Précédemment
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Au milieu de la perturbation générale je n'ai pas retrouvé toutes les lettres publiées par les journaux, que j'aurai désiré mettre à l'appui de ces mémoires; elles étaient la confirmation de mes notes, et la reproduction exacte des sentiments de toute l'armée, de tous ceux qui ont pris part à ce grand drame jusqu'à la fin.
Je vais reproduire un fragment de lettre attribuée à un colonel d'état-major, très en vuecclxxxix; je la transcris ici parce qu'elle donne bien le résumé de celles dont je parle ci-dessus, et qu'elle semble apprécier très justement la situation.
" Mon cher X...
........................................
" En présence de cette trahison, notre infortune disparaît par l'aggravation du mal pour cette France si terriblement atteinte par cette capitulation. Hélas, il y avait une chose qui n'était pas prévue et que la providence réservait comme dernier châtiment à notre orgueil et à notre décrépitude morale : c'était la trahison !
" Eh bien ! cette douleur ne nous sera pas épargnée, et nous allons assister au honteux spectacle d'un Maréchal de France, voulant faire de sa honte le marchepieds de sa grandeur, livrant ses soldats sans armes, comme un troupeau qu'on même à l'abattoir.
" Donnant ses armes, ses canons, ses drapeaux pour sauver sa caisse et son argenterie ! Oubliant à la fois tous ses devoirs d'homme, de général en chef et de Français !
" Se cachant pour échapper aux insultes qui l'attendaient, ou peut-être à la fureur qui l'aurait frappé.
" Voilà ce que nous avons vu pendant deux mois; voilà ce que j'ai écrit du reste et que j'ai dit bien haut, à tel point qu'il m'a menacé de me faire arrêter ainsi que mes amis P... et K..., mais il n'en a pas eu le courage, il nous a refusé cette satisfaction.
" Nous avons assisté à une trame ourdie de longue main, dont les fils ont été aussi multipliés que les motifs, et cet homme a obéi à des pensées si diverses, qu'on en est à se demander aujourd'hui s'il n'était pas tombé dans une espèce d'imbécilité ?
" Il a d'abord trahi l' Empereur, pour rester seul et se faire gloire à lui-même; puis il a manqué à ses devoirs de soldat, en ne voulant pas aller au secours de l'armée qui marchait sur Sedan, par haine de Mac-Mahon, et pour ne pas servir à un accroissement de gloire pour celui qu'il appelait son rival.
" La catastrophe arrive, le trône est renversé et il allait se rallier à la République, quand Trochu [Louis, Jules, I8I5-I896, général; " Après avoir publié une étude sur l'Armée française en I867, dans laquelle il dénonce la faiblesse des forces militaires, il est disgracié. Promu gouverneur de Paris, août I870, président du gouvernement de la Défense nationale, septembre I870, il commande sans énergie les troupes chargées de la défense de la capitale : novembre I870. Critiqué au ministère de la Guerre, il doit abandonner ses fonctions à Vinoy : 22 janvier I87I. Élu député à l'Assemblée nationale, il siège avec les orléanistes : février I87I-juillet I872... "; Larousse] apparaît avec la grande position que la situation avait faite; il ne voit plus pour lui la première place, celle qui peut seule lui assurer le gros traitement dont il est habitué à jouir; et il trahit la République et la France, pour chercher je ne sais quelle combinaison politique, qui fera de lui le dictateur du pays, sous la protection des baïonnettes prussiennes.
" Cette combinaison lui échappe, il se retourne alors vers cette pensée d'une restauration impériale qui conviendrait à la Prusse, et lui assurerait toujours le premier rôle auquel il aspire sans souci de son honneur, pas plus que celui de son armée; il tergiverse, craignant un blâme de l'Empire.
" Mais l'ennemi ne veut plus rien entendre, il le sait actuellement sans ressources; et il n'a même pas le courage de nous faire tuer; il préfère nous déshonorer, et noyer sa honte dans celle de son armée.
" Voilà ce qu'à fait cet homme; quelle leçon pour les popularités mal acquises; quel réveil pour ceux qui ont eu confiance en lui !
