Politique énergétique : ici aussi, le "quoi qu'il en coûte" est d'actualité

  "L'abdication d'une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d'une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement "une politique", au sens le plus large du mot, nationale et internationale."
Pierre Mendès France, Discours à l'Assemblée nationale, 17 janvier 1957 

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Le véritable coût de la production d’électricité

Jean Pierre Riou

 
Une première mondiale par l’ AIE
  Conjointement avec la Nuclear Energy Agency (NEA), l ’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) vient de publier la neuvième d’une série d’études sur le coût de production d’électricité, dont le tableau récapitulatif est reproduit ci-dessous.

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  Pour la première fois, cette étude contient des informations sur les coûts des technologies de stockage, des piles à combustible et l'exploitation à long terme des centrales nucléaires.
  Pour la première fois également, elle est accompagnée d'un calculateur en ligne [1] du coût actualisé du courant produit (LCOE). Ce calculateur permet de télécharger facilement tous les tableaux de données du rapport et permet à l'utilisateur d'examiner l'impact de la modification de certaines variables, telles que le taux d'actualisation, les prix du combustible ou le coût du carbone.
  Cette étude [2] comporte également les données détaillées sur les coûts de constructions de 243 centrales électriques de technologies différentes devant être mises en service à horizon 2025 dans 24 pays, à la fois de l'OCDE et non-OCDE, établis selon les contributions des gouvernements participants et traités selon une méthodologie commune afin de fournir des résultats transparents et comparables.    L’impact du taux de charge des installations y est détaillé.
  C’est à la fois le traitement homogène d’une telle quantité de données et le caractère interactif de leurs réponses grâce à la possibilité de modifier les paramètres d’entrée du simulateur en ligne qui a suscité le titre de « première mondiale », puisque l’ AIE est une référence mondiale et que ces éléments constituent une première.
  Car cette étude est de nature à fournir un éclairage précieux au débat public et aux arbitrages gouvernementaux auxquels il aura récemment fait défaut.

Un regard sévère sur le débat public français
  L’AIE consacre tout un chapitre sur le débat public qui s’est déroulé en France de mars à juin 2018 au sujet de la révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
  L’Agence relève l’aspect essentiellement politique du débat nucléaire/renouvelable autour duquel s’est cristallisée une question dont le cadre n’a pas intégré la dimension européenne du système électrique.
  Elle y déplore l’absence d’analyses économiques détaillées notamment l’absence de prise en compte d’études existantes pour modéliser avec précision les scénarios soumis au débat, interdisant au public d’appréhender les avantages et inconvénients des différentes options proposées.
  Elle relève le fait que même s’il est largement admis que le LCOE des énergies renouvelables est inférieur à celui du nucléaire de nouvelle génération, cela n'apporte aucune indication sur la meilleure solution du point de vue économique, car leur caractère non pilotable entraîne un besoin croissant de flexibilités ou de renforcement du réseau qui ont un coût.
  Pour l’ AIE, en se focalisant sur le secteur de l’électricité, qui est déjà décarboné à 93%, le débat public français n’a pas permis d’éclairer la problématique des émissions de CO2.
  Il est d’autant plus regrettable que la programmation française de l’énergie ait ainsi perdu de vue ce qui était présenté comme au cœur de ses préoccupations, que la justice s’apprête aujourd’hui à condamner l’État pour inaction climatique [3].

La prolongation des réacteurs, production la plus économique

  En retenant 30 dollars la tonne de CO2, les énergies bas carbone sont les plus compétitives. La moins chère de toute étant la prolongation des réacteurs nucléaires, ou long term operation (LTO), les coûts du « grand carénage », refurbishment, du démantèlement, decommissioning,  comme ceux d’opération et maintenance (O&M) étant spécifiques pour chaque pays, comme le montre le graphique ci-dessous.
  La gestion des déchets est également annualisée et comprise dans la rubrique « decommissioning ».


