UNION EUROPÉENNE, MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ : LA CONCURRENCE AUGMENTE LES PRIX ! NON, SANS BLAGUE !...

  Les conclusions de l'étude américaine, lire ci-devant, sont une baffe monumentale pour le citoyen-béotien-abonné que nous sommes tous ou presque...
I. Plus de concurrence génère plus de hausse des prix;
2. Les experts le disaient déjà haut et fort dans l'oreille du politique depuis... plus de 40 ans !
  Bonne nuit et bonne chance !
 


Pour compléter sur le sujet : EDF à la peine dans le Renouveau Nucléaire de l’UE
  Les données ci-dessous ont été principalement obtenues en rassemblant des informations du Nuclear Engineering International Magazine : NEI.
  Hors France, voici les projets de réacteurs dans l'UE début mars 2024 :
  • Pologne : 3 réacteurs américains type API000, Westinghouse, à Choczewo. Deux réacteurs sud-coréens APR I400, KHNP à Patnow;
  • Bulgarie : les deux tranches 7 et 8 de la centrale de Kozloduy seront équipées de réacteurs américains type API000, Westinghouse. Westinghouse ne participera pas à la construction tout en gardant le contrôle du projet. Hyundai Engineering & Construction, Corée du Sud, sera invitée à présenter une offre ferme pour la construction.
  • Roumanie : 2 réacteurs de type canadien Candu à Cernadova. Le projet s’appuiera sur l’industrie sud-coréenne.
  • Pays-Bas : 2 réacteurs à Borssele ou à Maasvlakte. Deux études de faisabilité ont été confiées, l'une à l'entreprise sud-coréenne KHNP, l'autre à l'américain Westinghouse.
  • Tchéquie : un appel d'offres, d'abord de deux réacteurs, aujourd'hui de quatre, a été lancé  pour Dukovany et Temelin. Restent en course : KHNP, Corée du Sud, et EDF avec une proposition de technologie EPR. C’est une situation  proche de celle d’ Abou Dhabi en 2009 où s'étaient trouvés en concurrence l' EPR français et l' APR I400 sud-coréen. À la suite du choix du coréen, le Président de la République avait demandé un Rapport à François Roussely, ancien Président d'EDF, qui avait signalé " la perte de crédibilité de l'industrie nucléaire française ". Quinze ans plus tard, l' EPR de Flamanville, déjà en construction depuis deux ans en 2009, n'est toujours pas en service. Trois des réacteurs sud-coréens d’ Abou Dhabi le sont et le dernier très prochainement.
   Le Renouveau Nucléaire est une réalité dans l’UE : quinze  projets de réacteurs, hors notre pays, sont mentionnés ci-dessus. EDF a des difficultés pour s’y faire une place. Américains et Sud-Coréens se taillent la part du lion.
TACCOEN Lionel, Directeur de la Lettre " Géopolitique de l’Électricité "
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L’Union Européenne a un problème avec l’électricité : La concurrence augmente les prix

  L’avenir n’est plus ce qu’il était.
  L’instauration de la concurrence en électricité a été pensée est mise en œuvre à la fin du XXème siècle, donc à une autre époque. Le mur de Berlin s’était effondré. Comme Fukuyama l’écrivit, l’Histoire était finie, démocratie et libéralisme avaient vaincu.I Friedrich Hayek, I899-I992, brillant économiste et philosophe2, était aussi un homme qui avait eu très peur. Il y avait de quoi, sa ville natale, Vienne avait été envahie successivement par les armées de Hitler et de Staline. Il constata qu’un État pouvait devenir fou. Si de plus il était puissant, il devenait un danger pour le monde. Il préconisa la solution : l’État devait devenir un État minimum en renonçant à l’essentiel de son pouvoir économique pour s’en remettre au marché et à la concurrence. Le concept d’État minimum était né. Son livre « La route de la servitude » fut un best-seller mondial, mais pas en France3.
  Hayek contribua à renforcer la position dominante, à la fin du XXème siècle et au début du XXIème, des économistes dits de l’École de Chicago qui, eux aussi, préconisaient que l’État devait laisser le marché gérer l’économie. À l’époque, en Occident, restaient hors marché un certain nombre de domaines, ainsi les transports, les communications, les combustibles fossiles et l’électricité. L’État devait s’en dégager, se contentant, via des Commissions de Régulation, de veiller au bon fonctionnement des marchés. Commença alors, par ci par là des politiques de dérégulation, ouvrant les marchés correspondants à tous fournisseurs mis en concurrence.
  Hélas, l’Histoire n’était pas terminée. La guerre est revenue. Les dictateurs, contrairement à  ce qu’escomptait Hayek, parviennent sans difficulté à transformer un État, même minimum, en État fort, et même quelquefois en État fort et fou. Les États démocratiques, dans ce contexte, se voient obligé de reprendre certaines responsabilités qu’ils avaient confiées au marché.
  La concurrence en électricité relève du concept d’État minimum issu d’un passé révolu, car l’avenir n’est plus ce qu’il était.
 
