De la compréhension de la méthodologie de calcul du coût moyen de production d'une centrale électrique

Benjamin Larédo
Étudiant en ingénierie des matériaux

  Comme le laisse entendre ce titre, outrageusement pompeux, aujourd'hui, nous allons parler...pognon.
  On lit régulièrement sur les réseaux sociaux concernant les appels d'offres pour l'éolien, le solaire, etc., les EnR : « le dernier appel d’offre éolien/solaire/... a été remporté à un prix inférieur à ~70€/MWh", et qu'ainsi, les EnR sont maintenant moins chères que le nucléaire.
  Exemples :
" (Le photovoltaïque) a vu son coût divisé par 9 en 10 ans. Il s'élève désormais à 36 € en moyenne SANS subventions. De même, (l'éolien) coûte désormais 41 $/MWh contre 135 en 2009.

Un avis d'écolos illuminés ? Pas vraiment : la banque Lazard.
   Étude Lazard Évolution 2009-2019, LCOE moyen en dollar par MWh
- Centrale PV module cristallin : baisse de 359 à ... 41 $ par MWh soit- 88 %
- Centrale nucléaire : hausse de 123 à 155 $ par MWh soit + 26 %
Désolé, fin de partie. Plus de temps à perdre, passons au 21ème siècle.

 



Philippe Salomon, Énergéticien, co-auteur Manifeste et scénario négaWatt

 
  "Selon le dernier rapport de World Nuclear Report :
- coût de production de l’énergie éolienne, de 29 à 56$ par MWh
- pour le nucléaire, de 112 à 189$.
Par ailleurs, Greenpeace n'a pas d'intérêt dans l'éolien et pas de financements d'entreprises ni d’États.
"
Greenpeace

  Alors parlons donc de l’ OUTIL le plus utilisé pour comparer des choux et des carottes, je veux bien sûr parler du LCOE. Mais qu’est-ce que ce machin là?
  Le LCOE (Levelized Cost Of Energy), en français Coût Actualisé de l’Énergie, est basiquement le coût total nécessaire à la production d’énergie divisé par la quantité d’énergie effectivement produite. Pour faire simple, c’est une moyenne. Et si vous avez fait un peu de statistiques, vous savez ce qu’on dit des moyennes? : que ça masque plein de choses. Le LCOE est un indicateur synthétique et comme tout ses semblables, il est utile tant que l’on ne néglige pas les hypothèses de calcul et que l’on compare des choses comparables. Comment se calcule-t-il?

  Au départ, il ya la formule :

   

Je m’excuse d’avance pour les allergiques aux symboles mathématiques, mais un LCOE se calcule avec un quotient de sommes. Mais comme je suis serviable, et que les sigmas correspondent à la somme des termes d’une suite géométrique, on peut en sortir une formule explicite :





Décodons


CAPEX et OPEX
  - le CAPEX (Capital Expanditure) : c'est le total des coûts de construction et de mise en service du moyen de production ; donné en € ou €/MW en fonction des cas.
  - l' OPEX (Operational Expanditure) : ce sont les coûts d’exploitation annuels du moyen de production qui comprend la maintenance, le personnel, le combustible, les provisions pour le démantèlement de l’installation, la gestion des déchets et les taxes et impôts divers, en €/an ou €/MW/an. 

Il faut séparer l' OPEX en 2 catégories :
  - les coûts fixes : personnel toujours présent, maintenances programmées, provisions pour démantèlement, assurances, etc…
  - les coûts variables ou marginaux : surtout le combustible mais aussi la maintenance supplémentaire induite par l’utilisation du moyen de production. 


  Pour les EnR que sont l’hydraulique, l’éolien, le solaire et la géothermie, le coût du combustible est bien évidement nul. Aussi, ils sont des systèmes à coûts fixes ou presque, car un système à coûts parfaitement fixes n’existe pas. 
  Pour le nucléaire, il en va de même. Le coût du combustible est tellement faible qu’il en est négligeable. D’autant plus que les rechargements en combustibles sont en général réalisés à dates relativement... fixes afin de garantir une disponibilité maximale durant les périodes de forte consommation. 
Pour les centrales thermiques fossiles le coût du combustible est par contre proportionnellement très élevé, enfin, en temps normal.

  Tout ceci permet donc de comprendre comment est organisé le « merit order » : la logique appliquée est d'appeler d’abord les moyens de production avec les coûts marginaux les plus faibles, ou dont la ressource est perdue si non consommée, car leur coût de revient est beaucoup plus dépendant de leur facteur de charge. Donc, l'ordre s'établit ainsi : EnRi -> nucléaire -> hydraulique -> fossile.


