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Le portrait d'une ville serait bien imparfaitement dessiné si le chroniqueur du passé négligeait de faire revivre ici les partis, les hommes, les mouvements populaires, les emportements passionnés, les joies souvent éphémères et les amères déceptions qui ont modelé son visage jusqu'aux approches de 1914.
On ne sera donc pas surpris de me voir accorder ici une place d'apparence excessive, peut-être, à la Presse, à la Politique à Chaumont dans les années 1900. Ignorer ces deux levains de l'opinion serait manquer d'objectivité.
La Presse
Voici l'ancêtre, "Le Journal de la Haute-Marne" imprimé par Bouchard de 1807 à 1835. Sa tendance? Elle ne variera pas : gouvernemental sous tous les régimes! [variante du titre : Journal du département de la Haute-Marne, Journal politique, littéraire et d'annonces de la Haute-Marne et Journal politique, littéraire et d'annonces du département de la Haute-Marne ; fréquence de parution : hebdomadaire ; à partir de 1832 porte en sous-titre : "politique, littéraire, d'annonces" ; 1812- janvier 1815, a un supplément : Feuille d'annonces et avis divers du département de la Haute-Marne. En janvier 1835, il est absorbé par L'Écho de la Haute-Marne
En 1835, l' imprimeur Cousot, dûment autorisé, publie le "Courrier de la Haute-Marne", porte-parole de l'opposition. Après la révolution de 1830, le "Citoyen" [Le Citoyen de la Haute-Marne journal du progrès politique, moral, littéraire et industriel... ; parution de 1831 à 1833 ; N° 1, le 17 avr. 1831 - n° 265, le 27 oct. 1833 ; fréquence de parution : semi hebdomadaire ; remplacé par L'Écho de la Haute-Marne journal des communes ; n° 1, le 31 oct. 1833 - le dernier numéro, n° 1497, le 26 févr. 1848, qui deviendra l' Echo du Peuple, 1848-1852], dans l'opposition aussi. En 1833, le "Citoyen" prend le tire de "L’Écho" et profite de ce changement d'enseigne pour entrer dans le parti du gouvernement. En 1843, "L'Indépendant" lui succède mais dans l’opposition. Il tombera cinq ans plus tard.
"L'Union de la Haute-Marne", tri-hebdomadaire, voit le jour en 1849. [L'Union de la Haute-Marne journal politique, littéraire, administratif et d'annonces, paraissant les lundi, jeudi et samedi, puis" paraissant les mercredi et samedi "puis" paraissant les mercredis, vendredis et dimanches ; 1849-1893 ; absorbé par le "Petit Champenois", il devient : "Le Petit Champenois et L'Union de la Haute-Marne" jusqu'en 1925]. Elle se publie chez Cavaniol, au 1, de la rue Decrès dans ce vieil hôtel des Choiseul de Langres, plus tard maison de l' amiral Decrès et qu'une meurtrière explosion de gaz détruisit le 7 juillet 1970 [écoutez : Inter actualités de 20H00 du 7 juillet 1970 ; contenu de l'édition du Journal parlé après écoute en ligne : - 1. Les titres du journal - 2. Chaumont - Explosion dans l'imprimerie du journal "La Haute Marne libérée" - 2 morts : - Interview du rédacteur en chef qui donne des détails sur les conditions de l'explosion et ses effets, au micro de France Inter]. On sortira trois morts des décombres.
"L'Union" s'affirme républicaine modérée. En 1886, son tirage est de 3 000 exemplaires. Son dernier numéro portera la date du 15 octobre 1893. Mort apparente : "L'Union" vient de fusionner avec le "Petit Champenois". Fondé en 1882, également imprimé sur les presses de Cavaniol. Républicain modéré, le "Petit Champenois" était alors le seul quotidien paraissant dans le département. Son influence était grande.
Les deux journaux paraissent le 18 octobre 1893. Charles Bourlon de Rouvres [1850-1924], maire de Verbiesles, député de 1889 à 1898 puis de 1902 à 1906, en inspire la rédaction. Son tirage atteint de 5 à 6 000 exemplaires.
