La Haute-Marne pendant la Révolution : Les Jacobins de Bourmont, 1791-1794, épisode III & fin

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Avant-propos
   La Haute-Marne n'a pas été le cadre, pendant la Révolution, d'évènements spectaculaires ou de bouleversements d'ampleur nationale. Est-ce à dire que l'histoire du département pendant cette période n'est qu'une page blanche? Un pays qui n'a subi sur son sol ni guerre civile, ni guerre étrangère, qui n'a donné à la scène politique nationale aucune tête d'affiche, où la Révolution a fait couler plus d'encre que de sang mérite-t-il que l'historien s'intéresse à lui? Ce serait oublier que l'histoire n'est pas faite que du fracas des batailles et du tumulte de la "grande" politique, mais que les modifications lentes et discrètes du social, du culturel et de l'économique y ont aussi leur place. La Haute-Marne a subi comme le reste de la France les conséquences des bouleversements révolutionnaires et elle en porte encore l'empreinte.  Elle méritait donc elle aussi de susciter la curiosité du chercheur et les réflexions de l'historien...

Les Jacobins de Bourmont, 1791-1794

Jacques Bernet
p.17-24

  Si l'on sait faire la part des phraséologie en usage à l'époque, les Jacobins de Bourmont nous apparaissent comme plutôt conformistes face aux fluctuations complexes de la politique nationale en 1793-1794, ce qui n'est guère original ; mais aussi, chose plus intéressante, pragmatiques et prudents, foncièrement modérés en définitive. Ces traits politiques tenaient sans doute à la personnalité des administrateurs-animateurs du club, en général peu enclins aux excès répressifs. On peut y voir aussi le reflet plus direct de la réalité de l'opinion populaire, dans un club suffisamment nombreux et démocratique pour exprimer la diversité des points de vue et imposer une certaine tolérance : ceci explique sans doute le caractère timoré de la politique des Jacobins - et aussi des autorités constituées - de Bourmont en matière de "sûreté générale" et surtout dans le domaine religieux. Cette modération se
traduisit aussi par une relative timidité quand aux questions économiques et sociales.
  Comme maints clubs en la période, la société de Bourmont ne manqua pas de multiplier les adresses de félicitations à la Convention - se plaignant même en floréal de ne pas les voir reproduites dans le bulletin officiel de l' Assemblée. Ces textes rituels n'ont d'autre intérêt que de montrer le besoin de s'appuyer, quoi qu'il arrive, sur les positions de la majorité au pouvoir, au prix, il est vrai, de bien des contorsions! Nos Jacobins félicitent l'assemblée "sur la découverte de la conspiration", l'élimination des factions dantonistes et hébertistes, en germinal [le 2 mars, au Club des Cordeliers, Hébert, Vincent et Ronsin avaient proclamé la nécessité à la fois d’épurer la Convention nationale, notamment par l’élimination des dantonistes, et d’une insurrection populaire contre la faction des endormeurs, Robespierre étant directement visé. Hébert et ses amis sont pris de court par le Comité de Salut public qui les fait arrêter dans la nuit du 13 au 14 mars 1794. Ils sont condamnés à mort le 24 mars. Danton et Desmoulins seront arrêtés le 29 mars et guillotinés le 2 avril.https://amis-robespierre.org/Execution-d-Hebert-et-de-ses], s'indignent des attentats contre Collot d' Herbois et Robespierre en prairial, stigmatisent le "tyran", adulé la veille, à l'annonce du 9 thermidor. 24 Cependant, restés longtemps fidèles aux Jacobins de Paris et sans doute influencés par des adresses anti-modérées, comme celle d' Auxerre, ils adoptèrent le 3 vendémiaire an II, 25 septembre 1794, un texte réclamant le maintien de l' "intégrité du gouvernement révolutionnaire". 25 Cette adresse n'a vraisemblablement pas quitté Bourmont car, malgré quelles velléités de résistance néo-jacobine - le 21 vendémiaire on arrêta de ne plus admettre en séance "tous prêtres et ci-devant nobles non sociétaires" - la société se rallia massivement, le 28 de ce mois, à l' "adresse au peuple français", charte de la Convention thermidorienne. À cette époque, les autorités constituées avaient connu, sur l'ordre du représentant Besson, délégué en Haute-Marne et dans le Jura, une épuration d'autant plus limitée qu'elles n'avaient guère été dominées par de dangereux "terroristes". 26

