Le voyage au cœur de "Petit Lexique des guerres de religion d'hier et d'aujourd'hui", d'Odon Vallet*, Albin Michel, 2004, se termine.
"C'est l'État, c'est l'autel de la religion politique sur lequel la société naturelle est toujours immolée : une universalité dévorante, vivant de sacrifices humains, comme l'Église. - L'État, je le répète encore, est le frère cadet de l'Église."
Mikhaïl Bakounine (1814-1876), Fédéralisme, socialisme et antithéologisme (1867)
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* Odon Pierre Maurice Marie Vallet, né le 3 septembre 1947 à Paris 8e, est un spécialiste français des religions.
(...) "
Vatican I
Les canons du dogme
Infaillible et impuissant : tel est le pape depuis qu'il a reçu les pleins pouvoirs spirituels et perdu toute puissance temporelle.
La substitution de la cité de Dieu à la cité des hommes s'effectue lors de la proclamation du dogme de l'Infaillibilité pontificale (1). Cette décision coïncide avec la suppression des États pontificaux : le souverain pontife abdique sa royauté et détient la vérité : le pape ne peut se tromper lorsqu'il s'exprime ex cathedra (c'est-à-dire en tant que Docteur suprême de l'Église et en engageant sa pleine autorité apostolique), et ce, en matière de foi et de morale. Son prestige religieux, auparavant très contesté, s'accroît quand son pouvoir profane décline.
Après les violences de la révolution de 1848 (Milan et les deux Siciles), le pape Pie IX (2) adopta une attitude conservatrice en politique comme en théologie. Par la bulle Ineffabillis Deus du 8 décembre 1854, il proclamait le dogme de l'Immaculée Conception de Marie, «préservée intacte de toute souillure du péché originel» (mais née naturellement d'un homme et d'une femme). Par l'encyclique Quanta cura du 8 décembre 1864 (10è anniversaire de la bulle), le pape dénonçait «naturalisme», socialisme et communisme.
Le pape avait donc défini un dogme sans mandat pour le proclamer (conciles). Il se sortit de cette difficulté en convoquant un concile pour conforter sa primauté dogmatique et son prestige pastoral. Ce concile de Vatican I fut ouvert le 8 décembre 1869. Les Pères conciliaires promulguent le 18 juillet 1870 la constitution apostolique Pastor æternus.
Nombreux étaient les opposants à l'infaillibilité, notamment dans les épiscopats français et allemand (ces deux épiscopats jouèrent un rôle majeur dans le renforcement des pouvoirs épiscopaux décrété par le concile Vatican II 1962-1965). Le populaire Mgr Dupanloup (3) se demandait ironiquement comment l'Église avait bien put vivre «dix-huit siècles sans que ce principe essentiel à sa vie ait été défini».
Il était encore plus difficile au pape de s'opposer aux chefs des grandes puissances :
-Bismarck (4),
-Napoléon III, vainqueur de Solférino (24 juin 1859), également contre l'Autriche catholique.
Or ni l'un ni l'autre ne voulaient d'un pape trop fort.
Le 20 février 1870, le comte Daru, ministre français des Affaires étrangères, fit savoir au Saint-Siège que le gouvernement français demandait à être admis à formuler des observations avant tout vote définitif. Le 6 février 1870, dans un mémorandum, les Conseil des ministres français conviait tous les États à faire respecter par le concile «les droits et les libertés de la société civile». Ce texte fur appuyé par les gouvernements d'Espagne, du Portugal, d'Autriche, de Bavière, d'Angleterre et de la Confédération germanique du Nord. La proclamation du dogme semblait donc impossible.
Mais la tension entre la France et la Prusse, conduisit Bismarck vers la neutralité religieuse. Sa grande prudence consistait à ne pas heurter le pape et l'opinion catholique. La realpolitik avait frappé. Du côté français, si le comte Daru, catholique pratiquant, soutenait les évêques hostiles à l'infaillibilité et poussait Napoléon III à les défendre, Émile Ollivier, Premier ministre non pratiquant, plaidait pour une politique de non-intervention dans les affaires intérieures de l'Église et même pour une séparation de l'Église et de l'État. L'empereur trancha en faveur de son Premier ministre.
