La genèse de la descente aux Enfers du nucléaire made in France et le couronnement du nouveau Maître du Monde : la Chine

  Passionnant et funeste récit que cette descente aux Enfers d'un des fleurons technologiques et intellectuels de la France, leader mondial il y a encore peu. Et, le pire, de cette histoire, c'est que les fossoyeurs en chef sont... nos propres gouvernants.
欢迎来到中国 , Bienvenue au nouveau Maître du Monde!
Adieu, va!

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Nucléaire : la Chine prend la tête

L’ascendance française

Le silence de Greenpeace 

La lettre geopolitique-electricite
2021 01

   «Le monopole de la technologie nucléaire étrangère a été brisé».
  Cette annonce a été faite le 27 novembre 2020 à Fuqing, province chinoise de Fujian, par l’entreprise
CNNC qui a couplé au réseau le premier réacteur de type Hualong One, Dragon n°1.
  Le modèle avait été présenté aux médias en septembre 2014. L’Association Mondiale du Nucléaire, World Nuclear Association, avait titré : «Le nouveau bébé nucléaire chinois:une ascendance
française,mais née de deux contributions locales».
  Il y a plus d’une génération, sous l’impulsion décisive d’un Ministre de l’Energie, Li Peng, qui devint Premier Ministre un peu plus tard, fut décidée la construction, à Daya Bay, Province de Guangdong, de deux réacteurs de type français. Li Peng était admiratif de la construction du parc nucléaire hexagonal alors en cours.Il demanda que les deux réacteurs de Daya Bay soient très similaires à ceux de Gravelines. L’ ilot nucléaire fut l’œuvre de Framatome. L’architecte-ensemblier fut celui du parc nucléaire français, la Direction de l’ Équipement EDF. En 1997, un ingénieur d’EDF remis solennellement les clefs du site au premier chef de centrale chinois. Daya Bay fut un chantier-école.
Des centaines d’ingénieurs chinois furent formés, sur place et en France.
  Alain Peyrefitte a écrit, dans son ouvrage «La Chine s’est réveillée», Fayard, que la réalisation de
Daya Bay fut «un évènement de portée planétaire».
  Hélas, parallèlement la décision fut prise par François Mitterrand de modifier complètement la stratégie industrielle nucléaire française. Il fallait réaliser un «Airbus énergétique» franco-allemand croisant les modèles français avec les réacteurs Konvoi de Siemens. La délicate construction d’un prototype, l’ EPR, couplée avec l’absence de chantier durant quinze ans et ses inévitables pertes de compétence, a lourdement plombé l’industrie nucléaire française.Le choix de l’Allemagne, au lieu de la Chine,comme partenaire principal dans le nucléaire, a été une erreur majeure, politique et technique. Les Français ne perfectionnant plus leurs réacteurs, les innovations correspondantes ont été réalisées
essentiellement par les Chinois.
  Une génération après le chantier-école de Daya Bay, ils sont parvenus au «Hualong One»,concurrent de l’ EPR dont ils ont l’entière propriété intellectuelle et dont la première construction n’a duré que six
ans
.
  En Chine même ont été construits les principaux nouveaux modèles de réacteurs mondiaux, dont l’ EPR français, le VVR russe et l’AP1000 américains, ce qui donne aux Chinois une connaissance exceptionnelle des technologies mondiales de l’atome. Ils apprécient l’ AP 1000 américain, mais l’ Hualong One sera favori pour les futurs chantiers locaux et à l’exportation. Huit sont aujourd’hui construits ou en cours de construction. Ils sont prêts à déferler sur le monde, en particulier dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie. Un projet sur un site EDF au Royaume-Uni leur donnerait une
référence commerciale précieuse.
  Le Président Xi Jiping vient d’annoncer une politique climatique audacieuse. Toutes les énergies non carbonées sont mobilisées. L’atome,qui durant dix ans stagnait à 2% de production d’électricité
chinoise, mais elle est énorme, a bondi à 4,8% en 2019.
  Le pouvoir est très soucieux de l’acceptabilité du nucléaire par le public, considéré comme un sujet majeur. Le surprenant silence sur l’atome du très actif Bureau de Greenpeace à Pékin, assumé par la directrice internationale de l’ONG, facilite l’action des autorités. Il scandalise les indépendantistes
tibétains.
  En 2035, les prévisions actuelles permettraient une production supérieure à 1000 TWh ce qui ferait de l’industrie nucléaire chinoise la première du monde, comme bien d’autres industries des énergies renouvelables, hydraulique et solaire le sont déjà. Pour cela l’atome chinois doit innover. Le tout nouveau Plan pour l’Innovation pour une Révolution Technique de l’Energie lui en donne les moyens. Il prévoit la mise au point des surgénérateurs, que la France a abandonné en fermant Superphénix, des
petits réacteurs modulaires et des réacteurs à haute température.
  Le nucléaire français garde une bonne image en Chine, et une collaboration active continue, mais
n’oublions pas l’essentiel :
  en Chine, comme ailleurs, le secteur électrique est un pôle industriel capital et précieux. La prédominance chinoise a une cause fondamentale: son secteur électrique a une production d’électricité équivalente aujourd’hui à celles réunies des Etats-Unis et de l’Union européenne, avec le Royaume-Uni. Ce secteur va encore croître car la Chine mène une politique originale de forte croissance de la part de l’énergie consommée sous forme d’électricité.

