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Levons tout de suite une équivoque. En théorie, seul un complot
militaire eût présenté à la fois un réel danger et, s'il eût été
solidement préparé en liaison avec des opposants civils, une
signification politique claire. En apparence, le danger existait : dans
certaines armées comme celle de l'Ouest, bientôt désœuvrée et
indisciplinée, ou du Rhin, où le sentiment républicain demeurait vif ;
chez certains chefs militaires : réellement jaloux et ambitieux, comme
Bernadotte ; de grand prestige militaire et moral, comme Moreau :
irresponsables et impulsifs, comme Malet [Claude-François
de, 1754-1812 ; général, initiateur de la conspiration contre Napoléon,
1812 ; En 1812, la Grande Armée est en Russie, avec l'Empereur. Les
communications sont difficiles, les courriers mettent quinze jours pour
apporter les bulletins à Paris. Dans ces conditions, Malet annoncera la
mort de Napoléon survenue en Russie, la chute du régime impérial et la
constitution d'un gouvernement provisoire..]. Mais les armées ont été éloignées et dispersées, notamment à l'occasion de l'expédition de Saint-Domingue [février-juin 1802]. Les grands chefs militaires ont surtout manifestés de l'irrésolution,
exhalé de la mauvaise humeur plutôt que fomenter effectivement la
sédition. Leurs contacts très réels avec les Idéologues, Mme de Staël,
les opposants du Tribunat et plus tard du Sénat, ont-ils dépassé le
stade de l'opposition de salon? Ménagés dans leurs personnes tout en se
trouvant réduits à l'impuissance, ces opposants ont toujours été
paralysés, en fin de compte, par l'admiration qu'ils conservaient malgré
tout au "tyran", aux aspects positifs d'une admiration éclairée ;
gagnés, aussi, par la conscience du décalage inévitable entre les
institutions idéales - qu'un Destutt de Tracy, par exemple, continue de
définir dans son Commentaire sur l'Esprit des Lois, écrit en
1806-1807- et les possibilités d'insertion de l'idéal dans la pratique
politique. Il est vrai que, la haine commune pour Napoléon Bonaparte
aidant, un front provisoire pouvait se constituer derrière un général
entre Idéologues ou républicains, et royalistes. Tout de même, la
rivalité des polices aidant, et compte tenu de la part de comédie ou de
calcul que pouvait recéler l'attitude de Bonaparte, prompt à grossir les
menaces pour les exploiter dans le sens d'un renforcement de son
autorité, on persiste, à propos du "complot des généraux" du
printemps de 1802 ou de la participation de Moreau à celui de Cadoudal
en 1804, à mal démêler le vrai de l’imaginaire, la conspiration de la
provocation. L'éloignement ou le bannissement pour les principaux
protagonistes, la disgrâce de Fouché en 1802-1804 sont des mesures
apparemment destinées à décourager les opposants d'aller plus loin,
plutôt que des sanctions majeures. Cependant un épisode de l'opposition
militaire semble avoir eu une signification beaucoup plus grave : il
s'agit de l'affaire Malet. Une première fois, en 1808, ce général
républicain avait projeté de renverser l'Empire, peut-être avec la
complicité de Fouché et de Talleyrand, fait qui donne à l'entreprise
toute sa dimension intérieure et internationale. Emprisonné, puis
interné, il s'échappe en 1812 et il s'en faut de peu qu'il ne réussite à
neutraliser toutes les autorités civiles et militaires de Paris,
ridiculisant, notamment les préfets Pasquier et Frochot. Cette fois, les
connivences paraissent avoir été du côté de l'opposition catholique
ultramontaine ; mais surtout, le climat général était à la fin de 1812
beaucoup plus favorable à une réussite du coup de force : éloignement de
l'empereur, pressentiment des revers militaires, crise économique.
J.Tulard pense qu’en cette occasion s'est véritablement révélée la
précarité du pouvoir impérial. Fragilité des institutions, absence
d'enracinement de la dynastie, manque de loyauté de la "classe militaire"
- tout a failli favoriser l'audace d'un officier dont les mobiles, au
reste, étaient probablement d'ordre psychologique et individuel.
