Haute-Marne : Chaumont à la La Belle Époque, épisode IX et fin

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  Avant même cette historique date du 25 juillet, très précisément en juin 1909, notre aimable petite voisine de Bar-sur-Aube réussit à organiser de grandes fêtes d'aviation sur un terrain sis à gauche de la route de Bar à Chaumont. Le dimanche 6 juin, la musique du 109e qui, pourtant, avait promis un beau concert public aux Chaumontais, fausse lestement compagnie à ses amis du chef-lieu et file donner aubade et sérénade autour de la machine volante. Elle sera bien punie de son lâchage. Le beau temps prometteur ne résistera pas aux assauts d'un gros orage. Un témoin, combien déçu, va nous raconter cela :
  "Plusieurs milliers de personnes sont venues de tous les côtés, dit-il. Buvette, champagne, belles toilettes, rien ne manquait sur la place d' Aviation, rien que le fameux aéro qui ne s'est même pas montré jusqu'à cinq heures du soir. Vers cette heure-là, poursuit-il, un orage éclate et, dame!, toute cette foule sans abri se sauve sur Bar-sur-Aube... Des belles toilettes d'avant, il ne restait que des vêtements collés sur le dos et des fleurs et des rubans qui pendaient lamentablement. Et avec cela, il a fallu laisser l'argent versé... pour aller voir dans un champ de luzerne, à 3 km de la ville, un aéro qui n'a jamais pu marcher".
  Notre malcontent exagère manifestement car le lundi, la foule irrassasiée est encore nombreuse dans le champ de luzerne, mais la guigne poursuit l'aviateur Paulhan. Les coups de vent, les rafales empêchent toute sortie. le calme ne reviendra qu'à 8 h 3/4 du soir, heure à laquelle, presque solitaire, l'homme ailé va réussir quelques bonds de 150 m à 1,50 m du sol.
  Paulhan se pique d'amour-propre et le mardi matin, dès 3 h1/2, sans autres témoins que les ruminants du voisinage, reprend les airs et accomplit plusieurs bonds de 600 m à 10 ou 12 mètres d'altitude. Une fois encore, il atterrit vers 7 heures, pour la dernière fois, car l' aéro s'empêtre les roues dans les hautes herbes du pré et capote. Paulhan, éjecté de son siège, ne sera pas blessé mais la machine est hors d'usage. Fin des grandes fêtes d'aviation de Bar-sur-Aube.

 

Louis Paulhan, 1883-1963. Photographié par Henri Manuel. "...Après plusieurs essais en public à Bar-sur-Aube, Paulhan s'installe à Issy-les-Moulineaux avec « Octavie », tel est le nom de son biplan, où il parachève son apprentissage. L'Aéro-Club de France lui attribue son brevet de pilote, sous le N°10..."
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L'élan est donné
  Mais l'irrésistible soif d'arracher du sol le plus lourd que l'air dévore les pionniers. Quelqu'un l'a déjà deviné et compris qui publie dans la presse ce quatrain ailé :
" Quand nos aviateurs selon leur fantaisie
Entreront triomphants dans le ciel azuré
Délaissant à jamais la divine ambroisie
Les anges, comme nous, boiront du "Fort-Carré [ancienne bière de tradition Bragarde]!
 
                                                              

Bière Fort-Carré, ancienne plaque émaillée

  En août, la Semaine de l' Aviation aura lieu à Bétheny [département de la Marne], en Champagne. Ce Paulhan, si malchanceux à Bar-sur-Aube, commence par pulvériser tous les records antérieurs. Le temps est sombre, le vent violent mais dominant les rafales, secoué comme une plume, le brave Paulhan tient l'air pendant 2 h 45' 24 4/5. "Il a couvert 134 kilomètres d'un seul et gigantesque élan". Le dernier mot n'est pas dit car, dans l'épreuve finale de distance, c'est Farman [Henri, 1874-1958, Franco-Britannique] qui l'emportera avec 180 km, devant Latham [Arthur Charles Hubert, 1883-1912], 154,500 km, - Blériot, lui, champion des petites distances, ne couvrira que 40 km.9 Mais enfin, c'est la France qui mène. Une déception pourtant : le record de vitesse passe aux mains de Curtiss [Glenn Hammond, 1878-1930] de l' Aéro-club d'Amérique, qui s'adjuge la coupe Gordon-Bennett [ancienne compétition internationale de course aérienne organisée par James Gordon Bennett Jr, le propriétaire et éditeur américain du journal le New York Herald] en couvrant les 20 km en 15' 29" 3/5, devant Blériot avec 15' 55" 1/5. 
 