Nucléaire : la Chine prend la tête
L’ascendance française
Le silence de Greenpeace

  Rosatom, le monopole russe du nucléaire a de nombreux chantiers nucléaires dans le monde, du Bangladesh à la Turquie, en passant par la Slovaquie et l’Inde. Le pouvoir, à Moscou,est inquiet :
« Rosatom, ces dernières années, a réussi à exporter des réacteurs utilisant des technologies
traditionnelles, mais aujourd’hui la Chine développe ces mêmes technologies pour un coût moindre » 1.
  On notera que les Russes ne mentionnent pas d’autres concurrents dangereux. Les exportations françaises sont gênées par les chantiers interminables des EPR et l’annonce de la régression de l’atome dans le mix électrique national. Le gaz de schiste aux Etats-Unis a stoppé net une amorce de renaissance du nucléaire. Une reprise, même si elle paraît s’amorcer, prendra du temps. Le Canada a jeté l’éponge. Au Japon existe une loi qui conditionne le redémarrage d’un réacteur à l’accord des collectivités locales. En conséquence, le Gouvernement, foncièrement pro nucléaire, rencontre de graves difficultés, depuis l’accident de Fukushima, à relancer la production des réacteurs déjà en place, ce qui pénalise beaucoup les constructeurs nationaux. La Corée du Sud s’engage lentement vers une régression du nucléaire, ce qui va,comme en France, handicaper ses exportations.Reste la Chine, gigantesque puissance industrielle en pleine croissance. Dans le domaine du nucléaire, le pays développe depuis quarante ans une stratégie redoutable. Le fait qu’elle vient de passer une nouvelle commande de réacteurs russes, reconnaissant ainsi leur valeur, n’est pas forcément une
consolation pour Moscou.
   En désignant la Chine comme principal concurrent, le Gouvernement russe est lucide. Ce grand pays est en passe, pour le nucléaire civil, de devenir leader mondial. Comme dans bien d’autres domaines.

I. Le premier choix stratégique chinois : la voie française
A. Li Peng : la compréhension de la stratégie industrielle française
  Dès le début des années soixante-dix, le nucléaire français avait attiré le regard des Chinois mais pas uniquement pour des raisons techniques. La France apparaissait politiquement comme un pays permettant une collaboration technique aisée dans le domaine de l’atome civil. Fin 1978, Deng Xiaoping finalisa son arrivée au pouvoir. Il connaissait la France pour y avoir séjourné plusieurs années
après la première guerre mondiale.
  En 1981,un nouveau Ministre de l’Energie fut nommé : Li Peng 2 était le fils d’un écrivain communiste mort en martyr puis adopté par Chou En Lai. Ingénieur hydraulicien, il dirigea des centrales électriques. Il sut éviter les dangers de la Révolution Culturelle et continuer son ascension. Il observa et admira le déroulement de la construction du parc nucléaire français, dont Pierre Messmer avait dit à l’auteur de ces lignes que par le nombre de scientifiques et d’ingénieurs impliqués, d’une part, et son budget, d’autre part, il était équivalent au Projet Apollo. Li Peng donna l’impulsion décisive à la collaboration franco-chinoise. Premier Ministre en 1987, il veilla à son bon déroulement. Il quitta le Gouvernement en 1998 pour devenir Président du Comité Permanent de l’Assemblée Nationale
Populaire 3.
  En une seule année, 1982, la France mit en service 8 réacteurs, record du monde toujours inégalé. Cette même année fut signé un important accord de coopération avec la Chine.Un premier chantier fut ouvert à Daya Bay, Province de Guangdong, en 1986. Li Peng insista pour construire des réacteurs pratiquement identiques à ceux de Gravelines, dans le nord de la France. Il tint également à reproduire l’organisation française qui comprenait principalement un architecte industriel ensemblier, la Direction de l’ Équipement d’EDF et le constructeur de l’ilot nucléaire, Framatome, devenu Areva. Il se déplaça en personne sur le chantier, insistant auprès des ingénieurs chinois sur l’expérience française qu’ils devaient assimiler. Daya Bay fut un chantier-école. D’une manière plus générale, des centaines d’ingénieurs chinois reçurent des formations des Français dont l’organisation, avec architecte-ensemblier, et la stratégie industrielle, construction en série avec report des innovations à la série
suivante, furent largement adoptées sur place 4.
  Quatre réacteurs à Daya Bay puis à Ling’ Ao, province de Guangdong, furent réalisés avec EDF et Areva. Dans la liste des réacteurs chinois actuels,on trouve plus d’une vingtaine de CPR-1000 issus du modèle français, soit la moitié du parc actuel du pays 5. L’industrie française avait démarré le parc des 58 réacteurs en utilisant des brevets américains de la société Westinghouse. Progressivement, ces réacteurs furent «francisés» et la propriété intellectuelle passa à Framatome. C’est pourquoi le modèle
des réacteurs de Gravelines put être exporté à Daya Bay par une décision purement française.

