Haute-Marne : Chaumont à la La Belle Époque, épisode V

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   En 1900, sur la place de l' Hôtel-de-Ville, au n°8 exactement, M. Louis Vaquié vient d'ouvrir son bazar. L'entrée en est entièrement libre ; on peut visiter sans acheter. On y trouvera "un grand choix de cannes, ombrelles et en-cas [ou"en-cas-de", ombrelle plus grande que les ombrelles ordinaires et qui peut servir dans les cas de pluie]".
  Vous ne sortirez pas de ces lieux avant d'avoir fait provision de papier d'Arménie de bonne marque : 20 centimes le cahier pour 24 usages. C'est vraiment l'air qui sent bon à bon marché! Nous ne connaissons pas encore ces bombes magiques "Brise Marine", "Sous-Bois", "Sous les Pins", grosses mangeuses d'odeurs de cuisine, providence tutélaire des petits coins.
  Guère plus loin, en prenant à main gauche de la Civette, nous rencontrerons au 37 de la rue de   Choignes, M. Dapremont, implanteur-posticheur, élève d'un célèbre maître de Besançon. Il vend des postiches perfectionnés et tient commerce de cheveux de toutes provenances.
  Sa spécialité, aujourd'hui combien oubliée : la "confection des cadres en cheveux pour les "Souvenirs de décès".

Reliquaire cheveux ; cadre en bois noirci ; verre bombé ; 1901. Source

  Plaignons tristement les défunts chauves qui ne laissaient pas de quoi enjoliver l'inoubliable reproduction de leurs traits.
  Madame Dapremont "se tient à la disposition de ses clientes pour la coiffure à domicile".
   Aux veilles de la Cavalcade que nous venons de suivre, la Maison Gillot-Robinot de Vitry-le-François rappelle qu'elle a toujours " un grand choix de costumes tout neufs pour hommes et dames tels que François Ier, Henri II, Louis XIII, Mousquetaires, Arlequins, Folies et - ne les oublions pas - officiers russes. On traite à forfait pour cavalcades au prix de 4 et 4,50 au choix, selon quantité. Psst! deux magnifiques costumes sont offerts aux deux principaux organisateurs de cavalcades". Vous nous avez compris...
  En ce même mois de mars, un homme d'affaires propose aux Chaumontais disposant de quelques "quibus"[argent, fortune] des prêts sur hypothèque à 4, 4,50 et même 5% d'intérêt.

Les cuves débordent
  M. Remoult, marchand de vins place des Halles, actuellement Éts Dufour [1970] demande "un bon tonnelier pour s'occuper exclusivement de la réparation des futailles [ensemble de fûts, de barriques]". M. Remoult n'a pas tort d'entourer son vin des meilleurs soins car la concurrence est âpre. La crise du phylloxéra ["Le Phylloxera est un puceron qui attaque les racines de la vigne. Inconnu en France jusqu'en 1868 il fut responsable après cette date d'épouvantables dégâts sur les vignobles et ramena en quelques années la production française de vin à la moitié ou au tiers de sa valeur annuelle normale. Cet effondrement dura quinze ans. Il détermina une crise économique majeure dans le Midi de la France. Nos voisins italiens et espagnols furent aussi sévèrement touchés surmontée, les viticulteurs méridionaux..." Source] surmontée, les viticulteurs méridionaux ont acclimaté les plants américains dont le haut rendement va bientôt s'avérer catastrophique. Aussi bien, nul programme à long terme n'a régi ni encadré la reconstitution du vignoble. Chaque vigneron a planté intensivement ; les cuves débordent, les cours s’effondrent et continueront de baisser pendant une décade encore. Il faut vendre à tout prix, surtout à bas prix.3
  Aussi, chaque semaine, peut-on lire dans les gazettes du cru des offres de plus en plus alléchantes émanant de producteurs du Midi vendant directement au particulier. En 1900, le domaine du Pontel, dans le Gard, propose ses vins de propriétaires, titrant 8° à 60 F la pièce de 220 litres, fût perdu ; le blanc sec 9° nature, 80 F la pièce. On paiera à 90 jours au pair ; escompte 2% pour règlement à 30 jours ; 3% pour paiement comptant.
  Urbain Escribe, de Béziers, tente d'écouler sa récolte de "vins supérieurs garantis naturels" à 35 c le litre, franco domicile.
  Ce n'est qu'un commencement. En 1909, les mêmes propriétaires proposeront la pièce de 220 litres à 37 F, port et congé payés au départ, avec 6% d'escompte pour paiement contre-remboursement ou 90 jours net. On offre en cadeau d'une bouteille d'eau-de-vie par pièce. D'autres "livrent un très bon vin garanti naturel, 9° environ, 12 c le litre. 5% d'escompte au comptant. Cadeau d'une bouteille de muscat".