" Un grand nombre de prix étaient prévus pour un total de 200 000 F pour l'ensemble, ils étaient répartis :
  • Grand prix de la Champagne et de la ville de Reims, une épreuve de distance sans ravitaillement, remportée par Henri Farman avec 180 km suivi de Latham avec 154 km en 2h18 et de Paulhan et ses 131 km en 2h43.
  • Prix de la vitesse 50 000 F offert par Monopole Heidsieck et Louis Roederer, remporté par Curtiss suivi de Latham.
  • Prix de l'altitude 10 000 F offert par Moët et Chandon, Latham et ses 155 m suivi de Henri Farman avec 110 m et de Paulhan et ses 40 m.
  • Prix des passagers 10 000 F offert par madame veuve Clicquot Ponsardin, vainqueur Farman sur 10 km.
  • Prix du tour de piste 10 000 F offert par Pommery & Greno, remporté par Blériot suivi de Curtis.
  • Prix des aéronats 10 000 F offert par G.H. Mumm. 
  • Coupe internationale Gordon-Bennett, un objet d'art de 12 500 F détenu par le club vainqueur ainsi qu'un prix de 25 000 F au pilote vainqueur. Curtiss finit premier et Blériot deuxième.
  • Prix des mécaniciens où chaque aviateur reçoit 5 F par kilomètre parcouru pour ses mécaniciens, Bruno-Varilla avec 80 km l'a remporté.
  • Prix des ballons sphériques de 5 000 F remporté par Astra..."

                                                                       

Trophée d'Aviation Gordon Bennett : "...Les règles de la compétition étaient les mêmes que celles du Trophée Schneider pour hydravions : le pays hôte était la nation qui avait remporté la course précédente, et le trophée est remporté définitivement par la nation dont l'équipe a remporté la course à trois reprises. En conséquence, après les victoires de Védrines en 1912, Prévost en 1913 et Sadi-Lecointe en 1920, le trophée est devenu la possession permanente de l’Aéro-club de France..."
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  200 000 spectateurs enthousiasmes et survoltés assistent à cet étonnant festival. Le dernier jour, se dispute "le prix de hauteur". C'est Latham qui le conquiert sur monoplan, avec 155m. Farman grimpe seulement à 110m et Blériot, décidément, en mauvaise forme, à 90m.10 Les prix et primes délivrés aux champions de l' azur ne sont pas négligeables mais ils n'ont rien d' extravagants si l'on considère que, cette année-là, prendre place dans ces fragiles sauterelles et s'envoler sur leurs ailes mal assurées relève tout simplement de la tentative de suicide délibérée. Farman qui a cueilli le plus de trophées au cours de cette glorieuse semaine emporte 70 000 frs ; Latham, 40 000 ; Curtiss l'Américain, 38 000 ; Paulhan, 10 000 ; Blériot, 7 000.

Chaumont s'impatiente
  Tout cela est fort joli mais alors que la modeste Bar-sur-Aube a connu sa grande fête d'aviation, Chaumont, pourtant chef-lieu de département, n'a pas eu l'honneur encore d'acclamer sur son sol l'un de ces chevaliers du ciel. Un fragile espoir se dessine bientôt. En août, on assure qu'à l'occasion du Circuit aérien de l' Est [une grande compétition aéronautique organisée par le journal le "Matin" qui aura lieu du 7 au 17 août 1910. Dotée d’un prix de 100 000 francs. Départ le dimanche 7 août du champ d’aviation d’Issy-les-Moulineaux pour la première étape Paris-Troyes, suivie de 5 autres : Troyes-Nancy, Nancy-Charleville, Charleville-Douai, Douai-Amiens, Amiens-Paris. Pour tout savoir du programme, c'est ICI], un brillant officier aviateur, le lieutenant Mayolle, dans son vol de Troyes à Nancy, posera ses roues le 9, à la Croix-Coquillon.    

