26/10/2015
Commentaire: Instructif, non?
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Les années 2000 ont vu apparaître en Europe sur les marchés spots et à termes, de nouvelles situations de prix de l’électricité négatifs. Des situations qui sont finalement révélatrices d’inefficacités de marché, puisque les producteurs payent pour produire et les consommateurs sont encouragés à consommer.
Toutefois, ces épisodes de prix négatifs n’ont pas la même occurrence selon les pays européens, ni les mêmes causes : on compte en France environ 10h par an de prix négatifs, contre plus de 50h en Allemagne en 2013 ou même plus de 480h en Espagne la même année (1). Au cœur de ce débat, le soutien au développement des énergies renouvelables et un équilibre offre-demande perturbé. Ces prix négatifs qui ne sont pas sans conséquence pour les acteurs du système énergétique sont-ils alors une fatalité ?
Les prix négatifs de l’électricité trouvent leur source dans le merit order et le développement très encouragé des énergies renouvelables
C’est l’Allemagne qui la première, a autorisé en septembre 2008 les prix négatifs : un mois plus tard, la bourse allemande de l’électricité EEX enregistrait ses premiers prix négatifs. Puis ces autorisations se sont généralisées à d’autres pays tels que la France, la Belgique, ou l’Espagne (2).
Il existe différentes raisons pour lesquelles les producteurs peuvent être amenés à vendre leur électricité à perte. Parmi celles-ci, la manière dont l’électricité de sources renouvelables est injectée dans le réseau, et les différents dispositifs mis en place afin d’encourager leur essor. Parmi les dispositifs implémentés dans les différents pays européens on compte notamment les obligations d’achat qui garantissent aux producteurs d’énergie renouvelable une rémunération liée à la production d’électricité. La loi allemande sur le développement des énergies renouvelables (EEG) régule la priorité accordée aux énergies renouvelables, ainsi que leur tarif d’achat pour leur injection dans le réseau public. Elle a subi plusieurs amendements dont le dernier en 2014 qui nuance cette priorité (3). Or, des sources telles que le solaire photovoltaïque et l’éolien ont des coûts marginaux proches de zéro et disposent d’un accès prioritaires au réseau. Peu importe donc leur production, les énergies renouvelables sont injectées avant les autres technologies (dont les coûts marginaux sont plus élevés). Ce qui a pour effet de tirer les prix vers le bas (a). Parallèlement à cela, et puisque les producteurs sont rémunérés selon leur production d’énergie renouvelable, ils continuent à produire même lorsque le système est en surproduction. Un tel phénomène conduit à des prix négatifs.
On constate donc que c’est aux producteurs d’électricité à partir de sources conventionnelles de supporter les coûts d’ajustement du système, en régulant leur production d’électricité. En effet, selon le moyen de production et sa flexibilité par rapport aux arrêts, il peut être plus rentable pour le producteur de continuer à produire pendant quelques heures et donc de perdre de l’argent plutôt que de stopper la production et d’en perdre davantage encore. En effet, l’arrêt de certains moyens de production thermiques peut s’avérer coûteux étant données les contraintes techniques et économiques (coût de démarrage, seuil technique de puissance minimum, durée minimale d’arrêt). Un tel phénomène peut ainsi se traduire par des prix négatifs sur tout ou partie de la période durant laquelle le producteur souhaite éviter l’arrêt de son usine. L’illustration de ce manque de flexibilité de la production nucléaire française a eu lieu par exemple en 2013, lorsque les prix horaires ont atteint ponctuellement -200€/MWh, un jour de faible demande et de forte production hydraulique. (4)
Ce genre de situation soulève des problèmes à enjeux lourds pour les pays européens
En entraînant des prix négatifs, le cumul de la production électrique des énergies renouvelables fatales (b) et des sources conventionnelles met en danger la sûreté du système électrique et les réseaux. En effet, les gestionnaires de réseau ont la responsabilité d’assurer l’équilibre du système électrique tout en veillant à prévoir les prochaines pointes de consommation. Pour ce faire, ils disposent d’un réservoir de puissance mobilisable quasi instantanément grâce aux turbines à combustion (TAC), le turbinage des stations hydrauliques de transfert d’énergie par pompage (STEP) ou encore les réserves tournantes des installations thermiques en fonctionnement (c). Toutefois, étant donnés les coûts de production associés aux TAC, celles-ci ne sont sollicitées que très exceptionnellement. Quant à la réserve tournante, la surproduction liée aux ENR ne permet pas de faire tourner les installations thermiques à une puissance suffisante, et les STEP fonctionnent en mode stockage d’énergie dans ces conditions de marché. C’est donc finalement au gestionnaire de réseau de rechercher des consommateurs qui sont prêts à augmenter leur consommation en période creuse. Le surcoût ainsi engendré pour évacuer cette électricité est finalement répercuté sur le consommateur domestique. Et la situation empire davantage encore avec les interconnexions qui sont de plus en plus encouragées en Europe (d) et qui permettent aux surplus de production de se propager jusqu’aux pays voisins. Des situations paradoxales qui visent à limiter ce mouvement apparaissent donc comme en Pologne ou en République Tchèque où des transformateurs déphaseurs (e) ont été installés sur les interconnexions avec l’Allemagne (5). La situation paraît paradoxale dans la mesure où en parallèle d’étrangler les transits, d’importants investissements sont réalisés pour accroître la capacité des interconnexions, comme le demande la Commission Européenne.
Ces prix négatifs représentent également une menace pour l’avenir des moyens de production d’électricité puisqu’ils envoient de mauvais signaux aux potentiels investisseurs. Alors que cette situation rend nécessaire l’arrêt de la production des centrales à cycle combiné à gaz du fait du manque de sollicitation, pourquoi les investisseurs se risqueraient-ils à investir dans les outils de production ?