Charles Bourlon de Rouvres
Le 8 janvier 1893, le parti de gauche, de son côté, lance "L' Avant-Garde Républicaine" [parution de 1893 à 1919 ; fréquence de parution : tri-hebdomadaire ; À partir de 1894 texte en partie identique à celui de : "Réveil (Le) de la Haute-Marne. Journal républicain indépendant..." qu'il absorbe en août 1903. - Du 3 juil. 1919 au 14 mars 1920 remplacé par : "Echo (L') des travailleurs. Moniteur bi-hebdomadaire...". - Le 18 mars 1920 absorbé par : "Spectateur (Le). Moniteur démocratique de l'Est"] qui ne cessera de ferrailler de la plume contre le "Petit Champenois".
J'aurai bien aimé fureter dans les colonnes du vaillant organe républicain mais "L'Avant-Garde" n'a laissé aucune trace matérielle aux Archives Départementales [de Haute-Marne], hormis son numéro 1 et son numéro 153 du 31 décembre 1916 et c'est bien peu pour une fringale de curiosité.
Tri-hebdomadaire d'obédience radicale, "L'Avant-Garde" a pour directeur politique Léon Dorval, sous l'inspiration du député Dutailly, député de 1881 à 1889 puis de 1898 à 1902. Son tirage est de 3 000 exemplaires en 1897. Il cessera de paraître en 1919. Le relais sera pris par "L" Echo des Travailleurs".
En 1897, le conseiller d'arrondissement Dessoye, qui deviendra plus tard député de Chaumont [Arthur, 1854-1927 ; député de 1906 à 1919, 3 mandats], appuyé par Emile Goguenheim et Dutailly, lance le premier "Petit Haut-Marnais", [en 1893, était déjà paru sous ce titre 4 numéros, le jeudi et le dimanche ; en 1897, il fait donc son retour pour une année] quotidien radical. Le journal tire à 3 000 mais ne dure pas.
Arthur Dessoye, 1854-1927
C'est seulement le 1er août 1903 que naît un nouveau "Petit Haut-Marnais", frère politique du précédent, qui s'imprimera au n°15 du boulevard de la Tour Mongeard. Son programme : "Action de Défense et d’Éducation républicaines et laïques". Ses murs crouleront sous les bombes américaines en mai 1944. Réuni dans la mort à son vieil adversaire "Le Petit Champenois", il disparaîtra avec lui le 13 septembre 1944, l'un et l'autre emportés par les tourments de la libération.
Tel est, pour le seul Chaumont, dressé sommairement par plans successifs, le décor de papier qui, pendant près d'un demi-siècle, va servir de théâtre aux hommes politiques du chef-lieu.
Les municipales 1900
Ne craignez point de me voir répertorier ici par le menu ces combats de plume quotidiens, homériques à force d'outrance, souvent ridicules, fastidieux à coup sûr que se livraient les deux porte-bannière des partis opposés. Un livre entier n'y suffirait pas.
Mais, au seuil de cette décade d'histoire chaumontaise, je me donnerai le temps de recréer, de mon mieux, le climat toujours chargé de foudre et sillonné d'éclairs, de cette autre Belle Époque de la politique de clocher.
Comme chacun sait, les élections municipales n'ont aucune portée politique. C'est justement ce que nous allons constater.
