Haute-Marne : Chaumont à la La Belle Époque, épisode VII

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  Hé bien! le 1er janvier 1901 la guerre continue à faire rage sur le front journalistique et il n'est pas question de laisser le moindre répit à l'adversaire harcelé.
"Je vous souhaite, écrit le chevalier de l'opposition, d'être débarrassé, et bientôt, de l'équipe ministérielle  Waldeck-Rousseau-Millerand [Alexandre Millerand, 1859-1943 ; ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes 1899-1902] ; je vous souhaite d’assister à l’effondrement politique des André [Louis, 1838 -1913, général, ministre de la Guerre 1900-1904] ; des Lanessan [Jean-Marie Antoine Louis de, 1843-1919 ; naturaliste, médecin ; ministre de la Marine 1899-1902] des Monis [Ernest, 1846-1929 ; ministre de la Justice 1899-1902] ; je vous souhaite enfin de voir la France confiée à des mains républicaines, à des hommes amis de l'Armée et de la Liberté".

 

Portrait officiel d'Alexandre Millerand (1920) qui sera successivement président du Conseil des ministres, 1920 puis président de la République, 1920-1924.  Source

   Les évènements de l'année ne seront guère différents de ceux que nous avons glanés en cours de route sur les chemins de 1900. Cependant le 24 juin, le Grand Pardon ne souffrira pas d'avoir été reporté.
  Des foules immenses, on enregistrera à la gare de Chaumont un mouvement de voyageurs de l'ordre de 16 000, vont accourir au chef-lieu, tantôt recueillies, tantôt bruyantes, ruée de curieux venus là comme à une kermesse de plein air, énorme procession de fidèles psalmodiant derrière leurs évêques, leurs prêtres, et le dais du Saint-Sacrement. 
 
 
  "...énorme procession de fidèles psalmodiant derrière leurs évêques, leurs prêtres, et le dais du Saint-Sacrement...", 1906. Source
 
  La ville entière, du moins en son centre et dans les quartiers des reposoirs, a concouru à décorer les rues, orner les maisons et leurs balcons. Tout le monde met la main à l'ouvrage, ceux qui vont à la messe et ceux qui n'y vont pas : le Grand Pardon, c'est la fête de tout Chaumont et le Chaumontais entend ravir d'admiration ses hôtes d'un jour. ["En 1475, Jean de Montmirel, fils d’un modeste mercier chaumontais, devenu docteur en droit canon et chanoine de Langres, promu évêque de Vaison-la Romaine, puis conseiller du pape Sixte IV, est au faîte d’une brillante carrière ecclésiastique. Celle-ci l’a conduit à occuper d’importantes fonctions à la Curie romaine et à obtenir des papes, honneurs et prébendes.Jean de Montmirel n’a pas oublié Chaumont, sa ville natale. Le 8 février 1475, le pape signe une bulle accordant à perpétuité une indulgence plénière à tous ceux qui, chaque fois que la Saint-Jean-Baptiste (24 juin) tombera un dimanche, visiteront la collégiale Saint-Jean-Baptiste, s’y confesseront et y communieront. Le Grand Pardon était né." Source]

 

 Source

  Huit reposoirs dresseront leur théâtre de lin blanc, de fleurs coupés et de saintes effigies en carton-pâte dans un vaste périmètre autour de la Collégiale :
  • le "Drame de la vie de Saint-Jean" sur le parvis de la Maison de la Justice, rue du Palais ;
  • "Notre Dame des Victoires", rue Bouchardon ; 
  • "Jeanne d'Arc" sur le boulevard Gambetta ;
  • le "Rocher de Saint-Jean", place de la Gendarmerie ;
  • "Dieu et Patrie", place de la Motte, juste en face de l' Hôtel de Ville ;
  • "Saint-Jean dans le désert", place des Capucins ;
  • "Le Sacré-Coeur", place de la Gare ;
  • "La Croix", enfin, rue Pasteur.

Le reposoir "Jeanne d'Arc", boulevard Gambetta, 1906. 

