Et l'avenir devint néolibéral

Mathilde Azérot, journaliste à Tremblay Magazine après être passée par Métro et Revue Territoires.


Extraits:

Le XXe siècle a vu émerger deux phénomènes aujourd’hui indissociables. L’avènement de l’expert et celui du néolibéralisme. Un tandem qui, à partir des années 1960, s’est emparé de l’avenir du monde.


Le Commissariat général du Plan, créé en janvier 1946 par le général de Gaulle (né le 22 novembre 1890 à Lille et mort le 9 novembre 1970 à Colombey-les-Deux-Églises. Général et 1er Président de la Ve République), précisément pour construire le devenir de la France au lendemain de la guerre en définissant la planification économique du pays, fut le lieu privilégié de l’échafaudage de ces projections expertes. Paradoxalement, les experts du Plan ont été à l’origine du déclin de la planification à la française, telle qu’elle avait été envisagée par le général, partisan du keynésianisme: John Keynes (né le 5 juin 1883 et mort le 21 avril 1946. Économiste), qui est la théorie du plein-emploi, qui passe par la relance de la consommation, une baisse du taux d’intérêt et un accroissement des investissements publics.


L’entrée de la France au sein de la Communauté économique européenne (CEE), lors de la ratification du traité de Rome (1957) par le gouvernement de Guy Mollet (né le 31 décembre 1905 à Flers et mort le 3 octobre 1975 à Paris) contre une partie de sa majorité, a été accueillie comme une délivrance par les partisans du libéralisme, jusqu’à là quasi inaudibles. À compter de cette date, contributions et expertises libérales prolifèrent.


Le Rapport sur les obstacles à l’expansion
économique remis en juillet 1960 au Premier ministre Michel Debré (né le 15 janvier 1912 à Paris et mort le 2 août 1996 à Montlouis-sur-Loire. Premier Premier ministre de la Ve République, dont il contribua à rédiger la Constitution) par Jacques Rueff (né le 23 août 1896 à Paris et mort le 23 avril 1978. Haut fonctionnaire et économiste) et Louis Armand (né le 17 janvier 1905 à Cruseilles et mort le 30 août 1971 à Villers-sur-Mer. Ingénieur, haut fonctionnaire et résistant) reste une référence en matière de libéralisme. En témoigne la longue série des rapports officiels qui s’en sont inspirés pour prôner la libéralisation de l’économie française : rapport Nora, sur les entreprises publiques en 1968, rapport Marjolin, Saurin, Wormser, sur le marché monétaire et les conditions du crédit de 1969, etc. 


Le rapport Armand-Rueff arguait déjà que «les obstacles à l’expansion doivent être éliminés. D’ailleurs, le climat d’expansion facilite leur suppression: les structures tendent à perdre leur rigidité, les innovations sont encouragées, les conversions et les adaptations peuvent s’opérer sans heurts majeurs, les divergences éventuelles entre l’économique et le social s’atténuent». L’objectif étant alors de «mettre nos entreprises à même de supporter la concurrence européenne; faciliter les adaptations structurelles, les conversions et les spécialisations; assurer un taux de croissance élevé». Ainsi, ils dressent une liste des professions incriminées pour leur rigidité : notaire, boulanger, pharmacien, etc. Ils recommandent par exemple, la déréglementation des taxis parisiens…


En août 1978, le Premier ministre Raymond Barre (né le 12 avril 1924 à Saint-Denis de la Réunion et mort le 25 août 2007 à Paris. Économiste) prend une décision hautement symbolique: celle de libéraliser le prix du pain, jusqu’à là défini par l'État.


Le Commissariat au Plan en 1994 nomme une commission dont le travail consiste à dessiner le visage idéal de la société française du XXIe siècle. Fustigeant l’idée d’une réduction du temps de travail, elle demande que «l'État accepte […] de lever les contraintes juridiques et les freins à la flexibilité». Il précise en même temps que «les avantages du travail à temps partiel ont fait la quasi unanimité» au sein du groupe de travail car «voilà, à l’évidence, une nouvelle voie de création d’emplois pour notre pays». En outre, il faut, prescrit la commission «redéployer l'État» afin de «ranimer une société civile trop aphone». Et c’est comme cela, que la Fonction Publique (coupable désigné) est sommée de «participer plus solidairement à l’effort de la nation pour améliorer la cohésion sociale» en acceptant une réforme des régimes spéciaux. Et la commission n’hésitant à menacer : «De deux choses l’une : ou bien les responsables, les syndicats et les fonctionnaires font leur principe d’une gestion aussi souple que possible du statut de la Fonction Publique […], ou bien ils se raidissent sur une approche corporative de leurs droits et de leurs devoirs». Auquel cas, «peut-être d’ici à l'an 2000 ou plus probablement après l'an 2000, l’écart sera trop grand entre leur position et celles des autres actifs, et ce sera le statut lui-même qui sera remis en cause».

D’aucuns l’ont rêvé, d’autres l’ont fait. La force des néolibéraux est d’être parvenus à convertir les mentalités à la croyance qu’il ne pouvait en être autrement, et que le néolibéralisme était décidément le seul avenir possible.

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