En 1900, M. Victor Fourcaut [maire de Chaumont de 1894 à 1900], dernier parrain de la rue de Reclancourt, arrive à bout de mandat municipal. Les élections auront lieu le 6 mai. Fourcaut représente la fraction modérée de l'opinion et porte la marque antidreyfusarde, car "L'Affaire" n'est pas oubliée. Pour l'abattre, les radicaux, par la voix de "L'Avant-Garde", l'accusent de favoriser ses amis, notamment l'imprimeur Cavaniol dont il aurait fait en quelque sorte l'imprimeur de la Mairie. "L'Avant-Garde" qualifie aussi le quotidien de la rue Decrès de "national-réactionnaire". L' épithète jette Dantès, en réalité son rédacteur en chef Jules Mialon, hors de ses gonds. Hé là! il n'a pas de leçons de républicanisme à recevoir de personne, Dantès! Et d'ajouter :
" Le parti radical, hors duquel il n'y a pas de salut, est le parti des exploiteurs du peuple qui flattent le peuple et en vivent grassement ; c'est le parti des dupes qui enrichissent les meneurs... [...] À aucun prix, je ne voudrais être un républicain de cette trempe. [...] Et j'aime autant - j'aime mieux - leur mépris que leur amitié".
Aussi bien a-t-il déjà démonté le mécanisme de la machine de guerre radicale : on veut "renverser comme Maire l'honorable M. Fourcaut. Contre lui, (ils) ont employé toutes les ressources d'une calomnie savamment distillée!".
On verra tout à l'heure que la calomnie - si calomnie il y eut - s'avèrera payante. Mais les urnes n'ont pas encore dit leur dernier mot...
Fourcaut, conscient du péril que ces sans-culotte nouveau style, au demeurant guère moins bourgeois que lui, font peser sur ses grognards et sa Vieille Garde, procède à un remaniement profond de son dispositif de combat. Il licencie le plus gros de ses bataillons, ne conserve avec lui que sept briscards les plus chevronnés et appelle de nouvelles classes. Dans leur nombre, le docteur Dauvé, le conseiller général-négociant Febvre-Wilhélem, l'entrepreneur Ferrière, Grammaire, agent fédéral d'assurances, le docteur Louis Guillaume, dont la politique n'est pas le meilleur violon d'Ingres..., Clément Lacaille, négociant en vins, Albert Lindecker, le boulanger de la rue Pasteur qui deviendra plus tard directeur des Autobus Chaumontais, Jules Mialon, publiciste, le sculpteur Moncany, Paul Scordel, négociant, le docteur Paul Mongeot, le sous-chef de Dépôt en retraite Thévenin, enfin l'honorable et respecté M. Voillemier.
De l'ardente campagne de presse qui précède le scrutin, il suffira de retenir quelques titres : "Des menaces?!!"... "Menteurs!!!" - "Soignons les Amis!" "Infâme calomnie!".
Les jeux sont faits. La parole est au destin. 3 242 électeurs sont inscrits. 2 276 prennent part au vote, abstentions : 30%, 9 bulletins blancs seulement sont dénombrés. Au soir de cette bataille que ne marque nul incident fâcheux, Victor Fourcaut mord la poussière et ne se relèvera plus. La majorité absolue est de 1 134 voix. Il en recueille personnellement 1 092. Dernier par ordre alphabétique, M. Voillemier est le premier, le seul élu aussi de la liste Fourcaut. On pavoise dans la "maison d'en face" au cri de "Vive la République!" repris, avec une variante, par les ouvriers plus avancés : "Vive la Sociale!".
La liste radicale vient, en effet, d'emporter dix-sept sièges d'un seul élan. On note les noms de Goguenheim, grand maître de la Fabrique, de Kaversa, de Louis Simon, Sadi, de Samuel Simon, qui n'est pas de la même famille, de Ruty. L'avocat Georges Lévy-Alphandéry échoue avec 1 011 voix ; ce ne sera que partie remise. Lisse, par contre, a obtenu 1 468 voix, le vétérinaire Roullot 1 305 voix.
Aux lisières du champ de bataille, encore fumant du sang des ennemis massacrés, Lisse adresse une vibrante proclamation aux troupes radicales :
"Vous venez d'écraser le cléricalisme et le césarisme. Vive la République!".