 

  Le parc français, prolongé de 20 ans propose ainsi un MWh à 30,7 dollars (USD 2018), devant le photovoltaïque (25 MW) à 33,94 USD/MWh, l’éolien terrestre à 56,08 USD/MWh et 89,82 USD/MWh pour l’éolien offshore.
  Les projets de 3ème génération nucléaire français (1650 MW) sortent à 71,10 USD/MWh, contre 42,02 USD/MWh pour la 3ème génération nucléaire russe (1122 MW).
  Avec un MWh compris entre 70,54 (Inde) et 146,49 USD (États-Unis) le charbon n’est déjà plus compétitif pour les 30 USD retenus pour la tonne de CO2.
  L’étude contient quantité d’analyses sur les coûts de nombreuses technologies et leurs applications dans chaque secteur, tels que la mobilité électrique, le power-to-hydrogen dans l’industrie, ou la problématique du chauffage des bâtiments. Elle fournit quantité de données chiffrées permettant d’évaluer la quantité de CO2 évité pour une même somme d’argent public investie.
  En fournissant notamment les données concernant la réalité des coûts du nucléaire, de son démantèlement et de la gestion de ses déchets, ce rapport bat en brèche une véritable campagne de désinformation sur le sujet dans les médias français.
  Les arbitrages gouvernementaux souffrant alors d’une inévitable composante électoraliste.

L'AIE, un auteur chaudement recommandé
  Cette publication de l’ AIE survient au moment précis où l’Europe recevait une mise en garde sur les menaces « hybrides » liées à l’évolution du contexte politique mondial.
  En effet, le mois précédent, l’Otan publiait le rapport d’un groupe de réflexion [4] qui alertait sur les cyber attaques et désinformations en Europe, identifiées depuis la Chine et la Russie et notamment de la coopération entre les 2 dans ce domaine.
  Ce rapport insistait sur le caractère primordial et la fragilité de la sécurité énergétique.
En première place de ses recommandations, il note :
  « Les Alliés devraient renforcer leurs consultations politiques de niveau stratégique sur les questions relatives à la sécurité énergétique sous tous ses aspects, en y associant les acteurs de premier plan, s’il y a lieu, comme l’Agence internationale de l'énergie. »
  Cette nécessité de faire mieux connaître les analyses de l’ AIE est d’ailleurs d’autant plus nécessaire que les groupes financiers qui bénéficient des subventions aux EnR ont parfaitement les moyens d’entretenir eux-mêmes les idées fausses sur la sécurité permise par les énergies intermittentes.
  France Stratégie vient de s’interroger [5] sur la faiblesse de la production garantie par les énergies renouvelables, 1% de leur puissance installée, et note que « le passage des pointes de production s’effectue dans 90 % des cas par des moyens pilotables ».
  Dès aujourd’hui, le gestionnaire de réseau RTE confirme qu’en cas de vague de froid, les français devront réduire leur consommation [6] pour éviter d’avoir à subir des coupures d’alimentation.

La cannibalisation des EnR
  L’étude de l’ AIE soulève le problème de l’effet de « cannibalisation » des énergies renouvelables, c'est-à-dire le fait qu'elles détruisent leur propre valeur quand les conditions météorologiques leur sont favorables. Ce qui pose un problème d’autant plus épineux dans un marché de l'électricité libéralisé que les EnR bénéficient de compléments de rémunération, que la présence de centrales pilotables reste incontournable, mais que les Directives européennes interdisent les aides d’État.
  Le mix électrique français doit être appréhendé dans son cadre européen, et la spécificité nucléaire de son rang de plus gros exportateur mondial est un atout maître pour permettre le remplacement du charbon de nos voisins par des EnR intermittentes. L’effondrement des cours lié aux EnR, décrit par l’ AIE, compromet son financement sur le seul marché de l’électricité.

Le temps des questions
  Il n’est que temps de cesser de focaliser nos efforts sur la façon d’atteindre des objectifs déclinés en termes de parts d’énergies renouvelables électriques intermittentes et de réduction de la part nucléaire.  Et de s’interroger enfin sur les avantages attendus.
  Il n’est que temps d’oser remettre en question un dogme venu d’on ne sait trop où pour s’engager dans une politique énergétique efficace et de long terme, digne de la sortie des énergies fossiles de notre mix électrique en un seul septennat [7].

1 https://www.iea.org/articles/levelised-cost-of-electricity-calculator

2 https://www.iea.org/reports/projected-costs-of-generating-electricity-2020

3 https://www.20minutes.fr/planete/2952875-20210114-carence-climatique-etat-quatre-ong-affaire-siecle-ravies-apres-audience-jeudi

4 https://www.nato.int/cps/en/natohq/176155.htm

5 https://www.strategie.gouv.fr/publications/securite-dapprovisionnement-electrique-europe-horizon-2030

6 https://www.rte-france.com/actualites/rte-incite-les-francais-reduire-leur-consommation-delectricite-le-8-janvier-2021 7 http://www.economiematin.fr/news-vge-modele-economie-europe-changement-paradigme-riou

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