L'épisode napoléonien, aspects intérieurs, 1799-1815, épisode X

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  Selon P. Alatri, peu de choses seraient restées vivantes de cet héritage chez de bien pâles épigones [disciple sans originalité], en dépit d'une apparence de continuité, voulue et affirmée. À l'opposé, S.Moravia 33 voir bien dans les Idéologues les héritiers directs des philosophes, et dans l' Idéologie non point le reflet attardé d'une pensée révolue, mais "l’exigence d'une médiation permanente entre culture et politique". Un pensée, donc, insérée dans l'histoire de son temps. À notre sens, la filiation est vivante et incontestable. Pas davantage ne peut être mise en doute la volonté militaire d'une élite qui a été autant politique qu'intellectuelle, et a tenté d'assumer une sorte d"hégémonie dans les années qui séparent les lendemains de Thermidor des lendemains de Brumaire. Mais les hommes du groupe des Idéologues n'ont pas eu de "tête" politique : sans quoi ils n'eussent pas eu besoin de rechercher Bonaparte. Ils ont brillé seulement dans ce que Moravia appelle "l'organisation de la culture", pour organiser l'instruction publique et la vie scientifique à tous les niveaux, ce qui revenait d'ailleurs à préparer, mais à très long terme, de nouveaux accomplissements politiques. Dans la pratique politique courante, en revanche, ils ont multiplié les erreurs de calcul, et essuyé deux revers irréparables. avec Daunou, "père" de la Constitution de l'an III, ils ont cru - jusqu'en Fructidor [coup d'État du 18 fructidor an V, 4 septembre 1797; coup de force des anciens Directeurs républicains, Barras, La Révellière-Lépeaux, Rewbell, contre la nouvelle majorité des Conseils du Directoire] - qu'un édifice politico-constitutionnel élégamment agencé pouvait suffire à résoudre les profondes contradictions nationales nées des premières années de la Révolution. Avec Sieyès, Cabanis et bien d'autres "brumairiens", ils ont cru - ou feint de croire, par découragement, par défaut d'une autre issue - que Bonaparte accepterait de voir réglementer l'exercice du pouvoir exécutif renforcé, ou du moins se plierait à la coexistence d'un pouvoir clairement affirmé, en fin de compte, par la Constitution de l'an VIII, et d'un système représentatif garant de exercice des libertés publiques. Mais l'échec politique, au bénéfice du pragmatisme napoléonien, signifie-t-il la nullité des Idéologues et de l' Idéologie? ou seulement que les idées, cette fois, n'ont pas été en avance sur la réalité, capables d'élaborer une solution de rechange adaptée à un état de crise?

 

Le 18 fructidor An V, par A. Raffet

   La filiation est à la fois claire, et illustre. C'est celle de Condillac [Etienne Bonnot de, 1715-1780 ;  homme d'église, philosophe empiriste ; fondateur du sensualisme. Le sensualisme est un empirisme radical qui fait de la sensation, avec le concours du langage, l'unique origine de toutes les connaissances et de toutes les facultés. "Autant nos sensations peuvent s'étendre, autant la sphère de nos connaissances peut s'étendre : au-delà toute découverte nous est interdite."] dont on se bornera à rappeler ici l'importance comme inspirateur de la méthode scientifique chez les idéologues, bien que le philosophe sensualiste ait été, aussi, un économiste, et contribué à renouveler la définition de la propriété, "Tous les citoyens sont, chacun en raison de son travail, co-propriétaires des richesses de la société.". Engagés dans les transformations de la France révolutionnaire, les Idéologues sont, tout autant, tributaires de ceux de leurs prédécesseurs qui ont le plus fortement insisté sur les principes d'un bon gouvernement, sur le "perfectionnement de l'état social" : Mably, Helvétius, Condorcet - les classiques des écoles centrales, surtout le dernier, dont les Idéologues vénèrent l' Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain - "dernier monument de l'esprit et du caractère d'un grand homme", a écrit Roederer dans le Journal de Paris en l'an III.