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Interrogatoire de Camille Desmoulins et de Danton, 12 germinal an II/1er avril 1794.
© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie

   Patriotes affirmés, les Jacobins de Bourmont n'étaient assurément pas des "hommes de sang". Le procureur-syndic du district Vincent, membre-fondateur du nouveau club, qui avait stigmatisé l'indulgence municipale à l'égard des suspects du lieu au printemps 1793, se garda bien d'imposer cette intransigeance à la société, qui se tint autant que possible à l'écart des mesures répressives. 27 Ainsi, le 27 brumaire an II, un membre du comité de surveillance ayant demandé l’avis des sociétaires sur la liste des suspects, "la proposition fut vivement combattue...attendu que leur arrestation n'était ni du fait ni de la compétence des sociétés populaires..., celles-ci, ne pouvaient se mêler des opérations ordonnées par ces mêmes lois". La majorité s'opposa le plus souvent à toute forme de délation politique ou économique - même à propos des infractions au maximum -, en renvoyant ces questions aux autorités intéressées. Le 12 ventôse [19 février au 20 mars], on récusa la nomination, comme commissaires pour le recensement des grains, de trois particuliers de Chalvraines qui s'étaient portés volontaires pour débusquer les fraudeurs, en mettant en doute leur impartialité. Si des voix inquisitrices s'exprimèrent de temps à autre, l'assemblée s'en tint en général au même principe : sa "police" ne pouvait s'exercer que
sur ses membres. 27bis
   Cet état d'esprit tolérant et indulgent explique sans doute les difficultés qu'éprouvèrent tant les Jacobins que les autorités de Bourmont à mettre en oeuvre la politique déchristianisatrice qui, bien qu'" officieuse", balaya largement la France et notamment la Champagne méridionale en l'an II. Bourmont et sa région restaient profondément marquées par la tradition et la pratique catholiques ; la nationalisation
des biens de l' Eglise et la Constitution civile avaient déjà suscité des remous en 1790-1792. 28
  Comment justifier la fermeture des églises au culte, la persécution de ses ministres, par ailleurs bons citoyens, bien représentés dans le club et les administrations, sans choquer la masse des fidèles, soit le peuple, que l'on était censé incarner? D'un autre côté le club, soumis à de fortes pressions extérieures - adresses anti-catholiques, procès-verbaux de "fêtes de la Raison", comme à Bourbonne en frimaire - ne devaient-il pas "mettre l'esprit public à la hauteur"? Ayant longtemps retardé l'échéance, la société dut se résoudre à prendre quelques initiatives et promouvoir à petits pas une déchristianisation rampante, presque honteuse. Elle mit plus l'accent sur les aspects "positifs" des cultes patriotiques de substitution que sur la destruction des "vieilles habitudes". On chercherait en vain dans ses délibérations des propos anti-catholiques outranciers ou des séances d'abdication ou de mariage de prêtres. L'iconoclasme anti-religieux fut tardif et timide : changement des noms de rues, proposé en nivôse, appliqué seulement en ventôse - les noms des communes rappelant l' Ancien Régime restèrent apparemment inchangés - substitution d'une statue de la Liberté à un calvaire en pluviôse. La pression du club s'accentua à mi-ventôse : le 16 la "Marie-Fontaine", sur la place du bourg était rebaptisée "Fontaine de la Raison", tandis que l'on demandait à la municipalité "un lieu convenable pour célébrer les cérémonies civiques". Les autorités ayant tenté d'imposer le respect du décadi, cette mesure fut critiquée dans le club, "le zèle de la municipalité quoique très louable, enlevant dans ces moments précieux à l'agriculture des bras dont l'inertie nuisait infiniment aux intérêts de la République", 19 ventôse, - ce qui atteste qu'à cette date on chômait toujours les dimanches et fêtes catholiques. Cependant, le 24 ventôse, la société réclama la célébration des décades "avec toute la pompe nécessaire" et déplora la "non-inauguration du temple de la Raison", prenant l'initiative de "travaux pour le mettre en état de fréquentation et dans la dignité qu'il convient" : en d'autres termes, il s'agissait du dépouillement et de la fermeture de l'église à l' ancien culte. Avec six mois de retard sur les pays voisins, le district de Bourmont prit un arrêté dans ce sens le 14 floréal, non sans provoquer de gros troubles populaires deux jours plus tard, à un moment d'autant plus critique que l'on était en pleine crise de subsistances. 28bis La société populaire avait désormais les coudées plus franches : elle avait décidé, le 15 floréal, de réimprimer et diffuser les "25 préceptes de la Raison" envoyés par le Conventionnel haut-marnais Chaudron-Rousseau ; le 22 on établit un comité "pour surveiller les prêtres et autres qui pourraient troubler l'ordre public". La réception, à cette date, du discours de Robespierre "sur les idées religieuses et l'établissement des fêtes nationales", comportant la condamnation de l' athéisme et l'affirmation de l'existence de l' Être Suprême, fut une bonne aubaine pour le club : celui-ci put en effet promouvoir sans états d'âmes ce culte déiste et national, plus acceptable. 29

