.
  Certes le gaz naturel émet 40% de gaz carbonique en moins que le charbon lors de la production d’électricité. Mais c’est oublier les inévitables fuites de méthane, composant essentiel du gaz naturel   Or le méthane est un redoutable gaz à effet de serre. L’Agence Internationale de l’Energie insiste sur ses fuites et leur impact sur le climat qu’elle estime non négligeable et mal pris en compte. Pour le climat, le remplacement du charbon par le gaz naturel a un intérêt douteux.
  Un tweet d’Ursula Von Leyen, Présidente de la Commission Européenne
Le 22 octobre 2021, dans un tweet, la Présidente de la Commission Européenne a déclaré :
  « Nous avons besoin d’énergie renouvelable...À côté de cela, nous avons besoin d’une source stable : le nucléaire et, pendant la transition, bien sûr, de gaz naturel ». La Commission ne décide pas, ce pouvoir est du ressort du Parlement Européen et du Conseil, les Etats membres. Mais elle a le pouvoir d’initiative et reflète les idées dominantes. Le tweet est clair : le gaz naturel aurait sa place, de façon transitoire, mais le nucléaire, « source stable » aurait une place permanente dans la taxonomie.
  Le nucléaire est de retour, et pas seulement en Europe. Sans lui, la lutte pour le climat devient problématique. Nous allons décrire son contexte actuel en terminant sur la situation de l’industrie française correspondante.

VII) Une industrie française aux capacités limitées.
  Le Rapport RTE-2050, émis en octobre 2021, décrit six scénarios permettant à la France d’atteindre la neutralité carbone en 2050. La part de l’atome est la plus importante dans le scénario N03, avec 50% de l’électricité produit par l’atome. Le parc nucléaire serait alors composé, pour 24 GWe de « réacteurs du parc historique » révisés et de 27 GWe du « nouveau nucléaire » plus précisément de 14 EPR complétés de quelques SMR. Ensuite vient un scénario moins riche en nucléaire, N2, avec le même nombre d’ EPR mais sans SMR, et moins de « réacteurs historiques ».
   Suivant les représentants de l’industrie nucléaire française, le parc nucléaire du scénario N03 est le plus important que cette industrie serait capable de construire d’ici 2050. Mais ils apportent de grandes réserves quant à la certitude de sa réalisation. Ce parc comporte « un défi industriel de premier plan... » qui implique réunir quatre conditions : (i) prolonger l’essentiel des réacteurs actuels au moins jusqu’à 60 ans, (ii) être en mesure d’exploiter certains d’entre eux au-delà de cette durée, (iii) mettre en service 14 nouveaux réacteurs entre 2035 et 2045 et (iv) installer en complément une capacité significative (4GW) de petits réacteurs nucléaires.12
  Le Rapport RTE-2050 explique : « La France n’est, dans tous les cas, pas en capacité, à la date actuelle, de construire des réacteurs au même rythme que durant les années 1980 ».  « Le rythme de construction [actuel]...ressort nettement au-dessous de celui du programme nucléaire historique...cette différence...a fait l’objet de discussions passionnées...mettant l’accent tantôt sur le caractère exceptionnel de programme civil français des années 1980, tantôt sur la perte de compétence industrielle du pays depuis ».
  En effet, la France de 2021 n’est plus la France de 1980. Le scénario N03, qui conduit à un parc nucléaire maximum, 50 GW suppose une « réindustrialisation profonde » du pays qui amènerait la part de l’industrie manufacturière dans le PIB français de 2050 à 12-13%. Cette fourchette montre à quel point de désindustrialisation est arrivé notre pays. En 1980, cette part était de 20%. Le Rapport RTE estime qu’il faudrait trente ans pour retrouver le niveau de ...2007. D’après Rexecode, 40% des entreprises industrielles françaises ont mis la clef sous la porte depuis 2000. Les entreprises nucléaires, du fait de la quasi-absence de chantiers n’ont certainement pas été privilégiées.
  Le Rapport RTE pose le problème de fond : quelles sont les capacités de l’industrie nucléaire française ? « Le rythme maximum communiqué par les acteurs de la filière nucléaire », c’est-à-dire entre autres par EDF architecte-ensemblier et le Groupements des Industriels de l’Energie Nucléaire (GIFEN) indique qu’il s’agit de celui du scénario N03 12 avec un parc nucléaire de 50 GWe qui serait construit avec difficulté. Cette conclusion émanant de l’industrie nucléaire elle-même est cohérente avec la désindustrialisation française observée. Elle doit être prise au sérieux. Aujourd’hui les capacités de l’industrie nucléaire française sont limitées.
  La solution n’est pas de viser un parc inférieur à 50 GWe pour être assuré du résultat, car on peut se demander en ce cas si une industrie nucléaire nationale est viable avec des objectifs aussi faibles.  Un point est certain, RTE retrouve une condition sine qua non du Rapport Folz13 : « Il s’agit [concrètement et le plus vite possible] d’afficher des programmes stables et à long terme de construction de nouveaux réacteurs en France et d’entretien du parc existant qui donnerait aux entreprises concernées la visibilité et la confiance nécessaires pour qu’elles engagent les efforts d’investissements et de recrutement nécessaires ».
  Aller au-delà d’un parc de 50 GWe « ne serait possible qu’en recourant à des capacités industrielles à l’étranger... dans le cadre de programmes nucléaires coordonnés avec le Royaume-Uni, la Tchéquie, la Pologne notamment, soit en Asie », et de conclure que les conditions actuelles permettant ce choix ne sont pas remplies12. Ce faisant, RTE a ouvert une porte et l’a refermée. Une solution étrangère, prise dans un contexte bien plus difficile, fut adoptée en 1969. La France en 2021, si elle souhaite maintenir une industrie nucléaire viable, ne peut probablement pas l’éviter. Différentes options sont possibles, pas forcément celle choisie en 1969 ni celle préconisée par RTE.
  La désindustrialisation française, additionnée d’une trop longue pause des chantiers, a affaibli l’industrie nucléaire française dont les capacités sont limitées, et ne permettent au mieux qu’un scénario de 50% de nucléaire en 2050. Le maintien d’une industrie nationale nucléaire viable, passe, probablement comme il y a cinquante ans par une collaboration étrangère. Les formes possibles sont nombreuses et la décision ne peut être que politique.