Fumier à vendre
  Quand le Chaumont moderne pouvait encore dénombrer quelque cavalerie - surtout celle du 107e d' artillerie ["Le 5e Groupe du 107e R.A.L. a été formé à Dôle au mois de Mars 1917 par des prélèvements sur le dépôt du 107e R.A.L. et par des noyaux provenant des groupes actifs du 107e R.A.L. Son acte de naissance, date du 16 mars 1917, le désigne sous la dénomination du 11e Groupe ; ce n’est qu’un an plus tard, le 19 mars 1918, au moment d’une réorganisation de l’artillerie lourde, qu’il échangea le N° 11 contre le N° 5. Sa composition originelle fut assez hétéroclite : comme celle de la plupart des unités lourdes nées au milieu de la guerre. Outre les artilleurs pur-sang, on y voyait dans les cadres comme parmi les hommes, bon nombre de cavaliers, d’anciens tringlots, des récupérés d’infanterie, qu’il fallut rapidement initier aux mystères de la dérive et du millième...", Source] - sans oublier le précieux appoint des fougueux coursiers du père Devignon et de Gauthier et des fringants pères tranquilles de Daverio 4, il se trouvait toujours, aux aguets derrière ses brise-bise ou à l'abri de son treillage quelque passionné de cultures horticoles pour, une fois l'escadron passé dans un grand bruit de fers sonores, se précipiter, pelle, seau et balayette en mains, vers la précieuse manne chevaline. Rien de tel qu'un crottin bien chaud pour vous tenir à l'aise les pieds d'artichaut!
  À point tel que les moineaux eux-mêmes, pourtant familiers des villes, avaient renoncé à prendre quartier à Chaumont, trop sûrs, qu'ils étaient de ne plus trouver à picorer que de lamentables restes.

    
    

Source

  Avant que n'apparaisse cette humble corporation des ramasseurs de crottin à la petite pelle, je veux dire en 1900, les jardins - jardins d'agrément, jardins ouvriers, jardins de bourgeois ou de retraités - les jardins prospéraient. Aujourd'hui encore, il ne faut aller bien loin hors de ville pour envier et admirer leurs équivalents. Le Chaumontais aime la bêche, le râteau et la terre et nul légume de l'univers ne flatte plus divinement son palais que ses haricots, ses petits pois, sa ciboule, ses courgettes, ses échalotes et son persil. Quand à ses tomates, s'il leur arrive d'atteindre leur maturité, ils n'en font pas des pareilles dans les pays chauds.
  Donc, aux heureux temps du cheval et des bêtes à cornes de Reclancourt et des Tanneries, M. Frisen-Hauser, des Quatre-Moulins, vendait un excellent "fumier pourri à 5 F le M3 pris sur place ou à 7 F rendu en ville". En pleine ville, M. Rougerat vend un "fumier bien pourri à 7 F le M3 également ou son bon fumier chaud à 5 F le m3".

