Climathon, semaine 30: Le sommeil des consciences

Publié le 29 juillet 2015 dans Environnement
Par Benoît Rittaud.
(et le jury du climathon)

Le « Sommet des consciences » champion de la propagande climatique !








L’étape de la semaine dernière a été marquée par deux innovations considérables. La première est la constitution d’un peloton particulièrement compact au sein duquel l’essentiel de l’étape a eu lieu.


Pour faire œuvre de propagande climatique, the place to be était l’indispensable Sommet des consciences du 21 juillet, où s’est réuni le plus haut niveau pour rivaliser dans l’exagération, les approximations et le pathos. Il va de soi que celui qui l’emporte haut la main ne saurait être que l’organisateur de l’événement, à savoir Nicolas Hulot. Notre désormais quadruple vainqueur du Climathon renforce ainsi sa stature de Commandeur. Et puisque le Sommet s’affichait comme religieux, Nicolas Hulot pourra à bon droit réclamer le titre de Commandeur des Croyants.


La seconde innovation de propagande a consisté à faire de ce Sommet un événement particulièrement soporifique. Le jury défie quiconque de se rendre sur la page du CESE qui accueillait l’événement et de suivre les débats dans leur intégralité. Le coup est vraiment original: Tous les candidats se sont donnés le mot pour endormir l’auditoire. Les rares climatosceptiques qui voudront critiquer en seront pour leurs frais: Tous s’endormiront au bout d’une heure à peine.


Sur la première vidéo, par exemple, après une courte introduction conçue volontairement pour être sans intérêt, un incroyable tunnel se produit, avec rigoureusement rien entre 4’37 et 17’35, si ce n’est les déplacements des uns et des autres dans la salle. À 17’35 résonne alors une voix d’outre-tombe qui lance ces fortes paroles:
« J’vois qu’t’as mis un casque, est-ce que tu m’entends sur le canal français ? si tu m’entends fais-moi un signe de la main, j’te vois entre les piliers, là. Donc tu m’entends pas ».


Silence ensuite jusqu’à 19’10, où la même voix sépulcrale surgit du néant:

« Et voilà, je suis sur le canal français. Est-ce que tu m’entends sur le canal français ? Canal français canal français fais-moi signe, fais-moi signe, lève la main, fais quèque chose ! Eh ben j’arrête ».


C’est de façon fort grossière selon l’avis unanime du jury que Jean-Paul Delevoye prend ensuite la parole. Pour ceux qui auront le courage de prendre à partir de là, sachez que rien ne nous est épargné. Saviez-vous par exemple que Kofi Annan est grand-père pour la troisième fois, ce qui l’invite à une « prise de conscience » ? Les drames du XXe siècle, le trou dans la couche d’ozone, les climatosceptiques disparus corps et biens, tous ensemble tous ensemble ouais, les 2 degrés, vive les renouvelables, des miyards pour le fonds vert, faire face à nos responsabilités y compris au niveau individuel, les ampoules basse conso, la terre n’est pas à nous on nous l’a confiée pour nos enfants… Un discours complètement à côté de la plaque en léger décalage avec le sujet du jour, donc (climat et religions), de la part d’un compétiteur qui semblait plutôt recycler un vieux discours sans doute déjà prononcé maintes fois recadrer une fois de plus les choses dans notre monde qui s’égare.


Le président de l’Irlande a fait lui aussi assaut de langue de bois: Cesser notre relation destructrice avec la planète, nouveau paradigme, fin de la vie telle que nous la connaissons si on écoute les sceptiques (45’30), orgueil démesuré, dette écologique, individualisme bouh, consumérisme beurk, inégalités snif, harmonie avec les merveilles que nous offre la nature, nouvelle façon de penser, équilibre à trouver, nouveaux instruments, justice climatique, droits environnementaux en compléments des droits humains, diversité culturelle.


À suivi Albert II de Monaco, dont l’autorité morale à l’échelle mondiale n’est plus à démontrer. Il s’est lancé dans des « we still have a chance », de la croisée des chemins, de l’époque cruciale, du dépasser l’égoïsme le court-terme et l’anthropocentrisme, de la mobilisation de chacun, et d’autres alerter inlassablement nos contemporains.