Résignation et dignité
Le "Petit Champenois", dont le rédacteur en chef lui-même est resté parmi les morts, subit avec résignation et dignité ce terrible coup du sort. Du navire coulé bas à la première bordée, seul a survécu l'honorable M. Voillemier. Le reste de l'équipage, capitaine Fourcaut en tête, a péniblement gagné la rive à la nage pour faire connaître aussitôt qu'il ne se représentera pas au scrutin de ballotage. C'est la capitulation sans condition. Les radicaux "ballotés" achèveront de nettoyer la place le dimanche suivant et aligneront 26 élus sur 27, l'honorable M. Voillemier abandonné en otage chez l'ennemi. Parmi les élus de la deuxième cuvée, le marchand de vin Renoult, Lévy-Alphandéry, Humblot, Thabourin, Piot, Exbrayat...
L'élection du maire se jouera sur le velours.
- Votants : 27
- Bulletins blancs : 2
- Emile Goguenheim, 25 voix, élu maire
- Dourdy et Lisse, 25 voix chacun, élus adjoints.
L'un des deux bulletins blancs n'a pas pu être déposé que par l'opposition représentée par l'unique M. Voillemier. Mais, par qui, le deuxième? Le nouveau Conseil ayant adressé un message de fidélité au Président de la République [Emile Loubet, 1838-1929 ; Président de 1899 à 1906 ; Son élection intervient en pleine affaire Dreyfus, dont il signe rapidement la grâce. Sous son septennat, marqué par une relative stabilité ministérielle, la loi de séparation des Églises et de l'État est adoptée dans un contexte de fortes tensions. Alors qu’il améliore les relations entre la France et l'Italie, l'Entente cordiale est signée avec le Royaume-Uni en 1904. Il est le premier président français à ne pas se représenter à l'issue d’un mandat arrivé à son terme] et un autre message au Président du Conseil Waldeck-Rousseau [Pierre, 1846-1904 ; avocat à Nantes, député de l'Union républicaine, 1879-1889, ministre de l'Intérieur, novembre 1881-janvier 1882 ; février 1883-mars 1885, il fait voter la loi sur les syndicats, mars 1884. Avocat d'affaires à Paris, 1886, il défend Eiffel dans le procès de Panamá, janvier 1893. Sénateur, 1894-1904, il est président du Conseil, juin 1899-juin 1902, constituant, lors de l'agitation nationaliste, un cabinet de Défense républicaine ; il défère en Haute Cour les chefs nationalistes, fait gracier Dreyfus et voter la loi sur les associations, qui visait indirectement les congrégations, 1901. Son gouvernement fut marqué à l'extérieur par l'expédition de Chine, 1900], M. Voillemier a refusé de s'associer à cette démarche de caractère politique et, chose curieuse, car il est bien élu de la liste radicale, M. Ruty a dit non aussi.
Emile Loubet, Président de la République de 1899 à 1906
Pierre Waldeck-Rousseau, Président du Conseil de 1899 à 1902. Photographié par Eugène Pirou.
Les municipales au village
La campagne municipale à Chaumont n'a manqué ni de modération ni de tenue. Mais dans nos villages où les intérêts sont si proches et si jalousement gardés, où l'amour-propre est chatouilleux, les rivalités âpres et vigoureuses, les langues bien affutées aussi, nos villages savaient faire des "municipales" autant de petits drames en un ou plusieurs actes. Je ne jurais pas que chacun des protagonistes, volontaires ou non, ne prit grand plaisir à se hisser sur les planches pour y présenter son numéro. J'ai là, rassemblées sous la main, un assortiment d'échantillons chatoyants qu'il serait, à mon sens, criminel de ne point vous présenter.
À Autreville [aujourd'hui Autreville-sur-la-Renne, 375 habitants ; arrondissement de Chaumont ; Communauté de communes des Trois Forêts], par exemple, une querelle à propos de la répartition des affouages a entrainé la démission de la Commission compétente. Le Conseil en bloc l'a suivie.
"Hé! s'écrit gaillardement un conseiller démissionnaire à l'adresse des mécontents, la Commission a préféré de beaucoup vous passer la queue de la poêle pour que vous y fricassiez à votre goût ce que vous aviez fait dedans!". Gauloiserie pas morte!