Les pères fondateurs du libéralisme ont été oubliés
  Contrairement à une idée répandue, l’État libéral n’est pas un État minimum. Le père fondateur de l’économie de marché, Adam Smith, I723-I790, préconisait un État fort capable de faire régner l’ordre et la justice à l’intérieur et de se faire respecter à l’extérieur par une armée puissante. Il ajouta que les instruments indispensables au fonctionnement de la société, devaient rester sous l’emprise des pouvoirs publics. Parmi ceux qu’il citait on trouve : les ports, les routes et les ponts. Dans sa grande sagesse, il précisa que cette liste s’enrichirait à l’avenir du fait des progrès techniques. L’électricité est indispensable à notre société digitale. Au temps d’Adam Smith la destruction des voies de communication était un but de guerre. Elles relevaient en dernier ressort de l’État.  Aujourd’hui, couper l’électricité, ou le tenter, est un nouveau but de guerre. Voir l’Ukraine, Gaza et le Niger. L’électricité comme les voies de communication du temps d’Adam Smith est devenue une affaire d’État.
  Léon Walras, I834-I9I0, fut à l’origine de l’exploration des mécanismes du marché, sujet fondamental. Il s’acharna à démontrer que la concurrence pure et parfaite, un idéal inaccessible, mène à un optimum de l’utilisation des ressources financières et des compétences. Il ne sera que le premier d’une liste d’économistes qui compléteront, corrigeront et préciseront son œuvre. Mais leurs travaux prouvent que les bienfaits de la concurrence ne tombent pas du ciel. Ils nécessitent certaines conditions. Lorsqu’elles ne sont pas réunies, ils n’apparaissent pas. La concurrence peut alors être contre productive et augmenter les prix. C’est le cas en électricité.
   La concurrence en électricité a été instaurée sans prendre en compte les exceptions prévues
par les pères fondateurs de l’économie de marché.
 
I. Fukuyama « La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme », Flammarion, I992.
2 Friedrich Hayek, grand rival de Keynes, Prix Nobel en I974.
3 Publié en I944 sous le titre « The Road of Serfdom », PUF.
 
Beaucoup en parlent, l’Union Européenne l’a fait
  L’École de Chicago ayant ses entrées dans le Chili de Pinochet, c’est dans ce pays et à cette
époque que la dérégulation de l’électricité fit ses premiers pas en I978, formalisés par une loi en
I9824. L’Union Européenne la décida par une directive de I996. En 2007, tout client européen obtint
le droit de choisir son fournisseur.
  Dans un Rapport de 2020, la Commission Européenne étudiant la situation des marchés de
l’électricité dans les pays industrialisés, G20, écrit : « La plupart des pays du G20 continuent de réglementer les prix [de l’électricité] pour les ménages. Le même problème (sic) existe pour l’industrie mais est moins aigu que pour les ménages »5. En Chine, un organisme fédéral, le NRDC,[National Development and Reform Commission, Commission nationale du développement et de la réforme] garde un œil vigilant sur les tarifs. En Inde, les États font de la résistance en face de la volonté affichée par les autorités fédérales de passer au marché. La déréglementation de l’électricité est souvent présentée comme un objectif, mais la réalisation se fait attendre. La montée des tensions dans le monde n’est pas favorable à une accélération du processus. La dérégulation de l’électricité reste largement à l’horizon dans nombre de pays industrialisés. L’horizon peut reculer au fur et à mesure que l’on avance.
  L’Union Européenne apparait comme le seul grand marché où la dérégulation de l’électricité a été menée à terme, même si des dérogations importantes ont été autorisées, en principe temporaires. Il n’apparaît pas dans le Rapport de la Commission Européenne5 que la dérégulation de l’électricité ait apporté un avantage de compétitivité. L’évolution des prix de l’électricité dans l’UE a plutôt causé une dégradation de la compétitivité européenne par rapport aux autres pays industrialisés de 2008 à 20I9, donc avant l’arrivée des graves évènements : Covid, Ukraine5. Mais isoler le rôle de la concurrence dans cette dégradation est fort délicat6.
  Le cas des États-Unis est très intéressant. Le pouvoir fédéral n’a pas les compétences nécessaires pour déréguler l’électricité sur l’ensemble du territoire. Certains États ont opté pour une dérégulation fort proche de celle de l’Union Européenne, incluant le libre choix pour tous les clients. D’autres ont choisi une dérégulation limitée. Enfin une bonne partie a conservé le modèle traditionnel d’entreprises publiques, souvent municipales, sans but lucratif, c'est-à-dire ressemblant beaucoup à EDF, version XXème Siècle.
 