                                  


Circuit de l'Est - Champ d'Aviation d'Issy-les-Moulineaux - Départ de Leblanc sur "Blériot"
CC BY-SA 2.0

  Ce jour-là, deux heures ne sont pas sonnées que déjà plus de 2 000 Chaumontais dévalent les Tanneries à bicyclette et le plus souvent à pied pour se rassembler aux lisières de la route de Paris. Déjà, le terrain atterrissage a été délimité. Un détachement militaire a disposé sur le sol de vastes draps blancs qui serviront de repères optiques à l'homme volant. Pour plus de sûreté encore, on met le feu à des meules de foin mouillé dont l'épaisse fumée ne manquera pas de retenir l'attention de l'Icare en uniforme.
  Mais, là encore, un temps épouvantable se met en travers des projets formés. Pluies et rafales de vent s'abattent sur les spectateurs qui stoïques, à peine impatients encore, attendent de pied ferme Pégase et son cavalier. Après 4 heures, instant prévu pour l’atterrissage, le général de Castelnau [Noël Édouard Marie Joseph, vicomte de Curières de Castelnau, 1851-1944 ; commandant d'armée, il devient chef d'état-major du général Joffre après sa victoire en Champagne en 1915. En 1916, Il organise la défense de Verdun avant le déclenchement de la bataille], commandant de la Division de Chaumont, fait son apparition en compagnie du Secrétaire général de la Préfecture et de quelques fonctionnaires de haut grade. Tout général qu'il soit, M. de Castelnau n'est pas mieux renseigné que le plus vulgaire des "pékins" qui l'entourent. Il ignore, par exemple, qu'à la même heure, ce petit lieutenant de Mayolle bat rageusement de la semelle à Troyes. D'abord, au moment de l'envol, le moteur a renâclé et il a fallu réparer en hâte. L'incident clos, c'est la météo qui s'en mêle pour signaler des orages et déconseiller formellement le vol. De cela, Castelnau ne sait rien et, jumelles sur les yeux, scrute attentivement les lointains horizons. À chaque minute, la foule, tendue, se tient prête à entendre tomber, sous les augustes moustaches du général, le cri libérateur des enthousiasmes comprimés : "Le voilà!".

 

Le général de Castelnau, 1851-1944

   ...Huit heures sonnent là-haut, au beffroi de l' Hôtel de Ville ; le temps fraîchit, les front se rembrunissent ; l'espoir se dissipe avec les dernières fumées des meules de foin inutilement sacrifiées. " Ah! s'écriera le reporter de service, ce fut une grosse déception !".
  Sur la route du retour, en grimpant les Tanneries, un philosophe désabusé console ses compagnons : " À mon avis, vous ne savez pas? Eh bien! l'aviateur, une fois en l'air, s'est aperçu qu'il avait oublié son parapluie à Troyes. Il a fait demi-tour pour aller le chercher!".
  Un autre, bien mieux renseigné, assure que passant par Joinville, Mayolle volant bas fut arrêté par les barrières du passage à niveau de la ligne de Chaumont et que la gardienne a refusé de lui ouvrir le passage... Quand au général de Castelnau, tout autorise à croire qu'en regagnant son Q.G de la rue Decrès, il ronchonnait dans ses moustaches : " Ah! ces aviateurs qui ne se croient pas du pipi d'oiseau!... En voilà un, le petit Mayolle, que j'aimerais bien tenir ce soir pour lui dire deux mots! Je lui apprendrais l'exactitude militaire!". En bout de compte, le désinvolte lieutenant Mayolle arrivera quand même à Chaumont le 11 août. Mais en auto, tout simplement.

Chaumont tous les jours
  Ces aéroplanes nous ont bien distraits de notre pavé chaumontais et nous ont un instant fait perdre de vue les réalités du moment.
  La jeune Caisse d' Épargne a fait monter, sous son clocheton simil-cambodgien, une belle horloge à cadran lumineux et aiguilles d'or. Il n'en faut pas plus pour chatouiller la jalousie du conseil municipal, un peu honteux sans le dire, de la vétuste pendule montée sous les vestiges de la Tour de Barle.