Revenons à l'attentat proprement dit. Cette forme d'opposition a
principalement sévi sous le Consulat. Bien que les conspirateurs
jacobins ou babouvistes puissent sans doute revendiquer la
responsabilité d'avoir entrepris les premiers la fabrication d'engin
explosifs, ils ne sont jamais arrivés jusqu'à l'exécution de leurs
projets. La conjuration de Ceracchi et Arena
[Giuseppe, 1751-1801 ; sculpteur ; Joseph Antoine, 1771-1801 ;
adjudant-général. Tous les deux ont participé à la conspiration des
poignards ou complot de l'opéra, visant à assassiner le premier consul
le , à la sortie d'une représentation de l'opéra Les Horaces],
notamment, a été éventée et exploitée par la police d'une façon qui a
facilité l'élimination des opposants républicains extrémistes.
En revanche c'est aux royalistes que revient le demi-succès de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, exécuté, mais sans que l'objectif fut atteint. En 1804, le projet d'enlèvement du Premier Consul et de restauration des Bourbons, conduit par Cadoudal et ses complices, n'est pas arrivé à son accomplissement et, d'ailleurs, a sans doute été partiellement suscité par une provocation policière. En tout cas, l'action des royalistes repose sur l'expérience, les moyens, les réseaux accumulés ou mis en place au cours de dix ans de luttes contre-révolutionnaires. Les conspirateurs peuvent compter, hors de France, sur les princes émigrés et sur l'Angleterre ; en France, sur des "planques" parisiennes, sur des hommes de main recrutés dans les provinces royalistes de l'Ouest et du Midi, dont les soulèvements doivent se déclencher en cas de succès. Un Hyde de Neuville [Jean-Guillaume, 1771-1849 ; député, ambassadeur aux États-Unis, 1815-1821, ministre de la Marine, 1828-1829], agent du comte d'Artois, a en 1800 sa police de Paris. Les recherches de la police, le procès de "Georges" et de ses complices, les lourdes condamnations qui l'ont clôturé, vingt condamnations à mort, ont, à l'automne de 1803 au printemps 1804, effectivement contribué à démanteler les organisations royalistes, à Paris au moins, cependant que la férocité exercée sur le duc d'Enghien, chef supposé d'une insurrection à venir était conçue pour inspirer la terreur. Mais, note J.Tulard, "l'Ouest, notamment la Sarthe, la Mayenne, le Maine-et-Loire et la Loire-Inférieure, demeure assez peu sûr", au moins jusqu'en 1808-1809. Au-delà, on observe le passage à un autre type d'action : sociétés secrètes, sous le couvert d'associations de piété ou de charité.
Jean-Guillaume
Hyde de Neuville :"Ce qu’on nommait ancien régime ne peut revenir. La
monarchie réclame le roi légitime ; mais le temps prescrit de grands
changements dans l’organisation de la monarchie. Il est des monuments
que les révolutions brisent et qu’il n’est plus au pouvoir des hommes de
réédifier..." Mémoires
Il ne faut qu'un instant pour trancher
le fil d'une vie, quand bien même cette vie parait devoir se prolonger
dans celle d'un héritier légitime. Toutes les polices, d'autre part,
peuvent avoir leurs complaisances, leurs trahisons ou leurs erreurs.
C'est pourquoi l'écume des actes de violence, venue si souvent troubler
la sérénité apparente des "eaux" politiques, doit être prise en
considération même si l'ampleur de ce qu'elle recouvre reste difficile à
apprécier. Toutefois, les précautions dont le régime napoléonien a dû
constamment s'entourer ne doivent pas dissimuler qu'il a trouvé un atout
d'une immense valeur dans l'absence de mouvements révolutionnaires de
masses. Il faut rendre compte de cette absence, sans oublier qu'elle
n'exclut pas les mécontentements, et le développement de ripostes
populaires spontanément adaptées aux motifs de ces mécontentements. Le
tout pouvant aboutir à une instabilité à la fois sporadique et
endémique, des régions rurales en particulier.
La désorganisation politique des masses populaires
Sous le Consulat et l'Empire, note J.Tulard, "l'atrophie de la vie politique (est) due à l'éloignement du forum des masses populaires".