" Bien des esprits sagaces ont deviné le mal au début, bien des braves cœurs ont voulu le prévenir, et je dirai que ce sera pour moi un honneur d'avoir été un des auteurs de la conspiration qui se formait aux premiers jours d'octobre, pour forcer Bazaine à marcher ou le déposer.
" Les généraux Aymard [Édouard Alphonse Antoine, I820-I880, baron; Gouverneur militaire de Paris, I878; il meurt en poste], Courcy [Philippe Marie Henri Roussel de, I827-I887], Péchot, Clinchant, etc., les colonels Boissonet [ou Boissonnet, André Denis Alfred, I8I2-I904; sénateur, I876-I879], Lewal, Saussier, Davoust [ou DAVOUT, voir duc d'Auerstaedt] et beaucoup d'autres, nous voulions sortir à toute force de l'impasse vers laquelle on nous précipitait et que d'autres ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir.
BOISSONNET André, général. Atelier Nadar — Bibliothèque nationale de France, I900.
" Mais il nous fallait un chef, un général de division dont le nom et l'ancienneté eussent pu rallier l'armée. Eh ! bien, pas un seul n'a voulu prendre cette responsabilité; pas un seul n'a eu le cœur de se mettre en avant pour sauver du même coup et l'armée et la France. "
" Ah ! ils sont bien coupables aussi, ces généraux et ces maréchaux; ils auront un compte sévère à rendre dans l'histoire !
" Il me reste un souvenir de cette dynastie, l'affection que je porte à l'Impératrice, qui s'est conduite avec cœur et honneur jusqu'aux derniers jours.
" Aujourd'hui je suis arrivé à comprendre la présence des anciens commissaires de la Convention aux armées qui faisaient tomber la tête des généraux, ne leur laissant d'autre alternative que vaincre ou mourir. "
Cette lettre, écrite au moment où cette capitulation était décidée, circula librement parmi nous. On peut dire qu'elle a l'approbation unanime de tous les officiers; son auteur a voulu garder l'anonymat, mais il a été promptement connu.
XXXI
CAPITULATION DE L'ARMÉE DE METZ
28 octobre.
C'est aujourd'hui que le sort de l'armée doit se décider. Les préliminaires laissent des doutes sur la générosité de l'ennemi. L'armée, le cœur plein d'amertume, doit subir cette suprême humiliation !
Cette phrase : " L'armée de Metz a capitulé " jette l'épouvante; on sent son cœur se glacer d'angoisse.
Capitulation, prisonniers de guerre : quelle horreur ! [" à l’arsenal de Metz, veille de la capitulation et en effet on nous a donné du blé en grain et de l’amidon. La faim commençait à faire son jeu. Il y avait des hommes qui allaient risquer leur vie en allant jusqu’aux lignes ennemies pour chercher des pommes de terre. Certains soldats se sont fait prendre en se fiant sur l’ennemi qu’on croyait que c’était des Polonais et ont succombé dans ces risques aventureux... "; sur le Web]
Le maréchal demanda au général Changarnier de se dévouerccxc en acceptant la mission d'entrer en négociations avec le prince Frédéric-Charles. Le vétéran accepta ce triste honneur; il se dirigea sur le château de Frescaty, fut reçu de suite par le prince prussien, avec tous les égards dus à son âge et sa réputation, mais il ne put réussir à se faire accréditer comme représentant de l'armée française et des intérêts de la ville de Metz, attendu qu'il n'avait pas exercé un commandement actif durant la campagne.
Il fut remplacé par le général de Cissey, qui rédigea le protocole et tenta d'obtenir pour l'armée des conditions honorables; il ne put fléchir notre ennemi, et dut se conformer aux clauses arrêtées par le roi et l'état-major allemand.
Je ne reproduis pas cet acte, pour ne pas allonger ce journal; les détails sont très connus et trop douloureux.
La capitulation fut signée par le général Jarras, chef d'état-major du maréchal, et par le général Stiehle pour l'Allemagne. Notre ennemi fut impitoyable.
Les conditions, très dures, étaient celles annoncées par Bismarck au général Boyer; il n'était nullement question du renvoi des hommes dans leurs foyers, nous étions tous prisonniers de guerre; l'armée entière devait subir la captivité; la ville, les forts, l'arsenal, nos armes, le stock de canons, les drapeaux, en un mot tout ce qui constituait le matériel de guerre, poudre et munitions, tombait au pouvoir des armées allemandes.