  Dès le matin, les charrettes et les chars-à-bancs [voiture hippomobile à 4 roues, dotée de bancs disposés parallèlement aux essieux] déversent leur chargement aux carrefours périphériques, les cyclistes des deux sexes zigzaguent au loin sur les chaussées poussiéreuses ; des villages les plus proches, de Brottes, de Chamarandes, de Choignes, de Darmannes, de Treix, on grimpe pédestrement la côte ou l'on arrive par la Maladière après avoir coupé à travers bois.
  Tout ce peuple animé, jacassant, va, vient, virevolte, s'interpelle au gré des rues, tombe en arrêt d'admiration devant le premier reposoir aperçu, s'extasie à grands cris au spectacle des milliers de gracieuses guirlandes de mousses et de buis fleuries de roses, de pavots au coeur noir, de glycines retombantes...Des semaines, durant, les femmes se seront constituées en ateliers de quartier pour découper et conformer le papier multicolore ; dans la semaine précédant le grand jour, les hommes, chaque matin dès potron-minet, auront forcé les halliers de bois proches pour y trouver la mousse et couper le buis qu'ils ramènent à grand charroi dans les caves ou les cours, improvisées usines à verdure.
  Dans le même temps, des hommes de métier, les menuisiers, les peintres, les décorateurs auront oeuvrés sur les édifices des reposoirs. Ce que le badaud éberlué admirera quelques heures durant, il ne pensera guère à la somme de veilles et de dévouements dont cette brève journée sera le prix caché. Aussi bien, il n'est pas venu pour cela.
  Après les messes en plein air, hôtels, restaurants, cafés de toute importance regorgent de clients et refusent du monde. Qu'importe! comme il fait beau, on ira saucissonner au Boulingrin, à Philippe-Lebon, sous les grands arbres des boulevards. Pour le plus grand nombre, l'important est de ne pas rater la procession...
  Chaque foyer ou presque a lancé aux parents et aux amis éloignés une invitation à "venir voir le Grand Pardon" et c'est une nombreuse réjouissance familiale autant que pour la fête patronale. Les gens dont la maison se trouve bien placée sur le parcours de la procession n’auront pas à presser le service et, entre deux bouchées de brioche ou de saint-honoré pourront, la serviette au cou, suivre des yeux et des oreilles le lent cheminement des fidèles en mouvement. Les femmes se signent, les font font silence quand passe le Saint-Sacrement, que survolent les hymnes et les cantiques.

 

1475-2018, le Grand Pardon toujours là, attirant, encore, des milliers de pèlerins et visiteurs, rendant ainsi un bel hommage à toutes ces centaines de bénévoles qui ont permis, à travers les siècles, de perpétrer la tradition. Source

  Au jour finissant, les reposoirs s'illuminent et, une bonne partie de la nuit, les Chaumontais et leurs invités vont repartir en groupes bigarrés, pour s'émerveiller encore devant tant d'éphémères chefs-d’œuvre. La cohue n'est guère moindre que dans l'après midi, mais la tradition le veut : le soir, "on fait la tournée des reposoirs".
   On s'interpelle, on se salut, on procède aux présentations de famille :
   "C'est ma belle-sœur!...mais si, voyons! souviens-toi? tu as dansé avec elle à ma noce et même que "ça bichait" entre vous"
   "Mon Dieu mais c'est vot'gamin, le Lucien? Mais c'est déjà un petit homme...je ne l'aurais pas reconnu!".
   On échange des nouvelles et des plaisanteries, on se congratule entre gens de quartiers différents :  "Si! si! mon cher! cette année, à vous le pompon!".
   Demain matin, tout ce Châtelet aura disparu de nos rues. Mais qu'il était beau le Grand Pardon de 1901!
  Le Grand Pardon de Chaumont, c’est aussi une grosse fête foraine. À distance respectueuse du parcours de la procession, bals, manèges et attractions musiquent et tonitruent pour retenir le chaland. Sur le Champs de Mars et autres lieux proches, venez! venez vous prélasser comme des seigneurs sur les "Gondoles de Venise"... Voici le "Musée du Bagne" et, pour les curieux de sensations maritimes, "Les Vagues de l'Océan". Voici encore le "Cinématographe de Lyon", le "Cirque Caron" et, pour les techniciens, les "Forges et Ateliers du Creusot", en miniature peut-être mais qui "marchent" comme pour de vrai. Enfin, la "Grande Roue" et, signe des temps nouveaux, un "Manège de chevaux à vapeur". À vapeur, le manège? Ou, à la vapeur, les chevaux? Les savantes ambiguïtés de la langue française me laissent dans l'incertitude.
  Le lundi, cependant que s'en vont les reposoirs et leurs images saintes, les forains continueront à tirer des escarcelles, bourses, portemonnaies et autres réticules de quoi subsister jusqu'à la saison nouvelle. Et c'est tout cela qui fait le Grand Pardon de Chaumont.
  Je n'affirmerait pas qu'il entrait dans les intentions de Jean de Montmirel [1409-1479 ; prêtre à Chaumont, Langres, Percey-le-Grand, puis chanoine de la cathédrale de Langres et évêque de Vaison, près d'Avignon ; il devient "référendaire" soit secrétaire particulier du pape Sixte IV. C'est en cette qualité, qu'il va œuvrer pour l'instauration du Grand Pardon dans sa ville natale, Chaumont. Source] d'associer les divertissements profanes aux fastes dévots de cette rare journée d'indulgence. Mais il est bien sûr que les jeux forains présentés en 1901 par les industriels sans domicile fixe étaient infiniment plus innocents que les scandaleuses exhibitions des "Diables de Chaumont".

 

 Jean de Montmirel, 1409-1479.