La marquise de Pompadour, favorite du roi Louis XV, se vit offrir le château du village qui porte aujourd'hui encore son nom
À Charmes-la-Grande [155 habitants ; arrondissement de Saint-Dizier ; Communauté de communes du bassin de Joinville en Champagne], le conseiller d'arrondissement Fuzelier a été élu par 95 voix sur 118 votants. répondant à un adversaire qui l'a attaqué dans la presse modérée, Fuzelier écrit superbement :
"Permettez-moi de dire à vos lecteurs que je ne veux, en aucun cas, à aucune époque et pour n'importe quoi, répondre à l'individu qui signe Charles T...Il y a des injures qui n'atteignent pas parce qu'elles partent de trop bas!".
À Avrainville [depuis 1972, associée à la commune de Troisfontaines-la-Ville ; 135 habitants ;
arrondissement de Saint-Dizier ; Communauté d'agglomération de Saint-Dizier Der et Blaise], quoique réélu maire, M. B... met en garde les "bleus" de son nouveau Conseil contre l'ardeur belliqueuse de son opposition "composée d'adversaires implacables, inspirés par je ne sais quel démon, d'une jalousie aussi malsaine qu'injustifiée et de la plus noire rancune...Des scènes regrettables, honteuses pour leurs auteurs et que je voudrais effacer à jamais de ma mémoire, eurent lieu dans cette salle qui fut souillée des injures, des grossièretés, des infamie auxquelles je fus en but".
À Semoutiers [depuis 1972 Semoutiers-Montsaon, jumelage ; 755 habitants ; arrondissement de Chaumont ; Communauté d'agglomération de Chaumont, du Bassin Nogentais et du Bassin de Bologne Vignory Froncles ; l'aérodrome civil, installé sur la base aérienne Chaumont-Semoutiers, a accueilli le rassemblement évangélique des Tziganes Vie et Lumière durant plusieurs années], l'un des duellistes au moins se bat à visage découvert :
"C'est bien compris? écrit-il, hein! Les battus pas contents! Conservez votre raclée ; vous ne l'avez pas volée. [...] Et maintenant, vous pouvez braire à votre aise ; c'est fini, je ne vous répondrai plus. pas lâche comme le correspondant de "L'Avant-Garde, je signe : Emile R....qui n'a pas peur."
Entrée de la base en 1962.
À Maranville [404 habitants ; arrondissement de Chaumont ; Communauté de communes des Trois Forêts], M. A... répond aux coups de pointe de M. P... :
- M. P... vous me traitez de menteur et d'imposteur. je vous défi de le prouver...
- .......
- Vous me reprochez d'avoir rincé le gosier aux électeurs pour me faire élire. Par contre, les vôtres ont sans doute oublié votre gibier électoral. Est-ce vrai?
- Vous me traitez de moule ; moi je pourrais bien vous comparer à un autre poisson (sic) mais je préfère être poli. Je remarque aussi que l'argent donne de l'esprit à ceux qui n'en ont pas et que vous en profitez"
... Mais je n'en finirais pas de vous raconter les municipales au village.
La bataille de l'eau
Mac-Mahon [Patrice de, duc de Magenta, 1808-1893 ; maréchal et homme politique ; Président de la République de 1873 à 1879 ; célèbre aussi pour quelques-unes de ses citations : "J'y suis, j'y reste" ; “La fièvre typhoïde est une maladie terrible : ou on en meurt, ou on en reste idiot. j’en sais quelque chose : je l’ai eue.” ; "Que d'eau! Que d'eau!", etc.], émerveillé, dit-on, d'avoir vu tant d'eau dans la mer, n'aurait pu pousser son cri d'admiration devant les fontaines de Chaumont. À défaut du précieux liquide, c'est dans cette aride question de l'eau que l'opposition va puiser ses attaques à pleins seaux. Il faut honnêtement reconnaître que Chaumont sur son Mont Chauve n'a pas été gâtée par la nature le jour de la distribution des eaux du ciel. À 319 mètres au-dessus du niveau de la Marne goguenarde, la vieille montagne, dont la rocaille en retient aucune source, à l'habitude séculaire de tirer la langue et de ménagers ses brocs. Baignoires, salle de bain, évier avec l'eau courante, lavabos eau chaude et froide, "chasse" dans les commodités, autant de luxes interdits, même chez les bourgeois. On s'approvisionne le plus généralement aux bonnes-fontaines de quartier, un seau au bout de chaque bras encore faut-il que l'eau ne soit pas enfuie ailleurs...