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Étienne Bonnot de Condillac, Académicien, élu en 1768 au fauteuil 31

  Mais le cours même de la Révolution a infléchi et durci chez les Idéologues les lignes de la philosophie des Lumières. Chez les philosophes, l'établissement du gouvernement le plus propre à faire le bonheur du public est envisagé en deux étapes. Dans un premier temps, il n'est pas question d’abandonner à tous "le droit si effrayant de réformer", Mably [Gabriel Bonnot de Mably, 1709-1785 ; frère de Condillac ; homme d'église ; philosophe ; "...Mably donnera une tournure concrète à ses réflexions, en réponse aux sollicitations des confédérés de Bar, lorsqu’il publiera Du gouvernement et des lois de la Pologne en 1771, cherchant, avec Rousseau, les solutions de la survie de cette monarchie républicaine et anarchique..."], Entretiens de Phocion sur le rapport de la morale avec la politique ; la loi ne peut être élaborée par les hommes sans fortune, sans éducation, d'occupation servile ou salariée. Mais cette incapacité politique n'est pas conçue comme définitive. "Dans les hommes les plus humiliés par la fortune, je crois voir des princes détrônés qu'on retient dans les fers", continue Mably. Helvétius [Claude Adrien, 1715-1771 ; philosophe et poète ; élabore un système matérialiste et sensualiste qui défend l'égalité naturelle des hommes, un athéisme relatif et une morale utilitariste. Il considère l'homme comme le produit de son environnement et de son éducation] et Condorcet [Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de, 1743-1794 ; Académicien, élu en 1782 au fauteuil 39 ; "...il vota avec les Girondins et fut mis en accusation le 3 octobre pour avoir combattu la constitution de 1793 ; il se cacha pendant huit mois chez une amie, puis, dans la crainte de l'exposer aux fureurs jacobines, il partit de chez elle ; arrêté à Bourg-la-Reine dans sa fuite, il s'empoisonna dans sa prison, le lendemain, le 28 mars 1794..."] aperçoivent l'émancipation politique des classes populaires au terme d'un processus de diffusion de la propriété, ce "Dieu moral des Empires", Helvétius, et de l'instruction, qui permettra au peuple de choisir et de surveiller ses mandataires. L'égalité devient, dans la dixième époque de l'Esquisse de Condorcet, le "dernier but de l'art social". Les Idéologues en sont, évidemment, à la première étape. Après avoir vécu, de 1789 à 1791, le temps de "la philosophie laborieuse et bienfaisante", ils ont connu la "tyrannie éphémère" de la Terreur, le déchaînement de "tous les vices des esclaves", Daunou.

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Entretiens de Phocion sur le rapport de la morale avec la politique

Robespierre leur parait ainsi incarner à proprement parler la Contre-Révolution. Marie-Joseph Chénier parle d'une République "dominée par d'ambitieux ignorants". Cabanis, après Brumaire, condamne rétrospectivement la "démocrate pure", "odieuse à tous les hommes sages et à tous les gens de bien" par "l'état continuel d'agitation et d'inquiétude où elle tient tous les citoyens ; les persécutions contre les talents et les vertus, qui semblent être de son essence". La république souhaitée est donc désormais d'un caractère nettement "aristocratique". On sent bien là que la bourgeoisie n'est plus qu'elle-même, qu'elle n'est plus capable de s’identifier comme en 1789 à toute la nation. L'évolution intérieure de la France sous le Directoire aidant, l'idée de la république se fait de plus en plus "défensive", le "juste milieu" ressemble de plus en plus à la conservation, la notion d'ordre devient centrale. "L'ordre! l'ordre! voilà l'objet de toute constitution, la tâche de tout gouvernement, le principe de toute prospérité publique. L'ordre est la sagesse de la nature", Roederer. "Dans ce motif ", note S.Moravia, "s'exprime aussi bien l’exigence philosophique de fournir à la réalité un cadre conceptuel déterminé, que le souci de défendre l'Etat contre les menaces des factions extrémistes". À quoi, dès Fructidor, fait echo la Décade philosophique : "Lorsque le calme n'est pas encore rétabli dans un Etat si longtemps agité,  il faut laisser au pouvoir exécutif une grande force pour qu'il puisse comprimer toutes les factions". Nous voici au coeur du malentendu ou de duperie réciproque. On comprend que Bonaparte, ce "philosophe qui aurait paru un temps à la tête des armées", ait souhaité l'appui, avant le coup d’État et, ultérieurement, la coopération des Idéologues, personnages compétents et non pourvus de prestige. On conçoit également que, chez les hommes du XVIIIe siècle ayant foi dans la puissance des idées, et flattés des égards de Bonaparte témoignait à l' Institut, on se soit insuffisamment interrogé sur les suites politiques du coup d’État projeté - encore que plusieurs aient manifesté inquiétude ou perplexité. Aucune garantie n'existait que le résultat serait bien de porter au pouvoir ceux qui se jugeaient les meilleurs parce que les plus éclairés.
  L'équivoque subsista jusqu'à ce que Bonaparte ait pris en main la nouvelle constitution, et même jusqu'à ce que les nouvelles institutions aient commencé à fonctionner et le nouveau pouvoir exécutif à façonner le régime. Alors éclata l'opposition des conceptions entre le général et les penseurs du groupe brumarien. Pour Bonaparte, "gouverner par un parti, c’est se mettre tôt ou tard dans sa dépendance ; on ne m'y prendra jamais : je suis national". "Les Français ne peuvent plus être gouvernés que par moi." Le mépris est absolu de toute médiation politique, de tout régime représentatif impliquant par sa nature même un libre rapport avec l'opinion publique. Dans cet affrontement, Bonaparte partait nécessairement gagnant. C'était en lui, en effet, que devaient se reconnaitre les Français, et non point dans les Idéologues, dont les malheurs politiques n'émurent jamais la sensibilité publique : on savait bien qu'ils voulaient enfermer dans l'oubliette des mauvais souvenirs les années de la République "populaire", et clore l'ère de la démocratie politique et sociale.
  Tant qu'ils en eurent les moyens, les Idéologues choisirent l'opposition ouverte - à l'exception de Roederer, le seul à être entré au Conseil d’État et à avoir senti le caractère irrémédiablement négatif de leur opposition. Malgré leur isolement, les Idéologues ne furent d'ailleurs pas facilement éliminés par Bonaparte. Ils constituèrent jusqu'à la fin, pour Napoléon, "une sorte d’obsession récurrente ", note S.Moravia : "intellectuels faibles en tant que parti politique, hors d'état de capter l'opinion publique, tentés de se retirer de la politique active, et pourtant obstinément non alignés, réfractaires à toute
intégration dans le système
".
  Les Idéologues, contraints à la retraite politique, réussirent à conserver leur influence intellectuelle. 34 Ainsi Destutt de Tracy échelonne-t-il jusqu'en 1815 la publication de son grand traité d'Idéologie, montrant une remarquable perméabilité aux courants du libéralisme économique puisque le troisième volume, 1805, et le quatrième, 1815, postérieurs à la traduction française d' Adam Smith, 1800, par germain Garnier, et de Malthus, 1809, élèvent leur auteur au rang d'émule de J.S.Bay. et de Saint Simon. D'autres, plus discrètement, animent certains salons libéraux comme celui que tient depuis 1809, au faubourg Saint-Germain, la princesse de Salm-Dyck [Constance de Théis, 1767-1845 ; femme de lettres ; "...La comtesse y tient jusqu'en 1824 un salon littéraire très brillant.(...) Elle recevait également Alexandre Dumas, La Fayette, Talma, Jussieu, Alexander von Humboldt, des artistes comme Girodet, Grétry, Houdon, Augustin Pajou, Pierre-Narcisse Guérin, Carle Vernet, etc. Très mélangé, son salon était ouvert aux Idéologues comme aux libéraux de la Décade philosophique, le faubourg Saint-Germain y croisait la noblesse d'Empire, et beaucoup de francs-maçons de la « loge des Neuf Sœurs » s'y retrouvaient].

 

Portrait de Constance de Theis, princesse Salm-Dyck.David d'Angers, Pierre-Jean, 1829,  Musée Carnavalet, Histoire de Paris

  Des luttes communes ont associé à nos yeux le groupe des Idéologues et les noms de Benjamin Constant et de Mme de Staël. De fait, Constant s'est trouvé à la faveur de son talent personnel d'orateur parlementaire et de polémiste politique porté à la tête du groupe des opposants au sein du Tribunat. Quand à Germaine Necker, son salon - quand elle put séjourner à Paris - fut un véritable club politique fréquenté aussi bien par les adversaires du régime que par des modérés aussi proches de celui-ci que les propres frères du Premier Consul ; et la surveillance policière dont il fut l'objet prouve qu'entre Bonaparte et Mme de Staël il y avait beaucoup plus qu'un conflit de personnalités.
 Toutefois, Constant et Mme de Staël ont été sans doute des "compagnons de route" des Idéologues plus que des esprits apparentés totalement à ces derniers. Sur le plan théorique, ils ont eu en commun avec eux certains idéaux de la philosophie des Lumières, mais se sont aussi trouvés en opposition sur des points majeurs, en sorte qu'ils s'apparentent aussi bien à certains égards au courant de la réaction antiphilosophique. Roland Mortier insiste, pour l'une comme pour l'autre, sur les origines : les pays du Refuge calviniste français, où religion et lumières, à l'inverse de ce qui se passait dans les Etats catholiques, n'étaient pas considérées comme incompatibles, mais plutôt comme complémentaire 35, où tout un protestantisme libéral et rationaliste respecte les valeurs humaines, adhère aux idées de tolérance et de liberté - mais, inversement, maintient la religion comme fondement de la morale et de la politique. De là, chez Constant, la condamnation de l'athéisme matérialiste ; et chez Mme de Staël, la fidélité simultané à la foi et aux Lumières, récusant comme "vrais" philosophes ceux qui font profession d'athéisme. "Vous ne me suivez pas", disait-elle à Destutt de Tracy, "dans le ciel ni dans les tombeaux. il me semble qu'un esprit aussi supérieur que le vôtre et détaché de tout ce qui est matériel par la nature de ses travaux, doit se plaire dans les idées religieuses, car elles complètent tout ce qui est grand, elles apaisent tout ce qui est sensible et, sans cet espoir, il me prendrait je ne sais quelle invincible terreur de la vie et de la mort."
  De Benjamin Constant, disons avec Sismondi [Jean Charles Léonard Simonde de, 1773-1842 ; historien et économiste suisse ; "...Il défend l'intervention de l'État dans les mécanismes économiques en vue de protéger les travailleurs contre les conséquences néfastes d'un laisser-faire absolu. Ses idées ont influencé Marx..." Larousse], et pour ne point tomber dans les ornières d'une histoire " à la Guillemin"[Henri, 1903-1992 ; historien de "passion et de conviction" ; « Lecteur, sois dûment averti… tu ne trouveras pas, sous ma plume, de l’histoire mais du “pamphlet”. Pamphlet est le nom que porte l’histoire dès qu’elle s’écarte des bienséances et des mensonges reçus. Je dis bien mensonges. Il n’y a pas d’histoire objective »] : "Je sais bien qu'il est resté fort au-dessous de ce qu'il pouvait être, mais il paraît en même temps, s'être élevé fort au-dessus de ses contemporains." Ses interventions au Tribunat ont en tout cas, par la rigueur de leurs analyses critiques, fait progresser la jeune science politique, et admirablement défini les conditions juridiques nécessaires à la sauvegarde de l'exercice des libertés ; la nécessité d'établir des rapports plus étroits entre le gouvernement et la nation, de réduire la distance entre pays réel et pays légal en laissant se développer librement la presse et en accordant toute l'importance possible au système des pétitions ; l'opportunité d'encourager la formation d'une classe politique de plus en plus large, s'initiant notamment à la vie publique dans le cadre des administrations locales. En somme, les points de vue de Napoléon et de Constant étaient inverses. L'opinion publique était en effet au coeur des deux systèmes, le système parlementaire libéral objet des vœux de Constant, le système du pouvoir personnel imaginé par Napoléon. Mais tandis que celui-ci n'a jamais conçu d'autre tactique que de séduire ou d'orienter l'opinion, Constant, en intellectuel et en homme des Lumières, a concentré sa réflexion sur les moyens de l'éduquer et de l'amener au jour, à sa propre conscience et à son efficacité. "Puissance indomptable que la force n'asservit pas, auquel les phrases n'en imposent plus, qui se reproduit après qu'on a tué ses organes, qui, par sa résistance, renverse les institutions, qui les dissout par son inertie" : c'est avertissement, donné par Constant en l'an VIII à l'occasion d'un débat sur la prise en considération des pétitions, prends après coup toute sa valeur si on l'applique à l'histoire intérieure du Consulat et de l'Empire, qui terminèrent leur carrière dans l'indifférence sans jamais avoir cessé d'avoir à se garder contre leurs adversaires. "L'esprit public décide en dernier ressort des destinées nationales."
   Quant à Mme de Staël, si elle s'est toujours écartée - et de plus en plus - des Idéologues sur le plan de la psychologie individuelle, parce qu'elle ne trouvait pas dans le sensualisme et dans le scepticisme la satisfaction d'un tempérament très imaginatif et sensible, elle est à l'époque du Consulat entièrement alignée sur leurs positions en matière de philosophie politique et sociale 36, et c'est à elle qu'ils doivent la défense la plus brillante de leurs thèses sous le couvert de deux œuvres littéraires dans leur forme, parues l'une en avril 1800, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales 37, l'autre en décembre 1802, Delphine. De la littérature nous montre une Germaine Necker en profond accord avec la pensée du XVIIIe siècle, moins encore dans la reprise du thème de la perfectibilité des civilisations que dans la définition d'une littérature "engagée", non point l'un des beaux-arts, mais instrument "d'analyse de l'homme et de transmission des Lumières", S.Moravia, mais philosophie éducatrice. Et aussi, dans la conviction que l'ordre civil et politique doit obéir à des lois rationnelles et scientifiques : "C'est une science à créer que la politique." Quand à Delphine, ouvrage postérieur  à l'élimination de l'opposition politique des Idéologues, il s'attaque plutôt au nouvel ordre napoléonien dans ses aspects moraux et sociaux. Dédié à "la France silencieuse et éclairée", il exalte la liberté hors du domaine politique où la partie vient d'être perdue, critiquant une société qui se réorganise en conformité avec la morale chrétienne traditionnelle et selon un mode d'autorité renforcée de l'homme sur la femme. Ouvrage aussi insupportable à Bonaparte que son auteur elle-même, et dénoncé par le
Journal des Débats comme "très anti-social" et "très dangereux".
  "Dépourvus de tout contact avec les milieux populaires qu'ils méprisaient", écrit J.Tulard des libéraux, ils "se trouvaient sans possibilité d'action." Nul parmi les tribuns apeurés "n'est populaire dans la capitale". les Idéologues et leurs amis se trouvent réduit à n'accepter que des fonctions administratives, tel Daunou aux Archives impériales, à s'exiler comme Mme de Staël, ou à devenir des "émigrés de l'intérieur" - rejoignant paradoxalement l'attitude de certains opposants royalistes : celle de ces anciens nobles qui refusent de prendre des mairies ou d'entrer dans les conseils généraux des départements ; celle de ces praticiens genevois signalés par A.Palluel, vivant "retirés, entre eux, fréquentant le cercle très aristocratique et très fermé de la Maison de Rive - rendez-vous des irréductibles - non hostiles, mais réservés, marquant seulement leur opposition par une anglomanie qui a l'art d'énerver l'empereur" ; ou encore celle de ces grands négociants rémois étudiés par G.Clause, qui mettaient leurs enfants en pension en Angleterre en pleine période du blocus continental! 38

Le temps des complots et des conspirateurs
  Les minorités d'opposition active ont, sous le Consulat et l'Empire, chacune leur méthode de combat. À la plume ou à la parole, utilisées avec courage mais sans grande efficacité par un groupe d'intellectuels qui persistait à croire à une version bourgeoise de la République platonicienne des philosophes, répond chez d'autres la préparation clandestine de l'attentat au poignard, de l'enlèvement ou de la machine infernale. Sans plus de succès au demeurant. Ce sont les royalistes qui s'y sont principalement essayés, bien que les jacobins ou les derniers des babouvistes y aient également pensé.

À suivre...

Louis Bergeron, L'épisode napoléonien, Aspects intérieurs, 1799-1815, p.99-106, Nouvelle histoire de la France contemporaine, Editions du Seuil, 1972

33. S. Moravia, Il tramonto dell' Illuminismo [Le déclin du siècle des Lumières], Bari, 1968. 

34. F. Rude, Stendhal et la Pensée sociale de son temps, Paris, 1967.

35. F. Rude, Stendhal et la Pensée sociale de son temps, Paris, 1967.

36. G.E, Gwynne, Madame de Staël et la Révolution française, Paris, 1969.

37. Editions critique par Paul Van Tieghem, 1959.

38. André Palluel-Guillard, "Les notables dans les Alpes du nord sous le premier Empire", A.C.N., p.741-757 ; Georges Clause, "L'industrie lainière rémoise à l'époque napoléonienne", A.C.N., p.574-595. 

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