« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal »

16 JUILLET 2015 | PAR MICHEL KOUTOUZIS


Commentaire: Cet article consacré à la destinée de la Grèce, nous parle également de nos sociétés dites «modernes» que sont devenues. À sa lecture, la confirmation nous est donnée que les promoteurs éoliens et tous leurs complices (actifs ou passifs) en sont les dignes représentants: «La société est dominée par une course folle, définie par ces trois termes: Technoscience, bureaucratie, argent» (Cornelius Castoriadis).


Bonne lecture
  

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Les premières victimes d’un coup de force, d’un chantage, d’un pronunciamiento, sont la pensée (qui s’arrête), les arguments (qui deviennent inaudibles), le raisonnement (qui se meurt), au profit, justement, de la loi du plus fort. C’est un peu cela qu’indique le titre de cet article, emprunté à Hanna Arendt. Pascal va plus loin en y ajoutant une dynamique: « Comme on se gâte l’esprit, on se gâte aussi le sentiment ». C’est ainsi qu’il faut comprendre la remarque de Varoufakis, qui indique que chaque fois qu’il osait un argumentaire au sein d’Eurogroup, il avait devant lui des regards hagards, désintéressés. « J’aurais pu entonner l’hymne national suédois, j’aurais le même effet » : Celui d’un refus catégorique de penser, d’entendre, de répondre, si ce n’est par des formules tueuses de mots, dépourvues de sens, et des phrases toutes faites de comptable. Prophétique - il y a plus de quarante ans -, Cornelius Castoriadis dans une série d’entretiens désormais publiés sous le titre « Une société à la dérive » disait: «La société est dominée par une course folle, définie par ces trois termes: technoscience, bureaucratie, argent. Si rien ne l’arrête, il pourra de moins en moins être question de démocratie. La privatisation, le désintérêt, l’égoïsme, seront partout, accompagnés de quelques explosions sauvages des exclus, minoritaires et incapables d’avoir une expression politique». Il n’y a pas de meilleur exemple, pas meilleur catalogue d’horreurs comme le soulignait le Spiegel il y a deux jours, pas meilleure exhibition de la défaite de l’esprit et de l’entendement que l’accord imposé à la Grèce sous forme de chantage. Ceux qui l’ont concoctée visaient la reddition de la Grèce. Mais c’est l’entendement qu’ils ont tué, la pensée, et toutes les valeurs que l’esprit européen a conquis sur la barbarie. Établir une frontière écrivait Hegel, c’est toujours la franchir. Voici donc que l’Europe franchit sans ambages toutes celles que la civilisation le droit et la philosophie européennes avaient supprimé, réinventant la technoscience, la compétition féroce, l’égoïsme et le mépris de l’autre, remplaçant le monologue autiste des chars d’assaut par celui de l’argent. Pour paraphraser Hanna Arendt, l’organisation totalitaire européenne génère « l’organisation massive d’individus atomisés et isolés » nourris par des médias orwelliens qui répètent à l’infini « qu’il n’y a qu’un dieu et le marché est son prophète ». L’Europe n’offre pas encore assez de décombres pour que l’épopée y fleurisse disait Cioran, qui ajoutait aussitôt : «Cependant, tout fait prévoir que jalouse de Troie et prête à l’imiter elle fournira des thèmes si importants que le roman et la poésie n’y suffiront plus». Nous y sommes…

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