B. 2014 : le « nouveau bébé nucléaire chinois » : le Hualong One
  Le programme nucléaire chinois n’a pas été une route droite, mais une génération après le chantier-école de Daya Bay, il est aujourd’hui le premier au monde. Les Chinois ont progressivement sinisé le modèle français. Désormais, ils disposent de la propriété intellectuelle de leur modèle de réacteur. C’est exactement ce que les Français avaient fait en partant du réacteur américain Westinghouse, en le francisant pour se débarrasser des brevets américains. En septembre 2014, la World Nuclear Association, représentant les principales industries mondiales du secteur et accréditée auprès des
Nations Unies annonça 6 :
  «Le nouveau bébé nucléaire chinois: la Chine a officiellement lancé sa première conception
de réacteur nucléaire national, avec une ascendance française mais née de deux contributions internes».
   Après seulement six ans de chantier, ce nouveau réacteur chinois le « Hualong One », Dragon numéro 1, a été couplé au réseau le 27 novembre 2020. C’est sa concurrence que craignent les Russes. C’est aussi un rival de l’ EPR. Qu’est devenu la coopération sino-française dont le but était encore décrit en 1999 comme « faire que le nucléaire en Chine soit la continuité vitale de l’activité[de l’industrie
correspondante] en France » 7?

II. Le nucléaire français change de cap : l’ EPR
François Mitterrand : l’incompréhension de la stratégie industrielle française
  L’arrivée au pouvoir de la gauche française en 1981, avec François Mitterrand Président, Pierre Mauroy Premier Ministre, confirma définitivement le choix du nucléaire comme source principale d’électricité du pays. La modeste réduction du programme en cours ne fut que la conséquence d’un ralentissement économique. Le nouveau Président avait observé la réussite de l’atome français, comme l’avait fait le futur Premier Ministre chinois, Li Peng, mais il en tira une décision bien différente. L’époque était au rapprochement franco-allemand. Pourquoi pas une réalisation énergétique majeure et commune, similaire à Airbus pour l’aviation? Il fut décidé que les prochains réacteurs français et allemands seraient identiques. Le fruit de cette réalisation commune serait l’« European Pressurized
Water Reactor » en abrégé, l’ EPR 8.
  Les ingénieurs EDF furent catastrophés : cette décision, « ils ne l’ont jamais digérée » 9. Il s’agissait purement et simplement d’abandonner la stratégie industrielle en cours : construction en série et innovations progressives à chaque série qui avait si bien réussie. L’industrie allemande est admirée, voire crainte en France. Mais, dans le cas du nucléaire, les Français n’avaient nul besoin des Allemands, l’inverse était plutôt vrai. Le plus grave était le choix de construction d’un prototype, toujours délicat à bâtir et dont les difficultés seraient aggravées par la coexistence de deux modèles à
prendre en compte, les réacteurs Konvoi de Siemens et leurs homologues français de Framatome.
   L’erreur industrielle se combinait avec l’erreur politique, plus rare chez François Mitterrand. À l’époque, la fin des années quatre-vingt, les organisations antinucléaires allemandes étaient déjà puissantes. L’Allemagne était donc le partenaire à éviter. D’ailleurs elle se retira du projet. Là-dessus, les politiques français, quelque peu ignorants des réalités industrielles, laissèrent le nucléaire national sans nouveau chantier durant quinze ans. D’où de graves pertes de compétences, combinées avec la
construction d’un prototype : ce fut la catastrophe de l’ EPR dont l’atome français tente de se dépêtrer.
  La France avait choisi l’Allemagne comme partenaire pour le nucléaire et non la Chine. Erreur industrielle et politique majeure. La Chine allait continuer à perfectionner seule les réacteurs français.

