Il en va de l'économie comme du football, c'est toujours les Allemands qui gagnent à la fin.
Merci à Gilles Raveaud pour son cours d’économie pour les Nuls.
À lire et à partager sans modération.
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« On n’a pas fait l’Europe pour se retrouver dans un nouveau Reich allemand. »
Gilles Raveaud
Professeur d'économie, Université Paris 8, St Denis.
Il est cocasse de voir Jean Quatremer expliquer, mal, ce que les critiques de l'euro, Stiglitz par exemple, disent depuis 20 ans. Par contre, Frédéric Farah développe un point essentiel, et qui reste très méconnu.
Pour la vidéo, c'est ici!
Les monnaies nationales
Avant l'euro, il y avait des monnaies nationales, notamment le Deutschemark et le Franc Français. L'Allemagne exportait plus qu'elle n'importait : elle avait un excédent commercial. La France, c'était
l'inverse : elle avait un déficit commercial.
Prenons le cas de Renault, qui achetait une machine-outil allemande pour fabriquer la R18 de mon papa. Le commerce international a une spécificité qui change tout : il implique des monnaies de pays différents. Renault ne peut pas acheter la machine allemande avec des Francs Français. C'est impossible. Car l'entreprise allemande, mettons qu'elle s'appelle Motor, a besoin de Deutschemarks pour payer ses salariés, ses fournisseurs, ses impôts. Que fait donc Renault ? Elle achète des Deutschemarks, en vendant en échange des Francs ; noter que si, pour une raison quelconque, Renault n'avait pas la possibilité d'acheter des Deutschemarks, elle ne pourrait pas acheter la machine de Motor,
en tous cas pas légalement.
En conséquence : la demande de Deutschemarks (DM) augmente, tandis que l'offre de Francs (FF) augmente. La loi de l'offre et de la demande s'appliquant, la valeur du DM augmente, tandis que celle du FF diminue. On dit que le DM "s'apprécie", tandis que le FF "se déprécie". Autrement dit encore, le taux de change 1 du DM augmente, tandis que celui du FF baisse.
Feu le Système Monétaire Européen (SME)
Les personnes âgées comme moi ont connu le Système Monétaire Européen, ou SME. Dans ce système, les taux de change étaient fixés. Ils étaient décidés par les ministres des finances. C'était une décision administrative, politique, appelez ça comme vous voulez. Mais il s'agissait donc de ce que nous économistes appelons un "faux prix", c'est-à-dire un prix qui ne résulte pas du "libre" fonctionnement du marché ; par exemple, aujourd'hui, le prix du timbre postal est un faux prix ou le SMIC, etc.. Les faux prix ne sont pas - du tout - forcément un problème. Là où le problème peut survenir, c'est lorsque une autorité administrative impose un prix pour un bien qui est librement acheté et vendu sur un marché, aux prix que souhaitent les acteurs privés. Ce qui était précisément le cas du FF et du DM. Même si les marchés des changes étaient beaucoup mieux contrôlés à l'époque qu'aujourd'hui, ils étaient libres. Le taux de change entre le DM et le FF changeait donc tout le temps, chaque jour.
Vous voyez le problème ? Mettons que selon les règles du SME, le taux de change DOIT être de 1DM = 3FF. Mais si, sur le marché des changes, on constate que 1DM = 4FF, que se passe-t-il ? La règle imposée par le SME est enfreinte. Le prix réel diffère du prix officiel. Mais les États ne peuvent pas interdire les transactions. Leur seule solution est de mettre le taux de change officiel au niveau du taux de change réel : la mine blème, le ministre des finances vient annoncer la terrible nouvelle : ... "Le Franc a été dévalué !". "Encore!", pensent les Français des années 1980. Eh oui, nouvelle blessure dans l'orgueil national, qui "justifiera" les politiques de lutte contre l'inflation pour stabiliser le taux de change avec le Deutschemark. Mais c'est une autre histoire...
Le taux de change disparait à l'arrivée de l' euro
Nous avons donc un premier résultat : les excédents commerciaux allemands poussent le DM à la hausse. Et le Franc à la baisse. Cela a une conséquence concrète très importante : désormais, en France, les produits allemands coûtent plus cher. Il faut en effet plus de Francs pour acheter la même quantité de Deutschemarks qu'auparavant. Puisqu'ils sont plus chers, la demande en France de produits allemands baisse. Mais, avec la création de l'euro, que se passe-t-il ? Le Franc a disparu. Le Deutschemark a disparu. Mais l'excédent commercial allemand, est-ce qu'il a disparu ? Non, évidemment. Ceci dit, le terme n'a plus de sens : est-ce que l'on parle du déficit commercial de la Corse vis-à-vis de Marseille ? Non. Et pourtant, il existe. Cependant, ce déficit n'a pas de conséquences monétaires, puisque la Corse et Marseille utilisent la même monnaie. Eh bien, c'est la même chose pour la France et l'Allemagne : l'excédent commercial allemand n'a plus de conséquences monétaires.
Or, c'est un énorme problème. Cet excédent DEVRAIT avoir des conséquences. Si nous étions dans une véritable économie de marché, il rendrait les produits allemands moins compétitifs en France - et les produits français plus compétitifs en Allemagne. Donc, dans la zone €, nous ne sommes pas dans une économie de libre marché, mais dans autre chose. Dans cet autre chose, il n'y a pas de force de rappel aux déséquilibres commerciaux. Ceux-ci peuvent s'aggraver sans cesse. C'est ce qui se passe dans la réalité. Donc, lorsque des économistes disent que "Dans la zone euro, les produits allemands sont "subventionnés" " - faute d'un meilleur mot -, ils ne font que décrire une réalité. Celles et ceux qui disent le contraire sont soit dans l'ignorance, soit dans l'idéologie.
On peut tout à fait penser que ce mécanisme est bénéfique par ailleurs, ou inévitable, ou tout ce qu'on veut. Mais ils serait bon que nombre de commentateurs fassent sa connaissance, car ce que je décris là n'est pas anecdotique. L'euro existant depuis 20 ans, et l'Allemagne ayant été en excédent toutes ces années, la France étant elle en déficit, les mouvements de taux de change qui n'ont pas eu lieu, alors que la logique du marché les exigeait, sont très importants. Chaque année, le DM aurait dû s'apprécier vis-à-vis du FF ; ou, si vous préférez, chaque année, le FF aurait dû se déprécier vis-à-vis du DM. Cela n'a pas eu lieu. En termes d'importance, c'est, de loin, le premier effet concret de l'euro.
Or je constate que ce mécanisme est très rarement mentionné. Alors que, encore une fois, il ne s'agit pas d'une opinion, mais d'un fait établi, massif, conséquence du fonctionnement basique du commerce international.
Et là, c'est le moment pour vous, cher lecteur, de revoir la vidéo, pour mieux apprécier le cafouillis de Quatremer, et les explications limpides de Frédéric Farah, bien que pressé par les animateurs de l'émission, qui va plus loin que ce que je vous ai expliqué ici.
1. Le taux de change, c'est le prix d'une monnaie nationale exprimé dans les autres monnaies nationales.
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