  

 Célèbre discours prononcé le 18 floréal an II, 7 mai 1794, devant la Convention. Robespierre dénonce l'athéisme et proclame sa foi dans l'immortalité de l'âme et dans l’Être Suprême, dont le culte sera adopté par décret du même jour. « L'idée de L’Être suprême est un rappel continuel à la justice : elle est donc sociale et républicaine ».@pba-auctions.com/lot/6390/1307782

  Les Jacobins de Bourmont prirent eux-mêmes en charge l'organisation de la Fête de l' Être Suprême du 20 prairial, 8 juin 1794, jour de la Pentecôte, qui fut, semble-t-il, très réussie et fit, aux dires d'un sociétaire, "une impression délicieuse sur les esprits". 30 Ce succès paraît cependant avoir été sans lendemain et le choc provoqué par l'interdiction de l'ancien culte, autant que les circonstances difficiles de la période, semblent avoir largement contribué à refroidir l'ardeur révolutionnaire du peuple de Bourmont : on se plaignait à la séance du 7 messidor de la désertion du club et du non respect du calendrier révolutionnaire : un membre, " a frappé sur une vieille habitude de chômer les ci-devant jours de fête, de se costumer différent, et sur l'indifférence que l'on marquait pour la célébration ordonnée des jours de décade par l'ouverture des boutiques et par le travail ; enfin, il a voulu faire sentir que c'était une absurdité de regarder le 7e jour de la semaine comme le jour de repos du créateur, en disant aussi que c’était une erreur de croire que l' auteur de la Nature se fût jamais reposé". Tout en réclamant des mesures plus fermes aux autorités pour imposer le nouveau culte - tant il est vrai que l'isolement politique rend d'autant plus sectaire - la société de Bourmont fit surtout un gros effort médiatique pour populariser les fêtes décadaires, "moyen de détruire les préjugés religieux", et multiplier les célébrations patriotiques, comme les victoires militaires lui en donnèrent l'occasion.
 Dans une adresse à la Convention adoptée le 16 messidor, on pouvait lire : " Nous vous prions d'organiser au plus tôt les fêtes décadaires ; l'homme a besoin de spectacles et il n'en est pas de plus attachant que ceux qui présentent le tableau des vertus morales". Au cours de ce mois de messidor, le club organisa régulièrement des défilés civiques avec les enfants des écoles, suivis de réjouissances, en l'honneur des exploits de nos armées, victorieuses sur tous les fronts. On donna un éclat particulier au 14 juillet 1794 pour lequel on choisit quatre orateurs chargés de "pérorer le jour de cette brillante cérémonie" ; la journée fut clôturée par "des marches patriotiques" et une réunion "au Temple de l' Éternel, pour lui rendre hommage  de ces triomphes". Préparée dès le 5 thermidor, la commémoration du 10 août 1794 parait avoir souffert de remous et du désarroi consécutifs à l'annonce de la chute de Robespierre et du gouvernement