Cela est vrai, bien sûr, et c'est bien pour cela que la Révolution est
pleinement terminée. Mais cela n'est pas neuf en Brumaire, puisque la
violence populaire sous sa forme d'organisation politique a cessé d'agir
bien avant Thermidor, et que sous sa forme insurrectionnelle elle a
disparu de la rue parisienne depuis Prairial. Cela n'est pas étonnant
non plus, compte tenu de ce que le mouvement sans-culotte et la brève
tentative d'exercice direct de la démocratie qui lui fut associée,
avaient été principalement le fait de minorités militantes, et que ces
minorités ont été victimes d'une destruction systématique depuis la
chute de Robespierre. Dans un livre récent, R. Cobb 39, excellent
analyste de la vie politique des masses rurales et urbaines, a ramené
l'attention sur les modalités multiples de cette destruction :
désarmement en l'An III, effectif jusque dans les villages ;
emprisonnement temporaire de nombreux militants désarmés, 5 000 à Paris,
peut-être 90 000 pour toute la France, que leur séjour en prison
accule au chômage ou à la ruine ; perfectionnement des méthodes de
répression policière ; dispersion par l'exil, sous les formes de l'envoi
aux armées ou en résidence surveillée. Mais aussi, huit années de
Terreur blanche [nom donné aux mouvements contre-révolutionnaires dirigés par les royalistes contre leurs adversaires. Larousse], 1795-1803, de véritable "anarchie sanguinaire"
dans des régions telles que le Sud-Est et la vallée du Rhône, où se
donnent libre cours tous les raffinements de la cruauté : la Terreur
blanche, a deterrent to popular militancy [un instrument de dissuasion du militantisme populaire],
une guerre de classe autant que l'expression d'une vengeance politique,
soutenue par la complicité des autorités judiciaires. Le mouvement
populaire se trouve réduit à une conspiratorial élite [élite de conspirateurs],
au sein de laquelle l'influence de réfugiés politiques italiens fait
prévaloir la tactique de l'attentat individuel, différente par nature
des modes d'action propre aux masses.
Des bandes armées, « Amis de la justice et de l'humanité », « Compagnons de Jéhu », « Compagnons du Soleil »..., qui perpétraient la Terreur blanche dans les départements en massacrant les républicains. "La Grotte de Ceyzeriat", illustration par Gustave Doré. Bibliothèque de Bourg-en-Bresse
Mais, souligne R.Cobb, il peut y avoir des formes négatives du militantisme populaire : ainsi de la non-participation des sans-culottes au évènements des 9 et 10 thermidor. Ajoutons : ainsi de l'indifférence profonde des Parisiens, au-delà de quelques remous de surface, aux différents complots antinapoléoniens et aux procès qui leur furent associés. Et surtout, la protestation populaire en revient à des formes classiques dont l'examen permet seul de reconstituer la trame quotidienne d'une vie politique dans laquelle la dispersion des incidents bien localisés n’enlève rien à l'authenticité et à la vigueur des réactions.
Les conséquences politiques des crises économiques
Napoléon a toujours considéré qu'avec la victoire militaire, l'abondance et le bas prix du pain constitueraient les bases indispensables de sa popularité. C'est bien ce qui fit son inquiétude en 1812, quand la défaite militaire vint malencontreusement prendre le relais de la disette auprès d'une opinion déjà lasse. Certes, le Consulat et l'Empire ont bénéficié d'une nette récession des mauvaises récoltes, entre 1802 et 1810. Ce n'est pas à dire que, ni en 1801-1802, ni en 1811-1812, il n'ait pas eu à surmonter de sérieuses difficultés, du fait de la résurgence de troubles de subsistances du type habituel sous l'Ancien Régime, troubles dont la coloration politique ne laissait pas d'être aussi inquiétante que le désordre immédiat ou les affrontements sociaux qui en résultaient.
Il faut distinguer, en fait, entre les évènements urbains et les perturbations rurales. Dans les villes, les concentrations des moyens de répression policière, judiciaire, militaire atteignait son maximum d'efficacité. Le recours aux approvisionnements extraordinaires étaient facilité, par rapport aux crises de l'Ancien Régime, par l'extension de la domination française en Europe : R. Cobb note qu'en 1812 Paris, la Normandie, la Somme, le Nord connurent une détente alimentaire assez rapide grâce à des importations massives en provenance des pays rhénans et de Hollande, tandis que Lyon se trouvait de même soulagée par des importations venues de Souabe et du Palatinat. Déjà, en 1801-1802, le gouvernement avait prévenu toute agitation à Paris en confiant à des compagnies de fournisseurs le soin de mobiliser rapidement les excédents des départements réunis ou de l' Europe septentrionale. Au cours des années agricoles euphoriques qui suivirent, il avait constitué, toujours par le recours à l'initiative privée, des magasins de réserve parisiens - 300 000 qx de blé, 30 000 sacs de farine - qui toutefois ne remplirent pas parfaitement leur rôle dans la crise de 1811-1812. Au paroxysme des difficultés, les pouvoirs publics eurent l'habilité de reprendre à l'an II sa politique du maximum et de la réquisition des stocks, et la taxation du pain à 18 sous en mars 1812 causa autant de satisfaction chez les pauvres que de scandale chez les "honnêtes gens". D'autre part, beaucoup de préfets et de sous-préfets eurent l'habileté de préférer, au lieu du recours systématique et immédiat à la gendarmerie, l'incitation à un effort de charité de la part des notables : l'organisation de nombreuses soupes populaires a contribué à réduire les tensions, et les ventres affamés y trouvèrent leur compte autant que les amateurs de décorations et de félicitations officielles.