III. La stratégie chinoise : après la France, le Monde
  Parallèlement au perfectionnement des réacteurs français actuels, les Chinois convièrent les industries étrangères à construire, de concert avec eux et en Chine, leurs réacteurs de nouvelle génération. Coréens et Japonais ne furent pas invités, trop politiquement éloignés. Mais furent bâtis des AP1000 américains, des VVR russes, des Candu canadiens et des EPR français. De tels contrats obligent à d’importants transferts de technologie, ce qui signifie que l’industrie chinoise est la seule au monde à connaître à peu près tous les modèles importants de réacteurs. Il s’agissait aussi de repérer les meilleurs. Les gagnants furent les AP1000 américains, et la Chine était prête à leur faire une place notable, mais « en 2019, les Américains ont changé leur politique nucléaire vis-à-vis de la Chine...en imposant des restrictions...» 16. Pékin vient de repasser une commande de VVR russe, mais il est peu vraisemblable que ce modèle ait un grand avenir dans le pays. Les Chinois ont mis en service deux EPR, mais n’en
souhaitent pas d’autres. La filière Candu canadienne ne semble pas trouver son avenir et est hors jeu.
  Le modèle AP1000 reste bien considéré, mais même avant la politique Trump d’affrontements avec la Chine, il existait une volonté politique d’acquérir une indépendance technique totale. De plus, l’industrie nucléaire chinoise a pris de l’assurance : « la raison pour laquelle les Etats-Unis ont imposé
des contraintes à la Chine est probablement leur crainte d’être dépassés par celle-ci » 16.
  Il n’y a plus de vainqueur de cette compétition internationale. Place donc à la réalisation nationale :
le Hualong One, de conception,et « d’ascendance française ».

La suite de la coopération sino-française
  Les Chinois apprirent très rapidement à construire des réacteurs. La part de leur industrie devint vite largement prépondérante. Comme les Français ne perfectionnaient plus leurs réacteurs existants, les Chinois prirent leur suite à partir des répliques de ceux de Gravelines construits à Daya Bayet sont parvenus, seuls au Hualong One. La collaboration sino-française continua toujours mais sur d’autres sujets. En particulier des Français, d’Areva et d’EDF tissèrent des liens personnels sur place comme Hervé Machenaud, Directeur pour l’Asie-Pacifique pour le Groupe EDF de 2002 à 2016, et Vincent de Rivaz, futur patron de la filiale britannique d’EDF qui était fort apprécié de Li Peng. Deux faits
caractérisent les relations récentes :

  • Les Chinois veulent un réacteur totalement national, 2012

  Il devint clair que les Chinois préparaient un modèle de réacteur national de puissance moyenne, « d’ascendance française », mais dont la propriété intellectuelle leur appartiendrait. Compte tenu de l’ampleur de l’économie chinoise, le marché de ce réacteur serait immense : d’abord la Chine elle-même, puis une possible exportation. L’industrie française tenta alors de s’accrocher au wagon. Areva avait développé un modèle de réacteur, conjointement avec le Japonais Mitsubishi, l’ Atmea 1, de taille moyenne, 1000 MW, plus exportable que le puissant EPR, 1700 MW. L’entreprise française proposa alors à son partenaire chinois CGN, propriétaire de Daya Bay, de produire un réacteur sino-franco-japonais de 1000 MWe à partir de l’Atmea1qu’Areva était prêt à « cannibaliser 10 » 11. Les Chinois refusèrent : le projet « Hualong One » était sur les rails et il devait être exclusivement chinois.On constata peu après la reprise en main de la China Guangdong Nuclear, partenaire historique des Français, rebaptisée China General Nuclear. Ce ne fut probablement pas une coïncidence.