Aux États-Unis, une certaine stagnation de la dérégulation
  Nul n’est prophète en son pays, et les idées de l’École de Chicago n’ont pas eu le même succès aux États-Unis qu’au Chili ou dans l’Union Européenne.
  L’introduction de la concurrence, dérégulation, aux États-Unis pour le gaz, I978, les transports aériens, I978, ferroviaires et routiers, I980 et les télécoms, I984, avaient provoqué de substantielles réductions de prix, de l’ordre de « 30% à 75% ». Cependant, à la suite de l’instauration de la concurrence en électricité, I998, rien de semblable n’apparut7.
  Ce fut une surprise et quelques études apparurent. Celle de la Carnegie Mellon University7 dès 2005 décrit l’évolution des prix pour les industriels dans les États dérégulés et la compare à celle observée dans les États ayant conservé le modèle traditionnel. La conclusion est la suivante : « Le bien-être des consommateurs n’a pas été amélioré par la dérégulation [la concurrence] et il convient de réfléchir sérieusement à l’opportunité d’étendre la restructuration [dérégulation] à d’autres États avant que les problèmes n’aient été résolus et qu’une baisse des prix ait été obtenue ». L’étude observe des imperfections des marchés de l’électricité et des coûts supplémentaires dus à l’instauration de la concurrence. Attendre pour étendre la dérégulation à d’autres États ? C’est bien ce qui s’est produit.
  En 2005, I9 États, sur 50, et le District de Columbia avaient opté depuis au moins six ans pour l’instauration de la concurrence en faveur des industriels. Ces États sont parmi les plus peuplés :
en conséquence, à cette époque « 40 % de toute l’électricité des États-Unis étaient vendus dans des
États « restructurés »
»,7 terme employé pour désigner les États qui avaient abandonné le modèle
historique et instauré une concurrence.
 
4. US Department of Energy-Office of Scientific and Technical Information, OSTI, — « Chile : pioneer in deregulation of the electric power sector », — I994-06-0I, — consulté le 20/I/2024 sur osti.gov.
5. Commission-Document oct. 2020-Cf.
6. Taccoen Lionel, — « Marché de l’électricité : pour une dérégulation choisie par les Etats membres », —Revue de l’Énergie, n°665, novembre-décembre 2022.
7. Carnegie Mellon University 2005.
 
  Aujourd’hui, ils sont I8 États et le District de Columbia à permettre au client final le choix du fournisseur. 6 autres États ont introduit la concurrence à la production, modèle dit « acheteur unique », au profit d’un fournisseur unique monopolistique. 26 États ignorent toute forme de
concurrence en électricité.
Aux États-Unis, la vague de dérégulation de l’électricité s’est arrêtée il y a
presque vingt ans.8

Les observations de la Harvard Business School juin 2023
  Il manquait cruellement aux États Unis, comme dans l’UE une vaste étude permettant d’isoler
l’impact de la concurrence sur l’évolution des prix de l’électricité. La coexistence entre États pratiquant la concurrence et États la refusant rend plus aisée les observations outre Atlantique d’autant plus que certains États ont fait des allers et retours. Sous l’égide de la Harvard Business School, des observations sur le terrain ont commencé il y a plusieurs années. Le Rapport publié en juin 2023 indique que la dérégulation, donc la concurrence augmente les prix. Les auteurs ne citent pas Marcel Boiteux,[I922-I923, économiste et mathématicien, directeur et président d’EDF] et ignorent qu’une de ses analyses9 était parvenue au même résultat. Il a suffi de rapprocher les observations de l’une et l’analyse de l’autre pour conclure que théorie et réalité convergeaientI0.
  La concurrence en électricité augmente les prix.

