Le département de la Meuse est l’un des plus fournis de France en éoliennes. Photo Alexandre MARCHI
Nancy. Fin octobre, dans le Lot, six élus d’un village ont été condamnés au pénal pour prise illégale d’intérêt dans le cadre d’un projet de parc éolien. Tarif : 3.000 € « ferme » pour trois d’entre eux dont le maire, les autres s’en tirant avec du sursis. Des élus « coupables de légèreté blâmable », selon le procureur qui avait réclamé à leur encontre des peines de prison assorties du sursis et des amendes de 1.500 à 4.000 €.
La formule de « légèreté blâmable », traduit l’opportunité offerte à un maire ou ses conseillers de délibérer en faveur de ses propres terres pour accueillir une ou des machines puis de récolter le revenu annuel de leur location, soit un gain de 5.000 € environ. Cette confusion entre intérêt privé et intérêt public est illégale et tombe sous le coup de l’article 432-12 du code pénal et de l’article 2131-11 du code général des collectivités territoriales. Deux textes qui risquent très vite de faire fureur dans les campagnes, notamment celles où la géographie physique et la faible densité démographique aiguisent l’appétit des industriels du vent. La Meuse est un cas d’école. Actuellement, le département compte 25 parcs en service pour 28 autorisés, soit 235 aérogénérateurs dont 193 en mouvement pour une puissance cumulée de 390 MW. En France, la Meuse pointe en 6e position pour sa couverture de mâts et elle pourrait rapidement grimper dans la liste au vu de la bousculade de dépôts de dossier. Ce phénomène a été boosté par la loi Brottes d’avril 2013 qui a allégé la règlementation en supprimant les zones de développement de l’éolien (ZDE) et le seuil maximal de cinq mâts pour la construction d’un parc. Conséquence : les acteurs de la filière multiplient les démarchages dans les terroirs pour séduire les propriétaires de terres et par ricochet les équipes municipales. Bien-fondé écologique et avantages financiers à la clé. Sauf que ce double argument ne fait plus l’unanimité dans beaucoup de villages. Comme à Esnes-en-Argonne où un collectif « Les coqs sans éolienne 55 » a engagé une guerre de tranchée contre un projet porté par la société Quadran de dix éoliennes, six sur son territoire et quatre sur celui de la commune voisine de Montzéville.
Guérilla juridique
Ici, ce n’est pas le soupçon de corruption des élus locaux qui est à l’origine du clash, mais le choix d’un site de mémoires marqué au fer rouge par la boucherie de la bataille de Verdun. Car bizarrement, ce coin précis de l’Argonne dominé par la tristement célèbre Côte 304 figure dans le périmètre du Schéma régional éolien (SRE) ! La détermination des Coqs a payé : en septembre, la préfète de la Meuse a refusé le permis de construire, « mais le permis d’exploitation est toujours d’actualité », précise Sylvain Coing, porte-parole d’un mouvement constitué aussi pour lutter contre « l’omerta » et les magouilles qui règnent dans toutes ces affaires. À Esnes, la nouvelle municipalité a joué la transparence : « lors du conseil du 17 mai, la maire a lu les articles des deux codes avant de soumettre le projet éolien au vote. Tout le monde a donc été prévenu ». Bilan : 6 voix contre, 5 pour, « malgré l’hostilité manifestée par 80 % des habitants », ajoute le militant. Pour lui, pas besoin de chercher très loin la raison des 5 votes positifs… Dans la Meuse, les opposants commencent donc à enquêter sur ces prises illégales d’intérêt. Dans les Vosges, le collectif contre le projet du Col du Bonhomme s’est lancé lui aussi dans cette guérilla juridique en ciblant « le dossier d’Esley dans le secteur de Vittel où nous avons de forts soupçons. Il suffit de lire le cadastre », observe Dominique Humbert. Pour l’instant, une cinquantaine de plaintes auraient été déposées en France et les réseaux anti-éoliens comme Vent de Colère ou la Fédération environnement durable (FED), soit une task-force de 2.000 associations encouragent leurs troupes à multiplier les recours au pénal, au civil et au tribunal administratif. Mais si l’arme du pénal semble redoutable, son efficacité laisse à désirer : très loin en tout cas des 750.000 € et cinq ans de prison maxi prévus pour de tels faits. Certains tribunaux ne privilégiant même qu’un simple rappel à la loi. Et une fois mise en service, ce n’est pas une amende qui empêchera une éolienne de tourner…Patrice COSTA
nmnj
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire