Il était une fois en Haute-Marne : mon ancêtre a connu le bagne

  François Hacquin 1 est né le lundi 21 novembre 1774 à Rimaucourt. Il est le fils de Pierre Hacquin et d'Anne Maitrot. Il est propriétaire, cultivateur. Il épouse Françoise Blot le lundi 29 octobre 1804 à Rimaucourt.
  À ce jour, je leur ai trouvé 10 enfants, tous nés à Rimaucourt :

  • Claude, mon ancêtre, né le 11 08 1805 ;
  • Marguerite, née le 23 01 1807 ;
  • Marie, née le 06 06 1808 ;
  • Marie, née le 12 09 1809 ;
  • Nicolas-Alphonse, née le 14 02 1813, décédé à l'âge de 13 ans, le 30 11 1826 ;
  • François-Paul, né le 18 10 1814, décédé à 5 ans, le 25 10 1819 ;
  • Simon, né le 04 01 1818, décédé à 1 mois, le 10 02 1818 ;
  • Jeanne, née le 02 01 1819 ;
  • François-Hubert, né le 29 10 1820.

Un "mort civil " 2
  Au début de mes recherches, lorsque je trouve l'acte de mariage de son fils Claude, il est mentionné : "fils de François Hacquin, mort civilement."
 Sur le moment, je me suis dit : " voici le premier athée de la famille". Mais je ne trouve aucune trace de son décès à Rimaucourt avant 1826.
  Ce n'est que lors de recherches à la Bibliothèque Nationale à Paris, que mon fils trouve la signification de l'expression " mort civilement", qui implique une condamnation pénale.
  C'est à partir de ce moment que je commence à rechercher ce qu'il a peut faire pour mériter un tel châtiment.
  En premier lieu, je cherche son décès que je trouve dans les registres de Rimaucourt : le mardi 28 décembre 1852. Donc, il est revenu dans son village natal.
  Après quelques recherches chez le notaire d' Andelot [commune voisine de Rimaucourt], je trouve le cahier des charges [Le tribunal désigne un avocat ou un notaire qui sera en charge de dresser le cahier des charges. Ce cahier doit indiquer les biens vendus sur licitation, leurs montants et leurs conditions de vente ainsi que le jugement qui a décidé la vente. Une fois les modalités de la mise en vente du bien établi, le cahier des charges contenant les conditions générales de vente est déposé au greffe.] de l'inventaire des biens de François, soit une petite maison, d'une seule pièce de 7m sur 4 avec hallier et écurie située rue de la Marne, et 35 pièces de terre dont 8 à la communauté représentant 168 ares et 384 centiares et 27 pièces en propre à François représentant 340 ares et 790 centiares. Je trouve également les dates de 3 jugements nommant un curateur.
  Aux Archives départementales de Chaumont, j'ai bien sur le livre des requêtes du tribunal, le détail de sa condamnation, et la mention de classement. Mais dans ce dernier dossier, rien ne concerne les motifs détaillés de son jugement. Ces documents nous apprennent que :
  Le 6 août 1821, François Hacquin est condamné par la Cour d'Assises de la Haute-Marne aux travaux forcés à perpétuité, à la flétrissure sur l'épaule gauche des lettres "TP" 3, à être exposé aux carcans sur la place publique avec un écriteau mentionnant son nom, prénom, âge, profession, le motif de sa condamnation et la peine encourue, pour avoir tué un homme sans intention de la donner. Il sera déclaré "mort civilement"  tous ses biens seront confisqués et vendus aux enchères.
  Je connais sa peine mais ne sait rien du motif.
  C'est la présidente du Cercle de Généalogie de Haute-Marne qui va débloquer la situation en retrouvant un article du Courrier de la Haute-Marne et Feuilles d'Annonces judiciaires du département en date du samedi 7 avril 1821. J'y apprend que François Hacquin et son beau-frère Henri Lugnier, de Rimaucourt, "étaient violemment soupçonnés d'être les auteurs d'un crime".
  À Chaumont, je trouve, enfin, le dossier comprenant le récit détaillé des évènements.

Une querelle pour une dette
  Le 29 mars au matin, le sieur Routier, huissier à Andelot, est trouvé agonisant sur le bord de la route entre Rimaucourt et Andelot. Il décède le même jour à 7 h du matin.
  Vu l'Arrêt rendu le seize juin 1821 par la Cour royale de Dijon qui met en accusation François Hacquin et Henri Lugnier, cultivateurs, demeurant à Rimaucourt, comme prévenus du crime d'assassinat, les renvoie par-devant la Cour d'Assises de la Haute-Marne pour y être jugés.
  Il y a le jugement, avec la déclaration du jury aux questions posées, l'audition des témoins, plusieurs interrogatoires de François Hacquin, le compte-rendu de l'autopsie du sieur Routier, et concernant l'exécution, une partie de la sentence infligée à savoir : l'exposition au carcan sur la place de l' Hôtel de ville de Chaumont le 16 août 1821 et flétrissure des lettres TP au fer brûlant sur l'épaule droite.
  Le 28 mars 1821, vêtu d'un pantalon et d'une veste de serge [tissu produit avec l'une des trois armures principales de tissage appelée le sergé], d'une blaude bleu, chaussé de sabots, François Hacquin se rend au cabaret de Pierre Guillaumot, convoqué par Claude Routier, huissier à Andelot. Il y retrouve également Henri Lugnier, Simon Blot, ses beaux-frères, et Nicolas Hacquin son frère.
  Auparavant, Claude Routier avait engagé divers actes de procédure pour obliger Hacquin et Lugnier à se libérer envers leur débiteur. Ces derniers étant dans l'impossibilité de tenir leurs engagements, ils s'étaient déjà répandus en menaces contre lui.
  Routier, très effrayé, avait essayé de se faire accompagner à ce nouveau rendez-vous. Mais la personne pressentit avait refusé. Arrivé à destination, il avait demandé à la femme du cabaretier d'aller chercher Hacquin et Lugnier, mais celle-ci avait également refusé redoutant une nouvelle querelle dans son établissement, comme lors de leur précédente rencontre. On envoya un enfant les chercher.


Une blaude bleue, ancienne blouse de paysan.


  Claude Routier les somme alors de s'acquitter de leur dette, des fermages dus à Monsieur de Rouyère de Reynel, sinon il devra saisir leurs biens pour les vendre aux enchères.
  Une dispute s'engage : sur le montant de la somme due ; l'huissier réclame 900 Frs ; François Hacquin parle de 400 Frs environ. Hacquin affirme ensuite que Claude Routier, dans une précédente rencontre, leur a accordé un délai de 15 jours pour s'acquitter de leur dette.
  Le ton monte! Ils ont déjà bu trois bouteilles de vin. François Hacquin dit à Routier qu'il ne tient pas sa parole, qu'ils ont jusqu'à dimanche pour payer ce qu'ils doivent ; les injures commencent ; l'huissier est accusé de ne pas mériter la place qu'il occupe ; il ne vaut même pas la peine d'être jeté à l'eau ; il est traité de faux cul, l'expression existait déjà en 1821, et sommé de "foutre le camp".
  Hacquin avouera d'une manière bien remarquable l'assassinat de Routier à son voisin Jean Brun en s'exprimant ainsi : "on dit une drôle de chose, on dit que Routier est mort sur le chemin d' Andelot" ; en finissant ces mots, Hacquin changea de couleur et s'éloigna.
  Ce même jour et hors de l'information préparatoire, le maire de Rimaucourt demande au Juge de paix le résultat du rapport des chirurgiens et si Routier est mort assassiné. La réponse du magistrat est affirmative et Hacquin qui est présent, pâlit, sa figure se décomposa et il répandit des larmes malgré les efforts qu'ils faisaient pour se retenir. Ensuite, son visage se couvrit de sueur. Ainsi, le Juge de paix lui ayant fait subir un interrogatoire, sa physionomie manifestait la plus vive inquiétude durant tout ce temps. Enfin, depuis son arrestation, il avait pour ainsi dire fait l'aveu de sa culpabilité en donnant à entendre "qu'il connaissait l'auteur de l'assassinat".
  Ni dans les interrogatoires, ni dans le jugement retrouvés, François Hacquin n'a avoué franchement avoir assassiné Claude Routier.
  L'autopsie révèle que celui-ci a été battu avec un objet contendant, entrainant de nombreuses fractures et des blessures à la tête ; que près du corps on a découvert des écorces de cerisier et que, précisément, près du cabaret, il y avait un tas de fagots de cerisier mais, François Hacquin, dit ne pas l'avoir vu.
  " Le chirurgien requis à l'effet de visiter le cadavre ayant examiné celui-ci dans toutes ses parties du fait de l'ouverture tant du crâne que de l'estomac, découvrira quatre blessures à la tête. Deux de ces blessures pénétraient jusqu'à l'os, la dissection fit découvrir que les deux pariétaux [ Les pariétaux sont deux os crâniens plats qui forment le sommet et les côtés de la calotte crânienne (voûte)] ainsi que l'os temporal étaient fracturés, la masse cérébrale ayant été mise à découvert, il s'en échappa un sang noir et épais et la totalité du cerveau était infiltrée. Le reste du corps était dans l'état naturel. Tous ces signes convainquirent le chirurgien que Routier était mort par suite de violence exercée sur la personne à l'aide de corps contendant".
  Le 6 août 1821, François Hacquin est condamné aux travaux forcés à perpétuité, a être exposé au carcan sur la place publique avec un écriteau au-dessus de sa tête mentionnant en gras et très lisible son nom, son adresse, sa profession, le délit commis et la peine subit, durant une heure ; ensuite, il sera flétri sur l'épaule droite des lettres TP, avec un fer brûlant.