révolutionnaire. Il est vrai qu'après cet été, où une bonne partie des habitants étaient mobilisés par les travaux agricoles, les Jacobins de Bourmont ne parvinrent guère à relancer leur mobilisation patriotique : la Fête des Vertus du 5e jour sans-culottide, dernier de l'an II, fut beaucoup moins pompeuse que prévue ; on déplora l'absence des "citoyennes...tout à coup disparues des cérémonies publiques et même des décades, ce qui gênait extraordinairement le petit nombre de citoyens qui ordonnaient généralement ce genre de cérémonies". 31 La "tiédeur" des citoyens fut désormais un leitmotiv des séances et ce n'est pas l'organisation, bien tardive, d'un "comité d'instruction" de 12 membres, 28 vendémiaire an III, qui put redresser la situation. Pour avoir été retardée, plus graduelle et "positive" qu'ailleurs, la déchristianisation n'en avait pas moins échoué à Bourmont - comme dans toute la France - : le curé de Bourgogne reprendra officiellement ses offices le 16 prairial an III, dès la réception du décret plus tolérant de la Convention, et en messidor de cette année les deux églises de la ville seront ouvertes au culte catholique. 32
  Les questions économiques et sociales sollicitèrent naturellement l'attention des sociétaires de Bourmont, en cette période d'économie dirigée, marquée par la priorité absolue de l'effort de guerre, et dont la difficile exécution fut la source de pénuries chroniques. Là aussi le club manifesta ses réticences et sa timidité pour surveiller activement et efficacement l'application de la législation économique. Il rapporta ainsi, le 27 brumaire an II, un arrêté de nomination de commissaires chargés de contrôler le respect du maximum sur les marchés : "...il n'existe aucune loi qui obligeât les Sociétés populaires surveillantes d'abord par leurs institutions, à assister à ces opérations...la société populaire se repose entièrement sur le zèle et les soins du conseil général...". On dénonça pourtant le 11 frimaire la disette croissante et les "accaparements partiels d'où ils résultaient que les gens aisés étaient toujours approvisionnés et que les pauvres manquaient de toute espèce de denrées", en demandant aux autorités constituées d'opérer des visites domiciliaires. 33 Mais le 11 ventôse an II la municipalité elle-même demanda au club de nommer 8 commissaires pour coopérer au recensement des grains du district, en vertu d'un arrêté des représentants Lacoste & Baudot, en mission auprès de l'armée de Moselle [une des armées révolutionnaires formées pour faire face aux menaces extérieures de la jeune République française]. Le club fournit une liste de 30 membres, soit 3 commissaires par commune à visiter, à qui ont fournit des "instructions" précises. 34  
 
 

 Évolution de l'armée de la Moselle. Parmi ses généraux l'on trouve : La Fayette, Kellermann, Dumonuriez, Hoche, Moreaux,...

