Les Mérovingiens, épisode V

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   Ils avaient des palais , le terme désignant tout à la fois le lieu d'exercice et de représentation du pouvoir civil, l'ensemble monumental où siégeaient et résidaient le roi, la cour royale et le gouvernement. Clovis, ses fils et ses petits-fils se sont naturellement inscrits dans la tradition impériale, en choisissant de résider dans des cités romaines, où ils occupaient le palais de l'empereur ou celui des gouverneurs romains. Malgré le tropisme méditerranéen, ils ont établi leurs résidences en pays franc, au nord de la Loire, opérant ainsi un basculement du centre de gravité politique de la Gaule, jusque-là situé en Gaule du Sud. Orléans, Soissons et Reims ont été choisies comme sedes regiae en 511, Chalon et Metz remplaçant Orléans et Reims à la fin du VIe siècle, quand se définirent les "trois royaumes", tria regna,. Chaque "siège social" jouissait d'une dimension symbolique comme lieu central, et sa possession était un enjeu de pouvoir essentiel, comme en témoignent les luttes pour le contrôle de la cité de Paris ou son maintien en indivision à la mort de Charibert. Car pour des raisons historiques et politiques, Paris occupait une place prééminente qui en fit une vraie capitale durant les courtes périodes de réunification. Après sa victoire sur les Wisigoths et le triomphe de Tours en 508, Clovis s'y était installé, probablement sur l'île de la Cité, dans le palais du gouverneur romain. La vieille cité présentait en effet de nombreux atouts stratégiques, au carrefour des routes conduisant en Burgondie et en Aquitaine, ainsi que des infrastructures militaires. Le choix de Clovis fut aussi déterminé par la dévotion royale à sainte Geneviève [vers 420 ; simple bergère, elle fut surtout une femme intrépide et dévouée. Fêtée le 3 janvier, elle est la sainte patronne de la ville de Paris] qui était morte à Paris vers 502. Après Vouillé, Clovis décida d'élever une basilique, qui fut dédiée aux saints apôtres, sur la tombe de la sainte dans la nécropole de la montagne Sainte-Geneviève [Sainte Geneviève y fut inhumée en 512. En 890 son nom fut ajouté à celui de Pierre et Paul. Fermée en 1790. De l'église abbatiale, démolie en 1808, ne reste que la tour Clovis. Les bâtiments subsistants abritent aujourd'hui le Lycée Henri-IV. Source] Clovis, puis Clotilde y furent inhumés. Siège historique de la dynastie, Paris eut aux VIe et VIIe siècle une prééminence de fait.

 

Abbaye de Sainte-Geneviève 508-1790. Source

   Mais les rois mérovingiens se déplaçaient avec leur cours de palais en domaines, villae, royaux, pour répondre aux impératifs de guerre, pour imposer leur autorité aux élites locales, mais aussi pour s'adapter aux nécessités de l' approvisionnement et de la chasse, déterminant ainsi un espace royal. Au VIe siècle, les lieux d'exercice du pouvoir se partageaient entre un "siège royal", qui était un chef-lieu de cité, et un ou deux domaines ruraux, à environ une journée de voyage, le tout formant un système bipolaire. Au VIIe siècle en revanche, les rois ont cessé de résider dans les cités et préféré des palais suburbains, puis des palais ruraux. Le palais suburbain de Clichy a supplanté Paris comme siège de royaume sous Clotaire II et Dagobert, à cause de sa proximité avec la basilique de Saint-Denis qui fut alors élevée au rang de nécropole royale. Compiègne s'affirma ensuite comme siège, en raison de sa situation frontalière entre les tria regna. Choix politiques et expression symbolique donc eu leur part dans le choix et l'usage des palais, Josiane Barbier [historienne ; maître de conférences à l’université Paris X/ Paris Ouest/Paris Nanterre]
  Au VIIe siècle, la cour mérovingienne jouit d'un grand pouvoir d'attraction. On y venait de partout pour y être "nourri" ou pour y obtenir les faveurs royales. Dagobert fut élevé au milieu d'un groupe de jeunes aristocrates qui exercèrent ensuite d'importantes charges palatiales, avant de devenir évêques, comme Didier de Cahors, Ouen et Ansbert de Rouen, Éloi de Noyons-Tournai, Paul de Verdun. Le roi y recevait également de nombreux étrangers comme ces Romains, ces Italiens, ces Goths qui vinrent rendre visite au monétaire de Dagobert. Cependant, le palais royal n'était qu'un médiocre centre de décision politique. Les institutions gouvernementales, étroitement liées à la personne du roi, étaient largement absorbées par les services domestiques. Elle se sont en effet fortement réduites par rapport aux grands corps administratifs romains et l' Administration centrale, à l'exception des bureaux de la chancellerie, d'où sortaient diplômes, préceptes, jugements et où les référendaires gardaient les sceaux royaux, ou encore du tribunal du palais où le comte du palais instruisait les procès. Le trésorier, qui gardait le trésor royal, était un proche du roi, orfèvre à l'occasion comme Saint Éloi [588-659 ; évêque de Noyon en 641 ; saint patron des mécaniciens de l’armée de l’Air, du personnel de l'arme du Matériel de l'armée de Terre, des orfèvres, joailliers, et maréchaux-ferrants. Fêté le 1er décembre, jour de sa mort]. Le maire du palais, qui n'était encore, au VIe siècle, qu'un simple intendant de la maison royale, fut conduit à superviser la gestion de tous les domaines royaux, ce qui lui conféra au VIIe siècle une puissance politique de premier plan, puisqu'il contrôlait désormais la distribution des terres fiscales qui assuraient la fidélité des grands. Il devint donc progressivement l'intermédiaire obligé entre le roi et l’aristocratie.  