  • Deux EPR au Royaume Uni, Hinkley Point, dans un « paquet » ambitieux, 2012

  Vincent de Rivaz, ingénieur EDF en poste en Chine, et son épouse entretenaient des relations amicales avec le couple Li Peng. Nommé patron d’EDF Energy, la filiale d’EDF au Royaume Uni en 2002, de Rivaz se devait de préparer le renouvellement du parc nucléaire britannique, propriété de son entreprise. Après de longues tractations avec le Gouvernement de Londres et les responsables chinois, il réussit à mettre sur pied, 2012, un projet sino-franco-britannique en trois étapes : la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point, Somerset, puis de deux autres à Sizewell, Suffolk, enfin de plusieurs réacteurs Hualong One à Bradwell, Essex. Les trois parties y trouvaient leur compte. Les Britanniques, conservateurs et travaillistes, tiennent au nucléaire pour des questions d’indépendance nationale. L’ EPR et l’industrie nucléaire française y trouvent une seconde chance. La Chine décroche un contrat dans un pays occidental, une belle référence commerciale.Vincent de Rivaz mena assez seul les discussions, peut être parce qu’en France personne ne croyait vraiment à leurs réussites. Mais l’affaire se mit en route et le projet global semble solide. Le Président chinois a fait comprendre aux Britanniques qu’une remise en cause aurait de lourdes conséquences sur leurs relations commerciales, ce qui, avec le Brexit, serait ennuyeux. Le Gouvernement britannique, malgré des réactions hostiles, ne
bronche pas, et le dossier d’autorisations avance 12.
  Aujourd’hui, le nucléaire français reste apprécié en Chine. Il garde de solides compétences, au-delà des déboires des chantiers. Des accords commerciaux et de collaboration sont notables. L’industrie nucléaire française, comme ses homologues, fournit des prestations lorsque qu’elles sont estimées intéressantes. La construction des deux EPR chinois doit être considérée dans cette perspective. Son chantier ne fut en rien un chantier-école comme Daya Bay. Il s’agissait de tester le modèle, sans plus. Par contre, la collaboration sino-française continue dans d’autres branches nucléaires comme le cycle du combustible. Quand aux projets d’ EPR au Royaume-Uni, auxquels la Chine participe, leur intérêt est, pour l’Empire du Milieu, de faire partie d’un programme plus important où figure la construction de leur réacteur vedette Hualong One, sur le site britannique d’EDF de Bradwell. Ce qui sera une référence commerciale inestimable pour les exportations correspondantes.
  Si le nucléaire français reste apprécié en Chine, l’industrie chinoise correspondante est indépendante, puissante et vise le marché mondial.

IV. Les Chinois et l’atome
Le silence de Greenpeace
  Le pouvoir chinois est décrit en Occident comme autoritaire. Cela ne l’empêche pas d’être très prudent. Durant trois ans et jusqu’en 2019, aucune autorisation de nouveau réacteur n’a été donnée. On constate des manifestations contre des réalisations énergétiques, par exemple contre des centrales à charbon 13, une usine de panneaux solaires, qui fut fermée, 14, et une installation nucléaire 15. Une réflexion très longue a été menée au sujet des constructions le long des rivières et fleuves. Dans une interview récente, un responsable chinois répond qu’un des deux facteurs les plus importants « est l’acceptabilité du public...dans un contexte où certaines personnalités antinucléaires ont remis en cause
l’Autorité de Sûreté chinoise » 16.
  Cela nous amène au surprenant comportement de Greenpeace en Chine.
  L’internationale verte a un bureau à Pékin depuis 2003, en plus de celui de Hong-Kong. Les indépendantistes tibétains protestèrent avec colère lorsqu’ils constatèrent le silence de Greenpeace concernant les installations nucléaires chinoises chez eux et dans toute la Chine. « Leurs bureaux à Pékin et Hong-Kong mènent des campagnes sur nombre de problèmes environnementaux en Chine, notamment les pollutions industrielle, agricole, aquatique et atmosphérique. Pourtant un domaine important n’est l’objet d’aucune campagne, le nucléaire » 17. Le Bureau de Pékin n’entreprend aucune action antinucléaire. Celui de Hong-Kong est d’une grande discrétion sur le sujet. Cette politique est assumée par Jennifer Morgan, directrice de Greenpeace International. Lors d’une interview dans le Bureau de Greenpeace à Pékin 18, elle confirma que « Notre approche en Chine diffère de celle d’autres pays » et de citer les centres d’intérêt importants de son organisation dans l’Empire du Milieu, dont les énergies renouvelables, l’ éco-agriculture, la préservation des forêts, les mines illégales, la préservation de certains sites, etc. À aucun moment n’est mentionné le nucléaire. Greenpeace est à la tête des mouvements antinucléaires un peu partout dans le monde, ainsi par exemple en France en
Belgique et en Inde. En Chine, son silence est assourdissant.
  Comment expliquer un comportement si différent en Chine? Les dirigeants chinois ne sont pas naïfs, pas plus que ceux de Greenpeace. Donc les deux trouvent avantage à cette situation. Le pouvoir à Pékin, considéré comme autoritaire doit compter, néanmoins, avec d’importants contre-pouvoirs : les Provinces. Cela ajouté à une population d’un milliard quatre cent millions d’âmes fait que le gouvernement central n’a pas toujours une connaissance directe du terrain. Nous avons constaté l’existence de centrales à charbon clandestines, pas pour tout le monde, et une curieuse campagne d’éradication des entreprises zombies 19 menée par Pékin. Greenpeace peut très bien aider Pékin à mettre en application localement des politiques gouvernementales de défense de l’environnement.
L’Internationale Verte fait état de 28 permis, d’actions partielles?, dont elle dispose 18.
  Par un échange de bons procédés, le pouvoir chinois laisse Greenpeace se développer et l’ONG se tait sur l’atome. Par son silence, l’actif Bureau de Greenpeace à Pékin conforte l’acceptabilité du nucléaire en Chine, préoccupation majeure des autorités 16.