Écoutez plutôt ce "vieux tout cassé" qui, le 8 juin, donc depuis que Goguenheim est maire "après une longue tournée, rentre sur le coup des dix heures du matin, avec ses deux seaux vides". Le cher homme fait la rencontre d'un de ses conscrits et, tout de suite, c'est la critique du "régime que nous subissons". Et le vieux tout cassé de s'écrier : "Ce n'était pas la peine de changer d'administration ; çà va plus mal qu'avant".
Deux jours plus tard, la situation a du empirer car l'opposant s'écrit : "La ville de Chaumont n'a toujours pas d'eau. Jamais disette n'a été plus complète et n'a duré si longtemps. La nouvelle municipalité, d'ailleurs, s'en fiche comme d'une guigne. Elle a à sa tête de gros Messieurs...Ils boivent du bon vin, ce qui est encore, pour des bourgeois, la meilleure manière de se passer d'eau!".
Et voici l'abomination de la désolation. Des rumeurs alarmantes, des insinuations effarouchées rasent le sol poussiéreux et colportent le mauvais bruit : "Il parait que la ville nous fait boire de l'eau de Marne! Ils vont nous ramener le choléra!". L'affaire est, cette fois, assez sérieuse pour que s'émeuve le maire, répliquant aussitôt, par voie de presse, sous le titre "Fontaines publiques" : Des bruits malveillants circulent en ville, ayant pour objet de faire croire à la population que l'eau livrée à la consommation provient de la Marne et qu'elle est contaminée. C'est une imposture qu'il convient de démentir énergiquement". Un démenti qui dut laissé bien indifférente la nymphe du Boulingrin [le square du Boulingrin situé non loin du centre ville en face de la préfecture, accueille en son sein une fontaine monumentale, 1865, représentant une nymphe et ses amours] en éternelle attente de douche.
En fait, pas plus Goguenheim que Fourcaut ne pouvaient apporter une solution rationnelle et moderne à un problème d'autant plus aigu que de nouvelles sources - si l'on ose dire - de consommation se manifestaient. Le chemin de fer ravitaillait ses machines en gare ; l'usine Tréfousse pompait sa part ; le tonnage disponible ne s'accroissait guère. Plusieurs décades passeront encore avant que le problème de l'eau à Chaumont reçoive enfin sa solution.
"Qu'est-ce que vous voulez? dira plus tard, en 1930, l' adjoint technique responsable de la Voirie, frappant de sa canne le sol de la route de Langres, comme jadis Moïse le roc du Sinaï, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? C'est encore un "tu-au" qu'à pété".6
Nymphe et ses amours. Source
Voilà donc où s'abreuvait généralement le polémiste local. Mais il avait à faire face aussi sur un deuxième front, celui de la politique nationale représentée à Chaumont ou dans le voisinage par des gens qu'il n'aimait guère, le député Dutailly et "L'Empereur", le député puis sénateur Léon Mougeot [1857 - 1928 ; avocat ; député de la Haute-Marne de 1893 à 1908, sénateur de la Haute-Marne de 1908 à 1920, sous-secrétaire d’État aux Postes et Télégraphes de 1898 à 1902 , ministre de l'Agriculture de 1902 à 1905] À personnages importants, grands moyens! Et l'on n'y va pas avec le dos de la cuiller! Trois citations seulement :
Après le terrible orage du 2 janvier, la désolation règne dans les campagnes sinistrées. C'est le moment que choisit Dantès pour insérer un entrefilet du gente patelin [qui est d'une douceur insinuante et hypocrite, Larousse] :
"On nous informe que M. Dutailly...parcourt les communes éprouvées et prodigue à tous ses consolations et son argent". Cher et bon M. Dutailly!