Conclusion
  L’urgence climatique est là et la lutte contre le réchauffement climatique apparaît comme plus difficile que prévu. L’apport du nucléaire, énergie non carbonée, pilotable et bon marché lorsque les réacteurs sont construits en série, ne pourra pas être négligé. Le nucléaire est de retour.
  Mais il a changé. Essentiellement occidental au siècle dernier, son centre de gravité s’est déplacé vers l’Est. Désormais, les industries nucléaires dominantes sont chinoise et russe. Cependant, un nouveau type de réacteurs, les petits réacteurs modulaires (SMR) est à l’étude un peu partout.
  Au sein de l’Union Européenne, le nucléaire est aussi de retour. Aujourd’hui, onze pays, représentant plus de 40% de la population de l’Union, disposent d’une minorité de blocage pour empêcher toute décision hostile à l’atome. Un tweet récent de la Présidente de la Commission Européenne pousse à croire que le nucléaire pourrait entrer dans la taxonomie, une classification des sources d’énergies devant être encouragées par des financements plus aisés. La filière nucléaire française est affaiblie par une trop longue pause des chantiers et la désindustrialisation du pays. Ses capacités ont baissé par rapport à l’époque de la construction du parc nucléaire historique. En particulier le rythme de construction des réacteurs dont elle est capable est devenu nettement plus faible. Elle est capable, au plus, d’édifier en 2050 un parc nucléaire de 50 GWe, bien inférieur au parc actuel. Un Rapport récent de RTE, Rapport RTE-2050, indique que la constitution de ce parc est un « défi industriel de premier plan », nécessitant une « réindustrialisation profonde du pays ». Ces considérations posent la question de la viabilité à long terme de la filière nucléaire française.
  Dans un contexte au moins aussi difficile, il y a cinquante ans, a été prise la difficile décision d’un apport étranger, qui permit, paradoxalement, la renaissance d’une industrie nucléaire nationale devenue ensuite l’une des premières du monde. Dans son Rapport, RTE évoque, pour aussitôt la déclarer impossible, une collaboration avec des industries étrangères. Néanmoins, il est plausible que l’idée ne puisse pas être écartée si l’on souhaite que la filière nucléaire française profite du retour du nucléaire. 


1. International Agency for Atomic Energy-Power Reactor Information System
2. https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3 ar5_annex-iii.pdf
3 Joint Research Center Technical assessment of nuclear energy-2020/852 : 19 mars 2021 ; p.39
4 Le Ministère précise que le chiffre de 66gCO2/kWh quelquefois cité par l’Ademe « relève d’une erreur typographique » : réponse au Sénateur Longuet.
5. Projected costs of generating electricity-2020 Édition OCDE, IEA : « Construction costs of recent FOAK Generation III/III+projects » ; p.152.
6. Reuters : « China goes all-in on home grown tech in push for nuclear dominance »-17/4/2019
7 Nuclear Engineering International : « Russia cancels new technonogies federal target program », 12/12/2018
8. UNSCEAR 2020 Report-Scientific Annex B-Levels and effects of radiation exposure due to the accident of Fukushima.
9. Ainsi dans sa réponse à Géopolitique de l’ Electricité : mail du 8/12/2017.
10. https://tibettruth.com : « Greenpeace ignores Tibet’s nuclear poisoning »
11. IEA : « Nuclear Power in a Clean Energy System », May 2019
12. RTE-2050-Rapport complet-Futurs énergétiques 2050 : La production d’électricité. § 4.2 13.
13. Rapport de Jean-Martin Folz « La construction de l’ EPR de Flamanville » à Bruno Le Maire et Jean-Bernard Lévy-28/10/2019

 

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