php
***
Le dialogue environnemental, un nouvel horizon démocratique en devenirGUILLAUME BLAVETTE
06/05/2015
Ce qui devait arriver s’est produit. La loi sur le renseignement qui a soulevé tant d’indignation a été massivement approuvée cette après-midi par l’Assemblée nationale[1]. Ce texte n’est pas sans soulever d’inquiétudes légitimes[2] en particulier dans les rangs écolos[3]. Beaucoup a déjà été dit à ce sujet[4]. Point besoin d’y revenir.
Mais bon en ces temps de confusion tout devient possible. Au moment même où les élus de la Nation votaient un patriot act made in France, la ministre de l’environnement organisait dans un très bel amphi du Muséum d’Histoire Naturelle un colloque sur la démocratie participative et le dialogue environnemental[5].
L’écrin était à la mesure du désir de la Ministre. Il faut dire en effet que le souci de la participation est probablement le lharentes[6]. En tout cas, elle tenait absolument à ce que la démarche initiée en janvier dernier s’incarne dans un moment d’échange avec la société civile[7].
Il y avait là un enjeu et non des moindres. L’objectif de cette journée consistait notamment à lever certaines ambiguïtés sur le principe même de participation voire d’autres équivoques donnant à voir quelques contradictions au sommet de l’État[8].
Force est de reconnaître que la ministre avec l’aide et le conseil de Laurence Monnoyer-Smith s’en est plutôt bien tirée. Alors que quelques kilomètres en aval, les libertés civiles en prenaient un coup, dans les Jardins du Muséum s’ouvrait un possible, tout du moins quelque chose de nouveau qui ne demande qu’à être concrétisé.
Certes il n’a guère été question de nucléaire et rien n’a été dit sur la contribution des antinucléaires à la consultation[9]. Ce n’est pas un drame, non seulement des antinucléaires ont été conviés mais ils ont pu s’exprimer dans le cadre de ce débat. Comme quoi il est possible d’articuler des positions intransigeantes et de participer à un processus consultatif. C’est en fait une question d’éthique. On peut persévérer dans son être tout en acceptant l’échange avec d’autres positions.
Les contributions des opposants aux Grands Projets inutiles imposés (GPII) et des antinucléaires sont ainsi apparues comme complémentaires. Se renforçant mutuellement, elles ont amené la Ministre et Alain Richard à formuler des propositions dignes d’intérêt. Le fil twitter de la matinée si actif permet de constater que ce qui a été dit a attiré l’attention de beaucoup[10].
Le discours d’ouverture de la Ministre ne s’est pas limité à un banal commentaire et à quelques effets d’annonces. Il a présenté des informations importantes et non des moindres. Il est rare en effet d’entendre une ministre, a fortiori socialiste, prononçait des paroles tant empruntes d’écologie. Ainsi Ségolène Royal a-t-elle ouvert son allocution par un constat qui peut paraitre banal mais qui augure une rupture réelle dans la manière d’entrevoir le dialogue environnemental.
« La crise écologique est aussi une crise démocratique »
De là, elle a décliné toute une série d’arguments invitant les maitres d’ouvrages à rompre avec des « consultations trop souvent cosmétiques ou sans incidence sur les décisions ». Puisque les conflits, en démocratie, ne sont pas une anomalie, c'est le dialogue qui doit prévaloir, pour que la confrontation des positions soit au bout du compte constructive. L’objectif affiché n’est autre que de « se donner les moyens de co-construire les décisions plutôt que maquiller vieilles politiques du fait accompli ».