Las! Le démenti va suivre, en forme, d'amende honorable : "Sur la foi d'un correspondant facétieux, on ne le connaîtra jamais car le code d'honneur du journaliste lui fait défense de dévoiler ses sources!, nous avons dit hier que M. Dutailly portait ses encouragements et des secours d'argent aux cultivateurs et aux vignerons dont les récoltes ont été détruites par la grêle. Nous apprenons aujourd'hui que M. Dutailly ne porte rien du tout. Cela nous apprendra, ô, fine mouche!, à croire des assertions aussi invraisemblables". Voyons donc!
On insulte les héros
Après Andelot, Biesles a intronisé sa Section de Vétérans de 70.
"Nous n'apprendrons rien à nos lecteurs, écrit le polémiste, en leur disant que Biesles est, sans doute, la commune la plus divisée du département, où les deux factions politiques adverses sont le plus irréductiblement opposées...Le mot "adversaire" n'est preque pas connu ; c'est l'épithète "ennemi" qui est en vogue...".
Et voilà que notre député Dutailly s'avise de présider la remise au Drapeau aux Vétérans de
Biesles!
" Ah! non! proteste le journaliste. Nous trouvons sa présence indécente, celle de Dutailly, dans toutes les fêtes où il s'agit d'honorer les enfants de France qui sont tombés pendant la guerre au Champ d'Honneur. [...] En 1870, M. Dutailly était solide, bien bâti. Il s'est caché pendant que ses camarades allaient se faire casser la figure sur les champs de bataille. Il se reposait à Meuvy pendant que d'autres mouraient à Gravelotte [commune de la Moselle, arrondissement de Metz ; elle fût, avec ses environs, le siège de terribles combats au cours de la guerre franco-prussienne en août 1870 ; au cours de cette bataille, il est dit que "les balles et les obus d'artillerie s’abattaient avec une telle densité qu'on pouvait dire qu’il pleuvait de l’acier !", d'où l'expression populaire d'aujourd'hui : "il pleut comme à Gravelotte"pour signifier que la pluie tombe de façon très violente] à Borny, à Sedan et ailleurs...".
Le dos de la cuiller, je vous dit!
Taisez-vous sinon...
" Quand M. Léon Mougeot "qui se sert" du "Spectateur de Langres" [Le Spectateur : moniteur
démocratique de l'Est "puis" moniteur bi-hebdomadaire de la démocratie
haut-marnaise "puis" républicain démocratique..., ou Le Spectateur de la Haute-Marne ou Le Spectateur de l'Est et, du 18 mars 1920 au 25 juillet 1924 : Le Spectateur et l'Avant-garde républicaine ; période de parution : 1871-1932 ; fréquence de parution : 3 fois par semaine puis quotidien puis 3 fois par semaine ou semi -hebdomadaire ; remplaça "Le Journal de Langres" avant d'être absorbé, 1932, par "Le Petit Haut-Marnais"] pour attaquer et aussi défendre, le journal de Chaumont y va carrément :
"Nous entendons conserver vis-à-vis de lui nos droits de libre critique. Nous parlerons des domaines qu'il achète grâce aux émoluments qu'il touche comme sous-secrétaire d' Etat...Nous dirons à M. Mougeot qu'il est dreyfusard [...] Et si le "Spectateur" s'aventure sur des terrains où il n'a que faire, tiens! tiens!, eh bien, nous l'y suivrons. C'est compris n'est-ce pas?".
Combien de lourds sous-entendus dans ce "C'est compris"? je ne vous le dirai pas. Mais enfin, maintenant, vous avez le ton. Il ne changera guère d'ici 14.
Chapitre V
Le grand pardon
À suivre...
Robert Collin, Chaumont à la Belle Époque, Les Presses de l'Imprimerie de Champagne, Langres, I970, pp. 43-53.
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