Sur une observation du général de Cissey, qui fit comprendre combien il serait dangereux d'enlever l'épée aux officiers, il fut décidé qu'on leur laisserait leurs armes et qu'ils auraient la faculté d'emmener, à leurs frais, un soldat ordonnance avec eux en exilccxci.
Pendant que ces concessions avaient lieu, le maréchal fit demander aux corps de nouveaux états de proposition pour l'avancement et pour les récompenses. Mon colonel, n'ayant plus entendu parler de celle qui me concernait, me dit qu'il m'avait proposé de nouveau pour la croix.
Tout en le remerciant, je lui dis que, dans l'état d'esprit où je me trouvais, ma conscience refusait à accepter une récompense de la main du traître. Il me fit quelques observations, en m'affirmant que je serais très appuyé par nos généraux; que le prince Murat lui avait dit qu'il serait personnellement heureux de me faire obtenir cette distinction; que cela ne rencontrerait aucune difficulté, il m'en donnait l'assurance.
J'étais trop monté pour consentir, ne pouvant comprendre que, dans un pareil moment, on pût songer à ses intérêts personnels, lorsque tout croulait autour de nous. Mon colonel, connaissant mon caractère, n'insista plus.
Dans l'après-midi je fus appelé chez le général de Gramont, où se trouvait le général de Forton et d'autres officiers. Après un accueil bienveillant, le général de Forton me fit savoir qu'il était au courant de ma réponse au colonel Friant; que l'on ne devait jamais refuser une distinction aussi méritée; qu'il tenait à me faire obtenir une récompense. Puis il ajouta, que m'ayant fait nommer lieutenant à Gravelotte, il ne croyait pas qu'il lui fût possible alors de maintenir à la fois ma citation et ma proposition pour la croix. Ma réponse fut la même qu'à mon colonel; mon camarade de la Bousse, officier d'état-major, était présent, il me serra la main à la sortie. Je dis à mon général :
— La signature de cet homme au bas de mon brevet me rendrait malheureux toute ma vie.
Celui-ci me répondit sèchement :
— Cet " homme " comme vous l'appelez, est toujours le maréchal, commandant en chef, ne l'oubliez pas, lieutenant.
Je pus heureusement me contenir, par respect pour mon général; je répondis rien.
— C'est votre dernier mot ?
— Oui, mon général.
Il me tendit la main et je me retirai.
Nos généraux et les officiers supérieurs étaient logés à côté du bivouac dans les maisonnettes de la pyrotechnie qui bordaient les remparts. Je me rendis chez mon vieil ami, le commandant Bouthier, qui se mit à tonner contre le gaspillage que l'on faisait des décorationsccxcii, en disant que c'était une honte, etc... Il m'approuva et me dit qu'il avait, pour le même motif que moi, refusé d'être porté pour la Légion d'honneur.
La capitulation de Metz, le 27 octobre I870, Lucien Mouillard : I877. Musée de l’Armée; Christian Moutarde.
Mais, en rentrant de captivité, mon colonel ne se tint pas pour battu, il m'écrivit qu'il avait fait ses démarches et que je serais maintenu pour la croix pour faits de guerre au titre de la campagne. Alors, les temps étaient changés, je bondis de joie, j'étais seulement dans ma quinzième année de service, sans autre campagne que celle de I870. En effet ma proposition fut maintenue et je fus très fier de regarder mon ruban rouge, quand mon tour arriva de le recevoir, sans la signature du traître.
Le lecteur me pardonnera cette petite digression.
Nous sommes à la veille d'être livrés à l'ennemi, et de nouveau je me remets à caresser le projet qui me tenait tant à cœur : sauver notre étendard.
J'avais accès dans les salles d'armes, en présentant au factionnaire la carte qui m'y autorisait; je pouvais y circuler librement. L'opération ne présentait donc pour moi nulle difficulté, il s'agissait simplement de détacher la soie de la hampe et de la cacher sous ma tunique; le factionnaire qui m'avait vu entrer me rendrait les honneurs sans plus se préoccuper de moi à la sortie. La réussite me paraissait facile et certaine; je ne pus résister, je me rendis à l'arsenal.