En fait tout au long de son discours, Ségolène Royal a essayé de concilier deux impératifs complémentaires explicités en fin de journée par Loïc Blondiaux. D’une part il s’agit d’accroître l’efficacité des politiques publiques en s’attachant à réformer la façon dont les décisions sont prises. D’autre part, il s’agit d’œuvrer à une refondation démocratique dans une société où la défiance semble l’emporter. « Les questions écologiques appellent à un renouveau citoyen dont la démocratie participative doit être le fer de lance. »
La ministre a ainsi appelé de ses vœux une mobilisation « de toutes les forces vives » autour de l’impératif participatif. « L'efficacité écologique et mutation de notre modèle énergétique sont indissociables d'une mutation démocratique. » Mais pour être pleinement entendu de la société civile écologiste, fallait-il encore qu’elle donne des gages. D’abord en direction des maitres d’ouvrages en rappelant son souci de simplification des procédures administratives[11]. « Il était temps de sortir, à en croire la Ministre, de cette situation où l'abondance des procédures s'accompagne d'une faible participation. » Ensuite en direction des associations de protection de la Nature et de l’environnement en annonçant que « le projet de décret sur l'indépendance de l'autorité environnementale est mis en consultation dès aujourd'hui ». Enfin une vieille revendication portée notamment par FNE trouvait une réponse en acte[12]. C’est certes une réponse à un arrêt de la Cour de Justice de l’UE mais au moins elle a le mérite d’exister[13].
Et Ségolène Royal a insisté sur le rôle essentiel qui revient à l’innovation. « Je tiens à souligner le rôle des territoires comme sources d'inspiration de pratiques innovantes. » Selon la logique déjà ancienne mise en évidence par le Rapport Brundtland, elle a appelé de ses vœux des procédures non pas d’acceptabilité sociale mais de co-élaboration depuis l’amont des projets. « Ce qui marche est toujours l'aboutissement d'une mobilisation locale de toutes les forces vives d'un territoire ». La première table ronde de l’après-midi a permis d’aborder concrètement ce défi en présentant des initiatives locales portées par des collectivités qui ont déployé différents moyens pour associer largement le plus grand nombre à des projets qui se sont trouvés ainsi assez profondément modifiés.
Beaucoup d’entre vous doivent se dire qu’il s’agit là que de paroles. C’est un fait. Mais si on considère que ces mots engagent non seulement celle qui les a prononcés mais l’Etat, cela peut augurer d’une évolution nécessaire des processus décisionnels. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre Edgar Morin qui a eu tout loisir de s’exprimer après la Ministre.
Nous sommes en face d’une opportunité réelle de modernisation démocratique[14]. Elle a déjà trop tardé au regard de ce qui se fait déjà par exemple au Québec[15]. Toute la question est de savoir si la société civile écologiste et plus largement le mouvement démocratique seront en mesure de relever le défi de la participation. Certains se tiendront à l’écart de ces procédures[16]. Nous avons connu cela à l’occasion du débat public sur le projet Cigéo. C’est à mon sens une impasse.
Ce qui a été dit à l’occasion de ce colloque du 5 mai 2015 sur le dialogue environnemental ne peut être écarté d’un revers de main. Il convient au moins de d’entendre avec bienveillance ce qui a été proposé. La publication le 15 mai du rapport de la commission Richard sera une première étape qui permettra de se faire une idée plus claire des ambitions portées par le Conseil national de la transition écologique (CNTE). Quelques propositions ont été avancées dès aujourd’hui.
La première est l’intérêt porté par les membres de la commission aux contributions de FNE[17] et du groupe des opposants aux GPII[18]. Alain Richard ne s’est pas contenté de ses quelques éloges aux contributeurs, près de 400 contributions à ce jour. Il a surtout décliné une proposition concrète, à savoir « rendre obligatoire une consultation en amont pour les grands projets. » Cela implique des consultations préliminaires à la définition des grands schémas directeurs tels le SNIT, Schéma national des infrastructures de transport, ou les SRADT, Schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire. Et pour les projets de moins grande échelle, Alain Richard a déclaré réfléchir à la possibilité « d’initiatives représentatives » c’est-à-dire à la possibilité pour des groupes constitués d’exiger des concertations en amont.
C’est là très certainement la deuxième grande déclaration de la journée. A partir du moment où la société civile s’organise et qu’elle émet des doutes argumentés sur un projet, elle serait en droit de demander une concertation, la désignation d’un garant et donc l’ouverture d’un dialogue environnemental. On retrouve là une proposition portée par la Commission nationale du Débat public[19] (CNDP) qui a l’expérience des débats imposés qui arrivent trop tard… En tout cas ce serait un acquis non négligeable si de telles initiatives représentatives étaient reconnues par la loi ou tout du moins par l’Etat.