Vive l'armée

  Ici, il faudra faire un effort d'imagination rétrospective pour nous insérer dans le contexte de l'époque.
  La guerre prochaine sommeille encore dans les dossiers verts des chancelleries : les plaies de 70 sont mal cicatrisées ; sur les cartes murales, dans toutes les écoles, l' Alsace et la Lorraine sont hachurées de violet ; dans les manifestations publiques, les drapeaux sont cravatés de crêpe. "Pensons-y toujours! N'en parlons jamais! ".
  On en parle plus que l'on veut bien le dire et si l'on était tenté d'oublier, la Ligue des Patriotes de Paul Déroulède se chargerait du rappel à l'ordre. Maintes associations emboîtent le pas. Un peu partout, dans nos départements de l' Est, les Vétérans de 70 font l'objet d'une respectueuse vénération : chaque ville, chaque chef-lieu de canton compte sa section de Vétérans.
  Le 20 avril 1900, la 644e Section d'Andelot va recevoir son drapeau. Le Chef de Bataillon Sagazan, commandant le 79e Régiment d' Infanterie y représentera l'armée. Peu après 10 heures, il arrive par le train, salué par les personnalités locales qu'accompagnent la Fanfare d' Andelot, la Compagnie des Sapeurs-Pompiers précédée de son drapeau, la Brigade de Gendarmerie, les fonctionnaires, les Vétérans, bien entendu.
  Un peu plus tard, M. le docteur Guyot, maire du bourg, conseiller d'arrondissement, procède à la remise de l'emblème sacré et s'écrie :
  - "Salut à l' Armée Française représentée officiellement par le Commandant du 79e".
  Il est aussitôt interrompu par les cris, nombreux, de "Vive l'Armée!".
  L'émotion apaisée, il peut continuer et rappelant son heureux temps de conscrit, il décrit " cet instant solennel où, arrivant à la caserne, entrant dans la noble famille, notre colonel nous présentait le drapeau du Régiment... Avec quels mâles accents il retraçait la gloire du drapeau français et son rôle sublime sur les champs de bataille"... il conclut: "le drapeau des Vétérans est frère de celui de l' Armée. À ce titre il a droit à tout notre respect, à tout notre amour".
  Quand au capitaine de gendarmerie en retraite Faivre, président de la 644e il s'écrie en toute simplicité :
  - " Je te salue, Drapeau tricolore, symbole de l'honneur et de la gloire... Reçois publiquement ici mon serment de fidélité et d'amour!".
  Pour le service funèbre qui va suivre, l'église "a été décorée avec beaucoup de goût : drapeaux tricolores, tentures de deuil, etc.. Un catafalque a été dressé au centre, cerné aux angles par les quatre drapeaux".

Les vétérans à table
  Tant de fortes émotions ont éveillé l'appétit et il y va nous falloir nous émerveiller encore devant le coup de fourchette de l'homme de 1900. Mais l' hôtel Bresson "s'est surpassé. Voici du reste le menu qui a été fort justement apprécié par les 120 convives" :
- Hors d’œuvre : beurre, radis, saucisson, jambon, galantine truffée
- Entrée : pâté chaud, poulet Marengo, petit coup de chapeau au "Petit Caporal" [Napoléon Bonaparte]
- Légumes : haricots verts
- Relevé : brochet sauce tartare, l'amitié franco-russe prend son essor, rot : cuissot de sanglier.
  Suit une distraction en forme d'amuse-gueule, de rigueur dans tous les banquets que nous fréquenterons au cours des années à venir : le buisson d'écrevisses. Le temps de se rincer les doigts, et c'est, à la file, le gâteau breton et la ribambelle des desserts variés.
  On aura bu Bourgogne, Bordeaux, Champagne, café et liqueurs et entendu maints discours dont je ne vous dirai rien.
  J'épinglerai cependant cette vibrante apostrophe philosophique d'un invité de la Section de Chaumont, Louis Simon, le père du "Sadi"[apéritif à base de vin et de quinquina] :
   "Qu'est-ce que la vie? une ombre, une lueur, un éclair dans l'immensité! Mais que de misères, que de tristesses sont évitées si ce passage obscur est agrémenté d'amis dévoués, patriotes, qui ne demandent qu'à vous tendre la main. C'est dans ces sentiments supérieurs que je lève mon verre".
  " Un large vent de fraternité soufflait", constate le reporter de service.