  Ces délégués envoyèrent régulièrement le compte rendu de leurs opérations et la société entendit le 8 germinal un rapport alarmant sur la situation alimentaire du district : il ne restait en moyenne que deux quintaux de grains par individu jusqu'à la prochaine récolte, sans compter les semences nécessaires ; on mit en cause le marché de Nogent-de-la-Haute-Marne, en Bassigny, qui avait été autorisé à s’approvisionner dans le ressort de Bourmont, les nombreux passages de militaires et de "particuliers étrangers" sur les grandes routes traversant la région - mais aussi la ponction excessive opérée par l'armée de Moselle, plus de 10 000 quintaux réquisitionnés. La société demanda des secours au département et à la Convention, appuyant efficacement l'action de la municipalité et du district - deux députations furent envoyées à Chaumont et auprès des représentants à l'armée de Moselle, le 27 germinal. À la mi-floréal, aux moments des troubles religieux consécutifs à la fermeture des églises, le club éprouva le besoin de renforcer son activité contre la pénurie : il forma un comité de subsistances  de 8 membres, chargés d'aider la municipalité à distribuer les grains. Cette dernière en effet avait dû instaurer le rationnement ; les excédents de chacun avaient été rassemblés dans un grenier public et l'on procédait à une distribution périodique et égalitaire, 16 floréal an II. Ces mesures permirent de répartir plus équitablement la disette, dont souffrit particulièrement le district de Bourmont au moment de la soudure, en juin-juillet 1794. On note en revanche que les Jacobins locaux ne s'occupèrent nullement de la distribution des secours nationaux attribués aux indigents par la Convention et qu'ils ne songèrent pas à créer, à l'instar de nombreux autres clubs, un comité de bienfaisance venant en aide aux pauvres. 35 On ne les voit pas plus intervenir dans la question du partage des biens communaux, refusé par la majorité des habitants de l'assemblée communale du 2 thermidor an II. 36 Leur action dans les domaines économiques et sociaux resta donc limitée et purement conjoncturelle, en dehors des nécessités de l'effort de guerre, qui fut l'objet de leur attention prioritaire, tant pour les hommes que pour leur armement et leur équipement. 37  
 

Conclusion 

  L'itinéraire des Jacobins de Bourmont, dont témoignent leurs délibérations de 1793-1794, si riches et vivantes, nous semble intéressant et relativement original. Club nombreux et populaire, même s'il fut dirigé par des notables modérés, il offre plutôt l'image d'un lieu démocratique que celle d'une secte dominatrice et isolée. La volonté de façonner "l'esprit public" n'a pas empêché l'expression de la sensibilité et des aspirations de couches diverses de la population, même confuses et contradictoires, ce qui donne un reflet sans doute plus authentique de la réalité sociale, politique et mentale de l'époque. L'exemple de Bourmont nous permet d'apprécier concrètement la portée - et les limites - de la politisation populaire au cours de la période révolutionnaire : une mobilisation patriotique incontestable, grâce à laquelle la Nation remportera les victoires de l'an II, au prix de sacrifices et de contraintes qui finirent par provoquer désarroi et lassitude, exprimés par la désaffection sensible au sein du club, à partir du printemps 1794. Le club de Bourmont est sans doute un cas spécifique, le reflet d'une région, d'une société avec ses traditions et sa mentalité ; mais c'est justement cette particularité qui a donné sa couleur à la sociabilité jacobine, apparue avec les circonstances, dans chaque cas d'espèce. Il nous semble donc utile et nécessaire d' appréhender le phénomène de manière concrète, pour mieux rendre compte de sa complexité et sa diversité dans la réalité quotidienne de la période révolutionnaire.
 
FIN
 
La Haute-Marne pendant la Révolution, Actes des 10eme Journées d'art et d'histoire Chaumont, Langres, Saint-Dizier, 21-23 avril 1989, Chaumont, 1989. 
 
24. Alors que le 9 thermidor même, on avait lu et applaudi un discours de Robespierre, on rédigea le 12 une adresse à la Convention " pour lui témoigner l'étonnement, l’indignation et la douleur qu'à causé à l'assemblée la vaine perfidie de ce Robespierre vomi du sein de la patrie irritée...". Toutefois ce nouveau coup de théâtre ne fut pas interprété d'emblée comme un prélude à la chute du gouvernement révolutionnaire : "un autre membre a dit par amendement qu'il faut que les bons citoyens se réunissent, surveillent les pas et les actions de ceux qui n'ont pas même constamment manifesté d'attachement à la Révolution, et qui prennent tous les masques, qu'il était instant de renouveler le serment de maintenir la République, d'être fidèle à la Convention et de l'entourer de nos corps, s'ils le fallait, pour défendre et la conserver".
 