En arrivant près des étendards de la cavalerie, mon émotion fut si violente, que je m'appuyai à la muraille; je me remis promptement. Je tenais déjà mon drapeau et je me disposais à défaire la gaine, lorsque j'entendis un bruit de pas et de paroles assez éloignés, mais qui se rapprochaient de moi. Qu'est-ce que cela pouvait être ? Le capitaine, aussi plein de patriotisme que d'indignation, m'avait indiqué cette heure. Que décider ? Me cacher était impossible; il était préférable de voir et d'attendre. Je pris le parti de me présenter, si j'étais questionné, comme si je venais contrôler mes versements d'armes, lesquelles se trouvaient dans une pièce à côté; nul ne pourrait soupçonner mon intention réelle.
Le bruit s'approchait et bientôt j'aperçus le général Soleille, commandant de l'artillerie, avec le colonel de Girels suivis de quelques officiers, parmi lesquels le capitaine Bruley. J'avais eu le temps de me remettre et de me composer un maintien, je saluai en m’effaçant, sans émotion apparente. Je ne fus pas questionné. Bruley resta un peu en arrière, me demanda si " ça y était ". Je lui appris que je venais d'échouer au port; il en parut contrarié, car, en nous concertant la veille, il ne pouvait prévoir cette visite inopinée qui annulait ma tentative.
Le général Soleille, très préoccupé de la clause de capitulation concernant les drapeauxccxciii, venait pour se renseigner sur le nombre des étendards qui se trouvaient à l'arsenal. Le coup était manqué ! J'en ressentis une douleur profonde.
Navré, je rentrai au bivouac. N'ayant, cette fois, mis personne dans la confidence, je gardai pour moi cette amère déception, sans en parler même à mon colonel.
D'autre part, nous nous étions entendus avec d'autres camarades pour tenter une évasion. Dans le projet formé par nous, il n'était pas question d'aller se briser sur les lignes prussiennes; nous devions sortir sur un vaste front, deux par deux, à distance, en rampant et en nous méfiant à l'approche du fameux réseau en fil de fer dont nous connaissions l'existence.
En cas de succès, ceux qui auraient réussi à forcer le passage devaient se diriger sur une ville ou un centre éloigné de l'occupation prussienne et désigné à l'avance. Que l'on pense ce que l'on voudra de cette témérité, telle était notre volonté fermement arrêtée. Malheureusement le secret fut mal gardé; mon colonel me fit appeler, il me dit qu'il était au courant de notre tentative ; que nous nous ferions massacrer sans profit; que le devoir consistait à partager le sort de ses soldats dans le malheur, et non pas d'aller se faire tuer bêtement en les abandonnement.
J'étais très ébranlé. Ce fut par ma tête comme un vertige; je ne pouvais me résigner à être prisonnier. Nous étions nombre d'officiers qui pensaient comme moi, nulle difficulté ne nous auraient arrêtés.
Mon colonel me conseilla paternellement de renoncer à mes projets d'évasion; je lui promis de suivre ses conseils.
29 octobre.
Comme officier d'armement du corps, je suis chargé de la pénible mission de rendre les armes du régiment. J'avais toujours lu que les prisonniers de guerre défilaient devant l'ennemi en déposant leurs armes ! À Metz on ne procéda pas de cette façon, les voitures, ce qui restait de cuirasses, les sabres, les pistolets et les fusils du régiment réorganisé en partie en dragons, furent dirigés sur le fort Saint-Julien et remis à une commission mixte composée d'officiers d'artillerie français et allemandsccxciv. [" Les Allemands entrent en vainqueurs dans la ville. Au même moment, Bazaine se présente au quartier général du prince Frédéric-Charles à Corny pour s’y constituer prisonnier, mais il ne sera reçu qu’à I7 h. 00 après avoir connu l’humiliation de devoir attendre plusieurs heures dans une auberge voisine. La capitulation entraîne la perte de 3 maréchaux, 6.000 officiers, I70.000 hommes environ, de I.600 canons, 278.000 fusils, 3 millions d’obus, 23 millions de cartouches. En pratique, le gros de l’armée régulière française est hors de combat..."; sur le Web]
Ces officiers prussiens parlaient notre langue sans accent, cela me fit une singulière impression. Les Prussiens exigeaient des états d'effectifs comme si c'eût été un contrôle d'intendance. Après avoir vérifié le compte du premier convoi, l'un d'eux me dit :
" Lieutenant, votre état n'est pas exact, il manque sept fusils. "
Je lui répondis qu'il devaient se trouver sur la voiture qu'on était allé chercher au bas de la côte.