Basses contingences
  Combien éloigné de l'épopée et des fastes militaires, ce M. Lepage, entrepreneur, informant "Messieurs les propriétaires que son matériel de vidange à la vapeur arrivera très prochainement dans la ville de Chaumont. Pour les commandes, il sera prudent de s'adresser au tambour de ville" les intéressés noteront "qu'il n'est pas nécessaire que les fosses soient complètement pleines attendu que l'on ne paie que la quantité enlevée - prix modérés".

Honneur aux Boers
  Si au coeur des Français la rancune reste amère contre le Prussien, ce coeur est assez vaste pour y nourrir encore l'ancestrale inimité contre l' Anglais. Le spectre bien endenté de la perfide Albion fouille les plaies de Waterloo et de Fachoda ["incident qui mit face à face à Fachoda (aujourd'hui Kodok, Soudan du Sud) la mission française du capitaine Marchand, qui tentait de devancer l'Angleterre sur le haut Nil, et l'expédition britannique de Kitchener (septembre 1898)...", Source] L' Entente Cordiale [expression d'abord employée pour caractériser les bons rapports établis par Louis-Philippe et la reine Victoria, puis reprise en 1904 pour définir le nouveau rapprochement franco-britannique. Source] n'est pas encore conclue...
  Aussi, comme on ricane et sourit à pleines moustaches, tant à Paris que dans nos villages, à voir les habits rouges aux prises avec les héroïques Boers d' Afrique du Sud ["Le 11 octobre 1899, les Boers envahissent le nord du Natal et investissent les places de Ladysmith, Kimberley et Mafeking. La contre-attaque anglaise est brisée à Colenso, Stormberg et Magersfontain, mais l'offensive boer ne se poursuivra pas en direction de la côte...", Source] , défendant leur indépendance contre l'envahisseur anglais!

     

Trois générations de Boers dans les armes. Source

   Quand M. Dauvé, honorable aubergiste de Choignes, marie sa fille à Julien Grandjean, deux invités de Chaumont se lèvent après la quête de tradition et proposent sous les acclamations, une deuxième collecte au profit des malheureux Boers. La "jarretière"produit plus de 20 F. La quête pour les victimes d' Albion, 10 F.
  Dans le même temps, un délicat poète, Léon Berthaut, accorde sa lyre printanière pour chanter les cloches de Pâques à leur retour de Rome et clame dans une belle envolée :
  " Mais sonnez, cloches d'équité
Sonnez avant tout à la gloire
Des soldats de la Liberté!
Sonnez, sonnez pour leur victoire...
"
  Le nom des Boers n'est pas prononcé mais nous avons tous compris. 5

Le bas de laine
  Au sortir de la deuxième guerre mondiale, on parlera familièrement de la "lessiveuse" des profiteurs de la misère humaine. En ces temps, pacifiques encore, on se contente du modeste bas de laine. Le Chaumontais, parce que ses anciens ont plus d'une fois rencontré la disette, la pauvreté, la misère, a le goût et le sens de l'épargne. "Se garder une poire pour la soif", "mettre quatre sous de côté en cas de maladie ou pour les vieux jours" ne sont pas vaines formules.
  Ces mots qui nous sont devenus si vite familiers : "Sécurité sociale, allocations familiales, retraites indexées, congés payés" sont non seulement vides de sens mais aussi inconnus que le dialecte sacré des moines du Tibet. À chacun de se prendre en charge jusqu'à sa mort s'il entend échapper au dégradant trépas à l'hospice.
  Avant même d'être installée dans son prétentieux domaine de la place de l' Hôtel-de-Ville, la Caisse d’Épargne prospère ; le mouvement des fonds accuse une balance toujours positive. L' édification de l' Hôtel tarabiscoté, en 1909, attestera bien haut la puissance souveraine de l'épargne à Chaumont, tout comme, au cimetière de Clamart [cimetière communal de la ville du même nom, Hauts-de-Seine] les hautes et lourdes chapelles funéraires rappelleront aux générations montantes les vertus de l'économie et la gloire des poussières qu'elles recouvrent.