V. L’avenir de l’atome chinois. Xi Jiping et le nucléaire
A. Le réacteur-vedette : le Hualong One
  Lors du couplage au réseau du premier Hualong One, le propriétaire, l’entreprise géante CNNC, déclara : « Le monopole de la technologie nucléaire étrangère a été brisée...et la Chine fait désormais
partie de façon incontestable des pays avancés en matière d’électronucléaire » 20.
  Le pays ne perd pas son temps. CNNC, sur le même site mettra en service un second Hualong One l’an prochain 21 et a commencé le chantier de deux autres 22. L’autre grande compagnie, CGN, en a deux en construction dans la région autonome de Guangxi qui devraient être mis en service en 2022 23. Deux autres Hualong One sont en chantier au Pakistan et devraient être terminés en 2021 et 2022.
Donc huit en tout, une série bien suffisante pour baisser les coûts 24.
  L’autre étape est le projet de la construction à Bradwell en Angleterre de réacteurs Hualong One pour le compte d’EDF. Il fournirait une référence commerciale de premier plan : une commande d’EDF dans un pays occidental, le Royaume-Uni. Le Hualong One, engin éprouvé et aux coûts abaissés par la construction en série pourrait alors déferler sur le marché mondial.On a noté que les bisbilles sur Hong-Kong n’ont pas ralenti l’arrivée des autorisations administratives britanniques 12. Comme dit le communiqué de CNNC, tout cela confortera « la confiance des pays concernés par l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie » 25...pour leur vendre des réacteurs.

  B. Les projets en Chine
  Voici une déclaration du Président chinois Xi Jiping : « Comme Prométhée donna le feu à l’humanité, l’usage pacifique du nucléaire a allumé une flamme d’espoir et a ouvert un avenir meilleur
à l’espèce humaine » 26.
  Durant dix ans, de 2003 à 2013, la part du nucléaire dans le mix électrique chinois est restée pratiquement la même et très faible: autour de 2%. Aujourd’hui, la période de réflexion est finie et
l’industrie chinoise s’est mise en ordre de bataille 16.
   De 2013 à 2019, la part du nucléaire est passée de 2,11% à 4,8%  27.
  La production a été en 2019 de près de 350 TWh, soit environ 85% de la production du parc
nucléaire d’EDF la même année, et la dépassera dans peu de temps.
  Le XIVème Plan Quinquennal, 2021-2025, « mérite l’attention du monde entier » 28. « Le parc nucléaire chinois n’aura pas de difficulté à atteindre 70 GW en 2025 [EDF : 59,6 GW, après l’arrêt de Fessenheim]...L’objectif de 150GW à atteindre[en 2035]est partagé par une majorité de participants aux travaux de prospective [pour les Plans suivants]... [Ce qui implique] la construction de six à huit tranches par an » 16.