Quant à François Hollande, il a lancé des décider de l’avenir de notre planète, des « porter notre planète au niveau du respect » (sic), des citoyens du monde dont nous avons tant besoin, des contraintes qui peuvent se révéler opportunités, des énergies renouvelables, du changement considérable, du chacun à notre niveau, des réfugiés climatiques, du redonner du sens au progrès et autres proposer des voies nouvelles. Le meilleur pour la fin: L’histoire peut s’écrire à Paris pour l’avenir de la planète comme elle s’y était écrite pour la démocratie en 1789. En vieil habitué de la compétition, le président Hollande a placé de belles banderilles, assénant que:

« Si rien n’est fait, la planète se réchauffera à un niveau et avec une telle intensité que notre monde sera difficile à vivre (…) La misère d’aujourd’hui est intenable ; celle de demain sera ingouvernable ».


On subodore qu’il ressent une légère inquiétude sur sa capacité à assurer la conduite du pays pour un deuxième quinquennat surchauffé. Il surenchérit alors en usant de la boule de cristal:

« Avec un accord qui pourrait être celui que l’on entrevoit, nous sommes encore au-dessus de 2 degrés, sans doute 3 ».


Eh oui, une approche chiffrée, c’est toujours plus crédible. Pied au plancher le Président français conclut:

« La « peur » est « mère nourricière » de tous les extrêmes ».


Le jury a sombré dans le sommeil peu de temps après, au moment où la directrice de l’UNESCO a répondu à quelques questions. Malgré une tentative pour maintenir l’attention avec un joli « le climat, c’est la paix », le somnifère s’est révélé trop puissant pour le jury, qui n’a pas pu aller plus loin.


Le Sommet des consciences a incontestablement atteint son objectif: Endormir tout le monde, c’est un moyen comme un autre pour avoir le champ libre…


Le jury est toutefois dans l’obligation d’adresser un blâme à Arnold Schwarzenegger qui, plutôt que de profiter de l’occasion pour renouveler sa fine astuce sur le gazage des climatosceptiques, s’est fait porter pâle, préférant finalement faire la promotion de son dernier film plutôt que de faire le déplacement à Paris pour ce si crucial Sommet. Le fait qu’il a honoré la journée de sa présence par un document audiovisuel très émouvant et donc évité l’émission de tonnes de dioxyde de carbone dans le long trajet depuis Los Angeles ne doit pas occulter que pour les Gens d’En Haut, ce genre de détails n’a pas cours. Souhaitons donc que Climator suive à l’avenir l’exemple des plus hauts dignitaires de diverses religions, des autorités morales indiscutables venant des quatre coins de la planète, tels le Président de la confédération des Suprêmes Conseils européens du Rite écossais ancien et accepté, et le PDG de « DNV-CL ».


Le « Sommet des Consciences pour le climat » a donc privilégié l’enflure du style le ton pondéré, la grandiloquence des discours la noblesse des intentions, l’instrumentalisation des malheurs du monde l’éveil des consciences, les leçons de morale l’étude objective de l’influence de l’Homme prédateur sur la Nature et la stigmatisation des hérétiques culpabilisations des mécréants responsabilisation des citoyens. C’est donc fort logiquement qu’il a débouché sur un « Appel des consciences », lettre publique destinée aux chefs des délégations de la COP 21 dont voici deux passages emblématiques :


« Dans notre monde contemporain, il est rare d’être invité à exprimer ce qui fonde nos choix et oriente nos actes. Nous justifions plus souvent nos décisions en avançant des arguments qui paraissent légitimes: Statistiques, données, tous arguments qui parlent rarement au cœur et à l’esprit de nos semblables ».


(Résumé approximatif: On s’est assez servi de la science, de toutes façons, elle ne fonctionne plus, passons à autre chose.)


« Nombre d’entre nous, intervenants au Sommet, sommes signataires de cette lettre. Chacun d’entre nous s’est livré à cet exercice exigeant d’introspection, consistant à apporter une réponse personnelle et honnête à la question Why do I care, plutôt que des arguments convenus et généraux ».