                                            

Par exemple, la chapelle funéraire de Jules Hunebelle. Source
 
  Mais ce coffre-fort collectif ne suffit pas à apaiser la fringale épargnante de nos concitoyens. Dans ses alentours, de nombreuses sociétés tentent avec succès de drainer vers elle les ruisselets de ce débordant pactole. Les avantages annoncés sont alléchants. De Paris, une société au nom combien suggestif "La Fourmi" a lancé une antenne sur Chaumont. En dix ans "elle garantie un capital ou un revenu ; en vingt ans, une dot aux enfants". "La fourmi" par nature économe, a créé aussi une société d'assurance "La fourmilière" qui la complète et affirme pouvoir offrir l'assurance-vie "presqu"à prix coûtant". O, poésie du "presque!".
  Le correspondant local de "La Fourmilière" et de "La Fourmi" est le très honorable notaire, Me Maestrati de la Rocca.
 
Un bal de société
  L'épargne n'engendre pas nécessairement la mélancolie. Au contraire, elle rassure par la solide consistance du magot et ôte tout souci d'esprit aux jours de distractions. l'homme 1900 aime la joie et ne rechigne pas au plaisir. Encore que réservés à une "certaine élite" - les Parisiens ont le "Jockey-Club", le "Cercle de l' Épatant" - nous connaitrons plus tard quelque "Rotary" ou autre "Lion's" - les bals de société sont courus et fréquentés par ce qu'il est convenu de nommer "le meilleur monde".
  Chacune de ces réunions dansantes est d'ailleurs plus une manifestation à caractère officiel qu'une assemblée de joyeux compères et commères friands de danses à la mode. Ainsi, en ce premier hiver du siècle, au bal de la "France Prévoyante" "toutes les loges étaient abondamment garnies et de charmantes jeunes filles aux fraîches et élégantes toilettes ont pris part, pendant de longues heures, à toutes les danses avec d'aimables cavaliers". "L'orchestre, bien composé, a tout fait pour venir à bout des valseurs les plus intrépides".
  Pas avant, toutefois, d'avoir payé tribut à la phase officielle de la soirée. De hautes personnalités locales entourent les membres du bureau. On regrettera l'absence de M. le préfet, excusé, mais qui a délégué M. Clauteau, de M. le maire Goguenheim qui a envoyé son adjoint M. Lisse.
  Les danses sont suspendues. La parole est à M. Pol Antoine, président, auquel répondent fort congrument M. Clauteau et M. Lisse. Puis "on choque les verres avec la plus intime cordialité".
  Cet étrange cérémonial, à quelques variantes près, se renouvellera chaque année pour chacune des sociétés locales donnant son bal d'hiver. Il faudra attendre la fin du deuxième conflit mondial pour en voir se perdre la rigoureuse tradition.
  J'ai, pour ma seule part, accumulé dans mes greniers une surabondance moisson de souvenirs sur le sujet pour être à même de vous en faire confidence quand le moment sera venu. Plus tard. Nous sommes toujours en 1900...

Élégance de rigueur
  Le cavalier 1900 porte haut col droit de celluloïd, cravate plastron enrichie d'une perle ou d'un diamant ; s'il n'est pas en habit, il a pour le moins endossé une redingote ; ses pieds se gantent de bottines à élastique ou à lacets voire à boutons, bouts piqués façon anglaise, double semelle vissée.   Peut-être en a-t-il fait l' acquisition "Au pied Mignon", 85 rue de la Gare, qui vante ses "marchandises de toute fraîcheur et de solidité garantie tout cuir depuis 5,25 la paire?".
  Il n'est pas certain qu'il aura complété son équipement de séducteur à "La Samaritaine", 3 rue de Chamarandes, chez M. Roosendal et il le regrettera peut-être car M. Roosendal vient de faire savoir "à sa nombreuse clientèle et à toutes les personnes qui voudront rendre visite à ses magasins que, par suite d’achats directs avec les meilleurs maisons de fabrication, il met en vente des vêtements-complets sur mesure pour hommes, pantalon, gilet, veston pure laine, solidité à toute épreuve, façon très soignée, belles fournitures, au prix de 48, ou 59 ou 69 F au comptant".
  Il n'en portera pas moins caleçons longs et filet de flanelle sous pantalon étroit, le "fusil à deux coups", et chemise blanche à plastron durement empesé. Sur son gilet la lourde chaîne de la montre de gousset festonne d'une poche à l'autre. Il s'est rasé de très près, armé de son rasoir-couteau de Sheffield ou de Solingen, prenant grand soin de respecter ses belles moustaches, "les charmeuses", dont il va relever les pointes en s'aidant de cosmétique. Il les rendra irrésistibles s'il les vaporise d'une bouffée de son eau de toilette préférée.
 