25. " Un autre membre a observé que la situation actuelle de la République était telle que la relaxation d'une foule immense de détenus faisait éprouver des dangers immenses, et que l'agitation qu'ils imprimaient à la machine politique devait fixer les regards de toutes les sociétés populaires, qu'il fallait que tous les amis de la Liberté et de l' Égalité se tinssent constamment unis pour surveiller et déjouer les complots et les manoeuvres de l'aristocratie de tout genre". Ce texte reprenait à peu près les termes de l'adresse d' Auxerre et le contenu des débats de Jacobins de Paris. Ce sursaut jacobin à Bourmont peut être mis en relation avec l'isolement du club et le sentiment de désaveu qu'en éprouvaient ses membres rescapés, autant que leur désarroi politique.
 
26. Cette épuration, opérée le 22 fructidor [18 août au 16 septembre] à Bourmont, pouvait paraitre ambiguë, car si on avait remplacé des "patriotes prononcés" au district ou au comité de surveillance, on avait aussi éliminé deux prêtres membres du conseil général de la commune, le curé Bourgogne et le vicaire Damas - dont la nouvelle municipalité fit d'ailleurs l'éloge. Sans doute reprochait-on aux autorités locales d'avoir freiné autant qu'elles l'avaient pu les mesures contre le culte catholique.
 
27. Sur les positions de CH.-N.Vincent, cf. la note 19. Ce personnage fut surtout actif au comité de surveillance et garda la confiance du club, qui l'élut plusieurs fois au bureau ou comme commissaire - il fut notamment chargé de plaider la cause du district à Paris, pour les problèmes de subsistances et assista à cette occasion à des séances des Jacobins dans la capitale.
 
27bis. Autre témoignage de l'indulgence du club : son action en faveur de la libération du lieutenant Delille, officier originaire de Bourmont, arrêté à Auxerre à l'automne 1793, en raison notamment de ses origines nobles, séances des 4 septembre 1793, 10 germinal an II.
 
28. Le 27 juillet 1791 une "pétition des bourgeois de Bourmont", soutenue par la municipalité, avait demandé - et obtenue - le maintien d'une seconde église paroissiale dans la ville ; la suppression de Notre-Dame "...pourrait donner de l'inquiétude aux paroissiens sur l'exacte observance de leur devoir de chrétien dont heureusement ils sont tous pénétrés" précisait la commune, tout en faisant "l'éloge des sentiments religieux" des habitants. Les religieuses Annonciades avaient résisté ouvertement à la nouvelle organisation de l' église et refuser d'abord de prêter le serment "Liberté-Egalité"  ; leur comportement avait été dénoncé lors de la plantation de l'arbre de la Liberté, le 25 mai 1792, où elles avaient refusé de sonner les cloches de leur église et subi des menaces de "voie de fait". Le 13 janvier 1793 elles avaient laissé devant leur porte le corps d'une religieuse décédée, car elles refusaient de laisser entrer chez elles un prêtre constitutionnel, au scandale de la municipalité qui "avait objecté que la religion était toujours la même" Délibérations communales aux dates indiquées. Cf. Abbé J.Salmon, "Les Annonciades, les Trinitaires de Bourmont et leur bibliothèque", C.H.M. n°141, 1980, p.49-57.
 
28bis. Les troubles du 16 floréal à Bourmont, passés sous silence dans les délibérations du club et même de la municipalité, furent l'objet d'une enquête du Comité de surveillance, registre L 1764. Ils survinrent quelques jours après une grêle, qui fut interprétée comme une "punition du ciel" à la suite de l'interdiction des messes : selon le témoignage d'une femme "...elle s'était portée au district avec beaucoup de femmes dans le désespoir qu'elle était du ravage que la grêle venait d'occasionner, que le seul motif de ce rassemblement était de présenter à l'administration pour savoir d'elle si les lois défendaient de faire les prières accoutumées à l'effet d'obtenir miséricorde de la part de l' Être Suprême". On accusa un Nicolas Laval d'être à l’instigation du mouvement, celui-ci aurait dit " qu'il fallait que les femmes allassent au district pour faire ouvrir les églises et que si le district s'y refusait il fallait le foutre au diable". Mais des raisons sociales paraissent s'être mêlées aux motifs religieux de la révolte, puisque l'on évoqua des "menaces d'atteintes aux propriétés" et 'd'incitation "à la guerre civile" selon un autre témoin, "...étant entré dans la maison du citoyen Laumont, il y avait trouvé led. Foucault avec d'autres, qui a dit que s'ils étaient une vingtaine comme lui, ils iraient à l'heure de midy dans les maisons aisées prendre sur leurs tables leurs subsistances pour la partager avec lui en disant que nous étions tous égaux, et que sans faire réflexion à la Révolution, il irait indistinctement chez les citoyens de la commune porter violence avec une vingtaine d'hommes pour exécuter son projet " . Il faut préciser qu'à ce moment, Bourmont connaissait une grave pénurie alimentaire : selon le recensement de grains opéré par les autorités, avec le concours de la société populaire, cf. infra, la ville n'avait plu que 40 quintaux en réserve et comptait 400 individus, sur 1 100, sans subsistance. Délib. mun., 16 & 19 floréal an II.
 