Dit d’une autre façon: La réflexion et le raisonnement, c’est vraiment très surfait.


À propos des signataires de l’Appel, un coup d’œil sur le site dédié montre que la tactique de l’endormissement généralisé a tellement bien fonctionné que les sauveteurs de planète semblent en avoir été eux aussi victimes. En effet, lundi après-midi, c’est-à-dire près d’une semaine après le lancement tonitruant du Sommet, le nombre de signataires n’a pas encore tout à fait atteint les 1400.



Ne sous-estimons toutefois pas trop ce résultat: Après tout, MM&M (le blog qui accueille le Climathon), n’a guère fait que 3500 visites la semaine dernière (dont 657 visiteurs uniques), avec un soutien institutionnel autrement important. Et pour comparer ce qui est comparable, rappelons que l’appel d’Éric Cantona à « vider les banques » avait obtenu en quelques jours à peine 38 000 signatures (plus 30 000 « sympathisants »), avec le foudroyant résultat que l’on sait.

Le jury attendait toutefois une meilleure attitude de la part de la presse télévisée française, qui s’est visiblement endormie elle aussi à regarder le Sommet plutôt que de se contenter de reprendre servilement des communiqués de presse. Conséquence:
Sur TF1: Un bref reportage sur la déforestation en Amérique du Sud, laborieusement rattaché au Sommet;
France 2: À peine une brève dans un journal de 13h;
France 3: Un article (pas même un reportage !) sur le site de France 3 Côte d’Azur (petite devinette: Pourquoi est-ce cette station de France 3 qui a publié cet article repris de l’AFP ?)
Arte (pourtant la chaîne d’Opération Climat): Rien


Devant l’enjeu du Sommet des Consciences, la presse télévisuelle se devait d’accomplir son devoir moral. Elle ne l’a pas fait. Ce n’est pas une erreur, c’est une faute. Le jury du Climathon adresse donc un blâme à l’ensemble de la presse télévisée susmentionnée (sous réserve que le jury ait manqué quelque chose). Le Jury rappelle aux journalistes de télévision que la Planète, elle, aura encore moins d’indulgence pour nos enfants.


Pour évoquer ce Très Grand Sommet, tournons-nous vers la presse écrite, qui a mieux rendu compte de cette étape qui a vu plus de 50 compétiteurs surmotivés sur la ligne de départ, chacun ayant à cœur de prouver sa haute valeur morale et une capacité d’indignation supérieure à celle des autres concurrents (tout en respectant l’exercice imposé d’endormir le public). L’œil bienveillant de la presse écrite, toujours prête à relater objectivement l’actualité climatique, nous permet de mieux cerner l’étape, notamment Le Point, Les Échos (deux fois), La Croix, Paris International, Euronews ou encore 20minutes. Ainsi le Journalderéférence, qui commence par faire monter la pression: « La cause est-elle déjà désespérée ? » Le ton est donné, peu d’innovation stratégique, les vieilles recettes ayant fait leurs preuves: Peur et catastrophisme au menu avec une bonne dose de mauvaise conscience, une once d’auto-flagellation et une petite pincée d’espoir entrevue à la sortie de ce brouillard climatique. Une recette au demeurant parfaitement maîtrisée par certains vieux routards des différentes obédiences religieuses depuis quelques millénaires.


Pour ce qui est du maillot de la peur, un concurrent s’est naturellement imposé en la personne de Pierre Rabhi. L’autoproclamé « agro-écologiste » s’est montré à la hauteur de sa réputation:

« Il faut prendre conscience de notre inconscience. Nous n’arrêtons pas d’infliger des dégâts terribles à la nature qu’il faut ensuite réparer et qu’il vaudrait mieux éviter car ils sont préjudiciables au développement humain. Prenez les sols. Tous les jours, des quantités astronomiques de produits chimiques y sont déversées, entraînant leur empoisonnement. Nous sommes vraiment entrés dans un processus mortifère dont nous n’avons pas idée ».

C’est le début de la fin.