La flétrissure des condamné(e)s exposé(e)s au carcan (Illustration extraite de P. Zaccone, op. cité)

   Il est condamné en outre au remboursement des frais du procès envers l' Etat. Ordonne que que le présent Arrêt sera exécuté à la diligence du Procureur du Roi après les délais accordés au condamné pour se pouvoir en cassation. Quand à Henri Lugnier, il est acquitté.

Le bagne
  François Hacquin sera d'abord détenu à la prison de Chaumont. Au deuxième trimestre 1821, il figure sur la liste des détenus pour 146 jours, c'est-à-dire depuis la date de son jugement. En revanche, il n'apparait pas sur celle du premier trimestre de la même année, ni sur celle du premier trimestre de l'année suivante, 1822. Il arrive au bagne de Toulon le 8 mai 1822 et porte le matricule 17481.

Le matricule 17481

Le bagne portuaire de Toulon fut créé en 1748 par l'union du corps des galères et de la Marine dans le but d'utiliser les galériens pour la construction des vaisseaux du roi. Il ne disparaitra qu’en 1873, longtemps après ses équivalents de Brest (1858) et de Rochefort (1852). Il a accueilli plus de 4 000 forçats.

  Sa fiche signalétique le décrit comme suit :
  • né en 1774 à Rimaucourt, département de la Haute-Marne.
  • taille : un mètre soixante trois centimètres ; 
  • cheveux : châtain foncé ; 
  • sourcils : idem, épais ; 
  • barbe : châtain clair ; 
  • visage : ovale ;
  • yeux : gris ; nez : mal fait ; 
  • bouche : moyenne, menton ;
  • front : bombé.
  • une forte cicatrice sur le sourcil droit, une petite cicatrice sur l'index droit, visage marqué légèrement de la petite vérole.
  Il sera transféré au bagne de Brest le 6 septembre 1829 et y arrivera le 15 octobre. Il aura le matricule 18621.

"Pendant près d'un siècle, de 1749 à 1858, plusieurs dizaines de milliers de prisonniers passent ainsi par Brest, travaillant enchaînés sur le port qu'ils contribuent à aménager en élargissant les quais ou en faisant reculer les falaises, ou en ville en participant par exemple à la première réalisation du cours Dajot."  http://mariepierre86.centerblog.net/614-le-bagne-de-brest

  Sa fiche signalétique reprend les éléments de celle de Toulon, en y apportant quelques nouveaux éléments ou différences :

  • une cicatrice au coin du sourcil gauche ;
  • sommet de la tête dégarni de cheveux ;
  • plusieurs petites cicatrices sur le cou derrière la tête ;
  • barbe : châtain clair grisonnante ;
  • yeux : bleu mêlé de roux ;
  • nez : petit et pointu ;
  • menton : rond à facette ;
  • oreilles : percées ;
  • poitrine : velue.