Chaumont, l'ancienne Tour de Barle, détruite et remplacée par l' Hôtel de Ville actuel, sous la Révolution, 1787-1790.

  Nos édiles entendent se mettre à l'heure : on changera l' horloge municipale! L'affaire ira d'autant mieux que la Caisse d' Épargne propose ses bons offices et offre 2 000 francs pour réaliser l'opération à charge pour la ville de coupler par un fil électrique les deux appareils horaires qui donneront l'heure en même temps. Le solde à payer par la commune ne sera que de 1 800 francs. C'est une affaire!
  Affaire faite : il appartiendra aux générations futures de mesurer l'incertitude du temps qui passe en comparant les données fantaisistes de la Caisse et de l' Hôtel de Ville. Aux dernières nouvelles, l'horloge d'or aurait décidé de prendre sa retraite en laissant à l'autorité municipale la responsabilité de l'heure exacte. Il n'est pas rare que la moderne protégée du Barle s'en tire avec honneur... L'heure d'ici, c'est maintenant l'heure Ardennes-Champagne et nous ne sommes pas peu fiers de penser qu'en l'orgueilleuse Reims ou dans la lointaine Charleville, toute une grande province connaît, au même instant, le même midi pétant. La ressemblance s'arrête là.11

***

  À la séance du Conseil municipal du 3 juin, M. Collot, le boucher, soulève le couvercle d'un petit pot-aux-roses en réclamant qu'à l'avenir, l'adjudication des fournitures alimentaires à l' Hospice se fasse par soumission cachetée. Ainsi sera supprimée la regrettable coutume des "entrées.
  - Qu'appelez-vous "entrées" questionne le maire.
  - Le fournisseur agréé, répond Collot, apporte des têtes de veaux, du foie, même des gigots et on ne lui paye pas!
  Le Conseil qui n'a à émettre qu'un avis sur la question de l' Hospice, reste perplexe et renvoie le plaignant au cahier des charges pour plus ample information. On verra plus tard, et s'il y a lieu, à modifier le cahier.

***

  Au cours de cette même séance, M. le docteur Renaut entend bien régler son compte à la Sœur du Bureau de Bienfaisance qui, chaque année, quête de porte en porte au profit des communiantes et communiants démunis. Coutume déjà ancienne qui permet à la municipalité, grâce aux dons recueillis, de vêtir et chausser les enfants "économiquement faibles" dirions-nous aujourd'hui. M. Renaut estime qu'il s'agit là d'une "quête cléricale" et, qu'en tant que telle, il y a lieu de l'abolir. Le maire Goguenheim précise objectivement les intentions municipales :
  - Il y a des malheureux, dit-il, qui veulent faire faire la première communion à leurs enfants. Des mères viennent me trouver... Croyez-vous que, moi, libre-penseur, je leur refuserai quelque chose? Avec le produit de la quête, nous n'offrons pas la robe blanche, mais seulement la robe du lendemain et les chaussures... Si toutefois, poursuit-il, vous estimez devoir supprimer cette quête, vous aurez à voter sur la mention Renaut. On vote. M. le docteur Merger déclare vouloir s'abstenir "car, dit-il, j'ai donné à cette quête".
  La motion Renaut n'en est pas moins adoptée.

...FIN DU LIVRE PREMIER

CHAUMONT, août/novembre 1970

Robert Collin, Chaumont à la Belle Époque, Les Presses de l'Imprimerie de Champagne, Langres, 1970, pp. 148-154.

9. Il est juste de dire qu'Hubert Latham avait tenté, à bord de son avion "Antoinette" la traversée de la Manche quelques jours avant Blériot. Il n'échoua quelques centaines de mètres de la côte anglaise.

10. Un an plus tard, ces timides records de hauteur, comme on les appelle alors, seront portés, septembre 1910, par Morane [Léon, 1885-1918 et Robert, 1886-1968 ; en plus de battre le record de "hauteur", Léon fut le premier à dépasser la vitesse de 100 km/h] à 2 040 mètres, puis à 2 582 mètres. Latham n'a pu atteindre que 1 190 mètres.

11. En 1909, le Conseil municipal avait voté l'éclairage électrique des horloges de l' Hôtel de Ville, de la Caisse d’Épargne et du Marché-Couvert. 

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