Quelques stars étrangères du peloton ont également su s’illustrer. Le photographe Brésilien Sebastião Salgado prouve que la compétition n’est pas ouverte qu’aux théoriciens. Il se montre dubitatif devant les « discussions bureaucratiques et techniques » et préconise une solution simple mais efficace: « La seule manière de réduire la présence du carbone, c’est de planter ». Chacun sa marotte ! « Nous devons retourner à la nature, et replanter des arbres pour réduire notre empreinte carbone. Car l’arbre est le seul être capable de transformer le carbone en oxygène. Ce n’est pas la haute technologie qui nous sauvera ».


Profitant de l’échappée et suçant la roue de Salgado, l’altermondialiste indienne Vandana Shiva en profite pour émettre le vœu « que chaque participant à la COP21 s’engage à planter un jardin ». Elle s’inscrit ainsi dans la grande tradition des lumières et s’inspire de Voltaire, lointain précurseur de la lutte contre le réchauffement (« il faut cultiver notre jardin »).


Avec un palmarès (ancienne présidente de la république d’Irlande, ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme et ancienne présidente de la commission internationale de juristes) à faire frémir ses concurrents, la sortie de Mary Robinson, l’Envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour le changement climatique était très attendue. La créatrice de la fondation pour la justice climatique (particulièrement prometteuse pour la suite de la compétition), n’a pas faibli avec un message dans la droite ligne de la religiosité ambiante, agrémenté de bon sentiment suintant et ruisselant.

« Nous pouvons montrer que la solidarité humaine n’est pas un domaine réservé pour les religions et les activistes des droits de l’homme. C’est plutôt la clé qui peut libérer le pouvoir collectif de milliards de gens. Des gens qui peuvent ensemble construire un monde plus résilient, stabiliser notre climat et déclencher une offensive sans précédent contre la pauvreté et l’injustice ».


Elle réussit avec brio une à une toutes les figures du programme imposé et n’omet même pas la référence à nos enfants qu’il faut sauver:

« J’ai cinq petits-enfants qui auront la quarantaine en 2050… Ils partageront le monde avec 9 milliards de personnes. J’espère que lorsqu’ils regarderont 35 ans en arrière, ils pourront dire: Heureusement qu’ils ont changé de direction à Paris en décembre 2015 ; heureusement qu’ils ont pavé la voie pour un monde sûr. C’est ce que nous devons faire et c’est ce qui fera la différence ».


De la belle ouvrage. Au bout du compte, une solution finalement si simple qu’on se demande pourquoi on n’y avait pas pensé plus tôt:

« Nous pouvons résoudre le changement climatique si nous nous soucions les uns des autres et si nous nous aidons les uns les autres ».


Pour sortir du marasme, certains ne font pas preuve d’une originalité folle et conseillent une « implosion provoquée de l‘économie du carbone », soit l’abandon des combustibles fossiles pour l’obtention d‘énergie. Ils n’hésitent pas à comparer, sur un plan moral, l’utilisation des hydrocarbures fossiles à la traite des esclaves, démontrant ainsi une nouvelle fois que tous les coups sont permis pour espérer grimper sur le podium et qu’il ne faut pas s’encombrer de considérations éthiques.


Ce sommet a aussi donné lieu au lancement d’une initiative prometteuse, le « Green Faith in Action » (la foi verte en action), un programme développé par l’association climat R20 fondée par Arnold Schwarzenegger et l’organisation britannique Alliance of Religions and Conservation (ARC) qui « a pour objectif de rendre les villes pèlerinages de toutes obédiences religieuses et spirituelles sobres en carbone et résilientes aux dérèglements climatiques ». Parmi les mesures d’ampleur, on peut noter le Temple d’or sikh du Harmandir Sahib à Amritsar, en Inde, qui a banni les bouteilles d’eau en plastique, des bénévoles étanchant ainsi la soif des pèlerins avec des tasses traditionnelles en métal, qu’ils nettoient après leur utilisation.


Cette fois c’est sûr, l’éveil des consciences est en marche. Rien ne l’arrêtera.


Commentaire: Revenez les De Funès, Coluche, Desproges, et consorts, les comiques ont le vent en poupe!




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