Ce constat est d’autant plus problématique que ce sont les investissements d’aujourd’hui qui feront la production de demain, et qui par là même nous assureront un relai lorsque plusieurs tranches thermiques seront devenues obsolètes sur le plan environnemental et devront être arrêtées. En effet, les objectifs européens et notamment la Directive Européenne sur les Grandes Installations de Combustion (dite IED) illustre ce mouvement vers l’efficacité énergétique. La directive vise à conditionner la délivrance des autorisations des grandes installations industrielles considérées comme les plus polluantes, au respect de l’environnement et la diminution des émissions de ces installations.
De telles situations ne peuvent perdurer et des solutions existent et se mettent peu à peu en place
Après une forte période de développement, il devient donc nécessaire de revoir les mécanismes de soutien au développement des énergies renouvelables, en envisageant notamment que les producteurs d’énergies renouvelables participent eux aussi au mécanisme d’ajustement du réseau électrique. A plus long terme, et lorsque les systèmes de production d’énergie renouvelables auront atteint un certain niveau de maturité, on peut imaginer que leur développement reposera bien davantage sur les mécanismes de marché. Pour le moment, et parce que les objectifs européens sont particulièrement ambitieux, une première étape vers ce fonctionnement pourrait être de mettre fin au paiement des tarifs de rachat en cas de prix de gros négatifs ou lorsque les énergies renouvelables engendrent des congestions sur le réseau. Quant aux technologies renouvelables prometteuses, c’est sur la R&D ou des projets pilotes que les soutiens financiers pourraient se concentrer. La suspension des tarifs de rachat a d’ailleurs déjà été mise en place au Danemark dans le cas d’une ferme éolienne offshore (6), lorsque les prix du marché ont atteint des niveaux inférieurs au coût marginal des énergies renouvelables (égal à zéro). Claude Mandil (f) avait d’ailleurs suggéré qu’une telle situation procurerait de l’électricité gratuite aux producteurs, qui pourrait ainsi être stockée et réutilisée ultérieurement. La mise en place de ce type de mesure aura pour effet d’encourager les producteurs d’énergies renouvelables à investir dans des technologies de stockage de l’électricité qui est d’ailleurs la seconde option envisagée pour endiguer ce phénomène de prix négatifs. Parmi les technologies qui permettent de gérer de fortes puissances sur de longues périodes on compte entre autres les STEP, les CAES (Compressed Air Energy Storage), la chaleur ou encore le Power-to-Gas (g)…
Les prix négatifs de l’électricité ne sont donc pas une fatalité et des solutions existent et se mettent peu à peu en place. La situation actuelle où le consommateur est parfois payé pour consommer, doit être considérée comme une période transitoire d’adaptation pour permettre le développement des énergies renouvelables. Mais à terme, des solutions doivent être mises en place sur le plan technologique et réglementaire. Il faut ainsi réussir à adapter les mécanismes de soutien des énergies renouvelables, aux objectifs européens pour 2030 ainsi qu’aux mécanismes de marché et au manque de flexibilité de certains moyens de production. Les choses semblent d'ailleurs aller dans ce sens avec la fin des tarif de rachat prévue au 1er janvier 2016. Une seconde solution sur le plus long terme, réside dans le stockage de l’électricité, et cette solution se développe de plus en plus. De nombreux projets pilotes Power-to-Gas ont vu le jour en Europe par exemple, notamment en Allemagne où ces projets sont à un stade avancé.
Notes
(a) La théorie économique veut que le prix du marché soit égal au coût marginal de la dernière centrale appelée sur la zone où s’exerce le marché
(b) L’énergie fatale représente l’énergie produite par un processus dont la finalité n’est pas la production de cette énergie, c’est une énergie souvent perdue si elle n’est pas récupérée et/ou valorisée.
(c) La réserve tournante est la puissance disponible sur toutes les machines qui ne sont pas à leur puissance nominale et peuvent rapidement être sollicitées pour assurer le réglage de fréquence, indicateur de l’équilibre production-consommation.
(d) Les interconnexions ont pour but de secourir les pays en cas de défaut grave
(e) Un transformateur déphaseur est une impédance à variation rapide qui peut « étrangler » le flux électrique d’un réseau.
(f) Directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) de 2003 à 2007 et membre du conseil d’administration de Total depuis 2008
(g) L’idée du Power to gas, pour l'instant à l'état de projet, est d’utiliser de l’électricité pour produire de l’hydrogène, offrant ainsi une nouvelle solution de stockage de l'électricité issue des énergies renouvelables. Pour plus d'information, consultez nos publications sur le Power to Gas ici.
Sources
(1) EPEX SPOT Site officiel – Questions réponses sur les prix négatifs www.epexspot.com
(2) Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz – Etude relative au "mécanisme de formation des prix négatifs de l’électricité en Allemagne" www.creg.info
(3) EPEX SPOT Note de synthèse – Vente directe des énergies renouvelables sur la Bourse Européenne de l’Électricité www.epexspot.com
(4) Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Energie – Panorama énergies-climat, Edition 2014 "Les marchés européens de l’électricité" www.developpement-durable.gouv.fr
(5) Groupement d’Analyses et d’Etudes en Loire Atlantique (GAELEA) - "Pourquoi les prix de l’électricité deviennent-ils négatifs, à certains moments, en Europe ?" gaela.asso-web.com
(6) Commissariat général à la stratégie et à la prospective – La crise du système électrique européen, Diagnostic & solution www.strategie.gouv.fr
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