1900. Royan, cavalier sur la Grande Conche. Source

  Avant de se mettre en route, il glissera, dans la poche gauche du gilet, à côté de son "porte-or" une étroite et courte brosse de fine soie blanche, à monture d'or ou d'argent, la brosse à moustaches qui, à l'heure des premières fatigues, lui permettra de rebrousser son poil sous-nasal avant de partir vers de nouvelles conquêtes.


Beau porte Louis d'or 10 F et 20 F, en argent poinçonné, 1900. Source
 
   Ses cheveux, longs sans excès sur le devant, coupés courts partout ailleurs, seront coiffés "romantique", séparés par la raie au milieu à moins que taillés en brosse, à la mode hygiénique et militaire. Les chauves se satisferont, cernant noblement leur occiput, d'une demi-couronne à la façon des Capucins.
  Madame a, de son côté, chaussée de fines bottines à tige haute et l'ample longueur de sa robe de bal ne laissera pas deviner, même dans le tourbillon de la valse, la couleur de ses bas. Ce soir-là, ce ne seront pas des bas de coton noir, garantis indégorgeables, qu'à l'occasion de la saison de blanc, la Maison P. Wilhélem vend 0,45 la paire. Corsetée de près - de très près - la robe trainante et mousseuse étrangement gonflée sur les reins, gantée de fine peau à trois boutons et plus, les bras protégés d'on ne sait quelles caresses indiscrètes par les molles défenses de la manche à gigot, le col bouillonné de fine dentelle, les cheveux relevés en haut chignon - elle a toutefois permis à quelques coquins frisons de gambader sur sa nuque de marbre blanc, car ces polissons ont, dit-on, le don de rendre les hommes fous - la voici sous les armes, de la gorge aux talons cuirassés de fragile vertu, le visage, adouci de crème Simon, poudré de riz à blanc, la bouche en cerise avivée de pommade colorée, la pommette portée au rose tendre, "cuisse de nymphe effarouchée" à l'instant des plus vifs émois. À la main droite, elle chiffonnera négligemment ou fébrilement selon son état d'âme du moment, son mouchoir "froufrou" de fine batiste ourlée à jours, brodé à ses initiales, chez Wilhélem, 0,25. Au bout de sa chaîne ou de son cordonnet de soie, l'éventail attend l'instant de masquer les rougeurs subites ou de servir de transparent créneau à ses regards qui n’avouent pas.

La Mode 1903 ; robes de bal vers 1904, Jenny Jerome par John Singer, 1903. Source

  Quant, tout à l'heure, elle bostonnera [danser le Boston : valse lente, originaire d'Amérique, introduite en France vers 1875] dans un ferme quant-à-soi, et que la pointe des "charmeuses" du petit lieutenant du 109e frôlera par mégarde les cheveux follets de sa nuque, on ne sait quel fluide électrisant passera de l'un à l'autre.
  "Divine, en vérité!" pense le bel officier.
  "Qu'il est donc bel homme, mon petit lieutenant!" s'avoue la jeune bourgeoise un peu troublée.
  Mais le boston s'achève. Madame, cérémonieusement reconduite vers sa chaise et saluée, la main sur le coeur, dans une profonde courbette, rouvre son carnet de bal.
  "Mon Dieu!, soupire t-elle. Voici la valse et c'est à ce gros patapouf de grainetier que je l'ai promise!"
  Ce n'est pas la première fois que le devoir prime le plaisir...