 

Saint Éloi 588-659

2. Cités et pagi

  Quels qu'aient été le pouvoir d'attraction de la cour, la force de l'autorité royale et la capacité du roi à se faire obéir, la réalité du pouvoir de protection s'est toujours exercée au plan local, dans un système décentralisé, contrôlé plus ou moins directement par les agents du roi. Il ne pouvait en être autrement puisque les populations rurales vivaient en petits groupes et qu'elles avaient besoin de médiateurs locaux pour survivre. Si la "carrière" des jeunes nobles commençait au palais, elle se poursuivait donc en province pour les plus puissantes d'entre eux.
  De son passé romain, la Gaule avait conservé des cités. Les assemblées municipales, curiales, qui les administraient encore au Ve siècle se sont plus ou moins maintenues jusqu'au VIIe siècle. Les rois ont installé un comte, institution romaine du IVe siècle, par cité, quoiqu'il y ait eu des comtes ruraux, les grafions, en Gaule du Nord. Au VIe siècle, comtes et évêques se partageaient l'autorité dans la ville, mais dans le courant du VIIe siècle, les comtes ont abandonné les cités aux évêques, à l'imitation du roi sans doute, réunissant leurs plaids à l'extérieur de la ville, ce qui illustre la ruralisation de la société.
  L'évêque , chef du clergé local et pasteur de ses ouailles, était aussi le porte-parole des habitants, souvent leur défenseur auprès du roi. L'évêque de Poitiers Marovée [en poste de 584 à 592] obtint ainsi du roi Childebert la révision du rôle de l'impôt, et Grégoire de Tours refusa le rétablissement d'anciens impôts que le roi voulait imposer à nouveau aux habitants de Tours. Les problèmes fréquemment posés par l'élection de l'évêque révèlent les enjeux politiques qui se posaient alors. Dès le VIe siècle, l'intervention du roi fut admise, elle se fit plus directement au VIIe siècle quand les rois cherchèrent à faire des évêques les principaux relais de leur autorité dans les provinces et qu'ils désignèrent à ces postes les plus fidèles de leurs amis. Ils devaient cependant tenir compte des équilibres locaux, du clergé de la cité et surtout des familles aristocratiques. Les puissants fréquentaient la cité, même s'ils n'y résidaient plus en permanence, si bien que la ville pouvait être le théâtre de crises politiques violentes comme celles que connut Marseille, objet de disputes entre les rois mérovingiens d'Austrasie et de Burgondie : en 581, alors que la cité était passée sous la domination du roi de Burgondie Gontran, le clergé de Marseille s'allia au patrice Dynamius [v. 545 — v. 595-596 ; " (...) Dynamius est né vers 545 et semble avoir reçu une solide formation en droit (...) Dynamius est en poste à Marseille, où il administre la justice à un rang subalterne. Il poursuit sans difficulté son cursus honorum jusqu’en 581, où il se trouve solidement établi sur le poste de rector de Marseille, [575-587]. Sa responsabilité est alors considérable, puisque, en prélevant les tonlieux sur le commerce méditerranéen, il contrôle la principale source de numéraire du roi d’Austrasie...". Source] contre l'évêque Théodore [av. 566-591/596 ; Saint Théodore ; évêque de Marseille pendant au moins vingt ans, de l'an 575 à l'an 595] qui fut arrêté avec l'ancien gouverneur Jovin [membre de la noblesse sénatoriale. À la fin des années 560, il est rector de Provence avec la dignité de patrice] alors que tous deux fuyaient à la cour de Childebert d'Austrasie. La cité était alors à un point de cristallisation de forces politiques locales qui rivalisaient entre elles.
  Dans le ressort du pagus, le comte était le représentant direct du roi, avec la délégation de la puissance publique, le ban. Il était donc chargé de présider le tribunal du comté, de réunir les hommes libres et de lever l'ost, l'armée, royal, de percevoir les impôts. Les comtes étaient assistés de centeniers [personne chargée, sous l'autorité du comte, d'administrer une centaine, division territoriale] qui exerçaient à leur niveau des prérogatives de même nature. Il y avait d'autres agents inférieurs que nous connaissons mal mais qui occupaient des positions de médiateurs obligés entre les communautés locales et les puissants. Cependant, de nombreux domaines échappaient aux compétences des comtes : les domaines royaux étaient administrés par des "domestiques" et de nombreux actores, relevant du maire du palais ; des puissants, laïques et surtout ecclésiastiques, jouissaient également de privilèges d'immunité pour certains domaines, au moins en matière fiscale et parfois judiciaire. Au concile de 641, les clercs ont obtenu de relever du tribunal de l'évêque pour tout ce qui concernait leurs propres litiges.