- MWh : la production électrique annuelle en...MWh.

- Lsp (Lifespan) : la durée de vie moyenne de l'unité de production, ou la durée d’amortissement, ce n’est pas toujours la même chose.  

- ~20 ans pour l’éolien, 
- ~30 ans pour le PV, 
- ~30 ans pour un cycle combiné à gaz, 
- entre 40 et 60 ans, voire plus, pour le nucléaire, 
- entre 50 et 100 ans pour l’hydraulique.

- r : le taux d’actualisation. Pour faire court, c’est essentiellement le rendement financier que va  demander l’investisseur sur le montant du CAPEX. Exemple : avec un CAPEX d’1 milliard d’euros à un taux de 5% , l’investisseur empochera 50 millions d’euros d’intérêts
chaque année.

Quels sont les avantages et les inconvénients du LCOE ?
  Comme tout indicateur synthétique, il a pour but d’être concis, de donner une valeur représentative du coût de production pour pouvoir comparer simplement les sources d’énergie entre elles.     Cependant, il y a 3 facteurs qui font que le LCOE peut être trompeur


1. le facteur de charge : c'est le facteur de charge maximum théorique que peut atteindre le moyen de production qui est le plus souvent utilisé dans les calculs. Or, replacé dans un système électrique complet, cela n’a plus vraiment de sens. Dans le monde réel, les centrales modulent leur puissance, et plus une technologie est présente sur un réseau, plus sa puissance doit être moduler. Ainsi, si du nucléaire qui tourne en base, le cas de tous les pays du monde sauf la France, peut atteindre un facteur de charge de 90 %, dans un système en majorité nucléaire, il est difficile de dépasser les 80 %.
  Même chose pour les EnRi. Aujourd’hui, du fait de leur marginalité dans la plupart des pays, on peut se permettre d’injecter la totalité de leur production sur le réseau. Mais, lorsque leur part sera devenue conséquente, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, leur puissance sera fréquemment modulée à la baisse ; c'est ce qu’on appelle l’écrêtement ou curtailment en anglais. Et plus cette part sera importante, plus il faudra écrêter. 

  Ci-dessous, un graphique pour vous donner une idée de la variation des coûts quand le facteur de charge s’éloigne de son maximum théorique.




2. la forme de la production : le LCOE étant une moyenne, il est incapable de refléter la façon dont est produite l’énergie au cours du temps. Ex, sur ce graphique, les courbes bleue et rouge ont la même valeur moyenne, et pourtant ces 2 courbes sont très clairement différentes.




  Le LCOE est donc incapable de tenir compte de l’intermittence des EnRi. Dit autrement et de manière plus poétique : « le LCOE vous donne le coût de l’électricité produite, mais pas le coût de celle qui ne l’est pas ».

3. le LCOE n’est pas un indicateur objectif : il ne donne pas un coût purement technique. Vous vous souvenez du taux d’actualisation ? Je vous ai expliqué qu’il dépend essentiellement du taux d’intérêt de l’emprunt nécessaire pour financer la centrale. Or ce taux, c’est comme le cours d’une action : il ne fait que refléter la confiance des marchés envers votre entité. Dit autrement, il reflète ce que les investisseurs pensent de vous, pas ce que vous êtes réellement. Ainsi, un coût de production purement technique, qui reflèterait donc le vrai coût économique pour la société, se calculerait à un taux d’actualisation nul. On pourrait appeler ça le coût technique, ou le LCOE intrinsèque, car il ne dépendrait que de la technique

  À noter dire que si le coût technique reflète le coût économique cela signifie qu’il indique quelle fraction de notre économie l'on doit attribuer à cette production, puisque que le coût technique reflète le travail humain nécessaire pour produire 1 MWh.
  Quand aux intérêts, eux, ils finissent dans la poche des créanciers. Imaginez une centrale française dont la dette est constituée de l’épargne de citoyens français : ce que le MWh coûte de plus que son coût technique, et donc que l’abonné paye en plus sur sa facture, c'est l’argent, que ce même abonné, se verra crédité sous forme de livret A, d’assurance vie, ou de retraite par capitalisation. Pourquoi pas? D'un point de vue macro-économique, ça ne change strictement rien.
  En soi, il serait tentant de faire le parallèle avec l’ EROI (Energy Return On Investment) puisque l’activité économique est une fonction quasi linéaire de la consommation énergétique. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. Car tous les postes de dépenses salariales n’ont pas la même empreinte énergétique, une aciérie consomme plus d’énergie qu’un bureau d’étude par exemple.


Le taux d’actualisation
  Celui ci un impact très important sur le coût du MWh, aussi, détaillons de quoi il retourne.
  De quoi dépend-il ? Du temps et du risque.