  7 années de vie rude sont passées par là...
  Par décision royale du 15 novembre 1831 sa peine est commise en 10 ans de travaux et il sera libérale en 1841. Par décision royale du 20 août 1837, il est gracié. Il retournera à Rimaucourt où il mourra le 28 décembre 1852.Quand à son épouse, Françoise Blot, elle décèdera le 13 décembre 1848 à Rimaucourt.
  Parmi mes recherches, je n'ai pas oublié, la victime, Claude Routier. J'ai retrouvé quelques uns de ses ancêtres jusque vers 1695 et sa descendance est en cours. Il se trouve que mon voisin et ami généalogiste, Raymond Jacquot [celui-ci a consacré plusieurs portraits aux déportés politiques haut-marnais, communistes et syndicalistes, à Auschwitz, durant la seconde guerre mondiale ], a pour ancêtre la soeur de Claude Routier. Il m'a certifié ne pas me tenir rigueur de ce que mon ancêtre avait fait...

[...]

   Pour retrouver la mémoire de François Hacquin, un de mes amis a essayé, d'après les descriptions de bagne, de faire un portrait-robot ; il a réalisé trois esquisses. À l'unanimité, le choix s'est porté sur celle qui nous est apparue comme étant la plus familière et correspondant le mieux à la famille. À prendre, comme il convient, avec les réserves nécessaires.

Portait-robot de François Hacquin


Extraits de Mon ancêtre a connu le bagne, Josiane Hacquin, Racines Haut-Marnaises, Centre généalogique de Haute-Marne, P.20-27, n°71, 3ème trimestre, 2009.

Notes

1. Le nom de Hacquin serait une forme contractée de Haquelin, vieux cheval maigre, dérivé lui-même de Haque, cheval hongre. Mais, il désigne également aussi une charrette longue et étroite nommée Haquet, qui servait au transport des tonneaux & ballots. Surnom de celui qui conduit un haquet.

2. "... Sous l’Ancien Régime, flétri, marqué et violenté, le corps du condamné incarne le monopole étatique du droit de punir et l’atrocité du crime. La stigmatisation, l’infamie et la flétrissure forgent la « pédagogie de l’effroi », que l’exécuteur de la haute justice (bourreau) déploie sur l’échafaud afin d’intimider la foule, voire prévenir le crime par la terreur du châtiment. [...] Avec la « marque d’un fer chaud imprimée par l’exécuteur des jugements criminels sur l’épaule d’un condamné pour crime qui mérite peine afflictive », la flétrissure, comme processus pénal d’infamie, frappe moralement le justiciable, en afflige le corps. En rendant visible la condamnation, « indice » du crime, elle ajoute à la stigmatisation la souffrance expiatoire de la brûlure Si la marque est l’« indice » du crime perpétré, le corps incarne le casier judiciaire qui n’existe pas avant 1848...[...] Usage millénaire de la flétrissure corporelle qu’en France le code pénal de 1791 abolit, mais que celui de 1810 rétablit avec la marque sur l’épaule (T pour travaux forcés à temps ; T.P. idem à perpétuité ; F pour faussaire), infligée sur la place publique à tout homme condamné à la peine des travaux forcés à perpétuité, avant que la loi de 1832 ne l’abolisse." https://www.cairn.info/revue-sens-dessous-2012-1-page-47.htm

3. La condamnation aux travaux forcés entraîne la déclaration de "mort civilement". Il s'agit d'une peine complémentaire à une condamnation aux travaux forcés. Etaient déclarés "mort civilement" : le clergé séculier, les condamnés à mort, les condamnés aux travaux forcés à perpétuité & les condamnés politiques. Les épouses étaient déclarées veuves ou divorcées ; si par la suite il y avait un enfant , l'enfant était reconnu comme illégitime ; leurs biens étaient vendus aux enchères ; ils ne pouvaient plus exercer certains métiers et, dans certains cas, ils devaient payer pour travailler ; sils acquéraient de nouveaux biens ceux-ci revenaient à l' Etat. La "mort civile" a été abolie d'abord pour les condamnés politiques, loi du 8 juin 1850, puis définitivement, loi du 31 mars 1854

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