C.2035 : vers une production de 1000 TWh. Un outil pour le climat
  Créant la surprise, le Président chinois a annoncé récemment un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2060, redonnant « du souffle à l’accord de Paris » 29. Cet objectif ambitieux, exige de faire feu de tout bois. En Chine, atome et renouvelables ne s’opposent pas et sont qualifiées « énergies
propres » dont le développement collectif est indispensable pour atteindre l’objectif visé.
  Voici les derniers résultats. En 2019, la Chine a produit 7326,6 TWh, en augmentation de 4,7% par rapport à 2018. L’ apport des quatre « énergies propres » a largement cru en un an. Voici leur production en TWh et pourcentage. Puis entre parenthèses, l’augmentation par rapport à 2018 27 :


  En ajoutant une centaine de TWh issue de la bioénergie,on parvient à 32,5% de sources non carbonées pour l’électricité, contre 30,5% en 2018. La part du charbon a ainsi baissé de 2% en un an.Ce rythme est analogue à celui de la sortie du charbon de l’Allemagne d’ici 2035-2038 alors que ce combustible a
fourni 30% de son électricité en 2019.
  À l’avenir, les parts respectives des « énergies propres » seront liées à leurs performances 16.
  La consommation d’électricité en 2035 comporte trois incertitudes. Le taux de croissance économique estimé d’ici à cette époque varie de 3,6 à 5,4%/an 30. Les gains d’efficacité énergétique sont à revoir car la part des ménages dans la consommation augmente rapidement au détriment de l’industrie, jusqu’ici largement prédominante. Enfin, une politique active vise à accroitre fortement la part de l’énergie consommée sous forme d’électricité : 21% en 2018, visant 35% en 2035, voire 47% en 2050, mais les résultats sont incertains 31. En revanche, l’industrie chinoise est capable de construire un parc de réacteurs de 150 GW à cette date, comme indiqué ci-dessus, dont la production estimée serait d’environ1070 TWh 32. Pour cela, elle doit continuer à innover. Cela conduirait à une fourchette
de 7 à 10% de nucléaire en 2035 dans une production d’électricité difficilement prévisible.
  L’importance de la production nucléaire chinoise en 2035 dépendra surtout de sa capacité d’innovation. Le « Plan d’action pour l’innovation pour une Révolution Technique de l’Energie », 2016-2030, 33, vise à l’accroître. Il prévoit la mise au point des surgénérateurs, que la France a abandonné en fermant Superphénix, des petits réacteurs modulaires (SMR) et des réacteurs à haute température (HTR). L’industrie nucléaire chinoise a les capacités de produire plus de 1000 TWh en 2035 et de devenir le plus important producteur de la planète. Et de prendre la tête de l’industrie
mondiale correspondante.
  En Chine, comme ailleurs, le secteur électrique est un pôle industriel capital. La prédominance chinoise a une seule cause : son secteur électrique est aujourd’hui équivalent à ceux réunis, des Etats-Unis et de l’UE. 


En conclusion
  Au départ, il y a un dirigeant chinois de haut rang, Li Peng, qui observe et admire la réalisation du parc nucléaire français. Il en comprend la réussite: une organisation comprenant un architecte-ensemblier de grande valeur et une industrie remarquable, dont le fabricant de l’ ilôt nucléaire. Il note que les réacteurs sont construits en série,en reportant toute innovation à la série suivante. Les Français
mèneront un chantier-école à Daya Bay et formeront des centaines d’ingénieurs.
  Mais un Président de la République français choisira,comme partenaire principal pour l’industrie nucléaire, l’Allemagne et non la Chine. Or l’Allemagne renoncera à l’atome laissant les Français construire seuls un prototype, l’ EPR, alors que durant quinze ans leurs compétences vont s’effriter par
l’absence de chantiers durant quinze ans. L’industrie nucléaire française s’en trouve très affaiblie.
  Ce sont donc les Chinois qui ont perfectionné durant une génération la technique française en mettant en service un réacteur « d’ascendance française » le Hualong One, dont ils disposent de la propriété intellectuelle, et désormais concurrent de l’ EPR. Ils ont acquis, parallèlement,une expérience remarquable en participant à la construction,chez eux, des réacteurs les plus récents des principales
industries étrangères.
  Le Président chinois Xi Jiping a annoncé un objectif climatique ambitieux. Pour l’atteindre son pays doit développer toutes les énergies non carbonées, dont l’atome. Pour cela,cette énergie doit être
acceptée par la population. L’assourdissant silence de Greenpeace sur l’atome en Chine est un atout.
  Le nucléaire chinois doit également montrer son efficacité en face d’énergies comme le solaire et pour cela mener une politique d’innovations. Le tout récent Plan d’action pour l’Energie de Pékin lui en
donne les moyens.
  L’industrie nucléaire chinoise est sur la voie d’être la première du monde en 2035. C’est déjà le cas
pour le solaire et l’hydraulique et pourra l’être pour d’autres énergies non carbonées.
  La raison majeure de cette supériorité est l’existence d’un pôle industriel puissant : son secteur électrique. Il produit aujourd’hui autant d’électricité que les Etats-Unis et l’Union européenne réunis. Il va encore croître énormément, car le pays mène une politique originale de forte croissance de la part d’énergie consommée sous forme d’électricité. Politique à laquelle devrait réfléchir les pays européens qui centrent leurs investissements de transition énergétique sur l’électricité.