Intermède vacher
  Cette exposition de 1900 qui a pompé vers elle la fine essence de nos industries et du négoce va aussi, par le truchement de la publicité locale, émouvoir l'agriculteur au plus profond de sa campagne. C'est tout simplement la fortune qu'un exploitant avisé, une fois sa pelote faite, va lui proposer. Cet homme dit vendre, "en pleine Exposition, une vacherie en pleine prospérité. On peut traiter avec 25 000 francs ou de sérieuses garanties".
  "La clientèle prend tous les jours 300 litres de lait à 0,50. La recette journalière est de 140 F minimum".
  Oui! Mais il y a les frais! On ne les dissimule pas :
  • 44 fr. de nourriture pour 22 vaches laitières
  • 4 fr. pour l'entretien du cheval
  • 2 fr. pour contributions, patente, éclairage
  • 10 fr. pour la paye de deux hommes et une bonne
  • 8 fr. de loyer, habitation comprise
  • 20 fr. de faux frais dont l'entretien des maîtres
  • Total : 88 fr.
  • Rapport net : 52 fr. par jour.
  Y eut-il amateurs? Je ne l'ai jamais su.
 

Un général chaumontais
  Decrès, à qui il arrivait parfois de se faire appeler De Crès, avait été amiral et ministre de Napoléon, et même fait duc. Albert Bruché [Albert Charles Emile, 1882-1954 ; nommé Général de Brigade en 1938 ; "la 2e D.C.r. est une unité de réserve générale à la disposition du général Georges, commandant en chef le front du Nord-Est. Elle est mise en alerte dès le 11 mai et, le 13 mai à 12h30, elle reçoit l’ordre de faire mouvement à partir de 20 heures, en direction du Nord, pour se mettre à la disposition de la 1ère armée. [...] Elle est commandée par le général Bruché. Source] sera général de la République.
  En juin 1900, la chronique dit que Bruché, Albert, fils de M. Bruché, premier employé de la maison Tréfousse et ancien élève du lycée, vient de subir avec succès l'examen d'admission à Saint-Cyr.
  En 1940, le général Bruché commandera la IIIe Division cuirassée engagée dans la funeste bataille des Flandres.
  On le retrouvera modestement retiré dans sa maison de la rue de Verdun, auprès de sa mère qui le verra "partir" avant elle. De gris sombre vêtu, son petit chapeau de feutre remplaçant le képi, la moustache enfumée de tabac, le général allait par nos rues, l’œil gai, le sourire malicieux et, vieux troupier, continuait à rouler d'innombrables cigarettes de gris.

 

CHAPITRE III


Presse et politique

À suivre...

Robert Collin, Chaumont à la Belle Époque, Les Presses de l'Imprimerie de Champagne, Langres, 1970, p. 31 - 43

3. Tous nos vins de pays, même avant le phylloxéra, ne jouissaient pas toujours d'une grande réputation, non plus que le pain de ménage ou les juges du chef-lieu, à preuve ce vieux dicton :  
  "Méfiez-vous du pain de Brottes
  Du vin de Bricon
  Et de la jugerie de Chaumont.
"

4. Nous aimons penser que les conducteurs de cette cavalerie ne tombaient pas sous le coup de l'arrêté municipal pris par le Maire de la Ville de Chaumont de l' Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis, le 24 juin 1829 et disant :
"Considérant qu'il importe pour le maintien des Mœurs d'empêcher que l'on se baigne dans les Rivières de Marne, de Suize, près des Ponts et notamment près de ceux de la Maladière, de Buxereuilles et des Tanneries, ainsi que près des Chemins publics qui bordent ces rivières dans certains endroits...
Arrête :
"Il est expressément défendu à toutes personnes mêmes à celles qui conduisent des chevaux aux abreuvoirs de se baigner dans les rivières de Marne ou de Suize, près des ponts et en outre près des chemins publics qui bordent ces rivières et qui sont les plus fréquentés, sans être couverts d'un caleçon."

5. Le 13 novembre 1889, le Conseil municipal de Chaumont avait voté une "Adresse au peuple Boer pour le courage, la bravoure et la fermeté qu'il déploie pour garder son indépendance."

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