L'observation de notre ennemi me fut faite sur un ton courtois. Mon fourrier prit la parole au sujet de l'état, pour justifier sans doute l'erreur. Tout à coup un officier allemand d'un grade élevé, peut-être le nouveau commandant du fort, lui imposa silence avec un accent si hautain, si cassant que mon sous-officier ne put s'empêcher de riposter. Il fallut alors l'intervention des commissaires français pour calmer l'Allemand devenu comme fou furieux, avec sa face couleur de brique sous sa barbe grise.
" Je vais faire mettre ce soldat contre le mur et le faire fusiller s'il ouvre la bouche, " clama-t-il.
Mon pauvre fourrier " n'en menait pas large ", suivant son expression, lorsqu'il raconta cela à ses camarades.
Je fis observer à ce chef irascible que j'étais seul responsable; que dans notre armée nos inférieurs étaient autorisés à nous parler librement; qu'il ne fallait pas voir là un acte d'insubordination.
Enfin il se radoucit et me tendit la main, geste que je fis semblant de ne pas apercevoir; il dit encore quelques mots et se retira.
Pendant cette scène, les officiers et les soldats allemands prirent une attitude militaire et ne bronchèrent pas. C'était un contraste frappant avec notre discipline, si paternelle quoi qu'on puisse dire. Car si elle est sévère, elle confère aussi des droits; le bon soldat ne la redoute pas.
Ne voyant pas arriver notre autre voiture, nous allâmes au-devant d'elle; les chevaux épuisés ne voulaient plus donner du collier, malgré les efforts de nos hommes qui poussaient aux roues. Voyant ces difficultés après la belle réception de nos ennemis, je fis tout jeter, armes et munitions, dans le fossé bordant la route; et nous rentrâmes au bivouac.
Venez chercher nos armes, messieurs les Prussiensccxcv !
En rentrant, je rendis compte à mon colonel de ce qui s'était passé au fort et de notre façon expéditive de procéder. Je lui affirmai que nous n'aurions pas pu atteindre le but. Il me fit remarquer que j'aurai dû, dans ce cas, prévenir les officiers allemands. J'étais tellement froissé de ce qui s'était passé pour mon fourrier, que j'avouai ne pas même y avoir songé. Les évènements qui se succédèrent ne permirent sans doute pas à l'ennemi de porter plainte, car il dut s'apercevoir qu'il lui manquait autre chose que les sept fusils.
Maintenant l'aspect du camp n'a plus rien de militaire; c'est un marécage où il n'est plus possible de rester. Les sept ou huit chevaux, dernières montures du régiment, ne peuvent plus recevoir de nourriture; nous n'avons même plus de viande de cheval pour nous.
Ma bonne jument s'était maintenue tant bien que mal à ce régime de viande cuite puis crue, maintenant il fallait y renoncer. Ne voulant pas la livrer, aux Prussiens ou la laisser manger sous mes yeux par nos soldats affamés, je coupai son entrave et je l'abandonnai à son malheureux sort après l'avoir couverte de caresses. Pauvre et excellent animal ! Ce fut pour moi un moment de grande tristesse que cet abandon forcé.
XXXII
J'ABANDONNE MON CHEVAL
Oui, elle se nommait Biche, ma bonne jument, c'était l'idéal du cheval d'armes. Pendant ma longue carrière, toujours dans les cuirassiers, j'ai monté des chevaux superbes, surtout aux cuirassiers de la garde impériale où je suis resté sept ans. J'en ai dressé un bien grand nombre, mais aucun ne m'a donné autant de satisfaction que ma belle jument pendant les six ans et demi que j'ai pu la conserver. Elle s'était prêtée au double dressage de cheval de service et de haute école.