- le temps : un euro aujourd’hui vaut plus qu’un euro de demain parce que vous pouvez l’investir, parce que l’inflation, etc…
- le risque : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Suivant cet adage, si un investisseur n’est pas au moins certain de récupérer sa mise de départ, il va vous demander un taux d’intérêt plus important, c’est le même principe d’un emprunt à votre banque. Et plus le risque perçu est grand, plus le taux est élevé. La sensibilité à ce taux d’actualisation est donc d’autant plus importante que l’investissement initial est élevé et que la durée de vie est longue.
  C’est un point très pénalisant pour le financement des infrastructures à coûts fixes à très longue durée de vie, typiquement le nucléaire et l’hydraulique, mais aussi les grandes infrastructures de génie civil, LGV, aéroports, ouvrages d'art, etc...





  Et ce risque est encore plus grand si votre investissement se double,comment dire, de problèmes d’acceptabilité sociale… À ce sujet, il est intéressant de constater que si
on a déjà vu des pouvoirs publics faire fermer de manière totalement arbitraire et unilatérale des réacteurs nucléaires, parfois même pas encore en service : USA (Shoreham), Espagne (Lemoniz), France (Fessenheim), Autriche (Zwentendorf)… ,en revanche, on n’a encore jamais vu, ces mêmes pouvoirs publics, fermer des zones industrielles d' éoliennes ou solaires…Ajoutez à cela une concurrence déloyale par le fait que les EnRi sont subventionnées par les Etats, débouchant sur un énorme bazar sur les marchés de gros. Et vous obtenez une situation dans laquelle il est difficile pour le secteur privé de faire des investissements dans le nucléaire.
  Encore récemment, le National Audit Office, la Cour des Compte britannique, l’a démontré : le coût du MWh nucléaire dépend quasi entièrement de la méthode de financement. Aussi, quand le secteur électrique se privatise, il devient compliqué de financer de nouvelles centrales ; là où un financement public permet un taux d’actualisation très bas, il peut monter à ~10% pour un fond d’investissement privé, voir Hinkley Point C
  Mais la réalité nous a appris que l’intégralité d’un projet n’est pas nécessairement financée d’un seul bloc, que c’est même rarement le cas, et qu’en plus, le taux d’intérêt n’est parfois pas constant tout au long de la durée de l’ouvrage ! Prenons l’exemple favori de nos "zécolos" : l’ EPR de Flamanville 3.

  FA3 est financé sur fonds propres d’EDF, par un mélange de capital (equity) et de dette (débit).
  Le capital, c’est le propre argent d'EDF issu de ses revenus, sur lequel l'entreprise vient appliquer le taux de retour sur investissement qu’il attend de son réacteur.
  La dette, ce sont des emprunts sur les marchés financiers dont EDF n’a pas la main sur les taux.
  Tant que personne n'est capable de donner la répartition entre l' equity et de la dette, ainsi que leurs taux, personne, je dis bien personne, ne peut donner un coût du MWh pour ce réacteur. Voilà donc pourquoi, par exemple, Yves Jadot, le chef de file d' EELV, est un menteur ET un incompétent, quand il tweete :
"Ces milliards d’euros d’argent public qui pourraient être investis dans l’isolation des logements et les énergies renouvelables! A quand une commission d’enquête sur la faillite du nucléaire et ses responsables ?"
  Parce que d’une part l’ EPR c’est EDF qui le finance, et d’autre part, si c’était de l’argent public, le MWh sortirait à 50€.

Mais pourquoi le taux d’actualisation peut-il être si faible quand c’est l’État qui paye ?
   Un financement public peut s'effectuer de 2 manières :
- soit l’État émet de la dette souveraine avec le taux de référence qui lui est attribué.
- soit l’État est son propre assureur et étant une structure trop grosse pour que ce genre de financements, l’impacte de manière significative. Les créanciers ont donc une garantie extrêmement importante d’être remboursés, garantissant des taux très bas.
  Pour résumer, si vous voulez du nucléaire pas cher à produire et une électricité bon marché pour les consommateurs :

- soit vous le financez publiquement, 
- soit vous faites garantir le financement par un État, 
- soit vous êtes capable de... le payer rubis sur l’ongle.
   Ce dernier point est d’ailleurs LE gros argument de vente des
Small Modular Reactors (SMR), ces petits réacteurs nucléaires modulaires. Pour un investisseur du secteur de l’énergie, il sera bien plus aisé de financer un projet à n X 500 millions d’euros que... 5 milliards, même si évidemment vous vous retrouvez avec 100 MWe et non pas 1 000.