Une première solution pragmatique dans le cadre du Traité européen
  La Commission Européenne écrit : « Des prix compétitifs [de l’électricité] sont au cœur de la
politique énergétique de l’UE
»11. Les gains escomptés de la concurrence peuvent être divers, mais la Commission, comme les clameurs populaires, met largement en premier la pression à la baisse des prix. Or il s’avère qu’il apparaît une pression à la hausse. La concurrence n’est pas la seule cause des actuelles augmentations des tarifs d’électricité, mais elle y contribue à un bien mauvais moment. Elle crée également un désordre coûteux dans l’hydroélectricité au point que les États membres concernés cherchent des échappatoires. L’intervention des règles de concurrence dans le
financement, la fixation des prix et la commercialisation de l’électricité d’un parc nucléaire ne peut que compliquer les opérations et provoquer des hausses des coûts.
  La solution doit éviter des débats d’experts interminables. Elle ne peut passer par une révision
de l’actuel Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne qui exige l’unanimité des États membres.
  Les règles de concurrence font partie du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne et
s’appliquent à l’électricité.
Mais dans leur grande sagesse, les pères fondateurs de l’Union
Européenne ont prévu, dès les prémisses du marché commun, des cas où des limites à l’application
des règles de concurrence sont permises. Ceci permettrait une solution dans le cadre du Traité qui
apporterait, entre autres, une sécurité juridique indispensable au renouveau nucléaire français. Dans l’article de Futuribles9, ont lira la disposition du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne qui autorise une limitation de l’application des règles de concurrence et la façon de la mettre en oeuvre9.
  Cette solution pourrait recueillir l’accord des États membres et de la Commission :
  - la limitation de l’application des règles de concurrence devrait permettre, entre autres, aux États de retrouver l’emprise qui leur est nécessaire pour gérer de façon optimale les financements, la fixation des prix et la commercialisation de l’électricité des barrages et des centrales nucléaires.
  - cette limitation ne doit pas « affecter le développement des échanges dans une mesure contraire aux intérêts de l’Union » La France et d’autres producteurs pourraient consentir quelques mesures apaisantes sur la commercialisation de leur électricité nucléaire au-delà de leurs frontières.
  - C’est à la Commission Européenne qu’il revient de proposer des mesures législatives. Il se trouve qu’elle a proposé une législation sur la dérégulation de l’électricité, dont les bases scientifiques se révèlent douteuses. Certes les temps ont changé et l’École de Chicago dominait l’économie. Mais la théorie économique enseignait depuis longtemps que les bienfaits de la concurrence ne tombaient pas du ciel. Pour qu’ils se manifestent, des conditions devaient être réunies. Ce point a été négligé alors que nombre d’électriciens avaient averti des spécificités de l’électricité. L’évolution de la dérégulation dans les autres pays et en particulier aux États Unis n’a pas attiré l’attention. Le plus grave est qu’aucune recherche des conséquences sur le terrain de la dérégulation sur les factures n’a eu lieu, alors qu’il apparaissait de plus en plus évident que la concurrence ne provoquait pas de pression à la baisse des prix. Cette anomalie aurait du provoquer des réactions.
  Les premières solutions proposées ici, dans le cadre du Traité, permettrait à la Commission d’éviter de se trouver dans une situation inconfortable.
  Par la suite, il faudra aller plus loin. Toute réforme du marché européen de l’électricité qui ne prend pas en compte que la concurrence augmente les prix est vouée à l’échec.

8. EPA 2023.
9. Futuribles-Juin 2007, — Marcel Boiteux « Les ambiguïtés de la concurrence »
I0. Futuribles-Janvier-février 20I4, — TACCOEN Lionel, —« Marcel Boiteux avait raison; la concurrence en électricité augmente les prix »
11. Corrigendum du document COM, 20I6, 864 final/2 du 20/4/20I7-§ 1.

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