1 Cité dans Nuclear Engineering International
-12/10/2020
- « Russia cancels new technology federal target program »

2 D’abord Ministre Adjoint (1979)

3 Jusqu’en 2003. Décédé en 2019. Ses camarades du Parti lui ont laissé avec empressement la responsabilité de la répression de la manifestation de la Place Tien An Men, 1989, ce qui entache sa mémoire.

4 Cf. La Revue de l’Energie
- « La coopération nucléaire franco-chinoise: un modèle partagé »
- François Torres
- mars-avril 2015

5 World Nuclear Association-Nuclear Power in China.

6 World Nuclear News
- 2 Septembre 2014
- « China’s new nuclear baby ».

7 Hervé Machenaud, Directeur à EDF, lors du débat de clôture des Carrefours de l’International EDF à
Aix les Bains, 29 janvier 1999, note14 de l’article « La coopération nucléaire franco-chinoise »
- Revue de l’Energie mars avril 2015.

8 Devenu en 1992 l’ European Power Reactor, puis Evolutionary Power Reactor en 1999.

9 Voir Le Monde du 17/11/2011 : « EPR: le réacteur maudit » par Jean-Michel Bezat.

10 « Si ce nouveau produit...correspond à une ouverture claire du marché chinois...je suis prête à le
cannibaliser...
»
- Claude Jaouen
- Areva dans Challenges
- 30/5/2012.

11 On ne se s’étendra pas sur les bisbilles internes au nucléaire français sur ce projet à l’époque.

12 « UK’s Bradwell B granted electricity generating licence »
- Nuclear Engineering International
- 21/12/20207

13 Par exemple Reuters 
- 12/4/2020
- « Hundred protest against pollution from South China coal plant ».

14 BBC 18/9/2011
- plusieurs mois de manifestations quelquefois violentes. L’usine a été fermée.

15 Financial Times
- 7 /8/2016
- Contre une installation de traitement de déchets

16 Interview de Chengkun ZHAO,vice-président de la Commission d’experts de la China Nuclear Energy Association par le média chinois Beijixing, traduit en français dans la Revue Générale Nucléaire,
- 14/04/2020

17 https://tibettruth.com/greenpeaces-nuclear-silence/

18 Interview de Jennifer Morgan
- China Development Brief
- 24/5/2019.

19 Ainsi nommées dans les communiqués en français de l’Agence officielle Xinhua. Ce sont des entreprises qui n’existent qu’en étant subventionnées... Par les Provinces, bien sûr, pas par le pouvoir central! Cf. notre Lettre du 1/3/2019 sur www.geopolitique-electricite.fr

 20 Communiqué CNNC du 27 novembre 2020 

21 A Fuqinq, province de Fujian.

22 A Zhangzhou, province de Fujian.

23 Fangchenggang 3 et 4

24 On retrouvera le détail de ces constructions dans World Nuclear News du 27/11/2020.

25 Fin 2020, par cette énorme initiative économique, a Chine aura déboursé 4000 milliards de $. Cf.Asialyst
- P.A.Donnet
- 27/11/2020.

26 Sommet de La Haye sur la sûreté nucléaire-Communiqué du Ministère des Affaires Étrangères de Chine
- 25/3/2014.

27 Electricity Council of China-Rapport annuel sur le développement de l’industrie électrique chinoise
- 12/6/2020
- Nous préférons ces chiffres à ceux de l’AIEA-PRIS, car l’essentiel des données sur l’électricité en Chine provient de ce Conseil qui rassemble les acteurs industriels.

28 Agence officielle Xinhua
- 3/11/2020.

29 Les Echos, 10/12/2020.

30 China Dialogue
- « Climate and Energy in China’s 14th FYP »
- 26/11/2020.

31 China Dialogue
- « China’s plan to electrify its economy »
- 9/9/2019
- On lit que les objectifs indiqués seront difficiles à atteindre.

32 Avec la même disponibilité qu’en 2019.33Cf. « Energy in China’s New Era »
- The State Council Information Office
- The People’s Republic of China
- 21/12/2020.



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