Le concile, qui tenait ses séances sous la protection, des troupes françaises, proclama le dogme de l'Infaillibilité pontificale le 18 juillet. Le lendemain éclata la guerre franco-allemande et la France retira ses soldats de la Ville éternelle où entrèrent les républicains de Garibaldi (5). Le pape se considéra comme prisonnier au Vatican et le concile fut suspendu sine die.
Mais face à la montée du socialisme en Europe, plus personne ne lutta contre les privilèges de l'Infaillibilité. Ainsi le pape pouvait-il se dire à la fois prisonnier en son palais et tout-puissant en son Église.
Vaudois
La rébellion des Humiliés
Son nom est mal connu et son œuvre méconnue. Il s'appelait Pierre de Vaux ou Valdo ou Valdès (6). Il lutta, huit siècles avant le concile Vatican II, «pour une Église servante et pauvre» et, huit cents ans avant la théologie de la Libération, prôna une option préférentielle pour les pauvres. Comme tous les apôtres de la pauvreté, il était riche. Ce commerçant lyonnais prospère, comme le gentilhomme italien François d'Assise (7), réunit des disciples qu'on appelait les humiliés, ou les vaudois.
François, le Poverello, fut canonisé et Pierre, le «pauvre de Lyon», persécuté. Il commença à prêcher dans les rues de Lyon, acte qui était alors interdit par l'Église catholique. Seuls les prêtres et les clercs, en effet, étaient autorisés à le faire. L'Église catholique toléra dans un premier temps la présence de Valdès et de ses disciples, à condition qu'ils ne prêchassent plus. Mais, ayant bravé cet interdit, ces derniers furent chassés de Lyon par l'archevêque, Jean Belles-mains (1184). Ils constituèrent dès lors les premiers vaudois, qui se nommaient eux-mêmes «pauvres de Lyon».
Mais ce contraste est à nuancer : certains franciscains radicaux, les «fraticelles», furent excommuniés, voire exécutés. Et certains vaudois modérés, les «pauvres catholiques», seront encouragés par le pape Innocent III. Si les plus intransigeants finiront sur le bûcher de l'Inquisition, d'autres peupleront les vallées haut-alpines de la Vallouise et du Queyras. En Lombardie, ils rejoindront la Réforme et les protestants italiens d'aujourd'hui sont souvent les descendants de ces vaudois.
Trois siècles avant Luther, Valdo traduisit la Bible (en provençal vers 1180), langue «vulgaire», pour que chaque fidèle, même laïque, puisse l'assimiler, voire la commenter. Huit siècles avant Gandhi, les «barbes» (surnom des vaudois) prêchaient la non-violence, refusaient les ordres des généraux et les sentences des tribunaux. Quelques préceptes vaudois ont traversé les âges :
-Ils dépouillent le baptême des éléments qu'on y a ajoutés et ne le considère que comme une cérémonie extérieure, c'est-à-dire qu'ils ne croient pas à la régénération par le baptême, qui n'en est que le symbole.
-Ils rejettent le culte des saints et de la Madone; l'Ave Maria est une salutation, et c'est un usage superstitieux que d'en faire une prière. Ils n'admettent pareillement ni indulgences, ni prières pour les morts, ni purgatoire, toutes choses, disent-ils, inventées par les papes pour faire de l'argent.
-Ils n'ont point de vénération pour les églises, le culte pouvant être rendu à Dieu en tous lieux.
-L 'Église ne peut dicter des lois. Aucune obéissance n'est due au pape ni aux évêques. Il n'y a d'ailleurs que trois ordres dans l'Église : le diacre, l'ancien et l'évêque, et ce dernier n'a aucune supériorité, ni en dignité, ni en pouvoir. L'exorcisme est une tromperie, de même que la bénédiction des objets et des lieux. La sépulture en lieu saint n'assure aucun avantage à l'âme.