Somme toute l’horizon s’éclaire quelque peu à l’issue de ce colloque. Pour autant toutes les questions n’ont pas trouvé de réponses. La première d’entre elles concerne le financement du dialogue environnemental. Bien peu a été dit à ce sujet en dépit d’interventions répétés de la salle. Aucune réponse satisfaisante n’a été apportée à Françoise Verchère qui a rappelé que des conflits d’intérêts viennent fréquemment ruiner les possibilités d’une concertation effective. Aucune réponse n’a été donnée sur la nécessité de mettre en débat l’opportunité même des projets, les consultations se limitant le plus souvent à des échanges sur les modalités. Aucune réponse claire n’a été donnée sur la manière dont la loi intégrera les recommandations de la commission Richard.
Le fait que « les dispositions de nature législative issues du rapport ont vocation à intégrer le projet de loi biodiversité » n’est pas pleinement satisfaisant comme l’a remarqué Mathieu Orphelin. Une Loi spécifique au dialogue environnemental serait probablement plus satisfaisante. Mais bon, l’enjeu à ce jour est de veiller à ce qui a pu être avancé le 5 mai ne se perde pas dans le flot de l’actualité. Il revient à tout ceux et celles qui sont soucieux d’un renouveau démocratique au travers des questions écologiques de se mobiliser pour faire vivre tant au niveau local qu’à l’échelle nationale de nouvelles pratiques. C’est certainement la garantie la plus importante que l’on peut opposer à tous ceux qui veulent enfermer notre pays dans l’irréversibilité du choix nucléaire. C’est certainement l’acquis le plus important que l’on peut opposer à ceux qui privilégient les politiques policières au nécessaire ressourcement par la participation d’une démocratie décidément bien malade.
[1] http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/05/04/que-contient-la-loi-sur-le-renseignement_4627068_4408996.html
[2] http://www.lemonde.fr/pixels/video/2015/05/05/la-loi-sur-le-renseignement-expliquee-en-patates_4627580_4408996.html
[3] http://blogs.mediapart.fr/blog/ben-lefetey/280415/pourquoi-j-irai-en-tant-que-militant-ecologiste-manifester-contre-la-loi-sur-le-renseignement-le-4
[4]http://www.mediapart.fr/journal/france/050515/renseignement-les-dangers-dun-texte-attentatoire-nos-libertes
[5] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Democratie-participative-et.html
[6] http://videos.elle.fr/Videos/Elections-2007-Segolene-Royal-la-democratie-participative-juste-une-illusion
[7] http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/la-democratie-participative-a939.html
[8] http://blogs.mediapart.fr/blog/guillaume-blavette/060115/francois-hollande-oublie-ses-engagements-sur-la-participation-du-public
[9] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-travaux-de-la-commission.html
[10] https://twitter.com/ecologiEnergie
[11] http://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-macron-reforme-droit-environnement-ordonnance-23663.php4 ;
http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/30/la-loi-macron-achoppe-aussi-sur-le-droit-de-l-environnement_4567111_3244.html
[12] http://www.actu-environnement.com/ae/news/autorite-environnementale-region-Dreal-rapport-CGEDD-16928.php4 ;
http://www.fne.asso.fr/fr/nos-actions/sivens/sursaut-democratique/autorite-environnementale-etre-partie-critique-et-juge.html
[13]http://www.arnaudgossement.com/archive/2013/06/18/autorite-environnementale-retour-sur-l-arret-seaport-du-20-o.html
[14] http://jeanzin.fr/2006/12/07/democratie-participative/
[15]https://www.mern.gouv.qc.ca/energie/politique/memoires/20130926_195_Louis_Simard_M.pdf
[16] http://www.adels.org/edition/Blondiaux_Mouvements_07.pdf
[17] http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/FNE-2.pdf
[18] http://www.politis.fr/La-plate-forme-des-mouvements,30424.html
[19] http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Temoignagne_CNDP_9_mars.pdf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire