Par : Marine Jobert
23 févr. 2017
La protection des sites favorise la biodiversité
La Cour européenne des comptes a publié un rapport très critique sur la politique de l’UE en matière de sauvegarde de la biodiversité, accusant les États de bâcler sa mise en œuvre.
Les États membres n’ont pas suffisamment bien géré le réseau Natura 2000. Vingt-cinq ans après son entrée dans le droit communautaire, le jugement de la Cour européenne des comptes sur la mise en œuvre de ce réseau de 27 000 sites est sévère.
Dans un rapport rendu le 21 février, la «gardienne indépendante des intérêts financiers des citoyens de l’Union» a passé au crible la gestion, le financement et le suivi de cet élément essentiel de la stratégie de l’Union en matière de biodiversité, qui couvre 18% du territoire terrestre et 6% du territoire maritime. Après avoir visité 24 sites et cinq pays (Allemagne, Espagne, France, Pologne et Roumanie), enquêté auprès des États et de la Commission et auditionné les parties prenantes, le constat des auditeurs européens est peu amène: le potentiel «n’a pas été pleinement exploité».
Sur les sites Natura 2000, les activités socio-économiques ne sont pas interdites, mais les États membres doivent veiller à prévenir toute détérioration des sites et prendre les mesures de conservation nécessaires pour maintenir ou remettre les espèces et habitats protégés dans un état de conservation favorable. 230 types d’habitats naturels et près de 1 200 espèces animales et végétales reconnus pour leur importance paneuropéenne, de même qu’environ 200 espèces d’oiseaux bénéficient de cette protection. Au total, 46% du réseau Natura 2000 est constitué de forêts, 38% d’agro-écosystèmes, 11% d’écosystèmes prairiaux, 16% d’écosystèmes de landes et de fourrés, 11% de zones humides et d’écosystèmes lacustres.
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Indispensable coordination
La Cour pointe tout d’abord des problèmes de gouvernance. Car la mise en œuvre de Natura 2000 «ne peut réussir que moyennant une coordination intersectorielle efficace», entre les secteurs de l’environnement, de l’agriculture, de l’aménagement urbain, du développement industriel et du tourisme. En France, par exemple, il a été constaté que les services de l’environnement ne disposaient pas de toutes les informations sur la mise en œuvre des mesures agro-environnementales par les autorités agricoles, comme le nombre d’agriculteurs et de zones concernés, les types de mesures et le montant des fonds publics consacrés aux sites Natura 2000. A l’inverse, le pays est cité en exemple pour avoir organisé des consultations locales, afin que les acteurs s’approprient les objectifs de la démarche.
Les États traînent
Les États ont été négligents: un tiers des 22 419 sites d’importance communautaire reconnus en janvier 2010 n’avaient toujours pas le statut de zone spéciale de conservation en janvier 2016, c’est-à-dire après l’expiration du délai de 6 ans imparti aux États.
«Or les retards dans l’adoption des mesures nécessaires peuvent se solder par une dégradation de l’état de conservation des sites et compromettre la réalisation des objectifs des directives en général», déplore la Cour. Et quand elles existent, «les mesures de conservation figurant dans les plans de gestion [ne sont] pas non plus définies avec précision et [ont] rarement été accompagnées d’un échéancier pour leur réalisation».
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Diminution des contentieux
Confrontés à un projet sur un site Natura 2000, les États mènent-ils une évaluation appropriée, notamment sur ses effets cumulatifs? Non, la plupart du temps, ont constaté les auditeurs. Et quand des mesures d’atténuation sont prévues, leur mise en œuvre n’est pas toujours contrôlée. Lorsque l’affaire s’envenime, l’Union a institué depuis 2008 une procédure précontentieuse efficace: 554 procédures ‘EU Pilot’ en rapport avec les directives ‘Nature’ ont ainsi été ouvertes en huit ans. Dont 78 (14 %) ont débouché sur des procédures d’infraction formelles. Une réussite en termes d’efficience et de diminution du nombre de procédures d’infraction, puisque seules les affaires qui n’ont pas pu être réglées grâce au dialogue avec l’État membre ont donné lieu au déclenchement d’une procédure d’infraction.
Les États financent très peu
Côté porte-monnaie, c’est le grand flou qui règne: «Il n’existait pas d’estimation fiable du montant des fonds de l’UE consacrés à Natura 2000 au cours de la période de programmation 2007-2013», déplore la Cour. À l’exception notable de Life, la mise en œuvre du réseau Natura 2000 a toujours été financée sur des fonds européens existants (provenant principalement du budget de la politique agricole commune (PAC) ainsi que des fonds structurels et du Fonds de cohésion), plutôt que de développer des instruments de financement spécifiques. Le financement des sites Natura 2000 est aussi assuré directement par les États membres, par des donateurs internationaux et par des fonds privés. En 2010, un rapport établi pour le compte de la Commission a estimé le coût annuel total de la gestion du réseau Natura 2000 à 5,8 milliards d’euros. L’Union européenne a financé moins de 20% de ce montant au cours de la période de programmation 2007-2013 (dont plus de 90% provenaient du Feader, du Feder et du programme Life).
Un avenir incertain
Et la période 2014-2020 n’augure rien de bon, puisqu’une majorité d’États ont peiné à présenter des estimations de leurs besoins de financement de qualité, laissant craindre des déficits de financements pour le futur. De façon plus structurelle, Natura 2000 n’étant pas pleinement intégré dans les mécanismes de financement de l’UE, «les fonds disponibles risquent de ne pas être assez bien adaptés aux besoins des sites».
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Fonds impossibles à sourcer
Last, but not least, le suivi de Natura 2000 bute sur des problèmes méthodologiques de taille. Car, compte tenu de la grande diversité des sources de financement de l’Union pouvant être employées pour soutenir Natura 2000 (Feader, Feder, FEP, FSE, Fonds de cohésion et programme Life), «il s’est avéré ardu de vérifier comment a été utilisée la partie de ces fonds mobilisée spécifiquement au profit du réseau au cours de la période de programmation 2007-2013». En cause: l’absence d’indicateurs communs spécifiques à Natura 2000 dans le cadre des différents fonds, qui auraient fourni un aperçu consolidé de l’incidence du soutien de l’Union. Autrement dit, aucun système d’indicateurs de performance spécifique du réseau Natura 2000 n’avait été défini.
Données en otage
Reste la question de la qualité des données, qualifiée de «problème majeur» par la Cour européenne des comptes, sur lesquelles se fondent tant la Commission que la Cour et l’Agence européenne de l’environnement (AEE); celle-ci établissant tous les 6 ans un rapport sur l’état de la nature en Europe, dont la prochaine édition est prévue pour 2019. Si l’AEE dispose d’un système de contrôle de la plausibilité et de la cohérence des données communiquées par les États membres, leur compilation relève de la responsabilité des États, et l’Agence n’a aucune fonction de contrôle. Une situation compliquée par le fait que, sur la base des méthodes communes de l’Union, les États ont adopté des approches différentes concernant l’évaluation de l’état de conservation et l’établissement de rapports relatifs aux tendances. «L’harmonisation reste à assurer en vue de l’établissement des prochains rapports périodiques, en 2019», conclut sobrement la Cour.
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