29. Rappelons que Robespierre, hostile à la déchristianisation, soupçonné d'être une manoeuvre désagrégatrice des "factions", avait conçu l' Être Suprême et le culte civil national comme un compromis susceptible de réconcilier, les croyants et la Révolution. Cette tentative, politiquement habile, mais trop tardive, tombait à pic dans le cas de Bourmont, où elle évita les formes les plus agressives de l 'iconoclasme déchristianisateur de l'automne 1793. Cf. notre étude sur "Le culte de l' Être Suprême dans l'Oise", Actes du colloque de Chantilly, novembre 1986, Paris, 1988, p.387.
 
30. Le procès-verbal de la fête, envoyé sous la forme d'une adresse à la Convention, est transcrit dans le registre du club à la séance du 23 prairial an II.
 
31. Par mesure de rétorsion, on décida "...que ces jeunes citoyennes fussent averties de s'abstenir à l'avenir de se trouver aux séances de la société ". 3e sans culottides an II. Il s'agissait donc des jeunes filles des écoles. 
 
32. Délibérations communales de Bourmont, 6 prairial et 23 messidor an III. Si les réticences du club de Bourmont face à la déchristianisation sont intéressantes, elles ne sont pas un cas unique : on observe des phénomènes comparables dans des clubs nombreux, au fonctionnement démocratique, comme à Crépy-en-Valois ou Abbeville, en Picardie. Celui de Bar-sur-Seine dans l' Aube, peuplé de nombreux prêtres, demanda la reprise des offices catholiques par sa pétition du 1er janvier 1794, jour de la fermeture des églises de la ville. Abbé Prévost, Histoire du diocèse de Troyes, t.II, p.627. 
 
33. Le 18 frimaire, toutefois, on fit le projet d'une adresse aux communes du district pour les engager à fournir le marché et dénoncer les infractions au maximum ; il fut à nouveau question de nommer des commissaires "pour la surveillance active de cette loi". 
 
34. "Ce qui met les craintes et les inquiétudes non fondées dans le peuple relativement aux grains, ce sont les plaintes de quelques particuliers malveillants dont la plupart commettent des recels de cette espèce de denrées" déclara un membre, à la séance du ventôse.
 
35. Le "comité de bienfaisance" créé le 15 germinal an II était en réalité un comité de "défenseurs officieux", composé d'hommes de loi. La municipalité de Bourmont organisa la distribution des secours aux indigents lors de l'assemblée communale du 1er messidor, où l'on adopta aussi la taxe, du salaire, des moissonneurs, mis en réquisition.
 
36. Délibérations communales. Le partage des pâquis communaux, trop petits, fut repoussé à l'unanimité ; on partagea en revanche 237 arbres à abattre, à titre d'affouages.
 
37. À l'instar de ses consœurs, la société de Bourmont fit de nombreuses collectes en faveur des "défenseurs de la patrie", constamment mis à l'honneur : dons en argent, en vêtements, en équipements et en armes ; elle recueillit aussi des fonds pour l'armement d'un "cavalier jacobin", émit le projet d'une manufacture de baïonnettes, s'occupa du salpêtre républicain...Elle "oublia" cependant l'argenterie et les cloches des églises. 
 
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