3. Les ducs
  En Francie et en Bourgogne, les rois ont désigné des ducs, puissants personnages dotés de compétence militaire, comme ce Gontran Boson [?-587 ; gouverneur d'Auvergne] qui fit élire Childebert II, mais les duchés n' y ont jamais été permanents, la fonction étant liée à la personne même du duc. Dans les provinces périphériques en revanche, les rois ont institué des ducs dotés d'une certaine compétence territoriale. En Germanie par exemple, dépourvue de structure centrale jusqu'à l'époque carolingienne et de tradition romaine, sauf dans les franges méridionales, les premiers ducs, d'origine franque, ont été institués à la fin du VIe siècle pour l' Alsace, l' Alémanie et la Bavière. Ils ne contrôlaient pas encore l'intérieur des duchés et l'intégration s'est faite progressivement, au rythme de la christianisation, par la fondation d'églises et de monastères, suivie de la création des cadres épiscopaux, celle des comtés n'intervenant que sous les Carolingiens.

 

Chapitre IV 

 Survivre, produire, échanger

 Le monde romain est entré en crise au IIe siècle. la dépression démographique, la diminution générale de la demande, la simplification des circuits d'échange et le développement d'une économie de subsistance à l'échelle locale ont à leur tour influencé sur les conditions et les modes de vie des populations, Chris Wickham [1950- ; historien et universitaire britannique]

I.-Survivre dans un monde difficile


1. L'évolution démographique
  Il est impossible de donner une estimation globale de la population mérovingienne, mais on peut tenter d'en décrire l'évolution dans le contexte démographique de l' Occident romain. À partir du IIIe siècle, l' Occident a été touché par une crise démographique que les troubles dus aux invasions et à l'insécurité croissante ont accélérée au Ve siècle. La diminution de la population est difficile à évaluer et sans doute très variable selon les régions. Au VIe siècle, et plus particulièrement dans la seconde moitié du siècle, la conjonction des catastrophes climatiques entrainant de mauvaises récoltes et de grandes famines, de terribles épidémies, dont les pestes qui touchèrent plus particulièrement les région méditerranéennes, et des guerres civiles achevèrent de contracter la population qui est à son nouveau le plus bas en Gaule à la fin du siècle.
  Cependant, les historiens ont actuellement tendance à expliquer la réduction de la superficie habitée des villes, la progression des friches aux dépens des surfaces cultivées, la disparition brutale ou progressive d'un certain nombre de vici [nom latin donné à une petite agglomération], davantage par de nouveaux modes de gestion de l'espace que par des facteurs démographiques. La conjoncture démographique semble d'ailleurs se retourner au VIIe siècle : après des siècles de dimunition, ou de stagnation, la population commence lentement à augmenter à nouveau, en particulier en Gaule du Nord, où l'archéologie témoigne d'une reprise démographique, avec une augmentation du nombre de sites de plus de 100 habitants.

    

  

Ce village entier du premier Moyen Âge, de sa nécropole et d'une très rare église en bois à plan basilical a été découvert à Pontarlier. Inrap. Source

La découverte a été faite sur le site «des Gravilliers», à Pontarlier, près de la frontière avec la Suisse. Inrap. Source

2. Des conditions de vie difficile  

  À suivre...
  Régine Le Jan, Les Mérovingiens, Que sais-je?, PUF, Troisième édition, 2015, pp . 34- 40 ; 77-78.

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