   Il n'entre pas dans mon propos de réécrire ici la vie de l’Évêque de Vaison ni les circonstances dans lesquelles il obtint du Pape Sixte IV [Francesco della Rovere, Pape de 1471 à 1484 ; "...Durant les treize années de son pontificat, la peinture, à Rome, atteint des sommets avec les œuvres de Melozzo da Forli et la décoration des murs peints à fresque dans la chapelle Sixtine, la plus célèbre entreprise artistique du nouveau pape..." Source] des faveurs insignes pour l'église et le clergé de sa ville natale. Il suffira de dire que de la fin 1474 au 21 janvier 1475, le Pontife fulmina quatre bulles dont la dernière ouvrit dans l'église de Chaumont un trésor unique d'indulgences comportant "une concession d'indulgences très plénières d'absolution complète de tous les crimes et délits". Il en résulta grand mécontentement et grande jalousie de la part de Monseigneur de Langres, ce que nous n'avons pas à conter ici.
  Je retiendrai seulement d' Emile Jolibois 7 que "le trésor des indulgences départi à la ville de Chaumont était considérable. Par suite des indulgences accordées à l'église Saint-Jean-Baptiste, à l'époque de son agrandissement, le fidèle pouvait y mériter dans une seule année quatorze mille cinq cents et quelques jours d'absolution, et avec cela il pouvait gagner le Grand Pardon général de Sixte IV. Ce trésor ayant attiré à Chaumont un grand nombre de pénitents, la fabrique de l'église y gagna, le chapitre aussi et le commerce de la ville. Pour augmenter encore le nombre de pèlerins, on essaya de les attirer aussi par l'appât du plaisir et l'on donna des fêtes...elles dégénérèrent en farces scandaleuses dont le bon goût du XVIIe siècle sut faire justice. On appelait ces pieuses farces...la Diablerie... La célébrité des Diables de Chaumont égala bientôt celle des Fous de Langres".


Sixte IV nommant Platina bibliothécaire, fresque détachée, 1477, Melozzo da Forli, Vatican, Pinacothèque. "...À droite, Sixte IV est représenté de profil, assis dans un simple fauteuil..." Source

CHAPITRE XIII

L'année électrique

Carnet mondain
   En ce début d'année 1909 qui va voir s'envoler le plus lourd que l'air, Mlle Marie Vigneron, fille du directeur de l' Ecole Voltaire, épouse M. Constant Desnouveaux, instituteur de la même école.
M. Henri Lamarre, vétérinaire, convole en justes noces avec Mlle Hélène Roullot, fille de feu M. Roullot, conseiller général de son vivant.
   Dans la nuit du 21 au 22 janvier, Marie-Pierre-Armand Dieu, curé de Saint-Jean-Baptiste, né Louvremont en 1850, s'en retourne auprès de son auguste Père après une longue et cruelle maladie.

L'anse du panier
Ne négligeons pas notre annuel tour sur le marché. C'est par lui que nous connaissons la pression qu'exerce le coût de la vie sur les bourses particulières. D'une année à l'autre, les prix rigoureusement considérés aux mêmes dates, nous noterons avec satisfaction que de 1908 à 1909, le "manger" se tient sagement à un niveau presque étale avec même, sur certaines denrées de haute valeur nutritive, telles que beurre et œufs, une sensible récession.
  La pomme de terre 1908 cote 1,20 / 1,40 le double, celle de 1909, 1,10. Le bœuf tient le niveau 0,70 / 0,90 à la livre ; le veau descend de 1,20 à 1,15 ; le mouton, le porc frais, le lard oscillent faiblement en baisse ou se tiennent fermes autour de 1,15 / 1,20, lard : 0,80 à 1,00. Le beurre, par contre, tombe de 1,60 à 1,30 la livre ; les œufs, plus fragiles, ne baissent que de 10 centimes à la douzaine et se paient 1,50 les douze. Mais c'est bien cher encore, voire exorbitant en fonction du calcul purement théorique suivant. Considérant qu'un salaire mensuel moyen en 1909 - et même au-dessus de la moyenne - est de l'ordre de 120 F par mois, le salarié qui s'aviserait de convertir la totalité de sa paye en œufs recevrait un peu plus de 80 douzaines, mais pour la même somme, il pourrait acheter 1 000 litres d'un petit vin du Gard à 12 c. le litre ou 70 kilos de bœuf, ou 60 kilos environ de mouton, ou 120 kilos de lard.
  Tout aussi théoriquement et considérant le bœuf à 1,80 F le kilo, nous appliquerons à l'ensemble le coefficient 10, ce qui nous met à la tête d'un salaire de 1 200 francs en 1970, le bœuf valant alors 18 F le kilo, le mouton 24 F, le lard 10 F, le vin 1,20 F le litre mais le beurre 26 F le kilo et les œufs 15 F la douzaine. On observera aussitôt que les deux points chauds du budget familial se situent du côté du beurre et des œufs en état de "surchauffe".

Démographie
  En 1909 la Ville de Chaumont compte 14 000 habitants environs.

À suivre...

Robert Collin, Chaumont à la Belle Époque, Les Presses de l'Imprimerie de Champagne, Langres, 1970, p. 71- 75 ; p . 121  

7. "Histoire de la Ville de Chaumont", 1856. 

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