Il y a quelques
jours, un pèlerin de Compostelle est passé devant ma maison. Avec
mes fils, nous avons imaginé le chemin qu’il avait parcouru, le
chemin qu’il allait parcourir et aussi ce qu’il avait pu penser
de notre région, lui qui allait faire à pied des milliers de
kilomètres, franchir de hautes montagnes, traverser des plaines
arides.
Les vergers et les
haies commençaient à fleurir, l’herbe avait ce vert qu’on ne
retrouve nulle part ailleurs, sur les collines, les forêts étaient
d’un noir ponctué de vert tendre et d’or. Dans les vallées,
chaque éperon cachait un nouveau vallon, sur le plateau, chaque
coin de haie laissait entrevoir une source, une combe naissante. Les
champs ressemblaient à de grands draps bruns brodés de fins
sillons.
Ces chemins que nous
parcourons chaque jour, ces villages que nous traversons, nous les
aimons, nous en connaissons le moindre détail, nous y remarquons le
moindre changement : un arbre coupé, des volets repeints, mais
nous oublions de les regarder.
Que va retenir le
pèlerin de la traversée de nos villages, des kilomètres qu’il
aura parcourus sur nos chemins ? Quels sont les traits qui font
la spécificité, l’harmonie, l’unité de notre région ?
Ces choses qu’il ne rencontrera pas ailleurs et qu’il faut
cultiver au lieu de les étouffer derrière des paysages et des
villages sans âme, prêts à poser, prêts-à-porter, comme on en
rencontrerait dans n’importe quelle banlieue ?
Quelles formes
doivent avoir nos maisons pour que nos villages ne ressemblent pas à
un gigantesque lotissement ? Et que de formes différentes dans
ce pays si riche ! Quelle est la couleur des pierres? Dans un
secteur aux sols si variés, elle change tant de fois. Quelle est la
couleur des toits ici où tant de traditions de couverture se
croisent ? Et la forme des tuiles ? Comment sont les
portes, les carreaux des fenêtres ? Quelles sont les fleurs qui
sortent de nos jardins ou de nos prairies et non des étalages de la
grande distribution ? Quelles dissonances ont pu choquer le
pèlerin, lui paraître prétentieuses ? Fermes aux murs trop
rectifiés et au crépi trop pimpant, portes de grange transformées
en portes cochères, clôtures banlieusardes au milieu d’un
village, volets aux couleurs inadaptées, massifs floraux plus dignes
d’un parking de station service que d’une place de village…
Quels sont les
éléments, si insignifiants soient-ils, qui font l’âme de nos
paysages ? Une haie qui souligne la forme d’un vallon, un
verger, un chêne majestueux, les aulnes et les saules d’une berge…
Ces repères qu’on ne distingue plus un à un, mais qui font la
qualité de notre milieu.
Donnez du papier et
des crayons à vos enfants et demandez leur de faire de la « paysage
fiction ». Demandez leur de dessiner comment cela serait si on
coupait tout (pas compliqué à dessiner, chez certains ce n’est
par ailleurs même plus de la fiction !), si on replantait un
verger, ou encore comment c’était, avant, d’après les récits
d’un arrière grand-père.
Et pour eux,
préservez l’âme de votre région : comment y resteront-ils
attachés si elle ressemble à toutes les autres, si plus rien
n’évoque de souvenirs : le petit verger où on allait à la
maraude, la courbe du ruisseau dans laquelle on construisait des
barrages, le coin de haie secret et ses noisettes juste mûres… ;
comment y resteront-ils attachés si elle ne garde pas ce petit
quelque chose qui fait que pour rien au monde nous n’irions habiter
ailleurs, et si nous ne leur apprenons pas dès maintenant à
l’aimer ?
Rosa de Vroncourt
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