Comment s’en sortent les différents moyens de production au niveau du prix du MWh

  Les valeurs indiquées ci-dessous sont des ordres de grandeur. Elles sont relativement représentatives au vu des sources que j’ai consulté pour les trouver. Sachant que les chiffres diffèrent d'un rapport à l'autre. 




   Une remarque pour l’hydroélectrique. Je n’ai pas trouvé de chiffres représentatifs, et je pense qu’il n’y en existe pas. En effet, contrairement, par exemples, à une ZI d’éoliennes ou à des turbines à gaz, les barrages ne sont pas construits en série. Ce sont des ouvrages uniques faits sur-mesure pour leur lieu d’implantation. On peut donc trouver des valeurs aussi variées que
- 3 200 k€/MW pour Itaipu, construit par le Brésil et le Paraguay ,
- 1 200 k€/MW aux Trois-Gorges, Chine,
- 500 k€/MW pour le barrage de la Renaissance, Éthiopie.

Résultats

- le solaire et l'éolien




- le nucléaire




- le gaz naturel




- le charbon





  On peut voir qu’il y en a un qui s’en tire particulièrement bien, pour peu qu’on le fasse dans le sud de l’Espagne où son facteur de charge peut atteindre 25 %, 20 % en moyenne vs 15 % en France, c’est le photovoltaïque. Malheureusement, c’est aussi celui qui est le plus en opposition avec les besoins : il produit plus d’avril à octobre, avec une variabilité de l’ordre d’un facteur 4 entre la production d’un jour d’été et d’hiver en France, variabilité qui augmente avec la latitude. Sauf que la consommation est plus importante de... novembre à mars. Seuls points positifs, il produit la journée au moment où la consommation est la plus élevée, comparée à celle de la nuit, et on sait précisément quand il ne produit jamais : la nuit.

Maintenant que le LCOE n’a plus de secret pour vous, il est temps de passer à un exercice pratique
le décor : pour le renouvellement et l’extension de son parc nucléaire, EDF projette d’installer une centrale de 4 tranches EPR2 à... Kerozen, un petit village, imaginaire, sur la côte bretonne.
  Chaque tranche est vendue pour 8 milliards pièce, et la construction de l’ensemble s’étale sur 10 ans ; les tranches sont construites par paires, soit 32 milliards d’euros à sortir sur 10 ans, 3.2 milliards par an. EDF finance sa centrale à 40 % par son propre argent (equity) et 60% par de l’émission de dette. Comme ce qui nous intéresse est le coût minimal du MWh, qui assure une rentabilité à l’exploitant, on prendra un taux à 0 % sur l’ equity. Admettons que l’État, fort bien disposé, accepte de garantir l’emprunt d’EDF et qu'EDF arrive à négocier un emprunt sur 40 ans à 3 %.
À noter que j’ai volontairement négligé l’inflation, en la considérant nulle. Mais en gros avec une inflation à 2 %, valeur cible de la BCE, il faut retirer 2 points au taux sur l’ equity et sur la dette pour obtenir les taux corrigés. Ce qui veut dire qu’au départ ils auraient dû être de respectivement 2 et 5 %.
Ainsi, EDF va donc apporter 12.8 G€, et les créanciers 19.2 G€.


Calculons donc le LCOE sur ces 40 ans d’amortissement

Ces réacteurs fonctionnant en France,il est fort probable qu’ils devront réaliser du suivi de charge. Ajoutons à cela que EDF n’est pas l’opérateur le plus performant niveau disponibilité de ses tranches, pour diverse raisons, mais là n'est pas le sujet. L’avantage c' est que ces réacteurs seront déjà aux standards de sûreté EPR, puisque ce sont des EPR nouvelle génération ; ils ne seront pas handicapés par les lourds travaux du Grand Carénage. On prendra donc un facteur de charge de 80 %.





  À 3 % sur 40 ans pour 19.2 milliards d’euros, EDF devra rembourser un total de 33,2 milliards d’euros.
  Cela ne concerne que les 40 premières années de fonctionnement. Or, l’ EPR est un réacteur conçu pour être exploité au moins 60 ans. Au-delà des 40 ans, la centrale étant amortie, il ne reste plus que les OPEX
à charge. Ce qui nous donne :




   Mais, on se rappelle, le LCOE n'est qu'une moyenne.
Dans notre hypothèse la centrale produit le même nombre de MWh/an tout au long de sa vie, il suffit de moyenner sur la durée pour obtenir le coût actualisé de l’électricité sur l’ensemble des MWh produits par la centrale




   Le coût actualisé de l’électricité de notre centrale nucléaire de Kerozen est donc de 48 €/MWh.
 

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