Malgré tout, un nombre appréciable de moyennes et petites villes connurent des incidents graves, notamment Issoudun à la fin avril 1812, et surtout Caen, de mars à mai en particulier. L'émeute du lundi 2 mars ["...des Caennais se pressent le matin du 2 mars 1812 à la halle aux grains de la place Saint-Sauveur. Ils réclament du « travail et du pain ». Rapidement alertés, le préfet du Calvados, Alexandre Méchin, et le maire de la ville, Jacques-Guy Lentaigne de Logivière , après avoir informé le colonel Guérin, commandant la 2e légion de gendarmerie, arrivent sur les lieux, accompagnés des seuls deux gendarmes alors disponibles. Ils sont accueillis par des quolibets..."] qui prit les autorités au dépourvu, était une émeute du marché aux grains, déclenchée par la population misérable du faubourg de Vaucelles - ouvriers du textile, journaliers, blanchisseuses. La crise commerciale et industrielle étant venue se greffer sur la crise de subsistances, la revendication de l'emploi vient se mêler dans les cris à celle de la taxation des grains. En dehors même des réminiscences directes d'une période abhorrée par un régime d'ordre, le pouvoir se trouve mis en cause dans la personne du préfet, des magistrats, insultés par les émeutiers, et la participation de conscrits, à la veille de la grande entreprise militaire conte la Russie, est particulièrement inquiétante. Les autorités ne redoutent pas moins les circulations de nouvelles fausses et alarmantes, concernant des émeutes sur d'autres points de l'empire, le sort des armes ; celui de Napoléon lui-même. Aussi la riposte est-elle très dure : dès le 14 mars, une cour martiale prononce huit condamnations à mort, neuf à huit ans de travaux forcés, neuf à cinq de prison.
Dans les campagnes, la réaction du gouvernement ne peut en aucune façon être aussi efficace. Les diverses formes de la crise économique de 1811-1812 mettent en mouvement de véritables armées de mendiants vagabonds. Cette mobilité de gens sans emploi et sans ressources avait dès longtemps été l'objet des préoccupations officielles. La gendarmerie pouvait arrêter tout attroupement mobile, fût-il de deux personnes! si elles n'appartenaient pas à la même famille. Mais en période de crise l’ampleur du mouvement déborde la surveillance et les efforts de refoulement. R. Cobb indique comme particulièrement touchées les marges septentrionales et occidentales du Bassin parisien, ainsi que l'ensemble de la Normandie, où les bandes sont parfois de plus d'un millier d'hommes qui, selon l'expression du préfet de l'Oise, "lèvent l'impôt de leur subsistance sur le travail d'autrui". Chômeurs ruraux et chômeurs urbains se mêlent, faisant peser une égale menace sur le gros fermier ou sur le manufacturier.
Le banditisme
C'est le mot qui vient à l'esprit pour qualifier ces désordres qui, du reste, existaient à l'état endémique dans certaines régions, apparaissant régulièrement pendant les mois d'hiver ou pendant ceux de la soudure [terme agricole désignant la période de l'année précédant les premières récoltes et où le grain de la récolte précédente peut venir à manquer. Il y a alors souvent pénurie et flambée brutale des prix parfois accentuée par la spéculation. Wikipédia] - ou à l'état chronique, en liaison avec toutes les manifestations de crise économique, sectorielles ou locales. 40
À suivre...
Louis Bergeron, L'épisode napoléonien, Aspects intérieurs, 1799-1815, p.106-113, Nouvelle histoire de la France contemporaine, Editions du Seuil, 1972
39. R.Cobb, The Police and the People. French popular Protest, 1789-1820, Oxford, 1970.
40. Jean Tulard, "Quelques aspects du brigandage sous l'Empire", R.I.N., 1966, n°98, p. 31-36.
php
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