À suivre...
cclxxxix. Colonel D' ANDLAU.
ccxc. D'après le général Jarras, c'est le maréchal Canrobert qui le 24 octobre aurait exprimé l'avis de confier la pénible mission de se mettre en rapport avec le prince Frédéric-Charles " au vénérable général Changarnier, notre maître à tous. ". Le général accepta sans hésitation. Il fut reçut avec égards par Frédéric-Charles au château de Corny, [Corny-sur-Moselle; quartier général du prince] mais le prince n'accorda rien, il convint avec Changarnier que son chef d'état-major et un général français se rendraient au château de Frescaty pour établir une convention. Le général de Cissey s'y rencontra avec le général von Stiehle qui ne voulut pas débattre les clauses de la capitulation sous le prétexte que les ordres du roi ne permettaient pas de la modifier. Un conseil de guerre fut alors tenu le 26 et le général Jarras désigné pour signer la capitulation. Jarras eut deux entrevues avec le chef d'état-major allemand, le 26 et le 27, et après la signature un dernier conseil de guerre fut tenu le 28 qui donna son approbation à la manière dont le général Jarras avait rempli sa mission. Voir général JARRAS, loc. cit., 290-320.
Corny-sur-Moselle, l'histoire du château.
ccxci. Le général Jarras eut beaucoup de peine à obtenir cette concession. Voir loc. cit., 311-3I3 et 3I8.
Le colonel FIX exprime cependant une opinion différente : " Quant à laisser aux officiers leurs armes et leurs chevaux, que leur importait au fond ? " Loc. cit., II, 65.
ccxcii. Il (Bazaine)... facile comme dans ces derniers jours, donna tout ce qu'on lui demandait, des médailles à des hommes dont il ne connaissait même pas le nom, des croix à ceux qui les réclamaient, des grades, même des étoiles; il suffisait de venir et de lui parler. D' ANDLAU, loc. cit., 409-4I0.
ccxciii. Les armes ainsi que tout le matériel de l'armée consistant en drapeaux, aigles, canons, etc., etc., seront laissés à Metz et dans les forts..., pour être remis immédiatement à des commissaires prussiens. Protocole de la capitulation, article 3.
ccxciv. L'infanterie et la cavalerie déposèrent leurs armes et leurs cartouches soit dans les forts, soit dans les magasins de la ville; l'artillerie conduisit à l'arsenal ce qui lui restait de canons et de matériel mais l'espace était trop restreint pour recevoir ce nombre immense de voitures et de bouches à feu; il fallut les réunir sur d'autres points. Colonel D' ANDLAU, loc. cit., 398.
ccxcv. En dépit des défenses de Bazaine et de ses lieutenants beaucoup de fusils sont brisés et enterrés. LEHAUTCOURT, loc. cit., VII, 507. [" Triste et fatale journée qui a décidé du sort de la France et qui restera à jamais dans mon cœur, car les hommes les plus durs et les plus terribles ne pouvaient résister au deuil dont la France se recouvrait dans une seule journée. Enfin à I0 heures du matin, nous portant pour rendre les armes que nous devions porter au fort Plappeville, mais la douleur et la rage que chacun portait dans son cœur n’ont pu empêcher les hommes ne pouvant se venger autrement de détruire ou briser les armes qu’ils jetaient dans les fossés, dernier adieu, et par ce moyen s’éviter la honte de les remettre dans les mains de l’ennemi. C’était un spectacle navrant de voir les routes parsemées de cartouches et autres munitions de guerre, les fossés remplis de fusils et d’équipements militaires. On ne voyait que le triste et douloureux tableau des désordres qui frappent la France. Se joignent à ces funérailles un temps sombre et brumeux, et une incessante pluie fine qui nous pénétrait jusqu’aux os... "; sur le Web]
COMMANDANT FARINET, L'Agonie d'une Armée, Metz-I870, Journal de guerre d'un porte-étendard de l'Armée du Rhin, ancienne librairie Furne, Boivin & Cie, Éditeurs, I9I4, p. 326-338.
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