-Le jeûne et l'abstinence ne sont nullement méritoires, et l'état monastique est une invention du diable.
-Les prières du bréviaire et les heures canoniques étaient du temps perdu. L'unique prière enseignée par Jésus étant le Notre Père. Aussi rejetaient-ils également le Symbole des Apôtres, parce qu'il ne se trouve pas dans la Bible.
Valdo voulait vivre «pauvre et nu comme Jésus» et certains de ses disciples en Bohême, les adamites prirent ces conseils à la lettre. Rattachés au christianisme, ils tentaient d'imiter Adam avant la chute. Suivant l'amour libre, ils rejetaient le mariage de même que le travail et vivaient nus le plus souvent possible, dans une sorte d'état d'innocence originel. Leur définition était que «l'homme doit être aussi heureux ici-bas qu'il sera un jour dans le ciel». Mais les pillages dont ils se rendirent coupables ainsi que leur doctrine théologique indisposèrent les autorités. Persécutés, les Adamites tentèrent de survivre mais, avant la fin du XVe siècle, ils auront tous disparus.
Car les thèses des vaudois avaient fait des adeptes du coté de Prague. À Kromeriz, le prédicateur Jan Milic, mort en 1374, demandait une société égalitaire, une Jérusalem communautaire. Les Actes des Apôtres étaient son brûlot anarchiste et même communiste : «Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun» (Actes, 2, 44).
Reprenant les idées de Valdo, de Milic, Jan Hus (8) demanda la nationalisation des biens du clergé, la suppression des indulgences pontificales et de la hiérarchie ecclésiastique. Il ne reconnaissait pas le pouvoir sacerdotal ni la valeur des sacrements (sauf le baptême).
Toutes les idées de la Réforme étaient déjà contenues dans les thèses des vaudois. " (...).
Notes
1. Défini solennellement lors du Ier concile du Vatican en 1870.
2. Giovanni Maria Mastai Ferretti, né le 13 mai 1792 à Senigallia et mort le 7 février 1878 au Vatican. Son pontificat de 31 ans est le plus long de l'histoire de la papauté.
3. Félix Dupanloup, né le 3 janvier 1802 à Saint-Félix, en Savoie (alors française) et mort le 11 octobre 1878 au château de La Combe-de-Lancey (Isère). Prêtre catholique, théologien enseignant, journaliste, prélat et homme politique. Évêque d'Orléans en 1849 et membre de l'Académie française à partir de 1854. Il est enterré dans la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans.
4. Otto Eduard Leopold von Bismarck, né à Schönhausen le 1er avril 1815 et mort le 30 juillet 1898 à Friedrichsruh. Homme politique prussien puis allemand. Ministre-président du royaume de Prusse de 1862 à 1890, chancelier de la Confédération de l'Allemagne du Nord de 1867 à 1871, avant d'accéder au poste de premier chancelier du nouvel Empire allemand en 1871, poste qu'il occupe jusqu'en 1890. Rôle déterminant dans l'unification allemande.
5. Giuseppe Garibaldi, né Joseph Marie Garibaldi le 4 juillet 1807 à Nice (Empire français) et mort le 2 juin 1882 à Caprera (royaume d’Italie). Général, homme politique et patriote. Il est considéré, avec Camillo Cavour, Victor-Emmanuel II et Giuseppe Mazzini, comme l’un des « pères de la patrie » italienne.
6. Pierre de Vaux ou Valdo ou Valdès, né vers 1140 et mort vers 1206.
7. Giovanni di Pietro Bernardonené, né en 1181 ou 1182 et mort le 3 octobre 1226. Religieux catholique italien, diacre et fondateur de l'ordre des frères mineurs, appelé Ordre franciscain.
8. Jan Hus ou Jean Huss, né entre 1369 et 1373 à Husinek ( Bohême) et mort supplicié en 1415 à Constance. Théologien, universitaire et réformateur religieux tchèque des XIVe et XVe siècles.
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